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3083. ... Qu'il n'y a pas ouverture à cassation contre un jugement qui vise dans ses motifs les dispositions des lois spéciales des 7 juill. 1833 et 3 mai 1841, relatives à l'expropriation pour cause d'utilité publique, lorsque le dispositif de ce jugement se fonde sur des règles du droit commun qui pouvait seul être invoqué dans l'espèce, et que, par suite, la question relative à l'indemnité ou aux dommages-intérêts prétendus par les demandeurs a reçu une solution conforme aux dispositions de la loi. — Cass., 16 juill. 1844, Périssé, [D. Rép., vo Cassation, n. 1430]

...

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3084. Que l'erreur juridique contenue dans une déclaration surabondante ne donne pas ouverture à cassation contre un arrêt dont la solution trouve ailleurs sa justification. — Cass., 8 mars 1875, Barreau, [S. 75.1.301, P. 75.725, D. 75.1.278] 3085. ... Que le jugement ou l'arrêt qui rejette une fin de non-recevoir par un motif erroné en fait, alors, du reste, que sa décision, à cet égard, pouvait se justifier par un autre motif valable, n'est pas susceptible d'ètre annulé pour cette raison. Cass., 7 mars 1854, Huet, S. 56.1.221, P. 54.1.400, D. 54.1.345] 3086. ... Qu'un arrêt n'encourt pas la cassation, quoiqu'il contienne des motifs erronés en droit, si le jugement dont il a adopté les motifs est légalement motivé; tel serait, par exemple, les motifs d'un jugement qui aurait déclaré une servitude acquise par possession immémoriale, dans un pays où elle s'acquérait de cette manière, s'il avait ajouté seulement que cette servitude reposait sur une servitude plus que trentenaire équivalente à un titre. Cass., 4 mars 1828, Ugnon, [P. chr.]

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3087.- Les droits qui, hypothétiquement, auraient été visés dans les motifs d'un jugement ou d'un arrêt, ne peuvent fournir une ouverture à cassation, lorsque le dispositif ne les consacre pas. Ainsi il a été jugé que le possesseur des francs-bords d'un canal a le droit de s'opposer au rejet, sur ces francs-bords, des terres provenant du curage du canal, alors qu'il n'est justifié, à cet égard, de l'existence d'aucune servitude; et qu'il ne suffit pas, pour qu'on puisse se pourvoir contre l'arrêt qui l'a ainsi jugé, que cet arrêt s'occupant dans ses motifs d'une servitude non invoquée et consistant dans le droit, pour les propriétaires d'un canal, de rejeter sur ses francs-bords possédés par un riverain, les terres provenant du curage, ait déclaré qu'en supposant que cette servitude existât, les limites en auraient été excédées. Cass., 21 mars 1855, Canal de Millas, [S. 56.1.304, P. 56.2.358, D. 53.1.409]

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3088. Que lorsqu'un arrêt n'a point, en réalité, jugé la question de la validité d'un brevet d'invention, mais qu'il s'est borné à examiner, dans ses motifs, la brevetabilité du procédé qu'on prétendait avoir été contrefait, et qu'en définitive, dans son dispositif, il a déclaré l'action en contrefaçon mal fondée, par suite de différences essentielles relevées entre les procédés des deux parties en cause, il ne peut y avoir ouverture à cassation portant sur la fin de non-recevoir tirée de la non brevetabilité du procédé. Cass., 16 nov. 1868, Labat, [D. 69.1.125] 3089. Que le droit de servitude, établi par l'art. 643, C. civ., au profit des communes, villages et hameaux, peut servir de base à la complainte comme ayant un titre qui existe dans la loi; et que si, pour admettre l'action de la commune, le tribunal d'appel, à la différence du juge de paix, s'est fondé sur une doctrine sans application dans la cause, sa décision basée, par suite de l'adoption des motifs du jugement de première instance, sur ce que les habitants d'une commune exerçaient publiquement et paisiblement, depuis plus d'une année, à titre de servitude, en vertu de l'art. 643, C. civ., la possession d'une fontaine et d'un lavoir, se trouvant juridique en elle-même, ne saurait être viciée par l'erreur de principe que relève le pourvoi. Cass., 3 déc. 1878, de Bonneau-Duval, [S. 79.1.296, P.79.749, D. 79.1.150] 3090. Que lorsqu'un arrêt a déclaré à tort que la question de savoir à quel prix un immeuble avait été vendu était déjà tranchée par l'effet d'une décision antérieure ayant acquis l'autorité de la chose jugée, cette déclaration erronée ne suffit pas pour donner ouverture à cassation, lorsque, par une appréciation souveraine des faits de la cause, ce même arrêt a repoussé, relativement à la question du prix, la prétention du demandeur comme absolument dénuée de preuve et ne reposant sur aucune base sérieuse. - Cass., 28 janv. 1885, Bosc, [D. 85. 5.53]

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3091. Que lorsqu'un arrêt, dans ses motifs, s'est placé au point de vue de la subrogation légale, mais que, dans son dispositif, il n'a pas déclaré la partie subrogée aux droits à l'exercice desquels elle prétendait, et qu'il s'est borné à pronon

cer une condamnation en garantie et indemnité, on ne peut, contre une pareille décision, trouver une ouverture à cassation tirée de la violation de l'art. 1251, C. civ., et des principes en matière de subrogation. Cass., 11 juill. 1881, Cordier, [S. 82.

1.12, P. 82.1.17, D. 83.1.37] 3092. Que le propriétaire ou le locataire d'un bois n'est pas de plein droit responsable des dégâts causés par les lapins sortis de ce bois; qu'il ne peut en être tenu qu'autant qu'il est fait preuve contre lui d'une faute, d'une imprudence ou d'une négligence; qu'en conséquence, lorsque les juges du fond ont déclaré que le locataire d'une chasse a pris toutes les mesures nécessaires pour détruire les lapins et décidé qu'en l'absence de toute faute, aucune responsabilité ne peut lui incomber, il importe peu que le tribunal ait, par un motif erroné et surabondant, déclaré que la réparation du dommage ne serait due que si le locataire avait favorisé la multiplication des lapins dans un but voluptuaire, et s'il avait été préalablement mis en demeure de les détruire. Cass., 3 févr. 1880, Favriaux, [S. 80.1.454, P. 80.1142, D. 80.1.304]

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3093. Que lorsqu'un arrêt a déclaré que le litige ne portait que sur la délimitation de l'assiette du passage réclamé sur le fonds servant, et que l'emplacement prétendu est le trajet le plus court pour arriver du fonds enclavé à la voie publique et n'est pas plus onéreux que s'il était établi sur tout autre point du fonds servant, il importe peu si, après avoir ainsi justifié leur décision, les juges ont indiqué qu'en déterminant de la sorte cet emplacement, leur décision se trouvait en parfaite concordance avec un jugement précédemment rendu au possessoire et avec les titres, et s'ils ont enfin signalé qu'il était de l'intérêt d'un tiers et d'une plus grande commodité pour le propriétaire du fonds enclavé que le passage fût maintenu sur ce point; que ces dernières constatations n'ayant été faites qu'à titre de consideration et non comme motif déterminant, ne sauraient entacher d'illégalité une décision déjà légalement motivée. -- Cass., 20 janv. 1880, Pillet, [D. 80.1.304]

3094. L'erreur dans les motifs d'un jugement ou d'un arrêt ne peut donner ouverture à cassation, non seulement quand le dispositif se justifie par d'autres motifs légaux, mais aussi lorsque la décision de l'arrêt attaqué se fonde en outre sur une appréciation de faits rentrant dans le domaine des juges du fond. Cass., 8 août 1837, Adelon, [S.37.1.957, P. 37.2.615 3095. Peu importe que le pourvoi soit formé seulement dans l'intérêt de la loi. Cass., 26 août 1830, Req. du proc. gén., S. et P. chr.]

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3096. Mais si des motifs inexacts ou erronés peuvent satisfaire à la prescription de la loi, c'est à la condition que les raisons données par le juge à l'appui de sa décision répondent, soit directement, soit indirectement, aux conclusions des parties. Cass., 23 févr. 1885, Faucheron, [S. 86.1.150, P. 86. 1.362, D. 85.1.284]

3097. S'il est constant, en droit, que les prévenus d'un délit forestier qui, en police correctionnelle, excipent de leur droit de propriété et obtiennent leur renvoi à fins civiles pour faire reconnaitre ce droit, deviennent demandeurs dans leur exception et sont tenus de faire la preuve de leur prétention, un arrêt, malgré une déclaration contraire à ce principe, contenue dans ses motifs, ne saurait encourir la cassation sì, des autres considérants, il résulte que la partie renvoyée devant les juges civils a fait, devant eux, la preuve qui était à sa charge. Cass., 21 mai 1884, Bourqueney, [S. 84.1.278, P. 84.4.678, D. 84.1.446]

3098. Il n'y a pas lieu de s'arrêter à la thèse de droit abordée à tort par un arrêt, et d'après laquelle la preuve de la fausseté des faits diffamatoires serait permise à la partie plaignante, lorsqu'en fait, l'arrêt attaqué ne l'a point autorisée à faire une preuve prohibée par la loi, qu'il s'est borné à rechercher dans les écrits diffamatoires et dans les pièces et actes produits par le défendeur lui-même, à titre de documents justificatifs, l'étendue de la faute commise, recherche à laquelle ne s'opposait aucun texte de loi. Cass., 16 août 1882, Bertrand, S. 83.1.225, P. 83.1.535, D. 83.1.401]

ce n'est

3099. - De la combinaison des art. 111, C. civ., 59, dernier alinéa et 420, C. proc. civ., il résulte qu'en matière civile, que dans le cas d'élection de domicile que le demandeur a la faculté d'assigner le défendeur devant le tribunal dans le ressort duquel est situé le domicile convenu; par suite, c'est à tort qu'on a considéré la simple obligation de rendre compte

d'une administration comme emportant élection de domicile dans le lieu où le compte devait être rendu; mais cette erreur ne suffit pas, par elle-même, pour donner ouverture à cassation, lorsque, s'agissant d'une personne morale, telle qu'une congrégation autorisée, qui peut avoir, sans que l'unité de la personne soit interrompue, en outre de son principal établissement, autant de succursales attributives de juridiction qu'il y a de lieux où son activité se manifeste par l'existence d'un établissement complet par lui-même, l'arrêt attaqué, par des constatations de fait souveraines et suffisantes, établit légalement l'existence, dans l'espèce, d'un domicile de fait attributif de juridiction, et, par suite, la régularité de l'assignation donnée à ce domicile. Cass., 7 déc. 1886, Institut des sœurs de Saint-Vincent de Paul et de Monseignat, [S. 87.1.71, P. 87.1.148, D. 87.1.101] 3100. Il n'y a pas ouverture à cassation contre un jugement qui a déclaré à tort, dans un de ses considérants, que les conclusions subsidiaires prises pour la première fois en appel par une des parties constituaient une demande nouvelle, lorsque l'erreur dans laquelle le jugement peut être tombé à cet égard ne porte que sur un des motifs qui ont déterminé le tribunal à rejeter ces conclusions. Cass., 23 avr. 1872, Viquesney, [D. 74.1.155] Nous ferons remarquer, toutefois, que l'erreur, tout en ne portant que sur un des motifs de l'arrêt pourrait le vicier dans son entier s'il n'était pas établi que les autres motifs fussent suffisants pour justifier pleinement la. solution adoptée, et s'il pouvait demeurer une incertitude quelconque sur le point de savoir quelle influence a pu exercer sur l'esprit du juge le motif erroné énoncé dans les considérants destinés à justifier la décision.

3101. — Nous ferons la même observation relativement à un arrêt par lequel il a été décidé que, lorsqu'un jugement, après avoir motivé le rejet de la demande par des moyens spéciaux, complète la démonstration par des moyens empruntés à des enquêtes étrangères à la partie demanderesse, ces considérations suppletives peuvent être écartées sans porter atteinte aux motifs spéciaux qui justifient la décision attaquée. Cass., 1er avr. 1856, Horace Vernet, [D. 56.1.461] S'il n'est pas démontré que les moyens empruntés à des enquêtes étrangères à la partie ne fussent pas précisément ceux qui ont entrainé la conscience du juge, on ne saurait trouver à sa décision une base sûrement légale. 3102. S'il arrive devant la Cour de cassation qu'un arrêt dénoncé ne se trouve pas suffisamment justifié par les motifs y exprimés, et qu'il soit nécessaire, pour éviter la cassation, de recourir aux motifs développés dans le jugement de première instance, confirmé par l'arrêt, la Cour de cassation peut juger que ces motifs sont sous-entendus dans l'arrêt, encore que les juges d'appel n'aient point déclaré s'en référer au jugement de première instance. Cass. (rés. impl.), 11 mars 1816, Morin, [S. et P. chr.]

3103. Dans tous les cas, un motif subsidiaire dans un arrêt, alors même qu'il serait erroné, ne saurait donner ouverture à cassation.-Cass., 9 déc. 1840, Arrighi, S. 41.1.127, P. 41.1.138] 3104. Mais un arrêt dont le dispositif est appuyé sur un motif renfermant la violation d'une loi, ne peut échapper à la cassation, sous prétexte que la décision pourrait être justifiée par un autre motif, alors que ce motif a été lui-même formellement rejeté par l'arrêt. Cass., 5 déc. 1832, Périlhe, [S. 33.1. 113, P. chr.] 3105. En un mot, c'est avant tout le dispositif qu'il faut voir, c'est lui qui forme la partie principale de la décision et, pour qu'il y ait ouverture à cassation, il est nécessaire qu'on puisse relever une erreur de droit, non dans les motifs, mais dans le dispositif.

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3106. On peut consulter encore dans le même sens un arrêt du 22 juin 1836, lequel a décidé qu'il suffit, pour entrainer la cassation, que le dispositif d'un jugement soit le résultat d'une fausse interprétation de la loi exprimée dans les motifs de l'arrêt, bien que ce dispositif pût être justifié par les circonstances particulières de la cause. Cass., 22 juin 1836, Glise. 3107.- Et un autre arrêt du 1er août 1825, Pailhès, [S. et P. chr.], par lequel il a été décidé qu'il y avait ouverture à cassation contre une décision arbitrale dont le dispositif déclare que le tiers-arbitre adopte dans son ensemble le reliquat de compte fixé par l'un des arbitres, alors que des motifs donnés à F'appui de cette déclaration, il résulte que ce tiers-arbitre n'est arrivé à l'acceptation du reliquat de compte que par suite d'une fausse interprétation de l'art. 1018, C. proc. civ.

3108. Une exception doit être apportée à la règle suivant laquelle il ne peut y avoir ouverture à cassation contre les motifs d'un jugement ou d'un arrêt, mais seulement contre le dispositif; il en est ainsi lorsque ces motifs contiennent un excès de pouvoir de la part du juge et dans des conditions qui intéressent Fordre général.

3109.- Mais alors, cette cassation est prononcée en vertu d'un texte spécial de loi, l'art. 80, L. 27 vent. an VIII qui, pour ce cas, donne spécialement attribution à la chambre des requêtes; cette chambre, contrairement aux règles qui président à son fonctionnement, peut casser et casser sans renvoi. prà, vo Cassation (Cour de), n. 312 et s.

V. su

3110. — Ainsi il a été jugé qu'un tribunal qui, tout en se conformant dans son dispositif à la jurisprudence de la Cour de cassasion, critique cette jurisprudence dans les motifs de son jugement, proteste contre elle et déclare ne s'y soumettre que pour ne pas prolonger un conflit plus préjudiciable qu'avantageux aux parties, commet un excès de pouvoir qui doit être réprimé par l'annulation de son jugement dans la partie de ses motifs énonçant une opinion contraire à celle de la Cour de cassation. - Cass., 2 avr. 1851, Intérêt de la loi, [S. 51.1.232, P. 51.2.306, D. 51.1.74] 3111. Spécialement, un tribunal civil appelé à juger commercialement, et auquel l'officier du ministère public demande à être admis à siéger comme partie intégrante du tribunal et à donner ses conclusions, ne peut, sans excéder ses pouvoirs, et tout en admettant dans le dispositif de son jugement les réquisitions du ministère public, critiquer dans ses motifs les arrêts de la Cour de cassation qui ont jugé, en cassant dans l'intérêt de la loi des jugements du même tribunal, que le ministère public fait partie intégrante des tribunaux civils jugeant commercialement. Même arrêt.

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3113. Ainsi, un arrêt de la cour d'appel, basé sur une décision administrative, ne peut être cassé, sous prétexte qu'il se trouverait en contradiction avec une décision du Conseil d'Etat intervenue ultérieurement, et qui aurait annulé la décision administrative. Cass., 3 août 1825, Cerf, [S. et P. chr.]

3114. Jugé, pareillement, que le pourvoi en cassation doit être jugé sans tenir compte des faits postérieurs à l'arrêt attaqué. Cass., 22 juill. 1845, Caisse des consignations, [S. 45.1. 819, P. 46.1.96, D. 46.1.33]

3115. Spécialement, le pourvoi fondé sur ce qu'une partie aurait été jugée à tort sans qualité pour exciper des droits d'un tiers, ne devient pas non-recevable de ce qu'une décision postérieure à l'arrêt attaqué aurait jugé que ce tiers n'a aucun droit. Même arrêt.

3116.- La Cour de cassation a fait par son arrêt du 17 nov. 1833, Desprez, [S. 36.1.132, P. chr.], une remarquable application de la règle d'après laquelle, devant elle, les arrêts ou jugements qui lui sont dénoncés ne se jugent que d'après l'état des choses existant au moment où ils ont été rendus, en décidant que la violation de la chose jugée donne ouverture à cassation, alors même que, depuis l'arrêt qui contient cette violation, l'arrêt violé a été cassé. V. infrà, vo Chose jugée.

3117. Jugé encore que, lorsque la chambre des requêtes a admis un pourvoi fondé sur ce qu'un tiers a été déclaré sans droit ni qualité pour assister et prendre part aux enquêtes d'une instance en séparation de corps malgré l'admission de son intervention à cette instance, la chambre civile de la Cour de cassation doit statuer sur le pourvoi dans l'état où la cause s'est présentée devant la chambre des requêtes et sans avoir à tenir compte de ce que, postérieurement à l'arrêt attaqué, la séparation de corps a été prononcée par un arrêt qui a acquis l'autorité de la chose jugée. Cass., 26 mars 1888, de la Bellière, [S. 88.1.297, P. 88.1.734]

3118.

Nous avons dit, au surplus, que la Cour de cassation n'est pas juge des changements qui peuvent survenir dans la qualité de ceux qui procèdent devant elle. - V. suprà, n. 1222.

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Il y a manque de base légale, lorsque la décision du jugement ou de l'arrêt attaqué ne repose pas sur une dispo

sition précise de la loi, ou lorsque celles qui ont été visées par le juge ne sont pas les dispositions législatives applicables aux faits constatés, ou ne sont pas les seules à la lumière desquelles ces faits eussent dû être appréciés, ou encore, lorsque la décision attaquée a omis de relever et d'établir un des éléments nécessaires pour que l'application qui a été faite d'une disposition de loi fut pleinement justifiée.

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3120. Et d'abord, il y a manque de base légale lorsque la décision attaquée ne repose pas sur une disposition précise de la loi. Un des principes fondamentaux de notre état social, c'est que rien ne doit être laissé à l'arbitraire du juge, qui ne peut jamais statuer qu'en vertu d'une disposition formelle de la loi. Comme nous l'avons déjà fait observer, un prétendu principe de droit, en l'absence d'un texte précis, est sans valeur; il n'en peut avoir que pour commenter et expliquer un article de la loi qui l'a traduit en une règle obligatoire ou, tout au moins, s'en est inspiré. La Cour de cassation a fait une application indirecte de cette règle, lorsqu'elle a décidé : « que la fausse application d'un principe n'équivaudrait nullement à la violation d'une loi ». - Cass., 10 avr. 1811, Dembourg. Suivant Merlin (Rép., vo Adoption, §3), « la fausse application d'un principe n'est pas une ouverture à cassation, alors que ce príncipe n'est écrit dans aucune loi. >>

3121. La seconde condition, c'est que la disposition invoquée soit bien celle qui était applicable aux faits constatés par la décision attaquée. La constatation des faits rentre dans le domaine souverain des juges du fond, et la Cour de cassation n'y peut rien changer; mais ce qui lui appartient, c'est de rapprocher des faits les dispositions de la loi invoquées par le juge, et de déterminer si entre ces faits et ces dispositions le lien juridique existe. Si elle ne trouve pas ce lien, elle se servira, pour casser, de l'une de ces deux formules: ou fausse application de la loi, ou manque de base légale; la première sera préférée si l'application d'une autre loi devait conduire à une solution différente; on prendra, au contraire, la seconde, si les faits, ayant été mis en regard d'autres règles de droit, il n'est pas établi que la solution eût changé.

3122. —- Ainsi, manque de base légale l'arrêt qui, pour faire porter exclusivement la responsabilité d'un abordage sur l'un des deux navires, invoque, en premier lieu, le fait, de la part de ce navire, de s'être porté à bâbord au lieu de se porter à tribord, conformément aux prescriptions de l'art. 15 du règlement international du 1er sept. 1884, alors que cet article n'est écrit que pour le cas où les navires se voient ou voient leurs feux et non pour le cas où, comme dans l'espèce, à raison de l'épaisseur de la brume, les navires n'ont pu s'apercevoir qu'au moment où ils se sont rencontrés, et, en second lieu, le fait de n'avoir pas ralenti sa marche, malgré la brume. Cass., 19 mars 1888, Abordage des navires le Tonkin et le Maurice-Réunion.

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3123. L'arrêt qui fonde sa décision sur une prétendue déclaration de la partie appelante, alors que cette déclaration est contredite par des conclusions en forme régulière, commet un excès de pouvoir et, par suite, s'agissant de l'application de l'art. 1783, C. civ., relatif aux obligations des voituriers par terre et par eau, viole cet article, en ne donnant pas une base légale à l'application qu'il en a faite. Cass., 21 févr. 1887, Cie des Messageries maritimes, [S. 87.1.420, P. 87.1.1042, D. 87. 1.476]

3124. Manque de base légale le jugement qui, pour ordonner la radiation d'un électeur de la liste électorale d'une commune, se borne à déclarer que cet électeur est privé de ses droits civils, sans expliquer de quelles circonstances résulte cette privation et sans permettre, par conséquent, à la Cour de cassation d'exercer son contrôle. — Cass., 12 avr. 1888, Soulier, d'Anduze.

3125. Le jugement qui se borne à déclarer qu'un électeur ne réside pas dans la commune sur la liste de laquelle il demande à être inscrit, alors que, devant les affirmations de cet électeur, né dans la commune, y exerçant les fonctions de conseiller municipal, son droit à être inscrit sur la liste électorale devait encore être examiné au point de vue du domicile réel. Cass., 12 avr. 1888, Soulier de Vénejean. 3126.

Le jugement qui, aux conclusions prises par des électeurs dont la radiation était demandée et tendant à ce que l'appel fut déclaré non-recevable par suite de l'absence de toute réclamation portée dans le délai légal devant la commis

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sion municipale et de toute décision de cette commission, se borne à répondre que le droit d'appel du tiers électeur est dans le vœu et dans l'esprit de la loi. Cass., 12 avr. 1888, Julien. 3127. Il peut encore y avoir manque de base légale lorsque les dispositions législatives visées par le jugement ou l'arrêt n'étaient pas les seules à la lumière desquelles les faits eussent dû être appréciés. Il est bien évident qu'une décision ne peut avoir de base véritablement légale qu'autant que toutes les dispositions de loi qui s'imposaient à l'examen du juge pour la solution de la difficulté sur laquelle il avait à statuer ont été visées par lui; s'il en omet, la décision n'est plus légalement assise, une solution différente de celle adoptée pouvant trouver son principe dans les textes négligés. Ainsi manque de base légale le jugement du juge de paix qui, en matière électorale, pour déterminer si le domicile d'un citoyen lui donne le droit de demander son inscription sur la liste d'une commune, se borne à viser la loi du 7 juill. 1874 et néglige d'examiner la réclamation de l'électeur à la lumière des dispositions de la loi du 5 avr. 1884. V. infrà, vo Elections. 3128. Enfin, nous avons dit qu'il pouvait encore y avoir manque de base légale, lorsque la décision attaquée avait omis de relever un des éléments nécessaires pour justifier l'application de la disposition de loi sur laquelle est fondée cette décision. Il en serait ainsi, par exemple, si, en regard d'une demande basée sur l'art. 1382, C. civ., l'arrêt attaqué s'était borné à établir la faute à l'aide de toutes les circonstances de fait qui pouvaient la caractériser, mais avait omis d'établir le dommage causé par cette faute.

3129. Ainsi, lorsqu'un jugement reconnaît et constate qu'une société anonyme avait la faculté d'exercer contre un actionnaire une double action; celle résultant des statuts sociaux qui l'autorisaient à faire vendre les actions souscrites par cet actionnaire, au cas de retard dans la libération de ses titres, et celle résultant du droit commun qui l'autorisait à poursuivre le paiement de la part appelée sur le montant non versé du prix d'émission, et lorsque ce jugement déclare, en outre, cette dernière action non-recevable par le motif que les actions dont le produit devait venir en déduction de la somme due par l'actionnaire ayant été vendues comme libérées de moitié, tandis qu'elles ne l'étaient que du quart, il en est résulté une irrégularité dans l'opération, qui ne permettait pas d'admettre la société dans sa demande en règlement de compte de la réalisation des titres, la décision ainsi formulée manque de base légale dès lors que le jugement attaqué a omis de constater que la faute reprochée à la société eût causé ou pu causer préjudice à l'actionnaire dont les titres avaient été réalisés. Cass., 31 oct. 1887 et 4 déc. 1888, la Métropole, [S. 90.1.524, P. 90.1. 1262, D. 88.5.453]

3130. II Y a manque de base légale, lorsque des actionnaires d'une société anonyme ayant intenté contre les fondateurs et administrateurs de cette société une demande en responsabilité fondée sur ce que les agissements frauduleux, les manœuvres dolosives de ces fondateurs et administrateurs avaient eu pour effet de les faire entrer dans une société créée uniquement dans un but de spéculation et d'agiotage, tandis qu'ils croyaient prendre part à une affaire sérieuse, et de les exposer à tous les risques d'une opération viciée dans son origine, l'arrêt s'est borné à répondre que la ruine de la société n'était pas due aux nullités qui s'étaient produites lors de sa constitution, mais à d'autres causes; il n'y a pas, en effet, correspondance entre le grief articulé et la réponse faite par le juge, l'art. 1382, C. civ., pouvant recevoir application, non seulement contre les administrateurs auxquels on peut reprocher des fautes lourdes dans leur gestion, mais encore contre les fondateurs dont les fraudes ont eu pour conséquence des achats d'actions qui n'auraient point eu lieu si l'on avait connu les conditions dans lesquelles la société se créait. — Cass., 23 déc. 1889, Labat et consorts, [D. 90.1.169] 3131. Manque de base légale, l'arrêt qui, pour déclarer des administrateurs responsables et pour les condamner, par suite, à réparer le préjudice par eux commis aux créanciers de la société, s'est borné à dire que ces administrateurs avaient commis une faute en cédant la ligne construite à une autre compagnie de chemin de fer, sans stipuler, au profit des obligataires, en outre de l'engagement pris par la compagnie cessionnaire de se charger du service des obligations, intérêt et amortissement, des garanties particulières de nature à assurer

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le remboursement du capital-obligations. La stipulation de semblables garanties ne pouvant être considérée comme une obligation légale incombant aux administrateurs, la faute ne pouvait prendre sa source que dans la situation de la compagnie cessionnaire, au moment de la cession, situation qui aurait rendu dangereuse la confusion, avec son actif, de celui appartenant à la compagnie cédante et qui, en tous cas, aurait commandé de prendre des précautions particulières. L'arrêt attaqué devait s'expliquer sur ce point; dès lors qu'il avait omis de le faire, ses déclarations étaient insuffisantes pour constituer les éléments juridiques de la faute. Cass., 19 févr. 1890, Pérignon et consorts, S. 90.1.319, P. 90.1.772, D. 90.1.241]

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3132. Les juges ne sauraient, pour écarter les actes invoqués à l'effet d'établir une interversion dans le titre de la possession, se borner à déclarer que les titres produits dans la cause sont insuffisants pour détruire la présomption légale de précarité résultant d'un bail antérieur à ces actes; la décision ainsi motivée, ne faisant connaître ni quelle était la nature des titres produits, ni pour quelle cause ils ne pourraient établir l'interversion, est sans base légale et met ainsi la Cour de cassation dans l'impossibilité d'exercer son contrôle, en vérifiant s'il a été statué en fait ou en droit sur l'application des art. 2231 et 2238, C. civ. Cass., 19 févr. 1889, Andoly-Laugier, [S. 89.1.208, P. 89.1.506, D. 89.1.347]

3133. Manque également de base légale l'arrêt qui déclare qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les réserves faites par l'appelant relativement aux effets de la subrogation dans son hypothèque légale consentie par une femme mariée, alors que les juges d'appel ont été sollicités de statuer sur ce point par des conclusions formelles et précises. Cass., 26 janv. 1887, Paumier, [D. 87.1.208]

3134.-En Algérie, le régime auquel sont soumises les transmissions de propriété antérieures à la loi du 26 juill. 1873 peut varier suivant que la transmission a lieu entre musulmans ou entre français et entre français et musulmans, ou encore suivant que l'immeuble provient ou non de concession domaniale; le juge doit donc, avant toute chose, déterminer le régime législatif suivant lequel doit être jugée la contestation qui lui est déférée; quand il n'a pas fait cette détermination, non seulement il a omis de répondre à un chef des conclusions, mais il a omis de donner une base légale à sa décision, dès lors qu'il n'a pas examiné un point juridique formant un élément essentiel du débat. Cass., 23 juill. 1890, Chaloum-Lebahr.

3135.

Une règle invariablement suivie à la Cour de cassation, c'est que tout arrêt qui casse doit préalablement viser la disposition de loi qui a été violée et en reproduire le texte.

3136. La chose est facile, quand il s'agit d'une violation ou d'une fausse interprétation de la loi; mais il n'en est pas absolument de même quand la cassation est prononcée simplement pour manque de base légale, surtout quand la décision attaquée à omis de relever et d'établir tous les éléments nécessaires pour justifier l'application faite d'une disposition de loi. En définitive, au cas où le juge a négligé des dispositions de loi applicables au litige, sur lequel il ne pouvait être juridiquement statué à l'aide des seuls textes invoqués par la décision attaquée, ce sont et la loi appliquée et la loi nécessairement applicable qui ont été violées, la première, pour son insuffisance, la seconde pour avoir été omise; l'une et l'autre, conséquemment, peuvent être visées et reproduites.

3137. — Manque de base légale le jugement qui, sur une contestation entre le gérant d'une société de publicité et un chef de son atelier d'imprimerie, omet d'examiner, d'une part, si la société était commerciale, et, d'autre part, si les engagements pris respectivement par la société et le chef d'atelier se rattachaient aux opérations commerciales de cette société. Cass., 30 déc. 1890, Galy. 3138. Lorsqu'un arrêt constate qu'un propriétaire ne se borne pas à traiter dans son usine les cannes provenant de ses terres, mais qu'il traite aussi les cannes achetées à ses voisins, cet arrêt manque de base légale si, pour écarter le caractère commercial pouvant s'attacher à une exploitation poursuivie dans de pareilles conditions, il se contente de déclarer que les achats de cannes ne dépassaient ou n'atteignaient pas même la quantité de cannes récoltées sur les terres appartenant à l'usinier. L'arrêt devait établir, a l'aide des documents de la cause, que la fabricafion portant sur les produits étrangers était dans des proportions assez restreintes relativement à celle portant sur les produits de

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3139. Manque de base légale l'arrêt qui, au cas de location pour un temps déterminé d'un vapeur avec son équipage à une compagnie de navigation fluviale, a condamné l'armateur qui avait fourni le navire et les hommes à réparer les dommages causés par un accident survenu en cours de route, sans examiner, malgré les conclusions prises, si le locateur était en situation de donner des instructions et des ordres à l'équipage, et si, conséquemment, il pouvait être considéré comme ayant légalement la qualité de commettant. Cass., 5 janv. 1891, Flornoy. 3140. Il faut en dire autant d'un jugement qui, malgré des conclusions tendant à établir qu'un propriétaire n'a rien fait pour détruire des lapins dont le nombre excessif nuisait aux voisins, se borne à déclarer que ce propriétaire n'a rien fait pour attirer et multiplier les lapins. Cass., 7 janv. 1891, Becque.

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3141. Nous venons d'examiner trois sortes d'ouvertures à cassation la violation de la loi, la fausse interprétation ou fausse application de la loi, le manque de base légale, trois sortes d'ouverture à cassation qui, en définitive, n'en font qu'une seule, puisqu'elles aboutissent toujours à la violation d'une disposition de la loi. Et il semble, d'après le principe que nous avons posé, que toute ouverture à cassation devant, pour exister, se justifier par la violation d'un texte de loi, il importe peu d'établir des catégories; mais comme, dans les lois d'institution qui ont réglé et déterminé les attributions de la Cour de cassation, plusieurs causes de cassation ont été particulièrement visées, il convient de les soumettre à un examen particulier. C'est ainsi que nous étudierons successivement, au point de vue des ouvertures à cassation ce qui concerne la violation ou omission des formes légales, la violation de la loi du contrat, l'omission de statuer sur un chef de demande, la condamnation prononcée en dehors de la demande, autrement dit l'ultra_petita, la contrariété de jugements ou arrêts; enfin, les exces de pouvoir et l'incompétence.

SECTION IV.

Violation ou omission des formes légales.

3142.-L'observation des formes prescrites soit aux parties, pour la rédaction de certains contrats ou pour procéder les unes contre les autres, soit aux juges pour rendre leurs décisions, a toujours été considérée comme une des plus sérieuses garanties d'une bonne justice; par suite, il était inadmissible qu'il n'entrat pas dans les attributions de la Cour suprême d'assurer le respect de ces formes, en d'autres termes, que leur violation ne donnât pas ouverture à cassation. Avant d'examiner le droit de contrôle qui appartient à la Cour de cassation relativement à l'observation des formes prescrites pour procéder, parlons d'abord de son droit relativement aux formes que doivent revêtir certains contrats, aux mentions qu'ils doivent contenir à peine de nullité, le législateur les ayant considérées comme substantielles.

3143. I. Violation des formes dans les contrats. - Il est bien évident que la question de savoir si ces formes ont été ou non observées, si les mentions exigées se rencontrent ou non dans l'acte litigieux ne peut être abandonnée au pouvoir discrétionnaire des juges du fond, et qu'elle rentre essentiellement dans les attributions de la Cour suprême, chargée d'assurer le respect des prescriptions, légales. Conséquemment, la déclaration faite par les juges du fond, que les formes et les mentions voulues se rencontrent dans l'acte ne mettraient nullement obstacle à la révision de la Cour de cassation qui, sur l'examen de l'acte lui-même, pourrait casser pour inobservation des prescriptions de la loi. 3144. Il en est ainsi, notamment, en matière de testament. Jugé que la Cour de cassation se réserve le droit de vérifier s'il résulte des termes du testament que les formalités substantielles ont été observées, et, spécialement, si l'obligation où est le notaire rédacteur du testament de donner lecture de l'acte testamentaire au testateur en présence des témoins a été remplie. - Cass., 10 janv. 1888, Bachère, [S. 88.1.215, P. 88.1.519, D. 88.1.56

3145. Ce que nous venons de dire des testaments s'applique manifestement à tous les actes dont la loi a elle-même déterminé la forme, ou dans lesquels elle a prescrit comme nécessaires un certain nombre de mentions. Ainsi en serait-il, par exemple, du bordereau d'après lequel doit être faite un

inscription hypothécaire, et de la série des indications que ce bordereau doit contenir pour que l'inscription produise ses effets.

3146. II. Violation des formes de procédure. A. Généralités. Occupons-nous maintenant des formes de procéder. « Les lois ne peuvent pas prévoir tous les cas particuliers, a justement dit le Conseil d'Etat dans son arrêt du 31 janv. 1806; il est possible que, dans une espèce donnée, l'omission d'une formalité que la loi a dù introduire entraîne l'anéantissement d'un acte irréprochable, louable même, si l'on veut, dans ses motifs; mais cet inconvénient, qu'on peut toujours prévenir avec un peu d'attention, est mille fois moins grave que ceux qui résulteraient de la faculté donnée de suppléer par des preuves testimoniales ce qu'on aurait dû écrire ». Sous l'Ordonnance de 1667 (tit. 35, art. 34), la violation des formes était un moyen de requête civile. La loi des 27 nov.-1er déc. 1790 en fit un moyen de cassation; elle donna au Tribunal de cassation le pouvoir d'annuler toutes procédures dans lesquelles les formes auraient été violées, et décida que « jusqu'à la formation d'un code unique des lois civiles, la violation des formes de procédure, PRESCRITES SOUS PEINE DE NULLITÉ, donnerait ouverture à cassation» (art. 3). V. aussi L. 24 juin 1793, art. 90.

3147. La loi du 4 germ. an II alla plus loin; elle décida «qu'à l'avenir toute violation ou omission des formes prescrites en matière civile par les décrets..., quand même ils ne prononceraient pas expressément la peine de nullité, donnerait ouverture à cassation >> (art. 2). L'art. 3 restreignit la disposition de la loi du 1er déc. 1790 aux formes déterminées par les lois antérieures à 1789. L'art. 55 de la constitution du 5 fruct. an III porte que le Tribunal de cassation « casse les jugements rendus sur des procédures dans lesquelles les formes ont été violées ». Telle est aussi la disposition de l'art. 66 de la Constitution du 22 frim. an VIII.

3148.- Le Code de procédure civile, à la confection duquel le décret du 27 nov. 1790 subordonnait ses prescriptions en ce qui concernait le recours à exercer devant le Tribunal de cassation pour violation des formes légales, porte, dans son art. 480: « Les jugements contradictoires rendus en dernier ressort par les tribunaux de première instance et d'appel, et les jugements par défaut rendus aussi en dernier ressort, et qui ne sont plus susceptibles d'opposition, pourront être rétractés sur la requête de ceux qui y auront été parties ou dûment appelés pour les causes ci-après : 2o Si les formes prescrites à peine de nullité ont été violées, soit avant, soit lors des jugements, pourvu que la nullité n'ait pas été couverte par les parties ». Par cette disposition, le nouveau Code semblait revenir au régime de l'Ordonnance de 1667 d'après laquelle (art. 34 et 35) la violation des formes était un moyen de requête civile.

3149. — Enfin, la loi du 20 avr. 1810, dans son art. 7, s'exprime ainsi « La justice est rendue souverainement par les cours d'appel; leurs arrêts, quand ils sont revêtus des formes prescrites à peine de nullité, ne peuvent être cassés que pour une contravention expresse à la loi. - Les arrêts qui ne sont pas rendus par le nombre de juges prescrit, ou qui ont été rendus par des juges qui n'ont pas assisté à toutes les audiences de la cause, ou qui n'ont pas été rendus publiquement, ou qui ne contiennent pas les motifs, sont déclarés nuls. »>

3150. Cet exposé des dispositions législatives qui ont successivement réglementé le recours à exercer pour violation des formes légales, n'est peut-être pas de nature à éclairer d'une lumière bien nette la question du mode de recours, puisque les unes indiquent la requête civile, tandis que les autres mentionnent le pourvoi en cassation. Il faut surtout signaler l'opposition existant entre les termes employés par le Code de procédure et par la loi du 20 avr. 1810. Cette situation, quelque peu équivoque, n'avait point échappé à la perspicacité de Merlin, qui avait assisté à la préparation de toutes les lois promulguées sur la matière, et qui, mieux qu'un autre, pouvait en donner le sens et la portée. Son opinion doit être textuellement reproduite, parce qu'elle a servi de base aux distinctions adoptées par la doctrine et par la jurisprudence.

3151. -«Du rapprochement des art. 480 et 504, C. proc. civ., dit Merlin (Quest., v° Cassation, § 38), il résulte clairement que la requête civile est la seule voie qui soit ouverte contre les jugements en dernier ressort qui ont violé des formes prescrites à peine de nullité, ou qui, dans les affaires sujettes à communication, ont été rendues sans conclusions du ministère

public. Il y a cependant, à l'égard des formes, une distinction: d'abord, il a des formes tellement essentielles à un jugement, que sans elles il n'existe pas. Ainsi, par défaut de publicité, un jugement est censé ne pas exister. Quelle voie prendra-t-on? Ce ne sera pas la requête civile; le Code détermine toutes les ouvertures de requête civile, et n'y comprend point celle-ci. Ce sera donc la voie qui était reçue en pareil cas, avant le Code, la voie de la cassation. En second lieu, lorsque les formes prescrites à peine de nullité ne sont pas essentiellement constitutives des jugements, elles peuvent être violées de deux manières elles peuvent l'être, parce que les parties n'en auront pas ou proposé l'observation ou relevé l'inaccomplissement, et que, par là, elles auront échappé à l'attention du juge: elles peuvent l'être aussi parce que, bien que les parties en aient proposé l'observation, les juges auront décidé qu'on pouvait s'en écarter. Au premier cas, la voie de la requête civile est seule ouverte; au second, si on prenait la requête civile, on irait contre la nature de son institution. Qu'est-ce que la requête civile? Un moyen par lequel la partie condamnée représente aux juges que, par une cause qui leur est étrangère, ils ont rendu un jugement erroné. C'est une voie ouverte pour réparer décemment et sans blesser aucune convenance, les injustices qu'ils ont involontairement commises. Mais, dans le cas proposé, que dira-t-on aux juges? Précisément le contraire de ce qu'on doit leur dire par requête civile. On leur dirait : vous avez sciemment violé telle loi, maintenant rendez-lui hommage; détruisez ce que vous avez fait, sachant fort bien ce que vous faisiez. Or, pourrait-on décemment tenir un pareil langage, et eux-mêmes pourraient-ils l'écouter? Il faut donc bien avouer que la partie condamnée peut recourir à la voie de la

cassation. >>

3152. Il résulte des explications qui précèdent, que ne doivent être pris dans un sens absolu, ni la déclaration de l'art. 480, § 2, C. civ., d'après lequel il y a lieu à requête civile, si les formes prescrites à peine de nullité ont été violées, soit avant, soit lors des jugements, ni la déclaration de la loi du 20 avr. 1810, art. 7, suivant laquelle les arrêts des cours d'appel, quand ils sont revêtus des formes prescrites à peine de nullité, ne peuvent être cassés que pour une contravention expresse à la loi. La vérité est que, d'après des distinctions nécessaires, la violation des formes légales entraine, comme mode de recours, tantôt la requète civile, tantôt le pourvoi devant la Cour de cassation, et que l'important est de déterminer quand il y a lieu à l'un ou à l'autre de ces modes.

3153. En général, on distingue si la violation des formes provient du fait des parties ou des officiers ministériels qui les représentent, ou si elle est le fait du juge. Dans le premier cas, c'est par la requête civile qu'il faut se pourvoir; dans le second cas, c'est par la voie de la cassation (Arg., art. 7, L. 20 avr. 1810).

3154. Jugé, en conséquence, que les nullités de formes, lorsqu'elles proviennent du fait des juges, peuvent donner ouverture à cassation, si elles sont du nombre de celles que la loi prescrit à peine de nullité. Cass., 19 déc. 1831, Choiseul, [S. 32.1.216, P. chr.]

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3155. Suivant Poncet (t. 2, p. 285, n. 527), un tribunal viole les formes judiciaires, soit en ne s'y conformant pas dans les actes de son ministère, soit en n'annulant pas les actes faits par les parties ou en leur nom, et dans lesquels ces formes ont été omises ou violées. Dans l'un et l'autre cas, il y a de sa part une contravention textuelle à la loi qui a réglé les procédures, et qui l'oblige non seulement à les observer lui-même, mais à les faire observer par les parties ou par les officiers ministériels.

3156. Nous n'admettons pas cette opinion selon nous, la violation des formes commise par les parties ne peut jamais être réputée le fait du juge que lorsque la nullité a été proposée et que le tribunal a refusé de la prononcer. Ce n'est que dans ce cas qu'elle peut être un moyen de cassation.

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3157. Une seconde condition est nécessaire, c'est que les formes violées aient été prescrites à peine de nullité; comme on l'a vu par la reproduction que nous avons faite du texte des lois du 1er déc. 1790 et du 5 fruct. an III (V. suprà, n. 3146 et 3147), la simple violation des formes donnait, sous l'empire de ces lois, ouverture à cassation, même lorsqu'elles n'étaient pas prescrites à peine de nullité aujourd'hui cette disposition n'est plus en vigueur; elle a été implicitement abrogée par le Code de procédure et par la loi du 20 avr. 1810 (V. suprà, n. 3148 et

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