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ravant voir venir les députés, et d'avance on prend des renseignemens sur les nouveaux élus; on fait dire, à ceux mêmes qu'on a repoussés avec le plus de force, que jamais on ne s'opposa à leur élection; on serait presque tenté de leur persuader qu'on l'a favorisée. L'enquête la plus minutieuse est ordonnée sur leur caractère, sur leurs habitudes, sur le nombre de leurs enfans, sur les places qu'ils ont perdues. Après avoir insulté les candidats, on cherche aujourd'hui à flatter les élus, et c'est peut-être ce qu'on a de mieux à faire Dans le premier moment d'humeur qu'avaient donnée les élections, on n'avait pas eu tant de retenue, et la vanité blessée s'était trahic par des expressions au moins imprudentes. Le Journal des Maires qui est le journal officiel d'un ministère, s'est même permis, à propos des élections actuelles, de rappeler 92 et les cent jours. Si ce n'eût été qu'une injure, on y eût fait peu d'attention, mais c'est à la fois une calomnie et une maladresse. De tels articles ne peuvent qu'irriter encore des hommes auxquels on a donné de si justes sujets de mécontentement. Si l'on croit pouvoir diffamer les candidats, on doit du moins respecter les députés. On n'a pas manqué de se récrier contre la loi des élections; les ministres, disaient partout leurs imprudens amis, reconnaissent aujourd'hui leur faute, et ils s'occupent sérieusement de la réparer. De leur côté les partisans de l'aristocratie semblaient triompher: Voilà ce que nous avions prévu, s'écriaient-ils d'un air satisfait; il est bien démontré aujourd'hui que la loi était mauvaise, et que nous avions raison de la combattre. Voilà ce que nous avions prévu, répondent à leur tour les amis de la liberté il est bien démontré aujourd'hui que la loi était bonne, et que nous avions raison de la défendre. Pouvait-on attendre, en effet, d'une loi fondée sur les inté rêts nationaux, des choix qui ne le fussent point? et si les citoyens se sont montrés cette année plus sévères pour les candidats, s'ils ont cherché dans leur caractère, plus en

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core que dans leur fortune, des garanties contre les séductions du pouvoir, faut-il s'en étonner? Attentifs aux débats de la dernière chambre, ils ont vu leurs pétitions froidement accueillies, et de dédaigneux ordres du jour repousser leurs plaintes; ils ont entendu des voix demander qu'on accordât sans discussion un budget d'un milliard; ils n'ont pas remarqué une proposition généreuse qui ne fût étouffée par des cris; leurs mandataires, de retour de la capitale, ont reparu rapportant des impôts pour leurs commettans et des places pour leur famille, et dès lors l'opinion s'est formée, et d'autres élections ont été résolues. Ce qui se passait d'ailleurs dans les départemens a beaucoup influé sur leurs choix. Administrés en partie par des hommes qui en furent long-temps l'effroi, soumis à des maires, dont quelques-uns sont plutôt des tyrans que des protecteurs, jugés par des tribunaux qui ne furent pas toujours impassibles comme la loi, blessés dans leur fierté, menacés dans leurs intérêts, ils ont dû charger de leur confiance des hommes capables de les défendre, et dans leurs mandataires ils ont cherché des appuis. Plus les persécutions avaient été vives, plus les choix ont été patriotiques. C'est un fait trop constant, que des emplois importans de l'administration sont occupés par des hommes que l'opinion repousse. Les réquisitoires des procureurs et des avocats généraux ne sont pas une des causes les moins puissantes de la direction qu'ont prise les élections de cette année; les discours de M. de Marchangy ont valu plus d'une voix à M. Benjamin Constant ; et qu'on ne vienne pas dire que je cherche à avilir les tribunaux. Sans doute une des choses les plus affligeantes pour l'ordre social est le discrédit où peuvent tomber les organes de la loi; mais si l'esprit de parti pénètre jusque dans le temple de la justice; si l'accusé, au lieu d'y trouver des juges, n'y rencontre que des amis ou des ennemis, faut-il garder un silence respectueux, et peut-on yoir sans frémir la vengeance armée du glaive de la loi? J'ouvre le dernier numéro de la Bibliothéque historique, et je

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lis, page 170, la phrase suivante, dans un réquisitoire du procureur général de la cour de Nîmes : « On ne peut point » compter sur une impartiale justice de la part de la cour n d'assises de Vaucluse, lorsque les coupables se couvrent » du manteau du royalisme, et cela quoique les faits qui » ́font l'objet de l'accusation n'aient point pris leur source dans les discussions politiques. » Je demande si les écrivains condamnés par la police correctionnelle, ont jamais imprimé quelque chose d'aussi violent contre les magistrats; et quand la cour de cassation a maintes fois prononcé qu'il y avait suspicion légitime contre certains tribunaux, n'a-t-elle pas frappé plus vivement l'opinion publique que tous les écrits accusés d'exagération? Mais que pourrais-je 'dire de plus sévère et de mieux pensé que le discours de M. Colomb, avocat général, à la rentrée de la cour royale? Depuis long-temps le ministère public n'avait fait entendre un langage si noble et si modéré. M. Bellart, fatigué sans doute de ses travaux des élections, avait renoncé à la parole. L'orateur qui l'a remplacé n'a pas démenti la réputation de courage et de sagesse qu'il s'était faite dans la chambre tristement célèbre de 1815. On s'est rappelé qu'au milieu des passions déchaînées de cette époque, il avait ose manifester des idées de justice, et qu'il n'avait pas craint d'élever la voix contre le jugement déplorable qui a frappé le général Travot. Puissent les vérités sévères qu'a fait entendre ce jeune magistrat, se graver profondément dans le cœur des juges! Puissent-elles retentir d'un bout de la France à l'autre !

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Comme s'il était décidé que le bien de la veille sera tonjours détruit par le mal du lendemain, M. Jacquinot de Pampelune, membre de la chambre des députés, a prononcé, à la rentrée du tribunal de première instance, un discours qui semble être tout-à-fait l'opposé de celui de M. Colomb. Il a réservé tous les foudres,' je ne dirai pas de son éloquence, mais de son indignation contre les avocats qui acceptent les causes où règne l'esprit de faction. Male

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procureur du roi a clairement désigné les écrivains et les prévenus de délits politiques auxquels il ne veut pas probablement permettre d'avoir des défenseurs.

Ce n'est point avec de telles doctrines qu'on éclairera les esprits; puisqu'il devait y avoir contradiction entre les organes du ministère public, il est fàcheux que M. Colomb n'ait pas parlé le second, on aurait pu croire que c'était le dernier mot de l'autorité.,

Mais ce ne sont pas seulement les administrations et les tribunaux qui ont rendu les électeurs attentifs au choix de leurs députés. La manière arbitraire dont se sont donnés les emprunts, la préférence qu'ont obtenue les étrangers sur les nationaux, le défaut de concurrence, tout le mystère qui a environné les opérations financières, ont jeté de la défiance dans les esprits, et les citoyens ont cherché des mandataires clairvoyans qui pussent porter la lumière dans 'ce dédale.

Ainsi donc, les ministres, en supposant qu'ils ne soient pas satisfaits de tous les choix nouveaux, ne doivent les attribuer qu'à eux-mêmes. Il faut aujourd'hui qu'ils s'y résignent; on ne peut se résoudre à croire qu'ils aient sérieusement le dessein de proposer le changement de la loi des élections à des hommes qui viennent d'être noinmés par elle. Ce serait un outrage pour les élus de la France, et le ministère, de quelques formes qu'il l'enveloppât, ne pourrait jamais en dissimuler le scandale. Je sais bien qu'on se récrie contre l'article de la loi relatif aux patentés; ces petits négocians ont l'esprit détestable; ils s'avisent d'avoir de l'indépendance. Le commissaire de police n'est pas un oracle pour eux, et ils poussent l'irrévérence jusqu'à déchirer les bulletins tout faits que leur envoie une préfecture officieuse. Cet inconvénient, en supposant que c'en soit un, n'existe guère que pour Paris, où le prix des patentes se règle sur le prix des loyers; mais n'est-il pas bien compensé par l'armée d'employés, de fonction

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naires et de subalternes qui se meuvent au gré de la police et de la trésorerie. Est-ce le commerce qui a nommé M. Manuel dans la Vendée? Est-ce le commerce qui a nommé M. de La Fayette dans la Sarthe? non, ce sont les cultivateurs, ce sont les hommes qui représentent la richesse territoriale de la France.

Mais ces députés, qui inspirent tant d'effroi au ministère, sont-ils donc, comme l'impriment ses écrivains, d'insensés démagogues qui ne rêvent que des révolutions nouvelles? La plupart sont de grands propriétaires dont la sagesse égale la fermeté, et qui, persécutés sous toutes les terreurs, connaissent le prix du repos. Dans le département de la Sarthe, par exemple, où, quelques jours après les élections, l'arrivée d'un régiment a donné lieu aux bruits les plus calonnieux contre le gouvernement; dans ce département dont les choix font jeter les hauts cris aux ultra-ministériels, deux des nouveaux élus, MM. Delahaye et Hardouin, ont gémi en 1793 sous les verroux de Robespierre; alors on les persécutait comme fédéralistes, on les a depuis exilés comme libéraux. Et le général La Fayette, dont le nom seul donne des convulsions aux familiers du ministère, ne demandait-il pas en 92 la clôture de la société des jacobins? C'était alors un titre de proscription que celui de fayétiste, et tel dénonce aujourd'hui le général comme un ennemi de la monarchie, qui le dénonçait peut-être alors comme un ennemi de la liberté. Il la voulut, comme toute la France en 89, sans violence et sans excès; il nous la présentait, comme tous les hommes célèbres de cette époque, sous les couleurs séduisantes de l'espérance; ils nous l'avaient fait aimer, et c'est ce qu'on ne leur pardonne point aujourd'hui. On est bien plus indulgent pour ceux qui nous la rendirent odieuse.

C'est ici le lieu de rappeler une mémorable discussion du parlement d'Angleterre en 1795. Quand, au mépris du droit des gens, le général La Fayette, qui croyait trouver

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