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temps ou l'on savait encore admirer je crois, par exemple, que je suis né tout à fait à la fin de ce temps-là.

Les gens qui lisent savent tout ce que l'on doit à la féconde imagination de M. Dumas de récits curieux, attachants, dramatiques, spirituels. Cette imagination, dont la puissance n'a pas encore montré ses limites, n'avait encore rien créé dans l'empire des fleurs; elle ne pouvait se contenter des richesses acquises elle nous a donné des richesses nouvelles.

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Si mes autres lecteurs veulent bien me le permettre, j'appellerai spécialement sur ce qui va suivre l'attention de M. Bachelet, du Havre, célèbre amateur de tulipes, qui sème des géraniums à ses moments perdus, et a bien voulu donner mon nom à un de ses gains de l'année dernière.

M. ALEXANDRE DUMAS vient de trouver une tulipe noire!

Dans un roman publié par lui dernièrement, sous ce titre, la Tulipe noire, M. A. Dumas nous montre deux amateurs de tulipes s'efforçant par tous les moyens d'enir une tulipe noire, pour laquelle la Société tulipière de Harlem proposa, dit M. Dumas, l'an 1672, un prix de cent mille florins. Le récit des

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efforts des deux jardiniers renferme des circonstances qui ne seront pas sans intérêt pour les autres culti vateurs. Ainsi Van-Baërle se met à aimer les tulipes. Un an après, il avait trouvé cinq espèces nouvelles de tulipes. Probablement l'auteur a voulu dire cing tulipes nouvelles. Il est fâcheux que M. A. Dumas ne nous donne pas avec détails les procédés de VanBaërle; car dans les procédés de culture connus jusqu'à nos jours, la semence d'une tulipe ne produit de fleurs qu'au bout de quatre ou cinq ans. Ces fleurs ensuite n'ont tout à fait fixé leur coloris et leurs panachures qu'après un espace de temps qui varie de deux à quinze ans. C'est donc au moins six ans qu'il faut à tout autre amateur que ledit Van-Baërle pour pouvoir classer et faire admettre une tulipe dans les plates-bandes considérables; en moyenne, on compte dix ans. C'est un immense progrès qui est dû à M. Dumas, et qui portera à semer des tulipes bien des gens découragés jusqu'ici par la lenteur des résultats.

Un peu plus loin, Van-Baërlé donne à ses couches à tulipes une chaleur convenable. Nous ne connaissons guère que la petite tulipe rouge, appelée tulipė du duc de Thol, que les autres jardiniers chauffent pour les avoir l'hiver. Personne autre que Van-Baërle ne planté les tulipes d'amateur sur couchê; sãns doute

il en obtient de bons résultats, mais l'auteur néglige de nous les faire connaître, ainsi que les avantages d'élever les tulipes en pot, singulière fantaisie qu'il attribue à son héros. Encouragé, comme on le pense bien, par ces merveilleux résultats, cinq tulipes nouvelles en un an, Van-Baërle continue ses efforts, et en deux années il couvrit ses plates-bandes de sujets nouveaux tellement merveilleux, que jamais personne, excepté peut-être Shakspeare et Rubens, n'avaient tant créé après Dieu.

Mais voici bien autre chose: Van-Baërle a obtenu un oignon, cet oignon n'a pas fleuri, et pourtant il a des caïeux. Les oignons que nous connaissons n'ont de caïeux qu'après avoir fleuri; mais ce qui est plus étrange, c'est que cet oignon qui n'a pas fleuri, VanBaërle le divise en trois caïeux, et il n'y a plus d'oignon; ces caïeux doivent fleurir l'année suivante : c'est possible, quoique la plupart des caïeux ne donnent pas des fleurs si vite; mais en tout cas, d'après les anciens préjugés, l'oignon aurait fleuri plus sûrement et plus promptement que ses caïeux. L'oignon vient de la semence d'une tulipe couleur café : il y a mille chances contre une pour que sa fieur soit couleur café plus ou moins sombre; cependant VanBaërle sait qu'un des trois caïeux produira la tulipe

noire « Ils ont cet air mélancolique qui promet že noir d'ébène. >>

Voyez comme on apprend! Jusqu'ici il état reputé incontestable que tout caïeu donne une fleur identique à celle dont il tire son origine. Mais il était temps de changer cette vieille routine où s'endormaient des caïeux rétrogrades.

Une autre modification apportée par M. A. Dumas dans la culture des tulipes, c'est qu'il ne les plante qu'au mois d'avril. Tandis que, dans l'ancienne méthode, c'est du 10 au 25 novembre qu'on les confie à la terre.

Au milieu de tant d'intéressantes révélations, fruits sans doute d'études longues et consciencieuses sur une plante si aimée, il est à regretter qu'il se glisse quelques erreurs. Van-Baërle a tort de croire qu'en 1672 il n'existait pas dans la nature de tulipes couleur bistre. Ceux qui sèment savent qu'on ne trouve que trop de plantes brunes dans les semis.Il est singulier également que la Société tulipière de Harlem ait proposé un prix pour une tulipe unicolore de tout temps le grand mérite des tulipes aux yeux des amateurs a été dans leur panachure. Les tulipes unicolores s'appellent bagnettes, et on attend qu'elles se panachent; si elles ne s'y décident pas,

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on les jette dehors, et cela alors comme aujourd'hui. J'ai entre les mains un catalogue de tulipes hollandaises à la date de 1667, ce qui n'est pas loin de 1672.

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Très-peur n'ont que deux couleurs. - Le catalogue n'en cite pas une seule qui n'ait qu'une couleur.

En échange de toutes ces belles choses que nous avons apprises dans le dernier roman de M. Dumas, nous pouvons lui témoigner notre reconnaissance en lui enlevant un souci. — « Les tulipes, dit-il, frileuses comme de vraies filles de l'Orient, ne se cultivent pas dans la terre en hiver, elles ont besoin de l'intérieur de la maison et des douces caresses du poêle. » M. Alex. Dumas sera bien heureux d'apprendre que les tulipes sont bien plus robustes qu'il ne le croit. Il n'a qu'à en planter dans son petit jardin de l'avenue Frochot dans le mois de novembre, et il les verra sortir de terre et fleurir au printemps suivant. Les tulipes les plus précieuses passent l'hiver dans la terre des jardins, et jamais on n'en a vu être même enrhumées. Pour ce qui est des caresses du poêle, M. Dumas a confondu ici l'oignon des tulipes avec l'oignon allium cepa, vulgairement oignon de cuisine, que l'on approche du feu, mais pour la métamorphoser en soupe dite à l'oignon, ou en parée dite à

la soubise.

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