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damnés à une peine entraînant la privation des droits civils, c'est-à-dire les voleurs et les assassins.

Je comprends qu'on exige d'un témoin qu'il soit majeur. Mais il y a des femmes de plus de vingt et un ans qui offriraient tout autant de garanties, ce me semble, que les individus quelconques auxquels on a recours dans une foule de cas. Combien de fois n'est-il pas arrivé qu'on s'est adressé, faute de mieux, à ce qu'on pourrait justement appeler des hommes de paille? La plupart du temps ces gens-là n'ont aucune connaissance des faits qu'ils attestent. Ils signent de confiance, pour rendre service. C'est une simple formalité à laquelle ils se prêtent et qu'ils remplissent sans y attacher la moindre importance. Beaucoup en ont une telle habitude que cela devient une banalité pour eux. Combien de fois, à la porte des mairies, n'avons-nous pas vu raccoler (c'est le mot) les premiers passants venus, appeler au besoin le concierge,- ou le commissionnaire médaillé du coin, auquel on paie le prix d'une course pour son dérangement, et faire jouer à ses braves gens le rôle improvisé de témoins?

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Veut-on un autre exemple de l'insignifiance de cette intervention, dont cependant la femme est réputée indigne?

Tout le monde sait que, pour la validité des actes notariés, la loi exige la signature d'un second témoin. Généralement, à Paris et dans les grandes villes, les différents notaires envoient leurs actes à la signature d'un de leurs confrères, auquel ils rendent, de leur côté, pareil service; dans les petites localités, on se sert de témoins instrumentaires. Le clerc passe avec tous ses actes chez deux boutiquiers, voisins de l'étude, lesquels apposent leur signature, pa

raphent les renvois, et tout est dit. J'ai vu remplir cette formalité par des individus qui savaient tout juste écrire leur nom.

Une femme, fût-elle la plus intelligente, la plus instruite, la plus honorable des femmes, n'en pourrait faire autant. Elle ne serait pas admise. La loi s'y oppose.

Elle peut, pour son propre compte, signer les actes dans lesquels elle est partie contractante; mais, pour les actes des autres, pour cette formalité banale à laquelle suffit un simple palefrenier, la femme est déclarée incapable.

Voici un fait cité par le Journal des Économistes (décembre 1876):

<< Un vieillard venait de s'éteindre. Il avait quitté son pays natal dans la première jeunesse, sans conserver de relations; ses contemporains avaient disparu. Un certificat d'identité était nécessaire ; une femme honorable pouvait le donner: mais les femmes sont toujours mineures! On fit monter le concierge qui ne connaissait pas le défunt. Sa signature était valable. Pour tourner les difficultés, il fallut mentir à la loi. >>

Est-ce assez caractéristique?

Voilà donc où conduit l'application d'un principe absurde! La signature d'une femme honorable, affirmant un fait à sa connaissance personnelle, n'avait aucune valeur; la signature d'un concierge attestant ce qu'il ne savait pas faisait foi!

Le mensonge mieux accueilli par la loi que la vérité affirmée par une femme! que dites-vous de cela? Mais encore ici, grâce à un subterfuge, on a pu

sortir d'embarras. Ne peut-il arriver que l'incapacité des femmes à figurer comme témoins ait des conséquences graves, des conséquences irréparables? Oui, certes.

Le fait suivant, qui n'est pas sans équivalent, à coup sûr, en est une preuve.

En 1873, au château de..., habité par Mme X..., veuve d'un ancien conseiller d'État, le cocher, vieux serviteur de la maison, tombe gravement malade. Se sentant mourir, il fait, un soir, prier Mme X... de mander le notaire le plus voisin. Il s'agissait d'un testament; le mourant avait pour unique héritier un neveu, gredin de la pire espèce, auquel il lui répugnait fort de laisser les douze ou treize mille francs qu'il avait pu économiser pendant sa longue vie de travail et de sage conduite. Son intention formelle, hautement manifestée, est de léguer son modeste avoir à la petite-fille du vieux berger de Mme X..., une brave et belle enfant de dix-neuf ans, orpheline de père et de mère, dont il veut assurer l'avenir. Il a vu naitre cette fillette; il l'a, chaque année, l'été, pendant le séjour à la campagne, promenée dans sa voiture, quand elle était petite, et il s'y est attaché. Le notaire vient. Il n'est plus que temps. Le malade explique rapidement à l'officier ministériel ce qu'il veut. Mme X... est présente.

Madame, dit le notaire en se tournant vers elle, il me faut quatre témoins.

Bien, monsieur.

Elle appelle.

Justement, son régisseur était au château, elle fait monter avec lui le concierge et le jardinier.

Et le quatrième témoin? demande le notaire.

Moi, monsieur, répond Mme X... ; je rendrai volontiers ce service à cet excellent homme.

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Impossible, madame, la loi exige des hommes.
Mais il n'y en a plus un seul ici.

Envoyez vite au plus prochain hameau, n'importe où, que l'on coure!

Mme X... était atterrée.
Le jardinier partit.

Hélas! quand il revint, au bout d'une heure, le cocher était mort.

Vingt fois Mme X... a raconté cette histoire. Comme la plupart des femmes, elle ignorait qu'on laisserait mourir un homme sans testament, plutôt que de l'accepter comme témoin dans un acte de suprême et dernière volonté. Mais, étant d'esprit fort léger, elle ne se sentit pas, le premier moment de stupeur passé, plus émue qu'une foule d'autres de cet. affront. Elle disait volontiers en riant: « Je vaux moins qu'un garçon d'écurie. »

Mme X... a pu ne pas se trouver humiliée, mais le fait principal n'en doit pas moins être retenu : un capital a été détourné de sa véritable destination; l'existence d'une jeune fille pauvre a été complètement changée, son avenir a été compromis; cela, pourquoi? Parce que la loi ne permet pas qu'une femme, même majeure, puisse figurer comme témoin dans un acte authentique.

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et

Songe-t-on, pour cela, à modifier la loi? Non, non. Périssent les fortunes plutôt qu'une prohibition qui flatte notre orgueil !

Est-ce que des intérêts privés peuvent être mis en parallèle avec le respect dû à ce grand principe d'ordre « La femme doit rester mineure? »

Inférioriser la femme, l'abaisser, la soumettre,

voilà ce qui doit être la préoccupation constante du législateur.

Quant aux conséquences... Eh bien, quoi? les conséquences? Elles seront ce qu'elles pourront!

II.

Cependant la loi française n'a pas toujours eu cette rigueur.

Le Code de la Convention n'excluait pas la femme du droit de figurer comme témoin dans les actes de l'état civil.

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Voici, à l'appui de cette assertion, deux actes, l'un de décès, l'autre de naissance, copiés sur les registres de la municipalité de Nantes (LoireInférieure):

-

1° Acte de décès d'un enfant légitime. Deux femmes témoins.

AN VI (1798). — registres égalITÉ A LA FOSSE.

Le trente thermidor an dix de la République française, à onze heures du matin, devant moi, Jean Adrien Barbier, officier public élu pour constater l'état civil des citoyens, ont comparu en la maison commune, Claudine Layé, femme de Clément Favageau, mariée, âgée de cinquante ans, et Claudine Bridonneau, sans état, veuve de Jean Pavageau, agée de soixante-deux ans, demeurant l'une et l'autre section de la Fosse, rue de la Nation; lesquelles m'ont déclaré que Pierre Lerat, natif de la commune de Petit-Mars, en ce département, fils de feus Olivier Lerat et Julienne Deshays, est décédé hier, à huit heures du soir, dans la demeure de Pierre Lerat, tonnelier, son oncle, située rue de la Nation,

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