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rain, nous retrouvons également dans le paradoxe, c'est-à-dire dans l'ignorance et le préjugé, la cause de nos attardements. Lorsqu'on parle du divorce, la formule courante, celle qui vole de bouche en bouche, celle devant laquelle la masse. s'incline, vous la connaissez l'intérêt des enfants.

Oui, quand on vous a regardé bien en face et qu'on vous a lancé triomphalement ces mots terribles « Et les enfants, qu'en ferez-vous ?» il semble qu'il n'y ait plus de réplique possible; vous êtes, vous devez être foudroyé.

Dans la question de l'adultère, c'est encore une phrase convenue qui gouverne l'opinion publique.

Le devoir de fidélité ne comporte, en saine morale, aucune compromission. Il est impérieux pour les deux époux. La loi n'a pas le droit d'établir de distinctions. Autrement, elle sape elle-même les bases morales du mariage. En théorie, l'adultère de l'homme est tout aussi coupable, par conséquent tout aussi répréhensible que celui de la femme. Cependant tel n'est pas le sentiment commun, d'accord en cela, je m'empresse de le reconnaitre, avec l'esprit du législateur. Pourquoi ? Parce qu'un paradoxe habile a, dès l'origine, faussé l'opinion.

Ce paradoxe, tout le monde le connaît; peut-être la plupart de ceux qui me lisent l'ont-ils euxmêmes répété maintes fois. Je sais, en tout cas, d'excellents esprits qui s'y sont laissé prendre. En voici la formule:

« L'adultère de la femme est plus coupable que celui de l'homme, parce qu'il entraîne des conséquences plus graves. La femme peut introduire criminellement des enfants dans la maison de

son mari le mari n'en introduit pas chez sa femme. »

J'ai dit que ce paradoxe habile, cette fausse appréciation des conséquences possibles de l'adultère avait, dès l'origine, égaré l'esprit du législateur.

Si nous nous reportons à l'époque où fut discuté le Code civil, voici, en effet, ce que nous trouvons dans l'Exposé des motifs du titre V, relatif au mariage, rédigé par le conseiller d'État, Portalis :

<< Le mari et la femme doivent incontestable» ment être fidèles à la foi promise; mais l'infidé»lité de la femme suppose plus de corruption, et » a des effets plus dangereux que l'infidélité du mari; » aussi l'homme a toujours été jugé moins sévè»rement que la femme. >>

Portalis ajoutait :

<< Les femmes connaîtraient peu leur véritable » intérêt, si elles pouvaient ne voir, dans la sévé» rité apparente dont on use à leur égard, qu'une >> distinction honorable et utile. Destinées par la » nature aux plaisirs d'un seul... »

Arrêtons-nous, n'est-ce pas ?

Ainsi, les auteurs de l'article 212 ne nous le cachent pas en faisant de la fidélité un devoir réciproque des époux, ils n'entendaient pas que l'infidélité de l'homme fût punie aussi sévèrement que celle de la femme, destinée par la nature aux plaisirs d'un seul, par cette raison suivant eux péremptoire que l'infidélité de la femme, outre qu'elle

suppose plus de corruption, a des effets plus dangereux que l'infidélité du mari. »

Les « effets plus dangereux », rappelons-les: c'est l'introduction par la femme, dans la famille du mari, d'enfants dont le mari ne serait pas le père.

L'opinion publique a été tellement frappée de cet argument, elle est tellement convaincue que l'adultère de la femme entraîne des conséquences plus redoutables que celui du mari, qu'elle accepte sans protestation l'idée fausse qui a prévalu dans nos lois, et que l'inégalité dont je m'inquiète lui semble toute naturelle.

En vérité, je m'étonne que l'on s'arrête à un tel semblant de raisonnement, qu'on s'en déclare satisfait, lorsque deux minutes de réflexion suffiraient pour en faire complète justice. Mais non, le mot a cours, la phrase est acceptée, elle est entrée dans le domaine des choses reçues. Cela est devenu presque un axiome.

Malheureusement, la facilité complaisante avec laquelle l'opinion publique s'approprie les formules paradoxales, les phrases et les idées de convention, n'est pas sans entraîner de graves inconvénients. Le plus grand de tous, celui qui nous intéresse particulièrement dans cette étude, c'est que la loi, malgré elle, se fait complice du préjugé accepté. Non seulement les auteurs du Code civil, mais les auteurs du Code pénal eux-mêmes, égarés par leurs devanciers, en ont subi l'influence; - si bien subie que, convaincus à leur tour que l'adultère de la femme est plus criminel et plus dangereux que celui de l'homme, ils ont traité la femme beaucoup plus durement que le mari.

Nous parlerons tout à l'heure de la différence des pénalités. Vidons d'abord la question de fond.

II.

Il est incontestable que si l'on examine le délit d'adultère au point de vue étroit, c'est-à-dire en se préoccupant uniquement des intérêts particuliers, spéciaux, des deux époux en présence, l'adultère de la femme peut avoir pour le mari des conséquences personnelles que l'infidélité du mari ne comporte pas pour la femme. Le mari coupable n'accroîtra pas, cela est certain, le nombre des enfants de sa femme; il peut arriver, au contraire, que la femme augmente le nombre des enfants que le mari sera forcé de prendre pour son compte, et qui porteront son nom.

Oui, cela est rigoureusement vrai. Mais attendez ! Quand on examine un problème social, on ne le réduit pas aux données les plus étroites, on l'embrasse dans son ensemble, de haut, au point de vue de la collectivité tout entière, et l'on daigne en voir les conséquences générales.

-

Or, s'il est évident que le mari n'apporte pas dans son propre ménage les bâtards que l'on reproche à la femme infidèle d'y introduire, est-on sûr, peut-on dire qu'il ne les porte pas dans un autre foyer, tout aussi respectable que le sien ? qu'il n'accroît pas illégitimement, criminellement une autre famille, aussi digne d'intérêt que la sienne propre ? Dans ce cas, le mari adultère n'estil pas coupable, vis-à-vis d'un autre mari, de

l'acte révoltant qui rend la loi si sévère pour les infidélités de l'épouse? Car enfin, que le crime d'introduire des bâtards dans une famille soit commis à droite ou à gauche, ici ou là, dans le ménage n° 1 ou dans le ménage no 2, chez M. X... par Mme Z..., ou chez Mme Z... par M.X...,c'est toujours le même crime. Sommes-nous donc fondés à le juger différemment? Non, selon moi.

Mais, dira-t-on, les hommes qui commettent le délit d'adultère ne s'adressent pas tous à des femmes mariées, et alors ils ne courent pas le risque d'accroitre déloyalement la famille du voisin, quelquefois de l'ami. Soit. Mais il s'expose à donner naissance à des enfants qu'il lui est interdit de reconnaître, à augmenter le nombre de ces déshéritées que la loi flétrit si cruellement de l'appellation outrageante de filles-mères.

L'homme ne peut être adultère que des trois manières suivantes :

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1o En adressant ses hommages à une femme engagée dans les liens d'une union légitime, et je viens de démontrer que, dans ce cas-là, son crime est l'égal du crime de la femme, puisque les conséquences, tout au moins les risques, sont exactement les mêmes;

2o En séduisant et détournant de ses devoirs une jeune fille honnête, - et je demande si ce crime n'équivaut pas, au point de vue moral, à celui d'accroître les charges d'un mari confiant et trompé;

3o Enfin, en se contentant de filles quelconques, inscrites ou non sur les livres de police, filles de hasard et de rencontre, mais avec lesquelles il s'expose à des dangers sérieux. Outre qu'il contribue

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