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Le Code civil est partial, le Code civil est injuste.

Ce qui est le droit pour l'homme, n'est pas le droit pour la femme.

Il y a deux lois dans la loi.

De là, le titre de ce livre.

Du côté de l'homme, tous les privilèges; du côté de la femme, toutes les sujetions.

A un tel état de choses, de prompts remèdes sont nëcessaires.

Le droit est inviolable.

Il faut l'égalité dans la loi.

Cette égalité, je la réclame.

5/3/24

L. R.

AVANT-PROPOS

Lorsque, en 1877, je publiai la Femme libre, Victor Hugo

me fit l'honneur de m'adresser la lettre suivante :

<< 5 août 1877.

» Mon cher confrère,

» J'ai enfin, malgré les préoccupations et les travaux de »> nos heures troublées, pu lire votre livre excellent. Vous » avez fait œuvre de talent et de courage. Il faut du courage, » en effet, cela est triste à dire, pour être juste, et surtout, » juste, hélas! envers le faible. L'être faible, c'est la femme. » Notre société, mal équilibrée, semble vouloir lui retirer » tout ce que la nature lui a donné. Dans nos codes, il y a » une chose à refaire : c'est ce que j'appelle « la loi de la » Femme ». L'Homme a sa loi; il se l'est faite à lui» même la Femme n'a pas d'autre loi que la loi de >> l'Homme.

» La Femme est civilement mineure, et moralement > esclave. Son éducation est frappée de ce double carac>> tère d'infériorité. De là tant de souffrances, dont l'Homme » a sa part; ce qui est juste.

» Une réforme est nécessaire. Elle se fera au profit de » la civilisation, de la société et de la lumière. Les livres >> sérieux et forts comme le vôtre y aideront puissamment. » Je vous remercie de vos nobles travaux, en ma qualité >> de philosophe; et je vous serre la main, mon cher con» frère.

» VICTOR HUGO. »

Je fus d'autant plus frappé des termes de cette lettre que je venais moi-même d'annoncer la publication, plus ou moins prochaine, - du livre qui paraît aujourd'hui, et dont les premiers chapitres étaient déjà écrits. Je répondis à notre grand poète :

« Illustre et bien cher Maître,

» Permettez que je vous remercie. Vous venez de dire » une chose juste et grande : il faut faire « LA LOI DE LA

» FEMME ».

>> Comment la fera-t-on ?

» En proclamant ceci : Civilement, l'Homme et la Femme » sont égaux; socialement, ils se valent.

» C'est l'équivalence affirmée. Je dis l'équivalence, et >> non l'identité des deux natures.

» Agréez, vénéré Maître, l'hommage de mon profond >> respect et de mon inaltérable dévouement.

» LEON RICHER. »>

L'ouvrage que je livre en ce moment à l'appréciation du public et au jugement impartial des hommes spéciaux, réalise, dans une mesure aussi large et aussi complète que possible, la généreuse pensée du poète.

Il apporte « la loi de la Femme ».

Est-ce une utopie?

Non.

Pour ma part, j'ose affirmer que l'opinion publique, depuis longtemps préparée, accueillerait favorablement la revision de certaines dispositions de nos codes, outrageantes pour la dignité des épouses et des mères. Nous avons marché depuis 1803.

La loi civile de Bonaparte n'est pas seulement en opposition flagrante avec nos mœurs, elle est,

ce que l'on

commence à comprendre, en contradiction évidente avec le droit naturel.

Or, toute loi écrite qui viole le droit naturel, est une loi injuste.

J'ajoute une loi dangereuse.

Elle crée des situations fausses, provoque des résistances, soulève des antagonismes, engendre des luttes.

Cela est mauvais.

Reconnaître et sanctionner le principe de l'inviolabilité de la personne humaine, poser comme base de toute législation sagement équilibrée le droit imprescriptible, inaliénable de l'être pensant et conscient, tel est le premier devoir d'une Démocratie.

Les distinctions de sexe sont outrageantes, lorsqu'il s'agit d'établir les fondements de l'ordre public.

Rien ne les justifie dans la loi.

Là où le Code pénal ne distingue pas, le Code civil est mal venu à établir des différences.

La justice est une, le droit est un.

La loi doit être une.

Il n'y a pas, en matière de législation, au sein des sociétés civilisées, d'autre vérité que celle-là.

C'est cette vérité qu'il s'agit de faire triompher.

L'œuvre nouvelle qu'on va lire a pour but de hâter les solutions.

Si imparfaite qu'elle soit, elle aura au moins ce mérite d'ouvrir la voie.

C'est ainsi que j'ai procédé, il y a dix ans, pour le divorce. On connaît les résultats.

Je compte beaucoup, pour le succès final, sur l'appui des hommes éclairés qui n'ont cessé d'encourager mes efforts; mais je me recommande surtout aux femmes dont les intérêts sont ici spécialement en jeu.

C'est pour elles

que j'ai travaillé.

C'est elles que les doctrines exposées au cours de cet ouvrage, les principes défendus, et les réformes proposées regardent le plus.

C'est donc à elles d'abord que je m'adresse; c'est leur concours que je sollicite ; c'est à leur adhésion franche et loyale que je fais appel.

La femme peut bien des choses. Il ne lui faut souvent que vouloir.

Sans doute, elle n'a pas, comme nous, la place publique, elle n'a pas le bulletin de vote; mais elle a le foyer, elle a la famille, ce centre puissant d'action.

-

Là, son influence est considérable.

Il dépend d'elle de montrer qu'elle est à la hauteur du rôle nouveau que revendique en son nom l'humble écrivain qui s'est fait, depuis tantôt quinze ans, l'apôtre résolu de son affranchissement.

L'idée de justice, dont ce livre n'est qu'une des formules, triomphera sûrement si les femmes, pénétrées de leur valeur propre, ayant enfin conscience de leur assujettissement, sachant de quelles humiliations les abreuvent nos Codes, prennent parti pour elles-mêmes ; elle échouera ou sera pour longtemps retardée, si, toujours esclaves du préjugé, toujours humbles, toujours soumises, les femmes se considèrent comme obligées, en raison de leur sexe même, de s'incliner perpétuellement devant l'autorité indiscutable de l'homme, leur maître divin, leur supérieur naturel dans la hiérarchie des êtres.

LÉON RICHER.

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