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d'interruption, rien n'est moins probable désormais que la future célébration d'un concile général, qui pourroit seul remuer de nouveau, d'une manière inquiétante pour Rome, cette grave et fondamentale question.

A mesure que la puissance papale se constituoit en se développant, la liaison des deux sociétés, spirituelle et temporelle, l'influence du clergé sur les peuples divers d'où sont sorties les nations modernes, l'action politique que les circonstances lui permirent, et peut-être même l'obligèrent d'exercer à l'époque de leur formation, toutes ces causes, modifiant l'institution primitive, donnèrent à l'Église, pour ainsi parler, une existence séculière. Elle acquit de plus grandes richesses, elle étendit son autorité dans un domaine qui n'étoit pas originairement le sien. De là pour elle, et par conséquent pour son chef, un nouvel ordre d'inté rêts, étroitement liés à ses intérêts essentiels et propres. Le besoin inhérent à tout pouvoir de se dilater pour se conserver plus sûrement, je ne sais quelle force secrète qui pousse en avant les hommes et les choses, l'ambition dont nul n'est exempt, et qui jamais ne manque de motifs plausibles, portèrent graduellement les papes à essayer de ramener à l'unité du pouvoir pontifical le pouvoir d'un autre genre qu'ils avoient acquis sur les -peuples, c'est-à-dire, à confondre et à concentrer en eux-mêmes les deux puissances religieuse et politique. Ils y réussirent en partie, mais non pas d'une manière durable, parce que les mêmes causes qui favorisoient le développement de leur souveraineté dans l'ordre

spirituel, le contrarioient directement dans l'ordre temporel. Des longues guerres qu'ils soutinrent avec des vicissitudes très variées de succès, de leurs efforts non moins hardis qu'habiles et persévérans, il ne résulta donc qu'une sorte d'état mixte, impossible à définir nettement, un assemblage fortuit de prétentions hétérogènes, dépendantes de principes divers sans connexion logique : ils gardèrent quelques-unes de leurs conquêtes dans le domaine temporel; mais les princes aussi en avoient fait dans l'ordre spirituel, et ils les gardèrent également d'où une confusion de droit et de fait à peu près inextricable; car le droit n'a point de juge réciproquement reconnu, et dès lors des deux parts on est contraint de se retrancher dans le fait présent, quelque irrégulier qu'il puisse être, parce que ce fait seul étant incontestable et incontesté,

offre aux deux puissances, dans la position respective où leur lutte précédente les a placées, la seule garantie réelle d'existence.

Nous avons combattu pendant vingt années en faveur du pouvoir spirituel du pape, et, disons-le franchement, nous ne pensons pas que cette grande cause se soit affoiblie entre nos mains. Pour en juger, comparez seulement l'opinion dominante aujourd'hui parmi les catholiques en France, touchant les questions dites gallicanes, avec l'opinion presque universellement établie il y a quarante ans. Nous allâmes plus loin; regardant comme possible et favorable à l'humanité l'intervention du pontificat dans le mouvement social qui agite le monde et principalement l'Europe,

nous imprimâmes cette direction à nos travaux, mais vaguement d'abord, parce que les événemens ne permettoient encore aucune application précise de l'idée générale qui nous préoccupoit. Elle prit une forme plus arrêtée après les journées de juillet. Nous ne répéterons point les explications données ailleurs (1) sur les vues développées dans l'Avenir. Il suffit de rappeler qu'elles tendoient à unir la cause de l'Église à la cause des peuples et de la liberté, par conséquent à rompre l'alliance, plus apparente toutefois que réelle, entre l'Église et les vieilles souverainetés, et dès lors à détruire le fait que, jusque-là, de part et d'autre, on avoit cru avoir un égal intérêt à conserver.

Tandis que nous nous étions bornés à défendre la Rome spirituelle; sans risquer de se commettre par une approbation hâtive, elle encouragea nos efforts et s'applaudit du succès qu'ils obtinrent. Vainement, quand parut notre ouvrage sur les Progrès de la Révolution, la diplomatie sollicita quelques paroles qu'on pût traduire en désapprobation ou en désaveu, elles furent refusées. Mais, lorsque nous énonçâmes des vœux dont l'accomplissement eût ébranlé le système auquel se lient les intérêts de la Rome temporelle, lorsqu'une action déjà puissante y eut ajouté quelque poids, à la bienveillance précédente succéda une très vive irritation. Nous en respectons les motifs; car enfin la question qu'il s'agissoit de résoudre offroit plus d'une face; et jamais, depuis son origine, la pa

(1) Journaux. Introduction, tome 10 des OEuvres complètes.

pauté, environnée de difficultés sans nombre, n'avoit été conviée à prendre une plus grave détermination. Il dut lui paroître au moins étrange qu'on vînt lui dire Votre puissance se perd et la foi avec elle. Voulez-vous sauver l'une et l'autre, unissez-les toutes deux à l'humanité telle que l'ont faite dix-huit siècles de christianisme. Rien n'est stationnaire en ce monde. Vous avez régné sur les rois, puis les rois vous ont asservie. Séparez-vous des rois, tendez la main aux peuples, ils vous soutiendront de leur robuste bras et, ce qui vaut mieux, de leur amour. Abandonnez les débris terrestres de votre ancienne grandeur ruinée; repoussez-les du pied comme indignes de vous : aussi bien l'on ne tardera guère à vous en dépouiller. Qu'est-ce que ces lambeaux de pourpre, moquerie de ce que vous fûtes, et à quoi servent-ils, qu'à voiler les cicatrices glorieuses qui attestent les saints combats livrés par vous dans les temps antiques pour le genre humain contre la tyrannie? Votre force n'est point dans l'éclat extérieur, elle est en vous, elle est dans le sentiment profond de vos devoirs paternels, de votre mission civilisatrice; dans un dévouement qui ne connoisse ni lassitude ni bornes. Reprenez, avec l'esprit qui les animoit, la houlette des premiers pasteurs, et, s'il le faut, les chaînes des martyrs. Le triomphe est certain, mais à ce prix seulement.

Encore une fois, ce langage dut paroître fort étrange. S'il répondoit peut-être à ce secret instinct du vrai et du bien qui pousse les grandes âmes aux résolutions généreuses, il choquoit violemment les

idées reçues, les habitudes prises. Difficilement dès lors pouvoit-il persuader. La prudence qui pèse, mesure et calcule tout, qui se décide uniquement par la froide réflexion, dut considérer les choses sous un point de vue plus matériellement positif.

Au fond que proposions-nous? de renoncer complètement à un système établi depuis des siècles, à des relations souvent plus qu'épineuses à la vérité, fatales même par leurs conséquences, mais enfin connues; d'accepter toutes les chances de la guerre déclarée entre les peuples et les souverains, de s'aliéner dès lors ceux-ci, de provoquer de leur part, selon les vraisemblances, des hostilités, des persécutions, dans l'espérance lointaine que la liberté de l'Église sortiroit de la liberté des peuples, et que recouvrant sur eux, par les mêmes moyens qui la lui avoient acquise originairement, l'influence bienfaisante à laquelle étoit due en partie la civilisation moderne, elle ouvriroit à l'humanité les voies qui la conduiroient à une civilisation plus parfaite encore.

Les plus fortes raisons qu'on pût alléguer en faveur de pareils conseils, étoient, en premier lieu, cette maxime indubitable, qu'aucune institution ne déchoit jamais que par l'affoiblissement de son primitif esprit, et jamais ne se relève que par le retour à cet esprit qui forme sa vie propre. Or l'institution catholique, née de l'Évangile et en reproduisant le caractère, dut être et fut en effet, lorsqu'elle conquit le monde, souverainement populaire, puisqu'elle reposoit sur le principe de l'égalité des hommes devant

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