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Il y a cinq ans bientôt que nous écrivions les pages qu'on vient de lire. On a pu y reconnoître le même fonds de pensées que dans l'Avenir, les mêmes vues, les mêmes convictions, le même effort de désir pour réconcilier la hiérarchie catholique avec les peuples, pour l'attirer, en quelque sorte, au sein de la société future, à la formation de laquelle il sembloit qu'elle auroit pu si heureusement concourir, en établissant la liberté sur l'éternel fondement de tout ordre, la loi morale qui doit en régler l'usage et qui en garantit la durée. Le système contraire nous paroissoit répugner tellement à l'esprit évangélique, et tellement périlleux dans ses conséquences, que jusqu'au bout nous espérâmes qu'on ne se résoudroit pas à tenter une entreprise pour le moins aussi hasardeuse. Nous nous trompions en cela l'autorité à qui la décision appartenoit se prononça solennellement; étendant les bras pour saisir le passé qui fuyoit, au risque d'être elle-même emportée dans sa fuite, elle accepta sans hésiter les

chances du parti auquel, après de mûres réflexions, elle avoit cru sage de s'arrêter. Dès lors notre devoir fut de sortir immédiatement de la lice où nous ne pouvions combattre qu'avec son aveu et sous sa bannière. L'ouvrage dont nous publions ce que le temps nous avoit permis d'en écrire, inutile désormais, dut être abandonné. Nous y exprimions des idées qu'on réprouvoit, des vœux qu'assurément on étoit loin de partager; et nos prévoyances mêmes, quoique justifiées de jour en jour par les événemens, n'étoient guère propres qu'à augmenter une irritation assez vive déjà. Nous avions, en parlant, obéi à notre conscience, et l'on s'en étoit offensé. Que pouvionsnous essayer encore? Notre tâche remplie selon la mesure de nos forces, tout nous commandoit le silence que nous nous déterminâmes à garder.

Il n'existe pour chaque chose qu'un moment dans les affaires humaines. Plus tard, on n'a plus le choix entre deux voies, et la nécessité entraîne. Rien de ce que nous proposions en 1831 ne seroit possible aujourd'hui, ne sera possible à aucune époque, parce qu'on ne retourne point en arrière, parce que l'on ne croiroit point à la sincérité d'un système différent de conduite, qu'on n'y verroit qu'un simple calcul d'intérêt, variable comme cet intérêt même ; enfin, parce qu'ayant condamné de la manière la plus expresse les principes sur lesquels reposeroit le système nouveau, ceux-ci seroient une atteinte à l'immutabilité de doctrine, et, que cette versatilité d'enseignement que l'on met soit à la déguiser, soit à en

éluder les conséquences, renfermeroit une contradiction mortelle à l'autorité qui s'est prononcée si formellement. Il faut donc que l'on marche jusqu'à la fin dans la route tracée, qu'éternellement et quelles que soient les modifications successives que peut éprouver l'état social, on proclame les mêmes maximes déclarées à jamais immuables, puisqu'on déclare qu'elles appartiennent à la tradition des apôtres et des Pères ou à la révélation divine. Quiconque s'en écartera de fait violera un commandement divin: quiconque les contestera, quiconque n'y attachera point intérieurement une foi absolue, rompra par cela même avec le catholicisme.

Cette position est grave; elle offre un vaste champ à la méditation. Qu'on nous permette, en écartant toute discussion dogmatique, de présenter avec candeur quelques-unes des réflexions qu'elle suggère, ce semble, forcément à tout esprit calme, lorsqu'on la considère dans le présent et dans l'avenir.

Et d'abord dans le présent, que voyons-nous? Quel a été l'effet de la parole pontificale? Quels résultats a-t-elle produits?

Elle a constaté l'alliance de Rome avec les princes, une étroite communauté d'intérêts entre elle et eux, ainsi que la volonté ferme d'employer tous les moyens dont elle dispose à la défense de ces intérêts. La Papauté enfin a déclaré que sa cause propre étoit, de fait et de droit, inséparable de celle de l'absolutisme européen.

Il n'est pas douteux qu'elle n'ait par là momenta

nément affermi sa domination temporelle. D'indispensables auxiliaires lui ont été acquis sur-le-champ. Auroit-elle, sans l'aide de l'Autriche, conservé les Légations, conservé les provinces même voisines de la capitale? Pouvoit-elle, privée d'un appui extérieur, résister au mouvement dont Bologne étoit le centre, en arrêter la propagation? Réduite à négocier pour ne pas tout perdre, n'auroit-elle pas été contrainte de reconnoître des droits qui limitoient les siens, de céder beaucoup, et toujours plus, afin de garder quelque chose; de consentir au moins à des modifications profondes dans l'ancienne forme du gouvernement? Au lieu de cela et de tout ce que l'entraînement des choses y pouvoit ajouter de plus défavorable encore à ses intérêts matériels, elle est demeurée en posses→ sion de l'intégrité de son pouvoir et de son territoire; elle a continué d'en administrer les habitans comme elle l'a voulu, de faire seule là loi, de présider seule et sans contrôle à l'établissement de l'impôt et à sa perception, à l'éducation publique, à la police, à la justice civile et criminelle, à la pensée même par la direction de la presse locale et par les obstacles opposés à l'introduction des livres étrangers. Supposé que ces deux moyens fussent aujourd'hui rigoureusement praticables, ils suffiroient à la longue, entre les mains du prince, pour faire du peuple assujéti à son autorité, tout ce qu'il lui plairoit, même une horde de sauvages, même un troupeau de brutes, si le caprice lui en venoit.

A ces avantages que l'on conçoit avoir dû être

séduisans pour Rome, il faut joindre une certaine facilité plus grande dans ses relations avec les souverainetés absolues, en ce qui touche les affaires générales de l'Église; rien à changer dans les pratiques, les usages, les formes existantes; l'exemption dès lors d'une multitude d'embarras et de soucis, et, par l'immobilité même des choses, du repos à la surface, une apparence de paix qu'on pouvoit prendre pour la paix même.

Il est certain aussi que, presque nulle par ses forces matérielles, Rome, quoique dépouillée en grande partie de l'espèce de prestige qui l'environnoit autrefois, jouit encore, à distance surtout, d'une puissance d'opinion, qui, même dans les pays où dominent l'hérésie et le schisme, donne une valeur réelle à son alliance avec les princes. Elle a sans contredit apporté son poids dans la balance où se pèsent leurs destinées. Ils lui doivent d'avoir séparé le principe catholique du principe de la liberté, la cause de l'Église de la cause des peuples en guerre contre eux. Ce n'étoit pas là certes un service méprisable, et la manière dont on l'a reconnu, en Russie notamment, fournit un nouvel et mémorable exemple de l'ingratitude politique. Si le dévouement du Pontife romain aux intérêts des rois n'a pas eu tout l'effet désirable pour ceux-ci, ce dévouement aussi sincère, aussi complet qu'il pouvoit l'être, a cependant porté son fruit. L'injustice ou l'aveuglement pourroient seuls le nier. Nombre d'hommes étonnés, troublés par la parole du Pape, ont senti naître au fond de leur conscience une secrète crainte

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