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à Rome. Le cardinal de Rohan, choisi pour être témoin de ce silence convenu, nous présenta; le pape nous reçut avec bonté, et, quant à notre affaire, nous demeurâmes au point précis où nous étions en arrivant. Le mécontentement étoit manifeste : mais que blâmoit-on spécialement dans notre conduite et dans nos écrits? Que vouloit-on de nous? Nous avions soumis au Saint-Siége une exposition exacte et nette de nos doctrines. Jamais, que nous sachions, elle n'a été examinée. Cependant il semble que c'étoit là surtout qu'il falloit chercher nos sentimens, les principes que l'on devoit ou condamner, ou approuver. On en jugea différemment; sur quels motifs, nous l'ignorons. Il ne paroît pas qu'on éprouvât un désir excessivement vif de connoître nos pensées et d'en occuper les consulteurs romains. Pas un mot ne nous fut dit sur l'objet de notre voyage, pas une explication ne nous fut demandée. Nous racontons simplement les faits: chacun à son gré y joindra les réflexions qu'ils peuvent faire naître.

Un homme qui jouit à Rome de la considération la mieux méritée, nous disoit : « Le plus grand ennemi » que vous ayez ici, c'est la peur. » Il se trompoit, je crois; c'étoit l'intérêt. Mais, intérêt ou peur, ou tous deux ensemble, l'animosité n'avoit assurément rien d'équivoque. Il y a des positions étranges dans la vie. Nous avions pu, en combattant pour l'Église catholique, être entraînés trop loin par un zèle, si l'on veut, imprudent et peu éclairé; mais ce zèle étoit pur, exempt d'arrière-vues et d'ambition : nous en avions la conscience intime, et cela étoit d'ailleurs assez visiTOME 12.

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ble à tous les yeux. La voie où nous marchions, hérissée de souffrances et de persécutions, ne conduisoit qu'aux cours d'assises. On ne suit guère une pareille route, à moins d'être soutenu par une pensée vraie ou fausse de devoir. Or rien ne contriste plus amèrement l'âme que de voir cette pensée totalement méconnue. Que si, la reconnoissant, on n'a pour elle qu'un froid dédain, ou une sèche indifférence, il est impossible de se dérober à un sentiment plus amer encore.

Je me suis souvent étonné que le pape, au lieu de déployer envers nous cette sévérité silencieuse dont il ne résultoit qu'une vague et pénible incertitude, ne nous eût pas dit simplement : « Vous avez cru bien » faire, mais vous vous êtes trompés. Placé à la tête de » l'Église, j'en connois mieux que vous les besoins, les >> intérêts, et seul j'en suis juge. En désapprouvant la >> direction que vous avez donnée à vos efforts, je >> rends justice à vos intentions. Allez, et désormais. >> avant d'intervenir en des affaires aussi délicates, >> prenez conseil de ceux dont l'autorité doit être votre >> guide. » Ce peu de paroles auroit tout fini. Jamais aucun de nous n'auroit songé à continuer l'action déjà suspendue. Pourquoi, au contraire, s'obstina-t-on à nous refuser même un seul mot? Je ne m'explique ce fait que par les intrigues qui environnoient Grégoire XVI, par les secrètes calomnies dont la haine de nos adversaires nous noircissoit dans son esprit, et aussi par cette espèce d'impuissance, qui semble inhérente à tous les pouvoirs, de croire au désintéressement, à la sincérité et à la droiture.

N'apercevant aucun terme à l'état d'attente où l'on paroissoit vouloir nous laisser indéfiniment, nous crûmes devoir adresser au pape le Mémoire suivant, rédigé presque en entier par M. Lacordaire, et que le cardinal Pacca se chargea fort obligeamment de pré

senter.

MÉMOIRE

PRÉSENTÉ AU SOUVERAIN PONTIFE, GRÉGOIRE XVI, PAR LES RÉDACTEURS DE l'Avenir ET LES MEMBRES DU CONSEIL DE l'Agence générale pour la défense de la liberté religieuse.

L'opposition qu'ont rencontrée les rédacteurs de l'Avenir et les membres du conseil de l'Agence générale pour la défense de la liberté religieuse a porté sur deux objets : leurs doctrines considérées en elles-mêmes, et le mode d'action qu'elles ont adopté pour soustraire, en France, la religion catholique aux conséquences que faisoit craindre pour elle la révolution de 1830. Séparant donc ces deux objets, ils déposent humblement aux pieds du souverain pontife l'exposition des doctrines qu'ils ont soutenues, ainsi que de leur conduite et des motifs qui l'ont déterminée, afin que, fidèlement instruit de tout ce qui les concerne, le chef de l'Église, jugeant tout ensemble et leur foi et leurs œuvres, daigne prononcer sur l'une et sur les autres la décision qui les éclairera, s'ils se sont trompés, et qu'ils sollicitent de lui à genoux.

SI.

ÉTAT DE LA RELIGION EN FRANCE SOUS LA RESTAURATION.

L'état de la religion en France, dans les seize années qui ont précédé la dernière révolution, peut se peindre en deux mots. La religion étoit opprimée par le gouvernement et haïe par une grande partie de la nation.

D'une part, le gouvernement royal avoit maintenu toutes les lois de l'empire relatives à l'Église, y compris les articles organiques décrétés en fraude du concordat de 1801, et, par conséquent, la servitude de l'Église étoit légalement la même que sous un homme qui avoit excellé dans l'art d'opprimer tout ce qu'il prenoit sous sa protection. Les rapports des évêques entre eux et avec le Saint-Siége étoient entravés, et tout prêtre catholique étoit passible d'une peine qui pouvoit aller jusqu'au bannissement, s'il eût osé correspondre avec Rome. Plus de conciles provinciaux, plus de synodes diocésains, plus de tribunaux ecclésiastiques, conservateurs de la discipline; mais le Conseil d'État pour unique juge de toutes les affaires contentieuses, relatives à la religion et à la conscience. L'éducation étoit confiée à un corps laïque, à l'exclusion du clergé; la direction spirituelle des séminaires gênée, et leur enseignement même soumis, dans ce qu'il y a de plus essentiel, aux prescriptions de l'autorité civile ; la pratique des conseils évangéliques sous une règle commune, interdite par la loi, à moins d'autorisation tou

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