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aspirent les peuples chrétiens, et qui certainement deviendra la base de la société future, loin d'être opposée au christianisme, n'en est qu'une conséquence directe, un développement nécessaire, ils crurent servir l'humanité, souffrante de ses propres efforts et des résistances qu'ils rencontrent, en essayant de ramener à sa. source primitive le sentiment partout si vif qui pousse les nations à s'affranchir. Car ce n'est pas tout, il s'en faut, de renverser les oppresseurs; éternellement il en renaîtra d'autres, si l'on ne détruit, si l'on n'atténue au moins le principe même de l'oppression, et qu'à la place des causes de mal, on ne mette une cause efficace de bien. Or, toutes les causes de mal sont renfermées dans l'égoïsme, dans l'amour exclusif de soi, comme toute cause de bien l'est dans l'amour d'autrui et dans le dévouement que cet amour inspire. Aucune forme de gouvernement, quoique les diverses formes qu'il peut recevoir soient fort éloignées d'être indifférentes, ne sauroit par elle-même satisfaire les peuples, ni remédier à leurs maux. Le vrai, l'unique remède, Dieu l'a mis dans la loi évangélique destinée à unir les hommes par une fraternelle affection, qui fasse que tous vivent en chacun, et que chacun vive en tous. La liberté réelle et l'esprit chrétien sont inséparables. Qui n'aime pas son frère comme soi-même, celui-là, quelles que puissent être ses opinions spéculatives, a en soi un germe de tyrannie et conséquemment de servitude. Aussi le besoin de liberté, aujourd'hui si universel et si énergique, est-il à nos yeux une preuve certaine que le christianisme, loin d'être affoi

bli, plus de vraie puissance que jamais. Quittant la surface de la société où l'étouffoient mille gênes diverses, il est descendu au fond de ses entrailles, et là, en silence, il accomplit son œuvre qui commence à peine.

L'Avenir se proposoit encore de défendre l'institution catholique, languissante et persécutée, principalement par les pouvoirs qui affectent de s'en déclarer les protecteurs. Il pensoit qu'elle devoit étendre ses racines presque desséchées dans le sein de l'humanité même, pour y puiser de nouveau la sève qui lui manquoit, et qu'en unissant sa cause à celle des peuples, elle pourroit recouvrer sa vigueur éteinte, régulariser le mouvement social et le hâter, en lui imprimant ce caractère religieux qui, naturellement lié à tous les instincts élevés de l'homme, est aussi une force, et la plus grande. Quelque chose de semblable à ce qui se passa lors de la première prédication de l'Évangile, paroissoit nécessaire pour ramener au catholicisme défaillant les populations qui s'en éloignoient. La fraternité universelle proclamée par Jésus, cette doctrine si belle, si consolante, si divine, recueillie dans les prófondeurs désolées de l'âme humaine, y ranima soudain les germes flétris du vrai et du bien, que Dieu y avoit déposés originairement. Ce qu'une société égoïste et corrompue avoit abaissé, le Christ le releva. Rénovateur des lois immuables, de l'oubli desquelles étoient sortis tant de maux, tant de crimes, tant d'oppressions, il effaça devant le commun Père, qui ne fait point d'acception entre ses enfans, toutes les distinc

tions créées par l'orgueil et la cupidité. Il plaça le pauvre en face du riche, le foible en présence du fort, et il demanda Quel est le plus grand? Et le plus grand, ce ne fut ni le fort à cause de sa force, ni le foible à cause de sa foiblesse, ni le riche à cause de son opu→ lence, ni le pauvre à cause de son dénuement, mais celui qui accompliroit plus parfaitement le souverain précepte d'aimer Dieu et les hommes. Les droits les plus sacrés, parce qu'ils n'avoient d'autre défense qu'eux-mêmes, furent les droits de ceux à qui jusquelà on n'avoit reconnu aucuns droits: les devoirs les plus étendus furent les devoirs de ceux qui s'étoient crus au-dessus de tout devoir. Le titre de serviteur devint la définition même du pouvoir. On dut se faire le dernier pour être le premier. Le vieux monde sentit qu'il crouloit. Un monde nouveau naquit où affluèrent, comme en un refuge inespéré, toutes les souffrances, toutes les misères sociales, tout ce qui avoit faim et soif de la justice; et c'est ainsi que se dilata si promptement l'Eglise primitive, centre d'amour autour duquel se reconstitua l'humanité. Pourquoi donc, après dix-huit siècles, se détachoit-on de cette Église, si ce n'est parce que, au moins en apparence elle s'étoit elle-même, pratiquement détachée des maximes où elle avoit puisé à l'origine une vie si puissante? Et dès lors quel moyen pour elle de redevenir ce qu'elle fut en ses commencemens, de regagner, avec la confiance des masses populaires, son influence sur elles, que de se retremper à sa source, d'identifier ses intérêts, si tant est qu'elle en eût de

propres, aux intérêts de la race humaine, de venir en secours à ses besoins, de l'aider à développer sous toutes ses faces et dans toutes ses conséquences actuellement applicables, le principe chrétien de l'égalité de droit, dont la réalisation constitue l'ordre sans lequel nulle liberté, et la liberté sans laquelle nul ordre? Ces pensées pouvoient peut-être, au premier aspect, ne sembler ni trop absurdes, ni trop choquantes.

Les faits ne tardèrent pas cependant à montrer combien, en espérant que la hiérarchie catholique sentiroit la nécessité de s'allier avec les peuples pour la conquête de leur liberté commune, l'Avenir s'étoit fait illusion. Des multitudes de protestations contre cette idée folle et pernicieuse et d'obstacles à son exécution, surgirent de tous côtés. Le détail en seroit instructif, mais il nous entraîneroit trop loin. Il falloit sortir d'une position chaque jour plus difficile et plus équivoque. Car on ne se contentoit pas d'intriguer, de calomnier, d'injurier en vertu de ses propres opinions, on faisoit encore parler Rome, mais vaguement, et sans qu'il fût possible de reconnoître ce que contenoient de vrai ou de faux ces bruits sourdement répandus, et propagés avec un zèle pieusement infatigable.

Il est certain que si, à cette époque, les écrivains de l'Avenir avoient pu savoir d'une manière positive que Rome désapprouvoit leurs efforts, ils seroient aussitôt rentrés dans le silence et dans l'inaction, avec regret sans doute, mais sans hésiter un instant. Il est

certain encore que si, moins dominés par une délicatesse scrupuleuse, ils eussent méprisé tant d'indignes attaques et continué hardiment leurs travaux, aucun acte de l'autorité ne seroit venu les forcer de les interrompre.

. Dans leur candeur ils s'arrêtèrent à une autre résolution. Indécis sur ce qu'ils devoient croire des dispositions du souverain pontife à leur égard, trois d'entre eux, de l'avis de tous, prirent le parti de se rendre à Rome, pour s'assurer de ce qu'ils auroient sans cela ignoré long-temps, et toujours peut-être. La suspension de l'Avenir, jusqu'à ce qu'ils eussent obtenu les éclaircissemens qu'ils alloient chercher dans la capitale du monde chrétien, dut prouver aux plus soupçonneux leur parfaite bonne foi.

- De nombreux témoignages d'intérêt, de vives marques de sympathie leur furent donnés sur toute leur route. En arrivant à Lyon, ils trouvèrent la ville au pouvoir des pauvres ouvriers, que tous, hors leurs implacables ennemis, bénissoient : car, défenseurs d'une cause juste et sainte, et jusqu'au bout dignes d'elle, pas une pensée mauvaise ou suspecte n'étoit montée en leur cœur après le combat; le peuple avoit vaincu, et l'ordre et la liberté et la sécurité régnoient. Tels étoient les hommes que le maréchal Soult, un mois plus tard, refusoit même d'écouter, parce qu'il ne traitoit pas, disoit-il, avec des brigands. Ces souvenirs doivent être conservés : ils ne forment pas la moins instructive partie de l'histoire.

En descendant le Rhône, nous rencontrâmes de

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