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rechef au milieu du fleuve, devant Valence, les douceurs de la civilisation constitutionnelle et monarchique. Une troupe de gendarmes et autres gens de po lice se précipitèrent à bord du bateau qu'ils guettoient au passage, pour y exercer toutes ces petites et basses} et vexatoires inquisitions d'où dépend aujourd'hui, comme chacun sait, là sûreté des empires. Elles atteignirent principalement quelques Polonois, jeunes et tristes victimes d'une double fatalité de malheur, qui, des ruines de la patrie que leur héroïque dévouement n'avoit pu sauver, les jetoit, à l'extrémité op posée de l'Europe, au milieu d'autres ruines moins glorieuses.

Nous admirâmes à Avignon l'antique palais des Papes, magnifique encore malgré les dégradations de toute espèce et les honteuses mutilations que journellement on lui fait subir. Son imposant aspect offre je ne sais quel mélange de château féodal et de couvent, quelque chose du moine Hildebrand et du somptueux Bertrand de Got; mais ce dernier caractère domine. La papauté acheva de se séculariser entre ces hautes murailles chargées de splendides ornemens, sous ces plafonds peints et dorés, au sein du luxe, des intrigues mondaines, des passions et des corruptions qui indignoient Pétrarque. Ce passé triste, mais non sans grandeur, remplit d'une émotion profonde l'âme de celui qui traverse ces silencieux: débris, pour aller au loin chercher d'autres débris, encore palpitans, de la même puissance.

Après nous être arrêtés un peu dans la vieille

colonie des Phocéens, toujours florissante par son{ commerce, toujours hospitalière, nous continuâmes notre route, retrouvant à chaque pas quelque grave} ou touchant souvenir d'histoire. Ici Toulon, où commença, sous les plis d'un drapeau sanglant, la fortune merveilleuse du plus grand homme des tempsĮ modernes; au-delà le petit golfe de Cannes où elle parut se relever un moment, pour aller bientôt expirer solitaire sur un rocher de l'Atlantique; et tout auprès, par un doux contraste avec les turbulens soucis et les rêves agités de l'ambition humaine, Lerins, cet asile de paix, où, lorsque l'épée des barbares démembroit pièce à pièce l'empire romain, s'abritèrent, comme l'alcyon sous une fleur marine, la science, l'amour,i la foi, tout ce qui console, enchante et régénèrei l'humanité.

D'Antibes à Gênes, la route côtoie presque toujours la mer, au sein de laquelle ses bords char-> mans découpent leurs formes sinueuses et variées, comme nos vies d'un instant dessinent leurs fragiles) contours dans la durée immense, éternelle. Aucunes paroles ne sauroient peindre la ravissante beauté des ces rivages toujours attiédis par une molle haleine de printemps. D'un côté, la plaine à la fois mobile et uniforme, où apparoissoient çà et là quelques voiles blanches qui la sillonnent en des sens divers. Sur la pente opposée des montagnes, que coupent de fertiles vallées ou de profonds ravins, les inépuisables ri chesses d'une nature tour-à-tour imposante, gracieuse, qui s'empare de l'âme, y apaise les tumultueuses}

pensées, les amers ressouvenirs, les prévoyances inquiètes, et peu à peu l'endort dans la vague contemplation de je ne sais quoi d'insaisissable comme le son fugitif, de mystérieux comme l'univers et d'infini comme son auteur. Cependant, telle est la puissance des premières impressions que, dans ces riantes et magnifiques scènes, rien pour moi n'égaloit celles qui frappèrent mes jeunes regards : les côtes apres et nues de ma vieille Armorique, ses tempêtes, ses rocs de granit battus par des flots verdâtres, ses écueils blanchis de leur écume, ses longues grèves désertes, où l'oreille n'entend que le mugissement sourd de la vague, le cri aigu de la mouette tournoyant sous la nuée, et la voix triste et douce de l'hirondelle de mer.

A Cocoletto, entre Nice et Gênes, on montre la maison, depuis peu restaurée, où naquit Christophe Colomb. La pompeuse inscription gravée sur marbre et plaquée au-dessus de la porte contre le mur, en dit beaucoup moins que le seul nom de cet homme qui, venant de donner à Ferdinand et à Isabelle, un monde nouveau, reçut de leur royale gratitude des fers pour récompense, et pour demeure un cachot.

Quiconque aime la nature et en sent les beautés, s'il a vu l'Italie, désire la revoir : et combien d'autres charmes attirent encore dans cette séduisante contrée! Partout quelque monument de l'art, partout quelque souvenir illustre ou attachant mais partout aussi en ces jours mauvais, quelque spectacle douloureux, quelque stigmate de servitude. La misère publique,

s'y révélant sous mille aspects hideux, y forme un contraste presque général avec la richesse native du sol. Quel motif de travailler plus que ne l'exige l'impérieuse et stricte nécessité, quand rien ne garantit à chacun le fruit de son travail? Paresse, apathie, langueur, ignorance, insouciance, voilà ce qui frappe d'abord. Ce peuple qui naît, vit et meurt sous le bâton de l'étranger, ou à l'ombre de la potence paternelle des souverainetés nationales, ainsi qu'il leur plaît de se nommer, n'ayant de patrie que dans le passé, ou dans un avenir qui fuit toujours, s'en fait du ciel, de l'air, de la jouissance présente et du sommeil comme une autre patrie semblable à la dernière, celle du tombeau. Nous parlons des masses dépourvues de lumières : car, en dehors d'elles, il existe un nombre sans cesse croissant d'hommes éclairés et généreux dont l'oppression n'a pu briser l'âme, et qu'un amour ardent de leur pays soutient dans la rude tâche qu'ils se sont imposée, de lui préparer un sort meilleur.

Tous les âges rassemblés, entassés, se pressent sur cette terre de ruines. L'époque étrusque, dont il subsiste de remarquables monumens, lie l'époque plus ancienne des premiers habitans connus de l'Italie, à celle des Romains. Puis, sur les débris amoncelés par les barbares vainqueurs de l'empire, apparoissent d'autres débris: ici, à demi caché sous des ronces et des herbes sèches, le squelette de quelque village, semblable à un mort que ses compagnons, dans leur fuite, n'auroient pu achever d'ensevelir: là, sur une

pointe de rocher, au milieu de ces austères paysages des Apennins, une vieille tour croulante, de larges pans de mur couverts de lierre, séjour autrefois dea quelque seigneur féodal, où maintenant, sur le soir, l'orfraie pousse son cri lugubre. Ailleurs, à Lucques, Pise, Florence, Sienne, dans toutes les cités que vivifièrent des institutions populaires, des traces d'une autre grandeur tombée rappellent le temps où, seu-[ les libres au sein de la servitude générale, et riches, puissantes par la liberté, elles rallumèrent le flambeau éteint des arts, des sciences, des lettres. Médailles d'un siècle plus récent, de superbes palais abandonnés, déserts, principalement près de Rome, se dégradent d'année en année, montrant encore à travers› leurs élégantes fenêtres ouvertes à la pluie et à tous les vents, les vestiges d'un faste que rien ne rappelle dans nos chétives constructions modernes, d'un luxe grandiose et délicat, dont les arts divers avoient à l'envi réalisé les merveilles. La nature, qui ne vieillit jamais, s'empare peu à peu de ces somptueuses villas, œuvres altières de l'homme, et fragiles comme lui. Nous avons vu des colombes nicher sur les corniches d'une salle peinte par Raphaël, le caprier sauvage enfoncer ses racines entre les marbres déjoints, et le lichen les recouvrir de ses larges plaques vertes et blanches. La› religion elle-même, dont les magnificences passées ! ravissent d'étonnement, semble n'avoir travaillé pendant dix siècles qu'à se bâtir un vaste sépulcre. Douze ou quinze franciscains errent aujourd'hui dans l'immense solitude de ce couvent d'Assise, jadis peu-+

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