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Des rapports fréquents avec un voyageur qui, à plusieurs reprises, a parcouru les pays slaves,

signifie fils de tsar. Avant la dissolution de l'empire d'Allemagne*, le fils de l'empereur, l'héritier présomptif de l'empire, portait le titre de roi des Romains (peut-être dans les mêmes vues Napoléon avait-il donné à son fils le titre de roi de Rome). C'est dans l'espoir de ressaisir ce titre, qui pourtant nous semble à jamais perdu pour elle, que l'Autriche tient tant à ses possessions italiennes, et ne veut à aucun prix, ni pour or, ni pour argent, se dessaisir de la Vénétie; c'est pour cela aussi qu'elle cherchait constamment à s'étendre, à empiéter de ce côté, et à faire des princes italiens des vassaux de son empire, parce qu'à ses yeux la possession de l'Italie implique et comporte en quelque sorte avec elle, sinon le titre, au moins des prétentions au titre d'empereur d'Occident. Comme on doit le supposer, avec de semblables prétentions, l'Autriche tiendra à avoir un pied en Italie et à conserver la Vénétie, quelque dispendieuse qu'elle puisse être pour elle.

Quant aux vues de la Russie sur Constantinople, elles ont une autre origine et ont dû déjà recevoir plusieurs modifications. Pierre le Grand, comme on le verra par son testament, avait conçu le dessein de subjuguer et dominer l'Europe, et par conséquent de la soumettre entièrement à la Russie; mais Catherine II, pour un motif ou pour un autre, par ruse peut-être et pour rendre l'Europe moins soupçonneuse et moins jalouse, lors de la conquête de la Turquie d'Europe, s'était proposée, au lieu de la réunir à la Russie, d'en former un second empire qu'elle aurait donné à l'un de ses petits-fils; dans ce but elle avait fait donner au second fils de l'empereur Paul le nom de Constantin, parce qu'elle le destinait à régner sur Constantinople (Constantinopolis) ou Constantinville, la ville de Constantin **, espérant ainsi faire peut-être plus facilement accepter sa conquête par l'Europe. Mais, ayant prévu sans doute que ce rêve ne pourrait se réaliser du vivant du précédent grand-duc Constantin, l'empereur Nicolas aussi a donné ce même nom de Constantin à son

Ou d'Occident.

** Pour beaucoup de personnes, sans doute, les détails dans lesquels nous entrons sont puérils; mais nous déclarons écrire pour ceux qui, comme nous, ne connaissent ni le grec ni le latin, ce que devraient peut-être faire beaucoup d'écrivains qui croient à tort avoir toujours affaire à des vétérans de l'étude ou à des étudiants qui ont moisi sur les bancs du collège, tandis que les neuf dixièmes des lecteurs ue les comprennent pas.

M. Cyprien Robert, aujourd'hui professeur de littérature slave au collège de France, nous ont souvent mis à même de nous entretenir avec lui de ce panslavisme et de cette race slave si nombreuse et si peu connue.

M. Robert se montrait très-zélé partisan d'une ou

second fils, au grand-duc actuel de ce nom, qui disait, dit-on, avant la guerre de Crimée : « Je me nomme Constantin parce que je régnerai sur Constantinople, » ce qui toutefois ne devait pas encore tout de suite se réaliser.

Ce n'est pas la seule ressemblance, du reste, qu'avaient entre eux les fils de l'empereur Nicolas avec ceux de l'empereur Paul. Ce dernier avait quatre fils, qui reçurent les noms d'Alexandre, Constantin, Nicolas et Michel; l'empereur Nicolas a eu quatre fils également, qui ont aussi, et dans le même ordre, reçu les noms d'Alexandre, Constantin, Nicolas et Michel; mais soit que l'empereur Nicolas ait pensé devoir réaliser le rêve de sa famille en accomplissant pendant son règne la conquête de Constantinople, pour ne pas éterniser dans sa famille le nom de Constantin, les fils de l'empereur Alexandre II n'ont plus reçu les mêmes noms, comme cela était arrivé pour les deux générations précédentes. Ce changement a été sans doute opéré en vue du panslavisme, dont le but est de grouper tous les Slaves en un seul corps politique au lieu de deux empires rêvés par Catherine II. Voici les noms des cinq fils de l'empereur Alexandre II; dans l'ordre de leur naissance :

Nicolas Alexandrowitch *;
Alexandre Alexandrowitch;

Wladimir Alexandrowitch;
Alexis Alexandrowitch;

Serge Alexandrowitch;

Plus une princesse née avant ce dernier prince:
Marie Alexandrowna.

La filiation se décline ainsi en Russie :

Paul Petrowitch, c'est-à-dire Paul (Paul Ier), fils de Pierre;

Nicolas Paulowitch, c'est-à-dire Nicolas, fils de Paul;

Alexandre Nicolaiwitch, c'est-à-dire Alexandre, fils de Nicolas.
Et maintenant, pour le dernier prince héritier :

Nicolas Alexandrowitch, ou Nicolas, fils d'Alexandre.

Pour les princesses, on dit :

Olga Nicolaiewna, pour Olga, fille de Nicolas;

Et Marie Alexandrowna, pour Marie, fille d'Alexandre, etc.

plutôt de deux confédérations slaves: l'une, qui se serait composée des Russes, d'une part, et l'autre des Polonais, des Tscheks ou Bohêmes et des autres Slaves, tant d'Autriche que de Turquie et de Prusse; mais cette réunion en deux confédérations qui n'auraient pas tardé à n'en faire qu'une, comme nous avons eu occasion de le remarquer dans le langage même des Polonais, qui demandaient l'annexion des Russes1, nous effrayait, nous avions la crainte que cette réunion de 80 millions d'individus en un seul corps politique ne fût un jour funeste à la France, si elle venait à avoir quelques démêlés avec eux, elle qui n'en aurait pas eu 40 millions à leur opposer. Nous avions enfin la crainte de voir la France réchauffer un serpent 2.

Enfin, un jour, pendant l'impression de son livre intitulé: Le monde slave, son passé, son état présent et son avenir, M. Cyprien Robert nous dit : « C'est « une chose singulière, depuis que j'ai dit que les << Slaves se divisent en quatre grandes nationalités, « partout, dans les journaux et dans les livres, on « dit que les Slaves se divisent en quatre grandes «< nationalités, tandis que personne n'en disait rien «< auparavant. »

Nous lui dîmes alors :

« Vous nous dites que les Slaves se divisent en quatre grandes nationalités, et d'un autre côté vous. nous dites aussi qu'ils ne forment qu'une seule et

1. Voir la note O à la fin du volume. 2. Voir la note P à la fin du volume.

même race. Comment se fait-il que, puisqu'ils ne forment qu'une seule et même race, ils ne forment pas aussi qu'une seule et même nationalité? Qu'est-ce qui les divise? Qu'est-ce qui les unit? Où est la différence? Où est le rapprochement? >>

Il nous répondit:

«La différence ou le rapprochement, comme on voudra l'appeler, qui existe (dans le langage) entre le russe, le polonais, le tschek ou bohême et l'illyrien (croate, etc.), est à peu près la même que celle qui existe entre le français, l'italien, l'espagnol et le portugais, qui sont des langues d'origine latine comme les autres sont d'origine slavonne1. >>

Ce fut alors pour nous comme un trait de lumière; c'était un éclair qui brillait dans une nuit obscure, un monde nouveau apparaissait à nos yeux, la crainte fit instantanément place à l'espérance.

Nous lui répondîmes à notre tour:

<< Mais si nous avons avec les Italiens, les Espagnols et les Portugais 2, le même degré de parenté qu'ont entre eux les Russes, les Polonais, les Bohêmes et les Illyriens, et que ceux-ci veuillent se confédérer, pourquoi n'en ferions-nous pas autant avec ceux qui

4. Voir la note Q à la fin du volume.

2. Auxquels il faut ajouter les Roumains du Bas-Danube en Europe. La presque totalité des Américains du Sud est latine aussi et une partie de ceux du Nord, les Louisianais et les Canadiens. Les Anglo-Saxons ne sont que semi-latins, encore les fréquentes migrations allemandes changent-elles leur sang dans le sens inverse; il est vrai que beaucoup de Latins vont aussi se mélanger avec eux, ainsi que des Gaulois purs, ce qui peut faire contrepoids et rétablir la balance.

nous sont ainsi unis par les liens du sang et du langage? le contre-poids de la balance serait tout trouvé.

« Nous vous avons maintes fois témoigné, au sujet de cette confédération des Slaves, nos craintes et nos appréhensions, et nous serions heureux que vous voulussiez bien dire un mot de cette idée, dans le livre que vous avez actuellement sous presse. »>

M. Robert partagea notre pensée, et ce mot, il a bien voulu le dire. Voici le passage textuel de son livre où il l'a placé.

Après avoir parlé des confédérations slaves, dont nous venons d'entretenir nos lecteurs, M. Cyprien Robert ajoute:

« Je sais que beaucoup d'hommes éminents, hors des pays slaves, traitent ces idées d'utopies; on va jusqu'à regarder la coalition libre des diverses nations de race slavonne comme tout aussi impossible que le serait la réunion de toutes les nations romanes ou germaniques en un seul corps; mais on peut dire que si de telles coalitions ne sont pas encore possibles dans l'ordre politique, elles deviennent peu à peu un fait de l'ordre moral. L'Angleterre, l'Italie, l'Espagne, marient chaque jour davantage leur génie et leurs idées au génie et aux idées de la France, et l'heure où notre pays serait sérieusement menacé dans son indépendance serait infailliblement l'heure qui verrait se décider d'une manière définitive avec l'union celto-latine une espèce de Panromanisme. Quant à la centralisation de tous les

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