Page images
PDF
EPUB

Sévère pour le choix des lectures, non seulement il proscrivait des bibliothèques les mauvais livres, mais encore il redoutait, pour les jeunes confrères surtout, les ouvrages qui faussent le goût, tout en amusant l'imagination. On l'a vu, après avoir examiné les livres d'un jeune prêtre qui se présentait au noviciat, mettre à part tous ceux qu'il pensait pouvoir lui être nuisibles, les payer et les livrer au feu.

Naturellement, il préférait, pour le noviciat, les jeunes ecclésiastiques, plus faciles à former. « Quand on a été curé plusieurs années, disait-il, il faut s'attacher à ce ministère, à moins qu'on ait de bien fortes raisons de s'en arracher. » En même temps, il s'était fait une règle inviolable de n'accepter que les prêtres auxquels leurs évêques permettraient de s'adjoindre à la Société. De là, sans doute, bien des désappointements. Car, comme il le disait confidentiellement à un des siens, <«< plus les vertus et les talents rendent un prêtre recommandable, plus il sera utile à notre œuvre, et plus, hélas! ces qualités précieuses qui nous le font désirer, engagent les supérieurs ecclésiastiques à le retenir. » Mais le respect profond qu'il professait pour l'autorité épiscopale le persuadait qu'en agissant comme il faisait, il suivait l'ordre de la Providence.

Il se défiait surtout du défaut d'abnégation, comme d'un mal presque incurable et aussi antipathique à l'action apostolique qu'à la vie commune.

« Le cher N..., disait-il au supérieur d'une de ses maisons, me paraît bien léger. Ce n'est pas une légèreté qui fasse craindre de fâcheux écarts relativement aux mœurs (je le crois fort pieux), mais une légèreté qui ôte souvent le sentiment des convenances, et qui rend incapable de la vie strictement réglée que nous admirons dans les plus saints prêtres, incapable de certaines résolutions fortes et généreuses qu'imposent dans plusieurs circonstances nos constitutions. Je dois craindre que ce bon N... n'ait pas bien compris les engagements dont il est question parmi nous. Dans une lettre du 14 février, ce cher N... qui, dans sa famille, court de noce en noce, me disait : « J'ai adopté la maxime de Fénelon; il écrivait à un de ses curés: Ne dansons point, mais laissons danser ces pauvres gens. » Certes, le cher N... s'opposerait inutilement aux danses approu

vées dans le monde, et qu'on peut, sans doute, permettre quelquefois; mais un prêtre doit garder personnellement une grande réserve dans ces circonstances, et, en laissant prendre ces joyeux ébats, doit-il porter la condescendance jusqu'à s'y trouver présent? »

Parlant de jeunes gens qui, après quelques mois de séjour, avaient obtenu la permission d'aller dans leur pays, et demandaient à être considérés comme novices, tout en prolongeant indéfiniment leur absence pour des motifs insuffisants, il disait : « Que dois-je faire? voilà deux sujets sur lesquels je ne puis exercer aucune surveillance, absolument aucune. Comme membres d'une congrégation, ils peuvent, jusqu'à un certain point, se soustraire à la surveillance de leur évêque pendant plusieurs années. Quand bien même ils ne se conduiraient pas mal, s'ils ne mènent pas une vie exemplaire, quel jugement portera-t-on de notre Société et de la condescendance du Supérieur? De plus, quel exemple j'irais donner à notre maison! Des sujets bien connus et dont nous serions parfaitement sûrs, n'obtiendraient pas ce que ces jeunes gens demandent. Eussent-ils des talents éminents, fussions-nous à leur égard dans une position qui nous commandât les plus grands sacrifices, je ne saurais rien rabattre de la conduite que ma conscience me prescrit. Cependant, quels sacrifices ont-ils droit d'exiger? Quels sont leurs talents? Sous ce dernier rapport, ils me paraissent fort médiocres l'un et l'autre. J'ai soumis ces pensées à mon Conseil. Nous avons unanimement cru qu'en leur montrant le plus sincère attachement, en employant les formes les plus douces, je dois leur déclarer que, s'ils ne peuvent se rendre à mes invitations, ils ne doivent plus se regarder désormais comme membres de notre Société. »

S'agissait-il seulement d'une certaine vivacité de caractère, tempérée d'ailleurs par l'esprit de foi et un fond de docilité, il se montrait alors patient et indulgent. « Tel novice, disait-il, qui, d'abord, promet beaucoup, manifestera plus tard un caractère peu solide; tel autre dont on s'effraye, conduit avec une douce et persévérante sollicitude, atteindra la perfection. Nul doute, ajoutait-il, qu'il ne faille sévir dans certains cas; mais à quel point le doit-on faire, avec quels ménagements, afin de ne pas accabler le sujet puni? Voilà ce

qu'on ne saurait trop examiner. A tout âge et surtout dans la jeunesse, l'homme a grand besoin d'être encouragé; sagement répétés, les sages encouragements produisent les résolutions généreuses, et rarement on épuise ce dernier moyen (1). »

Voici encore quelques paroles d'une lettre écrite au confrère laissé à Rome pour poursuivre l'approbation des constitutions, et qui songeait à essayer à Rome un petit noviciat. « L'affaire dont vous me parlez me paraît importante. Je crois que vous devez commencer, si faire se peut. Une fois la chose entreprise, qui sait ce que la divine Providence accordera ? Nous agissons avec un parfait désintéressement. Nous ne demandons pour nous que peines, privations, travail, pourvu que Dieu soit glorifié. Cette œuvre sert la France, quel qu'en soit le gouvernement, et dès lors, nous devons moins redouter les contradictions et les obstacles. Pesez tout cela. Consultez le Seigneur dans la prière. Mettez votre dessein sous la protection de la Très Sainte Vierge.

>> Si vous adoptez des sujets, nourrissez-les bien, c'est-à-dire comme nous le sommés dans nos maisons, ne nous permettant aucune fantaisie, aucune délicatesse, mais ayant une nourriture très saine et suffisante pour maintenir les forces du corps dans des hommes destinés à de grands travaux.

>> Ŏ mon très cher, de quels hauts intérêts vous allez être chargé peut-être une chose surtout vous devient nécessaire; sans elle vous réussirez peu; vous obtiendrez tout avec elle et par elle..... vous comprenez d'avance..... Soyez saint. Vous avez grand désir de le devenir; accomplissez ce vou. J'attendrai dès lors avec la plus grande confiance le succès. Vous penserez peut-être et avec raison qu'il m'appartient moins qu'à tout autre de tenir ce langage, puisque, étant Supérieur, je suis si lâche et si dénué des vertus que je veux voir dans les autres. Priez pour moi. Quant aux sujets dont vous me parlez, je vois du pour et du contre; accueillez-les avec une affectueuse affabilité. Interrogez-les, faitesles causer, prenez toutes les informations que vous pourrez obtenir, et formez votre jugement dans la prière. Voyez s'ils sont humbles, s'ils montrent un sincère

1) Constitutions, part. V, ch. II.

désir d'observer les constitutions, si vous les croyez capables de cette intime union en Notre-Seigneur, que nous souhaitons par-dessus tout comme la chose la plus essentielle, et supposant ou amenant tout le reste dans notre communauté. »

Trois ans furent employés exclusivement à ce travail intérieur qui devait former l'esprit de la Congrégation. La position du fondateur était difficile, mais son courage toujours ferme. « Je ne sais guère aujourd'hui, écrivait-il à un de ses neveux, ancien procureur-général, retiré à Bordeaux, comment faire face à mes affaires. Je compte sur la Providence, qui ne m'abandonne pas. Il m'est doux de faire tous les sacrifices ici-bas, sans obtenir de consolations temporelles. Cependant, combien n'en ai-je pas reçu!....... »

C'eût été pour sa famille un bonheur inexprimable de le voir; mais, fidèle à la maxime posée par lui dans les constitutions, qu'un supérieur ne doit pas toujours s'accorder à lui-même ce qu'il accorde aux autres, il fit le sacrifice du voyage de Bordeaux. « Mon petit établissement va bien, disait-il, toutefois ma présence est sans cesse nécessaire........Je me dévoue, croyant accomplir ainsi la volonté de Dieu. » Et deux ans plus tard, en 1836: « Mon œuvre marche, la Providence la conduit. Le moindre choc pourrait la renverser, et je me tiens assuré qu'elle prospérera, parce que je l'ai remise entre les mains de Dieu. >>

127

de la Madonna

à Rome.

Il n'y eut donc point de fondation pendant ces trois années. Car nous ne comptons pas comme fondation La résidence l'essai de résidence tenté à Rome, en 1833. La foi vive du P. Rauzan lui faisait désirer une maison de sa del Pascolo Société au centre de la catholicité, et sous les yeux du Souverain Pontife. S. S. Grégoire XVI, ayant eu connaissance du désir du P. Rauzan, avait voulu le favoriser en donnant à la Société de la Miséricorde le soin d'une chapelle, autrefois desservie par des religieux basiliens polonais, et nommée la Madonna del Pascolo. (Notre-Dame du Pâturage.)

Vers le même temps, une place de chapelain à SaintLouis-des-Français ayant été offerte au P. Saintyves, le P. Rauzan l'autorisa à accepter cette position, qui fournissait quelques ressources à l'établissement naissant. Un membre de la Société fut alors désigné par le

Supérieur général pour le ministère du Pascolo, auquel se trouvait jointe, dans la pensée du P. Rauzan, la direction d'un noviciat dans lequel on devait admettre, soit de jeunes Français, soit des ecclésiastiques Italiens. Voici les instructions que donnait par écrit le bon Supérieur à celui qu'il envoyait :

«Tendez toujours et en tout, soit pour vous-même, soit pour vos confrères, à l'observation parfaite de nos constitutions.

» Ne jugez pas, ne blâmez pas les Institutions romaines. Elles sont toutes bonnes, et si quelque prêtre ne remplit pas les règlements avec assez de talent ou de zèle, cela ne nous regarde pas. On accuse souvent dans les pays étrangers les Français de tout blâmer, de tout déprécier, et cette accusation est souvent juste. Ces censures peuvent produire de très mauvais effets, surtout si les censeurs sont des prêtres.

>> Réfléchissez bien sur ce qu'il y a de mieux à faire dans votre église. Combien je désirerais qu'on pût faire tous les dimanches une instruction simple, d'une demiheure, pour le pauvre peuple! Nous avons remarqué souvent que ce pauvre peuple, dans lequel on trouve encore beaucoup de foi, n'est pas suffisamment instruit des plus essentielles vérités de la religion. Encore une fois, ne cherchons point à faire parler de nous, mais à opérer un bien réel, sans exciter ni réclamation, ni jalousie.

» Faites les amitiés les plus tendres, les plus soutenues aux novices. Etudiez leur caractère. Ceux qui ne seraient pas très solidement vertueux, qui n'accompliraient pas avec une parfaite exactitude nos constitutions, doivent être renvoyés, mais avec les plus grands ménagements. Il faut que ceux dont nous nous séparons, sentent que nous ne pouvons faire autrement, et qu'ils restent nos amis.

» Ne cherchez, ne désirez jamais que la plus grande gloire de Jésus-Christ. Ne suivez aucune idée humaine, et poursuivez votre œuvre dans une prière continuelle. Recourez sans cesse à la Mère de Dieu avec une confiance inébranlable.

» Je vous conjure, par les entrailles de Jésus-Christ, de bien retenir ces conseils. Il pourrait se faire qu'en ne les suivant pas, vous obtinssiez quelque succès appa

« PreviousContinue »