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C'était là un noble langage: la sincérité des intentions égalait la hauteur de l'intelligence.

Toutefois en présentant une loi libérale, sincère, déjà digne des promesses de la Charte, M. Guizot sentait dans sa conscience, que s'il faisait tout ce qui était possible alors, il ne faisait pas cependant tout ce qui était désirable, tout ce qu'il y avait à faire. Il ajoutait avec autant de bonne foi que de sagesse :

Le temps nous révélera sans doute d'autres questions à résoudre, d'autres réformes à opérer elles prendront place à leur tour.

C'était probablement pour n'avoir pas accepté ces dernières paroles de M. Guizot, et compris comme lui que le temps seul pouvait donner à la liberté d'instruction tous ses développements légitimes et la mettre en harmonie avec toutes nos autres libertés, que, malgré la libéralité sincère de cette loi, un grand nombre d'honorables députés s'en montrèrent peu satisfaits.

Les chefs de l'opposition parlèrent avec force contre le projet du ministre, et les conservateurs eux-mêmes tinrent un sévère langage.

M. de Tracy, incorruptible défenseur de la liberté d'enseignement, on le sait, déclara :

Que le sujet n'avait pas même été indiqué dans la loi.

Il trouva :

Que le projet était mesquin et portait l'empreinte d'un cachet spécial et étroit... Que les dispositions relatives à la liberté d'enseignement étaient en grande partie destructives de cette liberté.

Que c'était tout simplement l'état actuel, c'est-à-dire le monopole, qu'on proposait de conserver.

Il ajoutait enfin :

Je vois avec découragement accumuler un système inouï de précautions, de pénalités, de restrictions et de préventions.

M. Merlin (de l'Aveyron), en rendant hommage aux dispositions générales du projet de loi, déclarait:

Que le nouveau plan proposé à la Chambre était bien loin de répondre aux progrès du siècle, de remplir les promesses de la Charte, de satisfaire aux vœu général de la France.

M. de Sade, dans un discours qui fut interrompu plusieurs fois par les applaudissements unanimes de la Chambre, prononça ces remarquables paroles :

La liberté d'enseignement avait été heureusement stipulée dans les articles que nous ajoutâmes à la Charte, sous l'influence des événements de Juillet car au train dont vont aujourd'hui les choses, si nous ne l'avions pas obtenue alors, nous pourrions en désespérer en ce moment.

En achevant ce discours, M. de Sade déclara toutefois qu'il voterait pour le projet de loi, parce qu'il promettait au moins la liberté de l'enseignement.

M. de Sade avait compris et accepté la sagesse et la bonne foi des dernières paroles de M. Guizot.

M. Salverte se montra bien plus sévère à l'égard du projet :

En examinant avec attention le projet de loi, vous voyez qu'il tend surtout, après avoir proclamé le principe de la

liberté d'enseignement, à en restreindre singulièrement l'application, et à serrer plus fortement les nœuds qui lient à l'Université tous les hommes qui veulent se livrer à l'enseignement.

Il ajoutait :

Dans le projet de loi qui vous est soumis, la liberté de l'enseignement est proclamée; mais observez-le : tous les articles de ce projet, ainsi que je l'ai dit, tendent à soumettre cette liberté à la volonté, à l'opinion de l'Université.

M. de Lamartine se montra mécontent de la loi, déclarant toutefois qu'il voterait pour elle, et il expliqua cette contradiction apparente dans un magnifique dis

cours :

Il n'y a ni système, ni organisation, ni ensemble, non, il n'y a pas de loi....

Et comme ces dures paroles excitaient quelques mouvements au centre de l'assemblée, il ajouta éloquemment:

Mais il y a plus qu'une loi, il y a un principe proclamé par la législation : il y a ce grand, ce saint principe de la liberté d'enseignement qui contient toutes les autres : la liberté religieuse d'abord, la liberté politique ensuite; il y a la propriété d'elle-même restituée à la famille, car la famille ne se possède réellement elle-même que si vous lui reconnaissez le droit de se transmettre, de se perpétuer elle-même dans ses enfants, avec ses mœurs, sa religion, sa foi, ses opinions. (Très-bien! très-bien!)

Voilà ce qu'il y a dans ces articles, c'est plus qu'une loi! (Adhésion.)

Quoi! après sept ans d'attente, après une révolution faite

pour obtenir cette liberté d'enseignement, nous irions la rejeter au ministre sincère et courageux qui nous l'offre, et faire penser ainsi à la France et à l'Europe que la sphère de la liberté n'est pas assez large pour nous contenir tous, et que nous ne voulons de liberté que pour nous! Non, Messieurs, ce n'est pas possible! Hâtons-nous, malgré ce serment impolitique, malgré ces restrictions plus ou moins gênantes, hâtons-nous de voter la loi. C'est un gage de liberté que tous les partis se donnent involontairement entre vos mains, contre l'intolérance religieuse ou la tyrannie athée, et que plus tard on ne pourra plus nous arracher. (Très-bien! Très-bien!)

M. Charles Dupin disait à son tour :

Ce que je repousse, c'est le pouvoir absolu de l'Université, c'est cette prérogative despotique de rédiger à son gré les programmes et de les imposer par force aux localités.

Je pourrais nommer encore MM. Draut, Arago, Odilon Barrot, Charamaule, Delespaul, Dubois, Dufaure, Delessert, qui tous combattirent plus ou moins en faveur de la liberté d'enseignement. J'aurai occasion, dans le cours de cet écrit, de citer leurs paroles.

Voilà ce que les chefs du libéralisme, ce que des hommes pris dans les divers côtés de la Chambre, mais voulant tous sincèrement la liberté, pensaient et disaient d'un projet de loi incomparablement plus libéral, incomparablement plus fidèle à l'esprit de la Charte qu'aucun de ceux dont nous avons depuis entendu parler.

Qu'ont-ils dû dire et penser de cet autre projet de loi, qui, après sept années, vient exiger la déclaration religieuse, le certificat d'études, les grades pour les professeurs, les grades pour les surveillants d'un projet

qui rétablit la distinction abolie entre les chefs d'institution et les maîtres de pension, qui n'accorde le libre exercice qu'à un petit nombre d'établissements seuls capables de satisfaire aux conditions onéreuses qu'on leur impose d'un projet où le principe de la liberté d'enseignement n'est proclamé qu'à regret, qu'avec défiance, comme un principe dangereux, n'est appliqué qu'avec les restrictions et les entraves les plus exorbitantes de l'ancien monopole de ce projet enfin, cent fois plus hostile à la liberté que celui de 1837, tel qu'il fut présenté par le ministre, et tel même qu'il sortit amendé de la discussion de la Chambre des députés ?

Je reconnais bien que, pendant le cours de cette grave discussion, plusieurs efforts furent faits par les partisans du monopole universitaire pour ruiner de fond en comble les dispositions libérales de la loi, et tromper ainsi la promesse de la Charte. Mais je sais aussi qu'il y eut des efforts constants faits en sens contraire et presque toujours victorieux; la Chambre s'associa presque toujours par son vote aux généreux défenseurs d'une liberté sage et sincère; et parmi eux, qu'on le remarque bien, ces noms ont ici une grande importance, ce furent toujours M. Guizot, M. SaintMarc Girardin, M. Dubois (de la Loire-Inférieure), qui se signalèrent par les discours les plus indépendants et les plus forts.

M. Saint-Marc Girardin, s'adressant aux adversaires du projet de loi, les avertissait de prendre garde:

Que le principe de la liberté d'enseignement passant ainsi à travers diverses phases, n'arrivât à la fin de sa carrière singulièrement réduit et amoindri.

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