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nistre de l'instruction publique, un homme sincère, M. Pelet de la Lozère :

C'est vraiment une chose frappante que la gradation des mesures restrictives de la liberté à l'égard des établissements d'enseignement d'une époque à l'autre, dans le point qui nous occupe.

Véritablement, Messieurs, c'est trop, et je crois que quand on fait une loi de liberté, il faut au moins qu'elle ait un peu de ce caractère !

Qu'en pouvons-nous dire encore? Rien, sinon ce que disait déjà M. de Sade en 1837:

La Liberté d'enseignement avait été heureusement stipulée dans la Charte : car au train dont vont aujourd'hui les choses, si nous ne l'avions pas obtenue alors, nous pourrions en désespérer en ce moment.

Ainsi, trois fois, à trois époques diverses, la grande question de la Liberté d'enseignement a été soumise à la discussion des pouvoirs législatifs; et, par une fatalité vraiment étrange, les projets de loi successivement présentés sont devenus d'autant moins favorables à la liberté qu'ils devaient fonder, qu'on s'éloignait davantage de 1830, comme si le temps pouvait diminuer le poids d'un serment juré à la face de la France, et la vertu d'une promesse solennellement inscrite au pacte fondamental d'une grande nation!

Dira-t-on que la nouvelle loi est une loi de liberté ? Mais celle de M. Guizot était alors une loi de licence et d'anarchie!

M. Guizot, M. Saint-Marc Girardin, M. Dubois, M. de Rémusat, la Commission nommée par la Chambre des députés, la Chambre elle-même n'avaient donc pas la

moindre idée, ni de ce qu'ils ont fait, ni de ce qu'il y avait à faire; pas le moindre souci du niveau des études... pas la plus médiocre intelligence des besoins et des conditions de l'enseignement !

Qui le dira? qui le pensera?

Dira-t-on qu'en 1837 le ministre, qui offrait une telle loi et la Chambre qui la consacrait par son vote solennel, cédaient à des penchants ou à des exigences révolutionnaires ?

Personne n'oserait sérieusement le soutenir. Rien de tout cela n'a de sens! tout cela est inintelligible, inexplicable !

Ne faut-il pas dire, au contraire, que cette liberté dont on a, en 1830 et en 1837, proclamé les droits, aujourd'hui on l'opprime, on l'étouffe; ce n'est pas assez: de peur qu'elle ne trompe les précautions prises contre elle et qu'elle ne parvienne à voir le jour, on l'entoure d'une telle surabondance, d'un tel luxe de soins jaloux et d'entraves, qu'on ne la laisse ni respirer, ni marcher, ni vivre.

Certes, on serait fondé à l'affirmer, si cette loi n'était présentée par un homme sincère.

Nous ne dirons qu'une chose, c'est que le projet de M. Guizot est le seul projet vraiment libéral, vraiment politique, vraiment digne de la Charte, vraiment conciliateur de tous les droits, le seul vraiment capable d'accomplir parmi nous le grand et désirable ouvrage de la pacification religieuse !

Pourquoi n'y est-on pas revenu? pourquoi semblet-on avoir pris en tout le contre-pied de ce projet dont l'esprit était si sage, dont l'influence eût été si salutaire? Ce n'est pas tout.

II

Le nouveau projet de loi anéantit toutes les libertés d'enseignement dont on jouissait de fait sous le régime du monopole.

Ces libertés étaient rares; mais enfin :

I. Sous le régime du monopole, on était libre dans les institutions de plein exercice, dans les simples institutions et pensions, d'avoir des maîtres, des surveillants et des répétiteurs non bacheliers.

En recevant la liberté que donne le nouveau projet, on cesse d'être libre à cet égard. En effet, d'après les dispositions nouvelles qu'il introduit, il faut que tous les maîtres, tous les surveillants, et même tous les répétiteurs, dans tous les établissements particuliers d'instruction secondaire, soient désormais pourvus au moins du grade de bachelier ès lettres. (Art. 10.)

Or, la différence entre ces deux situations est im

mense.

II. Sous le régime du monopole, on était libre dans les établissements de plein exercice, même dans ceux où s'enseignaient les mathématiques supérieures, de n'avoir qu'un ou deux licenciés; le plus souvent même ils n'étaient pas exigés.

En recevant la liberté que donne le nouveau projet, on cesse d'être libre à cet égard.

L'article 10 exige au moins dans ces établissements quatre licenciés ès lettres ou ès sciences, et, de plus, l'ar

ticle 6 veut que le chef de l'établissement justifie du baccalauréat és sciences mathématiques ou physiques.

Il le faut avouer de telles exigences, des entraves nouvelles si exorbitantes imposées par la loi même qui se proclame la loi de liberté, sont vraiment bizarres.

La Gazette de l'Instruction publique semblait douée du don de prophétie et savoir à l'avance les dispositions de ce projet lorsqu'elle disait, le 7 mars 1844 :

Les institutions qui ont obtenu la faveur de posséder le plein exercice, n'ont rien à attendre de la nouvelle loi, qui n'aura d'autre effet que d'exiger d'elles à l'avenir, pour leurs professeurs et surveillants, des garanties de capacité dont elles avaient été exemptées jusqu'à ce jour.

Cette Gazette ajoutait :

Pour le maître de pension, l'effet de la nouvelle loi sera de le soumettre à des conditions plus sévères que les conditions existantes, sans lui accorder beaucoup plus de latitude d'enseignement, puisque les études qu'on fera chez lui ne seront point valables pour le baccalauréat.

Les maîtres de pensions verront donc leur liberté se restreindre au lieu de s'étendre....

Ces paroles sembleraient écrites aujourd'hui, et l'on se demande en les lisant: mais, de bonne foi, sont-ce là les conséquences légitimes d'une loi de liberté?

Et M. Pelet (de la Lozère), ancien grand maître de l'Université, ne sera-t-il pas tenté de redire du nouveau projet de loi ce qu'il disait il y a peu d'années :

Je demande qu'on ne surcharge pas à tel point la législation nouvelle d'entraves, qu'on fasse regretter la situation ancienne. Ceci est, dit-on, une loi de liberté ! il faut

que les lois répondent à leur titre, qu'elles soient le développement des institutions, et n'en soient pas la contradiction dans tous leurs détails.

Sait-on bien, en effet, a-t-on réellement calculé que les directeurs d'établissements de plein exercice, tous les chefs d'institutions, tous les maîtres de pensions, tous les professeurs et surveillants employés à l'éducation de la jeunesse dans les établissements privés, doivent former un total de 10 à 12 000 individus au moins? La presque totalité d'entre eux, avant la Charte qui leur a promis la Liberté d'enseignement, étaient affranchis de l'obligation des grades.

L'ère de la liberté, en s'ouvrant pour eux sous les auspices de la loi nouvelle, leur impose cette obligation et les soumet tous à la nécessité des grades les plus élevés et les plus nombreux !

« Cela est vrai, disait autrefois M. Thiers, mais la liberté n'est jamais acquise à trop haut prix. »

Je ne le conteste pas; mais ce que je contesterai tant qu'il me restera une lueur de raison et un sentiment de justice, c'est que le nom doive en être acquis au prix de la chose même! car alors les mots n'auraient plus de sens, le prix de la liberté en deviendrait l'anéantissement, et il se rencontrerait là une subtilité dérisoire qui ne laisserait paraître un instant la Liberté d'enseignement que pour en amuser les yeux et la supprimer ensuite par un véritable escamotage.

En conscience, ceci n'est digne de personne.

« La liberté, disait encore M. Thiers, n'a jamais été imaginée pour dispenser les hommes du mérite. »

Mais moins encore a-t-elle été imaginée pour les dis

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