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« n'en ont point la science et n'en peuvent acquérir « l'expérience. Pour lutter de bon marché avec un pro<< fessorat ainsi composé, il faudrait que, de leur côté, « les établissements laïques cherchassent à se procurer « des maîtres au rabais; et bientôt dès lors, par la force « même des choses, les études des colléges et des insti<< tutions privées tomberaient aussi bas que celles des « petits séminaires. »

Ce langage est bien sévère, Monsieur le Duc; vous n'en avez pas sans doute prévu le triste retentissement. Je ne crois pas que depuis longtemps aucune bouche, même hostile, nous ait adressé paroles plus humiliantes. Car les petits séminaires sont, comme vous l'avez dit vous-même, les pépinières de l'Église de France; c'est là, comme dans sa première source, qu'elle se renouvelle; là est le berceau de ses prêtres, l'école première de ses docteurs, le sol originaire de ses apôtres. Si les faits justifiaient vos paroles, elles seraient un arrêt trop accablant pour le clergé de France. Mais, oserai-je vous le dire? ce clergé vous est mal connu, et le jugement que vous avez laissé tomber sur lui, me prouve à quel point l'opinion qu'on se fera de sa situation et de son influence intellectuelle peut décider de l'esprit de la loi dont la discussion est aujourd'hui près de s'ouvrir.

A la veille d'une décision si grave, au milieu de tant de voix confuses et passionnées qui l'accusent, le clergé cherche des juges impartiaux : malgré la sévérité de vos paroles, lui permettriez-vous, Monsieur le Duc, de s'adresser à vous? Celui qui prend la liberté d'invoquer votre haute justice est un de ses membres les plus humbles; mais élève autrefois du petit séminaire de

Paris, et aujourd'hui supérieur de cette maison, placé d'ailleurs plus près du débat, j'ai peut-être ici le droit et le devoir d'élever le premier la voix. Dans la grande cause pendante en ce moment devant les chambres françaises, pour triompher auprès des arbitres illustres que la loi nous a donnés, nous n'avons besoin que d'être bien connus.

Ces questions doivent être traitées loin des passions, dans le calme de la conscience, et avec des hommes qui savent comme vous, Monsieur le Duc, unir la dignité du caractère à la dignité de la raison.

J'oserai donc vous soumettre simplement et loyalement ma pensée.

Il y a aujourd'hui un grand fait accompli : la question de la liberté d'enseignement, depuis qu'elle a été livrée à la discussion publique, s'est posée dans ses véritables termes elle apparaît évidemment aujourd'hui ce qu'elle a toujours été, une question profondément religieuse, et par suite il est visible que la question religieuse dans toute son étendue est désormais la question dominante.

De là uniquement l'intérêt considérable qu'y prend le clergé, et l'importance qu'on lui reconnaît enfin dans ce débat. On a essayé de donner le change à cet égard: on n'y a pas réussi. Si on l'essayait encore, on n'y réussirait pas davantage; quoi qu'on fasse, il nous sera toujours facile de démontrer qu'il s'agit ici des plus grands, des plus sérieux intérêts de la religion. Il est manifeste d'ailleurs que ce n'est pas ici une querelle simplement politique. Non; après avoir observé, depuis quatorze années, un silence si profond et si convenable au milieu des partis, nous ne serions pas venus faire éclater tout à coup des passions politiques dans une

question purement humaine; cela n'eût été ni de la prudence qu'on nous reconnaît, ni de l'habileté qu'on nous impute. On a vainement calomnié la sincérité et la modération du clergé. Outre ses principes, plus puissants encore que ses intérêts, il sait à quelle époque il a affaire; il donne depuis de longues années d'incontestables exemples d'abnégation, de sagesse, de patience; et l'on conviendra, en dépit de toutes les préventions, que ce n'est pas lui que l'on voit parmi nous jouer le terrible jeu des révolutions, qui retombent toujours sur sa tête de tout le poids de leurs ruines. Si donc le clergé a pris à cœur la question de la liberté d'enseignement, c'est qu'il croit dans son âme et conscience que cette question le regarde, qu'elle importe à la religion, qu'elle relève de son ministère ; c'est qu'elle a pour lui toute la grandeur, toute l'importance d'une question religieuse.

Grande question, en effet ! aucune autre ne préoccupe plus fortement tout à la fois l'opinion publique et les hauts pouvoirs de l'État. C'est comme un immense problème dont la solution est attendue par l'inquiétude et l'impatience générale; et le gouvernement lui-même, chargé de le résoudre, a cru devoir en saisir d'abord la plus grave de nos assemblées législatives, la Chambre des Pairs.

L'opinion publique le trouve convenable : le calme et l'impassibilité de la noble chambre, les lumières d'une délibération approfondie peuvent aplanir bien des difficultés qui paraissent aujourd'hui insolubles, concilier bien des exigences qui semblent inconciliables, et rendre à la raison et à la justice leurs droits usurpés ou contestés par les passions.

La Chambre des Pairs ne demeurera pas au-dessous de l'attente de l'opinion publique. Déjà elle a commencé ses travaux avec une gravité et un respect dignes d'elle; la discussion de ses bureaux a été remarquablement sérieuse; dans la commission qu'elle a nommée se trouvent les hommes les plus éclairés, les plus consciencieux, les plus éminents que l'on puisse désirer enfin vous me permettrez d'ajouter, Monsieur le Duc, que le choix du rapporteur et le rapport même, sous quelque réserve que nous soyons obligés de l'accepter, sont un témoignage de plus de l'esprit de gravité qui anime l'illustre assemblée.

Tel est l'état de notre cause, tel est le premier aperçu de l'importance qui s'y rattache.

Je ne suis pas moins frappé de la force qui se révèle en ceux qui la défendent; et vous avez prouvé vousmême, Monsieur le Duc, à quel point l'opinion publique leur vient en aide votre pensée, si énergiquement exprimée sur la nécessité d'enseigner à la jeunesse les fondements de la foi, un vrai cours de religion positive, les dogmes en même temps que la morale, vos vues sur l'enseignement philosophique ne sont que la confirmation des unanimes réclamations de l'épiscopat et des catholiques de France.

Depuis que la lutte est ouverte, on a pu être plus d'une fois étonné de la vigueur avec laquelle elle a été soutenue. Chaque jour, la question gagne du terrain, chaque jour elle fait d'immenses progrès; de l'un ni de l'autre côté, on ne paraissait pas s'attendre d'abord à de tels résultats.

Et cependant les adversaires sont bien forts, les préventions invétérées, les préjugés nombreux, et le débat

est engagé contre la réunion des forces intellectuelles la plus imposante; car, je le reconnais, l'histoire, les sciences, les lettres, et, à défaut de vraie philosophie, le goût de la science philosophique, ont dans l'Université d'habiles et illustres représentants.

Jusqu'à ce jour, néanmoins, la lutte n'a pas été trop inégale, et la partie ne semble pas en ce moment favorable à la corporation universitaire.

Pour nous, hommes du sanctuaire, que la force des choses a comme poussés malgré nous dans la lice, on nous y a acceptés; et malgré la chaleur inévitable d'un combat qui va chaque jour s'animant davantage, en se plaignant de nous, on continue à nous respecter, et cela est juste dans la plus grande violence du débat on n'a réellement rien découvert en nous qui ne fût respectable; on a pu nous reprocher quelques excès de zèle, relever la forme quelquefois ardente de notre polémique dans une cause qui touche à ce qu'il y a pour nous de plus sacré sur la terre; mais au milieu de tout cela, nous avons gardé toute notre considération; la religion n'a pas souffert, et si j'excepte quelques vivacités, qu'un poëte philosophe attribuait à la faiblesse de la nature, quas humana parum cavit natura, et dont Bossuet disait que nul ne doit s'étonner que des hommes aient des défauts humains, on n'articule contre nous aucun grief sérieux, aucune accusation soutenable.

Et cependant tous les regards étaient fixés sur nous, toutes les oreilles attentives à nos paroles; l'irritation n'attendait que le moment d'éclater dans toute sa violence; elle ne l'a fait encore que parmi les possesseurs du monopole : l'Université seule jette des cris de colère.

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