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du gouvernement, mais qu'il ne devait encore recouvrer la qualité de Français qu'en remplissant les conditions imposées à l'étranger pour devenir citoyen.

11. Je passe actuellement à la seconde section, à la privation des droits civils par suite de condamnations judiciaires. Le projet qui vous est présenté n'a pas pour objet de déterminer celles des peines dont l'effet sera de priver le condamné de toute participation aux droits civils; c'est dans un autre moment, dans un autre code, que ces peines seront indiquées il suffit, quant à présent, de savoir qu'il doit exister des peines (ne fût-ce que la condamnation à mort naturelle) qui emporteront de droit, et pour jamais, le retranchement de la société, et ce qu'on appelle mort civile.

Qu'est-ce que la mort civile? me dira-t-on : pourquoi souiller notre code de cette expression proscrite et barbare? Citoyens législateurs, celui qui est condamné légalement pour avoir dissous, autant qu'il était en lui, le corps social, ne peut plus en réclamer les droits; la société ne le connaît plus, elle n'existe plus pour lui; il est mort à la société : voilà la mort civile. Pourquoi proscrire une expression usitée, qui rend parfaitement ce qu'on veut exprimer, dont tout le monde connait la valeur et le sens, et que ceux même qui l'improuvent n'ont encore pu remplacer par aucune expression équivalente ? Ce n'est pas du mot qu'il s'agit, c'est de la chose. Quelqu'un peut-il prétendre que l'individu légalement retranché de la société doive encore être avoué par elle comme un de ses membres? Peut-on dire que la faculté et la nécessité de ce retranchement n'ont pas été reconnues par tous les peuples dans des cas rares, il est vrai, mais qui cependant ne se représentent que trop souvent?

12. Le principe une fois admis, les conséquences ne sont plus douteuses. La loi civile ne reconnait plus le condamné: donc il perd tous les droits qu'il tenait de la loi civile; il n'existe plus aux yeux de la loi: donc il ne peut participer encore à ses bienfaits. Il est mort enfin pour la société : il n'a plus de famille, il ne succède plus, sa succession est ouverte, sea héritiers occupent à l'instant sa place; et si sa vie physique vient à se prolonger, et qu'au jour de son trépas il laisse quelques biens, il meurt sans héritiers, comme le célibataire qui n'a pas de parents. Vous sentez, citoyens législateurs, que l'une des conséquences de la mort civile doit être la dissolution du mariage du condamné quant aux effets civile: car la loi ne peut le reconnaître en même temps comme existant et comme n'existant pas : elle ne peut lui enlever une partie de ses droits civils comme mort, et lui en conserver cependant une partie comme vivant. Il pourra bien se prévaloir du droit naturel, tant qu'il existera physiquement; mais il ne pourra réclamer exercice d'aucun droit civil, puisqu'il est mort en effet civilement. Toute autre théorie ne produirait que contradictions et inconséquences. — Je n'ai pas besoin, sans doute, d'observer que l'on n'a dû considérer le mariage que comme un acte civil, et dans ses rapports civils, abstraction faite de toute idée religieuse et de toute espèce de culte, dont le code civil ne doit point s'occuper.

13. A quelle époque commencera la mort civile ? C'est un point sur lequel on ne peut s'expliquer avec trop de précision, parce que c'estl'instant de la mort qui donne ouverture aux droits des héritiers, et qui détermine ceux à qui la succession doit appartenir. Quand le jugement de condamnation est contradictoire, la mort civile commence au jour de l'exécution réelle ou par effigie.

14. Cette règle peut-elle s'appliquer aux jugements de contumace? Le condamné n'a point été présent, et ne s'est par conséquent point défendu; la loi lui donne cinq ans pour se représenter: s'il meurt, ou s'il paraît dans cet intervalle, le jugement est anéanti, il meurt alors dans l'intégrité de son état; ou s'il vit et s'il est présent, l'instruction recommence comme s'il n'avait pas été jugé. Dans l'ancienne jurisprudence, on s'attachait servilement au principe qui fait commencer la mort civile du jour de l'exécution. Par une conséquence rigoureuse de cette maxime, si le condamné décédait après les cinq ans, et sans s'être représenté, il était réputé mort civilement au moment de cette exécution. Mais que d'embarras, de contradictions et d'inconséquences découlent de ce principe!-L'époux condammé pouvait avoir des enfants dans l'intervalle des cinq années : il aurait donc fallu, pour être conséquent, déclarer ces enfants légitimes, si le père mourait ou se représentait dans cet intervalle, et les déclarer illégitimes, si leur père mourait après les cinq ans sans s'être représenté. Ainsi leur état eût dû dépendre d'un fait évidemment étranger à leur naisDes successions pouvaient s'ouvrir au profit du condamné dans l'intervalle des cinq années : à qui appartenaient-elles? Le condamné devait être héritier, s'il mourait ou s'il se représentait dans les cinq ans; il ne devait pas être héritier, s'il mourait après les cinq ans sans s'être représenté. Ainsi son droit, le droit des appelés après lui, eût dù dépendre d'un fait absolument étranger aux règles des successions: le titre d'héritier restait incertain; et comme l'héritier, à l'instant du décès, pouvait ne pas se trouver l'héritier à l'expiration des cinq années, c'est par la wolonté condamné, qui pouvait se représenter ou ne pas se représen

sance.

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bunat vota aussitôt l'adoption du projet. - C'est le tribun Gar qui fut chargé d'apporter au corps législatif le vœu du tribunat Il s'acquitta de ce soin dans la séance du 17 vent. an 11 (1) e

ter, que se trouvait déféré le titre d'héritier dans la succession d'une tierc personne. La femme du condamné pouvait se remarier; il eût fallu 1, déclarer adultère, si le condamné mourait ou se représentait dans le cinq ans ; elle eût dû être épouse légitime, s'il plaisait au condamné d ne pas se représenter. — Voilà une partie des embarras que présent l'attachement trop scrupuleux à la règle qui fait commencer, même pou le contumax, la mort civile au moment de l'exécution.

Ces considérations, et une foule d'autres qu'on supprime, nous on fait adopter une règle différente, et qui ne traîne après elle aucune diffi culté. Puisque le condamné par contumace a cinq ans pour se repré senter, que sa mort ou sa comparution dans l'intervalle a l'effet de dé truire son jugement, il est, sans contredit, plus convenable de ne fixe qu'à l'expiration des cinq années l'instant où la mort civile commencera alors seulement la condamnation aura tout son effet; ainsi s'évanouiron tous les embarras du système contraire. Le condamné a vécu civilemen jusqu'à ce moment: il a pu succéder; il a été époux et père; mais à ce instant fatal commence sa mort civile.

En vain dirait-on qu'il y a de la contradiction à exécuter le jugemen de condamnation par effigie, et à reculer cependant jusqu'au terme d cinq années le commencement de la mort civile. Cette contradiction si elle était réelle, serait bien moins choquante que celle qui résulte dans l'autre système d'une mort provisoire suivie d'une résurrection réelle qui, présentant successivement la même personne comme morte et comm vivante, peuvent laisser dans une incertitude funeste, et même porter de violentes atteintes aux droits de plusieurs familles. Mais la règle adop tée par le projet ne se trouve en contradiction avec aucune autre. Ur jugement peut ne pas recevoir dans le même moment toute son exécu tion; un tribunal suspend quelquefois cette exécution en tout ou en partie par des motifs très-légitimes: la loi peut, à plus forte raison, en maintenant pour l'exemple l'exécution par effigie au moment de condamnation, reculer cependant l'époque de la mort civile à l'expiration des cinq ans donnés au contumax pour se présenter le condamné n'est encore qu'un absent; ce terme arrivé, sa condamnation devient définitive et produit tout son effet. Le contumax peut néanmoins se représenter, même après le terme de cinq années. Quelques fortes présomptions que puisse élever contre lui sa longue absence, quoiqu'on ait droit de soupçonner qu'une comparution si tardive n'est due qu'à l'éloignement des témoins à charge, au dépérissement des preuves que le temps amène toujours après lui, à cet affaiblissement des premières impressions qui, disposant les esprits à l'indulgence et à la pitié, peut faire entrevoir au coupable son impunité, l'humanité ne permet cependant pas qu'on refuse d'entendre celui qui ne s'est pas défendu. Il sera jugé, il pourra être absous, il sera absous; mais il ne rentrera dans ses droits que pour l'avenir seulement, et à compter du jour où il aura paru en justice. - I pourra commencer une nouvelle vie, mais sans troubler l'état des familles ni contester les droits acquis pendant la durée de sa mort civilo. Ainsi se trouveront conciliés les intérêts du contumax et les intérêts nor moins précieux de toute la société. Voilà, citoyens législateurs, voil les principaux motifs du projet de loi sur la jouissance et la privation de droits civils.

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(1) Discours (a) prononcé au corps législatif, par le tribun Gary, l'u des orateurs chargés de présenter le vœu du tribunat, sur la loi relative i la jouissance et à la privation des droits civils. (Séance du 17 vent. an 11. 15. Législateurs, - Nous venons vous apporter le vœu du tribunat e faveur du projet de loi relatif à la jouissance et à la privation des droit civils. Le projet de loi, ainsi que l'annonce son titre, se divise natu rellement en deux parties. L'une traite de la jouissance des droits civils l'autre s'occupe de leur privation.

CHAP. 1.-De la jouissance des droits civils.

16. Le projet de loi commence par déclarer que l'exercice des droit civils est indépendant de la qualité de citoyen, laquelle ne s'acquiert et n se conserve que conformément à la loi constitutionnelle. - Trois espèces d droits régissent les hommes réunis en société; le droit naturel ou généra qui se trouve chez toutes les nations : c'est celui qui établit la sûreté de personnes et des propriétés, et qui est la source de tous les contrats entre vifs, sans lesquels il est impossible de concevoir qu'une association quel conque puisse se former ou se maintenir. Le droit civil, qui est le droi propre à chaque nation et qui la distingue des autres, c'est celui qui règl les successions, les mariages, les tutelles, la puissance paternelle, et gé néralement tous les rapports entre les personnes.- Enfin le droit politique qui n'est pas moins propre à une nation que son droit civil, mais qui s'occupant d'intérêts plus relevés, détermine la manière dont les citoyen concourent plus ou moins immédiatement à l'exercice de la puissance pu

(a) Le rapport au tribunat n'a pas été imprimé, parce qu'il avait été fait par l

même orateur,

reproduisant le rapport qu'il avait prononcé devant le tribunat

blique. Il était nécessaire de séparer les règles de ce droit de celles du droit civil, de rappeler que les premiers appartiennent à l'acte constitutionnel, tandis que les autres sont l'objet de la loi civile, afin que ce qui est établi pour un ordre de choses ne pût jamais s'appliquer à l'autre.

-

Après avoir établi cette distinction, également sage et nécessaire, le projet de loi règle quels sont ceux qui sont appelés à jouir des droits civils. 17. Il distingue à cet effet les individus nés en France, de ceux nés en pays étranger. — On conçoit facilement pourquoi il ne s'occupe point de ceux nés en France de Français. C'est bien pour ceux-là qu'est essentiellement faite la loi française, et que sont établis les droits civils. Mais il y a eu plus de difficulté pour l'individu né en France d'un étranger. Un premier système tendait à déclarer cet individu Français, sans s'embarrasser de sa destinée et de sa volonté ultérieure. Puisqu'un beureux hasard, disait-on, l'a fait naître sur notre territoire, il faut que ce bonheur s'étende sur toute sa vie, et qu'il jouisse de tous les droits des Français. A l'appui de cette opinion, on citait l'exemple de l'Angleterre, où tout individu né sur le sol anglais est sujet du roi. Les vues généreuses qui avaient produit ce système, ont cédé à des motifs d'un ordre supérieur. On a reconnu qu'il serait trop injuste et trop peu convenable à la dignité nationale, que le fils d'une étrangère, qui lui aurait donné naissance en traversant le territoire français, et qui, emmené aussitôt par ses parents dans le lieu de leur origine, n'aurait ni résidé, ni manifesté le désir de s'établir en France, y pût jouir de tous les bienfaits de la loi civile. Ces bienfaits ne sont dus qu'à ceux qui se soumettent aux charges publiques, et dont la patrie peut à chaque instant réclamer les secours et l'appui. C'est un devoir pour quiconque est adopté par la loi d'un pays, de se montrer digne de cette faveur, et d'associer sa destinée à celle de sa patrie adoptive, en y établissant sa résidence. Certes, on ne peut attribuer plus d'effet au hasard de la naissance, qu'on n'en accordait autrefois aux lettres de naturalité, sollicitées par l'étranger, accordées par le souverain, et enregistrées avec la solennité des lois dans les tribunaux dépositaires de son autorité. Or, la condition expresse et nécessaire des lettres de naturalité, était la résidence en France; condition si absolue, que son inobservation faisait perdre au naturalisé les droits et la qualité que ces lettres lui conféraient. Quant à la loi anglaise, elle ne fait que consacrer une maxime féodale, dont le motif n'a rien de commun avec celui de la disposition que nous discutons.

:

On a donc établi en principe dans l'art. 9, qu'il faut que celui qui est né en France d'un étranger, réclame la qualité de Français, qu'il forme cette réclamation dans l'année de sa majorité, afin que la patrie dans le sein de laquelle il a vu le jour, ne reste pas plus longtemps incertaine sur sa détermination; et ici l'on distingue ou bien il réside en France, et alors il joint à sa réclamation la déclaration qu'il entend y fixer son domicile; ou il réside en pays étranger, et, dans ce cas, il fait sa soumission de fixer en France son domicile, et il doit l'y établir dans l'année, à compter de l'acte de sa soumission. Ainsi le bonheur de sa naissance n'est pas perdu pour lui; la loi lui offre de lui assurer le bienfait de la nature; mais il faut qu'il déclare l'intention de le conserver.

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18. Le projet de loi s'occupe ensuite de ceux nés en pays étranger. C'est l'objet des art. 10, 11 et 13. - Trois hypothèses s'offrent ici à votre examen, ou c'est un individu né en pays étranger d'un Français ayant conservé cette qualité, ou bien c'est le fils d'un Français l'ayant perdue, ou bien enfin c'est un individu né de parents étrangers. Point de difficulté quant à l'enfant du Français, quoique né en pays étranger. La qualité de Français lui est assurée par la volonté de ses parents et par le vœu de sa patrie. Celui né d'un Français qui a perdu cette qualité pourra toujours la recouvrer en remplissant les conditions imposées par l'art. 9 à l'individu né en France d'un étranger, c'est-à-dire en accompagnant d'une résidence effective sa déclaration ou sa soumission de s'établir en France. Observez cependant qu'il est plus favorablement traité que cet étranger né en France; car celui-ci n'a qu'une année, à compter de sa majorité, pour manifester sa volonté, tandis que l'autre le peut toujours, et dans toutes les époques de sa vie. Les motifs de cette différeace rentrent dans ceux de la disposition elle-même. Ils sont fondés sur la faveur due à l'origine française, sur cette affection naturelle, sur cet amour ineffaçable que conservent à la France tous ceux dans les veines desquels coule le sang français. Vainement un père injuste ou malheureux leur a ravi l'inestimable avantage de leur naissance; la patrie est prête à le leur rendre; elle leur tend les bras; elle leur ouvre son sein; elle répare à leur égard l'injustice de leurs parents ou les rigueurs de la fortune.

La disposition qui vous est proposée, citoyens législateurs, est d'ailleurs conforme à ce qui s'observait dans l'ancienne jurisprudence. Les enfans de Français qui avaient abdiqué leur patrie recouvraient leurs droits et leur qualité en vertu de simples lettres de déclaration, tandis que les étrangers n'acquéraient cette qualité et ces droits qu'avec des

lettres de naturalité.

19. Je passe à la troisième classe d'individus nés en pays étranger; ce sont ceux qui y sont nés de parents étrangers, et c'est là véritablement ce qu'on appelle étrangers. Leur sort est réglé par deux dispositions du projet de loi que je crois devoir mettre en même temps sous vos yeux.

dans la séance du 14. Ce travail est un exposé complet des prin

L'une est celle de l'art. 11, l'autre est celle de l'art. 13.- L'art. 11 est ainsi conçu : « L'étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux Français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra. » L'art. 13 s'énonce dans ces termes : « L'étranger qui aura été admis par le gouvernement à établir son domicile en France, y jouira de tous les droits civils, tant qu'il continuera d'y résider. »

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Vous voyez, citoyens législateurs, que dans la première de ces dispositions il est question de l'étranger qui reste et veut rester étranger à la France; et dans la seconde, de l'étranger qui veut devenir Français. Je ne sépare pas encore une fois ces deux articles, parce que le dernier me fournit la solution de l'unique objection contre le premier. J'établis d'abord la justice de l'art. 11, et je demande qu'il me soit permis de rappeler une distinction fondée sur la nature des choses, et consacrée par l'histoire de tous les peuples. Il faut distinguer le cas où une nation règle les intérêts de ses propres citoyens, de celui où elle statue sur ses rapports avec les nations étrangères. Quand elle s'occupe de ses propres citoyens, quand elle travaille sur elle-même, elle peut, sans péril, s'abandonner aux vues les plus libérales. Plus elle élève l'âme de ses citoyens, plus elle s'élève elle-même; tout ce qu'elle fait pour les porter à la grandeur et à la gloire, elle le fait pour sa propre grandeur et pour sa propre gloire. Mais quand elle règle ses rapports avec les autres peuples, sa générosité avec eux serait souvent ou danger pour elle-même, ou injustice pour les habitants de son territoire. Le droit civil qui régit les nations entre elles est dans leurs traités. Si l'une ne veut s'affaiblir ou se nuire, elle doit considérer ce que les autres font pour elle avant de se prescrire ce qu'elle doit faire à leur égard. C'est sur ce principe que se fondent toutes les précautions auxquelles tiennent la sureté et l'indépendance des peuples. L'orateur du gouvernement en a fait sentir la vérité et la nécessité quant au système de défense militaire, quant à celui des douanes, et il en a fait ensuite une juste application à la question qui nous occupe. C'est déjà un beau mouvement, un grand pas vers le bien de l'humanité, vers le rapprochement universel des peuples, que de leur assurer d'avance tous les avantages qu'ils nous accorderont par leurs traités. Puisse cette déclaration solennelle faire disparaître la barrière que la paix même laisse encore entre quelques nations civilisées! Mais jusqu'à co qu'elles aient répondu à cet appel, nous n'immolerons pas les intérêts de notre propre famille à ceux d'une famille étrangère. Il est une bienveillance au-dessus de cette bienveillance générale, qui embrasse le genre humain : c'est celle que nous devons à notre patrie, à nos concitoyens. Nous réglerons sur la faveur et la protection qu'on leur accordera celles qu'on aura à espérer de nous.

Vous rétablissez, nous dit-on, le droit d'aubaine qu'abolit l'assemblée constituante. Est-ce donc à nous qu'il faut faire ce reproche, et le poids tout entier ne doit-il pas en retomber sur ces nations qui, sourdes à l'appel généreux que leur a fait l'assemblée constituante, ont laissé subsister dans leur législation un droit que nous avions retranché dans la nôtre? Le peuple français a eu la gloire de proposer au monde entier cette grande résolution. Douze ou treize ans se sont écoulés sans qu'un si bel exemple ait été imité. Rentrons dans le droit commun des nations, puisqu'on nous y oblige, mais rentrons-y de manière que notre législation contienne d'avance le germe de toutes les améliorations auxquelles elles voudront consentir par leurs traités.

20. Mais combien le reproche est injuste, lorsqu'on voit dans l'art. 13 les facilités données à l'étranger d'acquérir les droits civils des Français ! Il ne lui faut, à cet effet, que déclarer qu'il établit son domicile en France, et continuer d'y résider. Est-ce là repousser les étrangers? Est-ce lever entre eux et nous une barrière insurmontable? Est-ce faire revivre enfin un droit fondé (suivant les expressions du plus grand de nos publicistes) sur l'absence, à l'égard des étrangers, de tout sentiment de justice et dé pitié? - Nous opposera-t-on, après une pareille disposition, que nous détournons les étrangers de nous apporter leur capitaux? Nous leur donnons au contraire des facilités telles que n'en donne aucune autre nation; nous les invitons à se fixer eux-mêmes sur notre territoire avec les fonds qu'ils voudront nous apporter, et qui dès lors se confondront à jamais avec la richesse nationale. Nous n'exigeons d'eux, pour les rendre Français et les faire jouir de tous les droits attachés à cette qualité, qu'une simple déclaration qu'ils veulent le devenir, et une résidence continue qui prouve la vérité de cette déclaration. Et pourquoi ne le dirions-nous pas? le nom français a été porté à une assez grande hauteur pour qu'on ne le prodigue pas à ceux qui ne croient pas devoir le solliciter. Sans doute la richesse est une partie de la puissance; sans doute les nombreux capitaux excitent et fécondent l'industrie; mais il nous faut aussi des cœurs français; et l'honneur d'appartenir à la grande nation vaut bien la peine qu'on daigne le mériter et déclarer qu'on y aspire.

Avant de terminer la discussion des art. 11 et 13, j'observe, sur l'art. 11, qu'on avait manifesté le désir que sa disposition ne portât point atteinte aux priviléges accordés aux étrangers dans certains lieux et dans certaines circonstances pour notre propre intérêt. Ce vœu se trouve rempli par la déclaration faite par l'orateur du gouvernement, que la dispo

cipes proclamés dans la discussion; les objections faites au sys

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sition de l'art. 10 n'exclut aucune des concessions dictées par les circonstances et pour l'intérêt du peuple français. J'observe, sur l'art. 13, qu'il n'y a eu aucune objection contre la disposition qui veut que l'étranger ne puisse établir son domicile en France, s'il n'y est admis par le gouvernement. C'est une mesure de police et de sûreté autant qu'une disposition législative. Le gouvernement s'en servira pour repousser le vice et pour accueillir exclusivement les hommes vertueux et utiles, ceux qui offriront des garanties à leur famille adoptive. Enfin, vous avez remarqué, citoyens législateurs, dans ce même article 13, une amélioration du sort de l'étranger qui veut se fixer parmi nous. Suivant un premier sytème, il ne pouvait jouir des droits civils qu'après une année de résidence postérieure à sa déclaration, ce qui le plaçait dans une disposition telle qu'il n'appartenait, pendant cette année, à la loi civile d'aucun pays. La nouvelle disposition de l'art. 13 le fait jouir des droits civils aussitôt après qu'il a été admis à établir son domicile en France. En vérité, plus on se pénètre de cette disposition, plus on la trouve hospitalière, généreuse et conforme enfin à l'intérêt national.

21. L'art. 12 du projet porte que « l'étrangère qui aura épousé un Français, suivra la condition de son mari. » Cela est sans difficulté. Les art. 14 et 15, qui déterminent la compétence des tribunaux français dans les contestations qui s'élèvent entre des Français et des étrangers pour l'exécution des obligations contractées entre eux, soit en France soit en pays étranger, n'ont donné lieu à aucune critique. L'art. 16 conserve une précaution salutaire qu'imposait la jurisprudence à l'étranger demandeur, de donner caution pour le payement des frais et dommagesintérêts résultant du procès par lui intenté. Deux exceptions seulement à cette règle l'une lorsqu'il s'agit d'affaires de commerce dont la prompte expédition importe trop à la fortune publique pour qu'on puisse les environner de difficultés ou de formalités nouvelles; l'autre exception a lieu lorsque l'étranger demandeur possède en France des immeubles suffisants pour assurer le payement des condamnations qui pourraient être prononcées contre lui. Cette dernière exception met à découvert le motif de la disposition principale. On a fait la remarque que ces trois derniers articles auraient pu trouver leur place dans le code judiciaire; mais, d'un autre côté, on a senti l'avantage de présenter aux étrangers, dans un cadre étroit et unique, leurs droits et leurs obligations.

CHAP. 2.

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22. La privation des droits civils s'encourt de deux manières, ou par la perte de la qualité de Français, ou par la suite de condamnations judiciaires.

SECT. 1.

De la privation des droits civils par la perte de la qualité de Français.

23. L'art. 17 porte: « On abdique la qualité de Français ou expressément ou tacitement. C'est une abdication expresse, quand on se fait naturaliser en pays étranger. Celui qui se donne une nouvelle patrie renonce à la première. L'abdication est tacite : 1° Lorsqu'en acceptant, sans l'autorisation du gouvernement, des fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger, on contracte avec ce gouvernement des engagements incompatibles avec la subordination et la fidélité qu'on doit à celui de son pays; -2° Quand on s'affilie à une corporation étrangère qui exige des distinctions de naissance, car on blesse alors la loi fondamentale de son pays, celle de l'égalité; 3° Enfin, lorsqu'en formant un établissement en pays étranger sans esprit de retour, on a rompu tous les liens qui attachaient à sa patrie. Le tribunat a applaudi à la disposition qui ne permet point de regarder les établissements de commerce comme ayant été faits sans esprit de retour. C'est une disposition tout à la fois utile et conforme au caractère national; utile, puisqu'elle tend à multiplier les entreprises commerciales, en conservant à ceux qui les forment, quelle que soit leur durée et dans quelques lieux éloignés qu'elles les portent, une qualité dont ils sont si jaloux; conforme au caractère national, car, de tous les peuples de l'univers, le Français est celui qui reste le plus fidèlement attaché à sa patrie. Si des vues de fortune l'entraînent loin d'elle, il ne chérit ses succès que par l'espérance de retourner en jouir dans son sein. Toujours ses regards se dirigent vers elle; c'est pour elle que sont ses plus tendres souvenirs. Le Français a surtout besoin d'espérer et le bonheur de passer ses dernières années et la consolation de mourir sur le sol qui l'a vu naître.

24. C'est encore un hommage rendu au caractère national, que d'avoir rouvert l'entrée du territoire français au Français même qui a perdu sa qualité. C'est l'objet de l'art. 18. Mais comme par son inconstance ou par sa première faute il a mis ses concitoyens en défiance de sa fidélité, il ne rentrera en France qu'avec l'autorisation du gouvernement; il déclarera qu'il veut s'y fixer, et abjurera toute distinction contraire à la loi de son pays.

25. L'autorisation du gouvernement, la déclaration de se fixer en en France, sont aussi exigées par l'art. 19, de la part de la femme française qui sera devenue étrangère en épousant un étrangèr.

20. Une amélioration de l'ancienne législation, contenue dans l'art. 20,

tème que le projet avait embrassé sur les points les plus déll

a obtenu un assentiment unanime. Suivant cette législation, comme j'ai eu l'honneur de vous le rappeler, on distinguait les lettres de naturalité qui donnaient à un étranger la qualité de Français, des lettres de deciaration qui rendaient cette qualité ou à un Français qui l'avait perdue, ou à ses enfants; et ces lettres de déclaration avaient un effet rétroactif, c'està-dire que celui qui les obtenait était considéré comme n'ayant jamais quitté le territoire, et revenait, comme s'il eût été présent, sur tous les partages faits pendant son absence. C'était un abus que l'art. 20 fait cesser. Il déclare que les individus qui recouvreront la qualité de Francais ne pourront s'en prévaloir que pour l'exercice des droits ouverts à leur profit depuis qu'ils l'auront recouvrée.

27. L'art. 21 assimile à l'étranger et soumet à toutes les conditions qui lui sont imposées le Français qui, sans autorisation du gouvernement, prendrait du service militaire chez l'étranger, ou s'affilierait à une corporation militaire étrangère. Le tribunat a applaudi à cette juste sévérité. La politique, l'intérêt de la nation, celui de nos alliés peuvent exiger que des Français aillent servir dans leurs armées. Ceux qui partent avec l'autorisation du gouvernement sont irréprochables; mais ceux-là sont coupables qui n'ont point cette autorisation; ils se placent dans une position qui peut devenir hostile envers leur pays; ils s'exposent à porter les armes contre leur patrie. Il n'y a que des cœurs ingrats et dénaturés qui bravent un pareil danger.

SECT. 2.

De la privation des droits civils par suite de condamnations judiciaires.

28. Avant de nous livrer à l'examen de cette partie du projet de loi, nous nous sommes fait une première question; l'effet des condamnations judiciaires, quant à la privation des droits civils, qui est une peine ou une partie de la peine, doit-il être réglé par la loi civile ou par la loi criminelle? Une distinction naturelle et facile entre les objets de ces deux espèces de lois a bientôt fait cesser toute difficulté. La loi criminelle détermine la forme de l'instruction, celle des jugements, les peines, l'effet de ces peines quant à la personne; la loi civile détermine cet effet quant aux droits civils. Puisque c'est elle qui confère ces droits, qui en règle l'exercice, c'est à elle aussi de s'occuper de l'effet des causes qui emportent privation de cet exercice. Cette première question résolue, il s'en est élevé une seconde sur l'art. 22, ainsi conçu: « Les condam nations à des peines dont l'effet est de priver celui qui est condamné de toute participation aux droits civils ci-après exprimés, emporteront la mort civile.» On s'est demandé, sur cet article, s'il devait y avoir une mort civile. Mais comme on reconnaissait de toutes parts la nécessité d'ex clure de la participation aux droits civils ceux contre lesquels certaines condamnations seraient prononcées, on s'est bientôt accordé sur le nom qu'on donnerait à cette exclusion; et il a été reconnu que les termes de mort civile consacrés par l'ancienne législation française et par les lois de tous les peuples civilisés, étaient les plus propres à rendre la pensée du législateur et à caractériser le retranchement du sein de la société prononcé contre les coupables. Celui qui est exclu de toute participation aux droits civils est hors de la société. Les lois civiles et politiques de cette société ne sont donc plus pour lui. Il ne peut ni recueillir les bienfaits ni exer: er les actions qui n'émanent que d'elles. Seulement, tant que son existence pèsera sur la terre qu'il a souillée et troublée par ses excès, l'humanité pourra réclamer en sa faveur ce qu'elle accorde à tous les êtres vivants, le droit de pourvoir à sa subsistance, celui d'être secouru s'il est menacé ou frappé c'est l'effet de la pitié générale due à tout ce qui respire dans la nature; mais voilà tout ce qu'il peut prétendre. Tout ce qui vient de la loi ne peut plus être réclamé par celui qui est mort à ses yeux.

29. L'art. 23 porte: « Que la condamnation à la mort naturelle emportera la mort civile. » Ce serait, en effet, une contradiction bien etrange, si la loi regardait comme vivant celui qui n'existe que parce qu'il a dérobé sa tête coupable à sa juste vengeance. C'est une sage amélioration que celle proposée dans l'art. 24, qui veut qu'il n'y ait que des peines affliclives perpétuelles auxquelles la loi puisse attacher l'effet d'emporter la mort civile. Cette mort devant être, en effet, aussi perpétuelle, aussi irrévocable que celle prononcée par l'arrêt de la nature, ne peut être attachée qu'à des peines qui aient elles-mêmes ce caractère de perpétuité. L'art. 25 décrit les effets de la mort civile (V. le texte de cet article.) Nous n'avons eu que deux difficultés à nous proposer sur les effets attribués par cet article à la mort civile; mais leur importance a excité toute notre attention.-L'incapacité de transmettre à titre de succession les biens acquis postérieurement à la mort civile encourue, a donné lieu à la première de ces difficultés; la dissolution, quant aux effets civils du mariage précédemment contracté, a fait naître la seconde. Je les examine séparément. A la disposition qui veut que le mort civilement ne puisse transmettre à titre de succession les biens par lui postérieurement acquis et dont il se trouvera en possession au jour de sa mort naturelle, se rattache la disposition de l'art. 53, qui règle le sort de ces biens, en déclarant qu'ils appartiendront à la nation par droit de déshérence, en laissant néanmoins au gouvernement la faculté de faire, au profit de la veuve, des enfants ou parents, telles dispositions que l'humanité lui suggérera. On a. eu con

cats y sont reproduites et combattues avec mesure. Il exprime

séquence, attaqué les deux articles tout à la fois. On a dit, contre le pre.. premier, que la mort civile ne brisait pas les liens naturels qui unissent le condamné à ses parents; que les rapports de la nature sont indépendants de la loi civile, qui ne peut ni les détruire ni les méconnaître ; que le condamné a toujours, dans l'ordre naturel, une famille qui doit être appelée à recueillir sa succession.

30. On a critiqué la disposition faite par l'art. 33, des biens acquis par le condamné depuis la mort civile encourue. On a prétendu que c'était, sous le nom de déshérence, faire revivre le droit odieux de confiscation, à jamais retranché de notre législation; que priver celui qui est mort civilement de l'espoir de laisser à sa fami'le le faible produit de ses travaux, c'était l'éloigner du travail, et s'ôter ainsi le seul moyen de le voir rentrer dans le chemin de la vertu; on a ajouté que le droit conféré au gouvernement, de pouvoir faire au profit de la famille telle disposition que son humanité lui suggérera, étant purement facultatif, n'absout l'article d'aucun des reproches qu'on vient de lui faire. Je réponds d'abord à la première branche de cette objection. Je conviens, avec ceux qui la proposent, que la loi civile ne peut rompre les liens naturels qui unissent les familles; mais je dis que la loi qui a attaché certains effets à ces liens naturels, peut les retrancher ou les modifier, suivant que l'intérêt social l'exige. Sans doute elle ne peut pas faire que les enfants d'un même père ne soient frères et sœurs; sans doute elle ne peut détruire ces rapports antérieurs et immuables qu'établit la nature; mais les conséquences de ces rapports dans les droits civils auxquels ils donnent ouverture dans les actions qu'elle autorise, et qui s'intentent en son nom, restent toujours dans son domaine; toujours elle peut les changer ou même les supprimer. — Cette vérité s'applique surtout à l'ordre des successions, qui est tout entier l'objet et l'apanage de la loi civile. Montesquieu, après avoir réfuté l'opinion que les règles des successions sont fondées sur l'ordre naturel, ajoute : « Le partage des biens, les lois sur ce partage, les successions après la mort de celui qui a eu ce partage : tout cela ne peut avoir été réglé que par la société, et par conséquent par des lois politiques ou civiles (a). » La transmission des biens appartient donc uniquement et exclusivement à la loi. La nature conserve ses rapports, sans que la loi perde ses droits; et la loi peut fort bien reconnaître des parents dans l'ordre naturel, et méconnaître des héritiers dans l'ordre légal. Je prie maintenant les auteurs de l'objection de vouloir bien considérer avec moi les contradictions dans lesquelles leur système entraînerait le législateur. Car, tout en demandant que les parents du condamné succèdent aux biens qu'il a acquis depuis sa mort civile encourue, ils ne veulent cependant pas que, depuis cette époque, il succède lui-même à ses parents. Mais s il est parent pour transmettre, il doit l'être aussi pour recueillir. S'il est de la famille quand il faut trouver des héritiers, il faut qu'il en soit aussi quand il s'agit de le devenir. Voilà les conséquences nécessaires de cet appel aux droits de la nature.

Certes, ces droits pourraient être bien plus puissamment invoqués par les parents de l'étranger mort en France, qui n'avait point, à la vérité, les droits et la qualité de Français; mais qui avait ou l'espérance ou la faculté de les acquérir; tandis que l'individu mort civilement les avait perdus par un crime, et était déclaré ou incapable ou indigne de les recouvrer; et cependant, comme l'ordre de succéder est le domaine exclusif de la loi civile, elle en prive la famille étrangère, qui n'est pas soumise à son empire.-Revenons donc à ce principe universellement établi, que, pour qu'il y ait transmission de succession, il faut qu'il y ait capacité dans la personne de celui qui transmet comme dans la personne de celui qui recueille. Sans le concours de ces deux capacités, il n'y a pas de succession. Dans l'espèce qui nous occupe, il y a incapacité dans la personne du condamné que dis-je ? il ne vit pas même aux yeux de la loi. Pourrait-elle le reconnaître capable de transmettre, quand elle méconnait son existence?

31. La solution de la première partie de l'objection prépare et facilite la solution de la seconde, principalement dirigée contre l'art. 33. Qu'il ne soit d'abord plus question de confiscation; car franchement, ni l'idée, ni le mot, ne peuvent plus se retrouver à côté d'une disposition qui déclare la succession du condamné, à l'instant de sa mort civile, ouverte au profit de sa famille.

52. Quel sera maintenant le sort des biens qu'il aura postérieurement acquis? Celui des biens laissés par tous ceux qui n'ont pas d'héritiers aux yeux de la loi, lors même qu'ils auraient des parents aux yeux de la nasure. Ces biens se confondront dans le domaine public; ils appartiendront à la nation par droit de déshérence; telle est la conséquence nécessaire du principe. Mais en même temps le gouvernement est autorisé, je pourrais même dire invité par la loi, à faire, en faveur de la famille, toutes les dispositions que l'humanité lui suggérera. Il n'y a ni raisons, ni intérêt possible qui puissent jamais détourner le gouvernement d'user de cette faculté, ou de déférer à cette invitation. Cette espérance, fondée sur la loi, naîtra dans l'âme du condamné, et lui rendra, s'il en est temps encore, avec l'amour du travail, celui de la vertu. Heureuse disposition

(a) Esprit des lois, liv. 16, ch. 26.

nettement les idées consacrées dans le projet et jelte souvent du

qui, en sauvant un principe rigoureux, mais nécessaire à l'ordre et à la sûreté publics, satisfait en même temps à tout ce que peut exiger l'humanité !

33. La seconde difficulté que j'ai déjà annoncée, a pour objet la dissolution, quant à tous les effets civils, du mariage précédemment contracté par celui qui est mort civilement. On a dit, contre cette disposition, qu'elle ajoute à la sévérité de l'ancienne loi française, qui, en privant le condamné et sa famille de tous ses biens, avait cru néanmoins devoir conserver l'engagement qui subsistait entre les époux. On a ajouté qu'en faisant même abstraction des idées religieuses, le mariage ne doit pas être considéré comme une chose purement civile; que c'est un contrat naturel réglé par la loi civile, une union dont la perpétuité est le vœu. Enfin, on a regardé cette dissolution du mariage comme une peine infligée à des tiers intéressés, à la femme et aux enfants; comme tendant surtout à établir une opposition toujours funeste entre la loi d'un côté, et la morale et la religion de l'autre; la loi, qui regarderait comme un concubinage la persévérance d'une épouse à partager la destinée de l'époux malheureux et coupable; la morale et la religion, qui l'approuveraient comme un acte de dévouement et de vertu.

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Je reprends successivement les trois parties de cette objection.-Quant au reproche qu'on fait au projet de loi d'être plus sévère sur cet objet que les lois de la monarchie, cette disparité est fondée sur la manière différente dont on envisageait, sous l'empire de ces lois, le lien du mariage. C'était alors un engagement tout à la fois religieux et civil; la religion et la loi concouraient également à le former, et la loi seule ne pouvait rompre des nœuds qu'elle seule n'avait pas tissus. Aujourd'hui la célébration du mariage et tous ses effets appartiennent à la loi civile. Elle laisse aux époux le soin ou la liberté de prendre le ciel à témoin de leurs engagements; elle n'entre point, à cet égard, dans l'asile impénétrable des consciences; mais il n'y a à ses yeux d'union légitime que celle qui est formée devant les magistrats qu'elle en a chargés, et il n'y a que les mariages ainsi contractés qui puissent produire les effets qu'elle y attache. Aussi se contente-t-elle de dissoudre le lien, quant à ces effets. Je conviens d'ai leurs que, dans le mariage, le contrat naturel a précédé le contrat civil. Qu'en faut-il conclure? c'est que cet engagement est sous la double autorité de la loi nouvelle et de la loi civile. Si l'un des époux vit encore aux yeux de la nature, le lien qu'il a formé reste sous l'empire de la loi naturelle, à laquelle, à la vérité, il ne reste plus alors de sanction. Mais si cet époux est hors de la société, les lois que cette société n'a faites que pour elle-même, qui n'existent que par sa volonté et pour son intérêt, ne peuvent plus, sans se contredire, reconnaître la durée de l'engagement, quant aux effets qu'elle y avait attachés La rupture d'un lien purement légal (et il n'est que cela aux yeux du législateur), est la suite nécessaire de la perte de tous les droits légaux. Comment conserver le droit d'un homme vivant à celui qui est réputé mort? Peut-on considérer comme époux, comme père, celui qui n'existe plus? Si l'on reconnaît la nécessité du principe, il faut bien en adopter les conséquences. · C'est, au surplus, la force des choses qui nous conduit à ce résultat. Comment, en effet, supposer qu'un individu mort civilement puisse rester chef d'une communauté dissoute par l'ouverture de sa succession; que celui qui n'a ni biens, ni existence légale, puisse exercer la puissance déférée par les lois aux époux et aux pères sur la personne et les biens de leurs femmes et de leurs enfants; qu'il puisse autoriser sa femme à paraître devant les tribunaux, quand l'accès lui en est personnellement interdit à lui-même ? C'est donc la force des choses, je le répète, qui amène l'annulation de tous les effets civils du mariage, ou sa dissolution, quant à ces effets.

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M'objectera-t-on qu'il est possible que des enfants naissent de cette union dissoute par la loi, et qu'alors ces enfants seront privés des honneurs de la légitimité? je reconnais la vérité de cette conséquence. Je pourrais dire qu'en pareil cas la légitimité a beaucoup à perdre de ses honneurs et de son prix; mais enfin, la législation est pleine de ces dispositions de rigueur, commandées par des intérêts d'un ordre supérieur. Les enfants naturels sont exclus des honneurs réservés aux fruits d'une union légitime, et cependant ils sont innocents de la faute qui leur a donné le jour. C'est la morale, c'est le maintien des bonnes mœurs, la dignité du mariage, qui ont fait établir cette sage distinction. Ici, c'est l'intérêt général de la société qui veut que l'individu retranché de son sein subisse toute sa peine, qu'il ne puisse plus invoquer ces lois qu'il a méconnues et violées, qu'il ne soit plus ni citoyen, ni père, ni époux. A l'égard de la femme qui, oubliant les crimes de son époux, ne verrait que son malheur, et qui consentirait encore à suivre sa destinée, si elle se croit liée aux yeux de la religion et de la nature, la loi n'entend contrarier ni ses sentiments ni sa résolution. Si ce dévouement lui est dicté par des motifs honorables, qu'elle en trouve sa récompense dans sa conscience, dans sa religion, même dans l'opinion; tout cela sort du domaine de la loi. Son devoir à elle, c'est d'assurer aux peines leur effet, c'est d'être conséquente avec elle-même, de ne plus voir dans la société celui qu'elle en a exclu, de ne plus reconnaître comme vivant l'homme qu'elle a déclaré mort.

34. Après avoir réglé les effets de la mort civile, le projet de loi devait

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jour sur la portée de plusieurs dispositions du titre qui nous
Le projet fut adopté le même jour, sans discussion
occupe.
nouvelle, et la loi fut promulguée le 27 vent. an 11 (18 mars

naturellement s'occuper du moment où elle serait encourue; et il a trèssagement distingué les condamnations contradictoires des condamnations par contumace. Les premières emportent la mort civile du jour de leur exécution, soit réelle, soit par effigie; c'est la disposition de l'arı. 26.

Quelques difficultés se sont élevées sur l'art. 27, qui veut que les condamnations par contumace n'emportent la mort civile qu'après les cinq années qui suivront l'exécution du jugement par effigie, et pendant lesquelles le condamné peut se représenter. Ceux qui pensaient que la mort civile devait dater du jour même de l'exécution par effigie, se fondaient sur la nécessité d'exécuter, autant que posssible, le jugement rendu, et sur l'avantage qui reviendrait à la société de la promptitude de l'exemple; sauf néanmoins à prendre des précautions telles que, si le condamné cet état de mourait, se représentait, ou était arrêté dans les cinq ans, choses ne fût que provisoire, et ne pût nuire aux droits rouverts en faveur des parties intéressées. On a répondu à ces objections que l'ordre public n'a jamais à souffrir de la suspension de l'exécution d'un jugement, quand cette suspension est l'ouvrage ou du jugement même, ou de la loi supérieure aux jugements; qu'ainsi toute latitude est laissée au législateur.

La nature même du jugement rendu par contumace, et les dispositions qui l'accompagnent, exigent que la mort civile ne soit encourue qu'après les cinq années. Pendant toute la durée de ce délai, le sort du condamné est incertain, tout est provisoire à son égard; non-seulement, s'il est arrêté, ou s'il se représente, les choses recouvrent leur premier état; mais s'il vient à mourir, il meurt integri status, et sa succession s'ouvre par sa mort naturelle. Ce n'est qu'après le délai, pour purger la contumace, que la condamnation, suivant les principes et les expressions de l'ancienne jurisprudence, est réputée contradictoire; il serait donc injuste de faire mourir civilement le condamné, pendant la durée de l'ordre de choses purement provisoire, qui s'établit jusqu'à l'expiration de ce délai.

et

On insiste sur la nécessité de l'exemple; mais l'exemple est donné par l'exécution en effigie, par la privation de l'exercice des droits civils provisoirement prononcée contre le condamné, enfin par sa mort civile, par son expropriation après les cinq ans, s'il ne s'est pas présenté. Indépendamment des vues générales d'équité et d'humanité qui s'élèvent en faveur de la disposition du projet de loi, elle est encore secourue par l'orles difficultés infinies que présente l'exécution du système contraire, ganisation d'une mort civile provisoire, dont les effets peuvent à chaque moment être anéantis par la résurrection ou par la mort naturelle du condamné. Ce système, quelques précautions qu'on puisse prendre, laisse toujours régner une affreuse incertitude: 1° sur le sort des enfants nés dans les cinq ans, légitimes si le père se représente ou meurt dans cet intervalle, illégitimes si les cinq années s'écoulent sans que la destinée du père soit connue. -2° Sur le sort de la femme qui aura contraclé, dans les cinq ans, un nouvel engagement, épouse légitime si son premier mari ne parait pas, infidèle et coupable s'il meurt ou se représente.

3° Sur le sort des successions, qui, pendant les cinq ans, s'ouvriraient au profit du condamné, héritier s'il paraît ou s'il meurt, non héritier s'il L'impossibilité de relaisse passer les cinq ans sans se représenter.médier à lant d'inconvénients, jointe à la vérité et à la force du principe, qui ne permet pas qu'on place, dans un état de choses purement provisoire, des effets définitifs par leur nature, a déterminé la préférence donnée à la disposition de l'art. 27. Cependant, et pendant la durée des cinq ans, le condamné par contumace sera privé, comme je viens de l'observer, de l'exercice des droits civils. C'est l'objet de l'art. 28, qui pourvoit d'ailleurs à l'administration de ses biens et à l'exercice de ses actions, en l'assimilant, sous ce double rapport, aux absents.

Les art. 29 et 31 s'occupent des cas où le condamné serait constitué prisonnier, se représenterait ou décéderait dans les cinq ans ; et, dans ces trois cas, le jugement est anéanti de plein droit. C'est par rapport à la personne et aux biens, comme si la condamnation n'eût jamais existé. Tous les développements contenus dans ces articles tiennent à ce pricipe incontestable. L'art. 31 prévoit le cas où le condamné ne se représenterait ou ne serait constitué prisonnier qu'après les cinq ans; et, dans ce cas, quelle que soit l'issue du nouveau jugement, les effets de la mort civile, encourue Enfin, après les cinq ans de l'exécution du premier, sont immuables. l'art. 52 établit qu'en aucun cas la prescription de la peine ne réintégrera le condamné dans ses droits civils pour l'avenir. Cette disposition concilie un principe d'humanité avec les règles de l'ordre social. L'humanité collicite, après un long temps, la prescription de la peine. Mais si le temps éteint la peine, il n'éteint ni le crime ni le jugement; et l'ordre social, troublé par le crime, exige que le jugement conserve son effet quant à la privation des droits civils.

Législateurs, pressé par l'importance et la multiciplicité des matières, je ne sais si j'ai rempli la tâche qui m'était imposée. J'ai essayé de remettre sous vos yeux les motifs du vœu du tribunat sur chacune des nombreuses dispositions que renferme le projet de loi. Je me suis attaché à vous présenter, sur les objets les plus susceptibles de difficulté, les raisons de douter et celles de décider. Votre résolution nous éclairera sur la mé

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1803). Cette loi est devenue le titre 1 du code civil, dont le texte est rapporté ci-dessous (1).

49. Depuis la promulgation du code civil, de nouveaux trai

Qu'il me soit permis, au moment où vous rite de nos observations. allez délibérer sur le premier titre du code civil, d'offrir à votre pensee les beaux souvenirs que vous prépare la gloire de décréter une législation qui va avoir une si prompte et si grande influence sur le bonheur de vos concitoyens. Vous avez sous les yeux les résultats de cette heureuse harmonie entre deux autorités qui ne se sont rapprochées à la voix du gouvernement que pour s'honorer et s'estimer davantage, et qui, dans les discussions profondes et lumineuses qui ont précédé l'émission des projets de lois, n'ont montré de toutes parts que l'émulation du bien public, que - C'est à votre sagesse, législe noble orgueil de se rendre à la vérité, lateurs, de sanctionner leur ouvrage. C'est en vous, c'est dans vos suffrages qu'est leur gloire et leur récompense.

(1) Code civil, tit. 1 (L. des 17-27 vent. an 11, 8-18 mars 1803). DE LA JOUISSANCE ET DE LA PRIVATION DES DROITS CIVILS.

CHAP. 1. De la jouissance des droits civils.

Art. 7. L'exercice des droits civils est indépendant de la qualité de ciconstitutionnelle.-V. Exposé des motifs et Rapport, no 16. toyen, laquelle ne s'acquiert et ne se conserve que conformément à la loi 8. Tout Français jouira des droits civils.-V. no 2 s., 17.

9. Tout individu né en France d'un étranger pourra, dans l'année qui suivra l'époque de sa majorité, réclamer la qualité de Français; pourvu que, dans le cas où il résiderait en France, il déclare que son intention est d'y fixer son domicile, et que, dans le cas où il résiderait en qu'il l'y établisse dans l'année, à compter de l'acte de soumission. pays étranger, il fasse sa soumission de fixer en France son domicile, et n5, 17.

V.

10. Tout enfant né d'un Français, en pays étranger, est Français. Tout enfant né en pays étranger, d'un Français qui aurait perdu la qualité de Français, pourra toujours recouvrer cette qualité, en remplissant les formalités prescrites par l'art. 9.-V. n° 3 s., 18.

11. L'étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux Français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra.-V. no 6, 19.

12. L'étrangère qui aura épousé un Français, suivra la condition de son mari.-V. no 4, 21.

13. L'étranger qui aura été admis par le gouvernement à établir son domicile en France, jouira de tous les droits civils tant qu'il continuera d'y résider.-V. no 5, 20.

14. L'étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français; il pourra être traduit devant les tribunaux de France pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français. V. n° 21.

15. Un Français pourra être traduit devant un tribunal de France pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger.-V. n° 21.

l'étranger qui 16. En toutes matières autres que celles de commerce, sera demandeur sera tenu de donner caution pour le payement des frais et des immeubles d'une valeur suffisante pour assurer ce payement. dommages-intérêts résultant du procès, à moins qu'il ne possède en France n° 21.

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CHAP. 2. De la privation des droits civils.

De la privation des droits civils par la perte de la qualité de Français.

V.

17. La qualité de Français se perdra, 1o par la naturalisation acquise en pays étranger; 2° par l'acceptation, non autorisée par le gouvernement, de fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger; 3° par l'affiliation à toute corporation étrangère qui exigera des distinctions de naissance; 4° enfin, par tout établissement fait en pays étranger sans esprit de retour. Les établissements de commerce ne pourront jamais être considérés comme ayant été faits sans esprit de retour.V. n 7, 25.

18. Le Français qui aura perdu sa qualité de Français, pourra toujours la recouvrer en entrant en France, avec l'autorisation du gouvernement, et en déclarant qu'il veut s'y fixer, et qu'il renonce à toute distinction 24. contraire à la loi francaise.-V. no 9,

19. Une femme française qui épousera un étranger, suivra la condition de son mari.— Si elle devient veuve, elle recouvrera la qualité de Française, pourvu qu'elle réside en France, ou qu'elle y entre avec l'autorisation du gouvernement, et en déclarant qu'elle veut s'y fixer.-V. no 7, 25. 20. Les individus qui recouvreront la qualité de Français dans les cas prévus par les art. 10, 18 et 19, ne pourront s'en prévaloir qu'après avoir rempli les conditions qui leur seront imposées par ces articles, et seulement pour l'exercice des droits ouverts à leur profit depuis celte époque.-V. n° 26.

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