Page images
PDF
EPUB

avril suivant et voté le surlendemain. Soumis ensuite à la chambre des députés, il y fut l'objet d'un nouveau rapport présenté par nous le 13 mai (1). La discussion s'ouvrit le 24 du même mois

le désirent les armateurs. - Ainsi des autorités graves, nombreuses et placées à des points de vue différents, s'unissent en faveur de la loi sur Laquelle vous êtes appelés à délibérer. >>

(1) Rapport fait par M. Dalloz sur le projet de loi portant modification des art. 216, 234 et 298 c. com. (séance du 13 mai 1841).

5. Messieurs, le projet de loi soumis aujourd'hui à vos délibérations n'est pas nouveau pour vous, au moins quant à son principe; car ce principe, vous l'avez consacré par un vote dans le cours de la dernière session. La commission de la chambre des pairs, appelée à examiner ce projet tel que vous l'aviez amendé, lui avait aussi donné son approbation, lorsque le gouvernement jugea convenable de le retirer, soit pour le soumettre à l'examen de la cour de cassation et des cours royales qui n'avaient pas été consultées, soit pour rechercher plus complétement et avec plus de précision le véritable état des législations étrangères sur cette portion importante du droit maritime.

Les investigations auxquelles on s'est livré ont fait reconnaître une assez grande diversité dans la législation des peuples d'Europe, sur l'étendue de la responsabilité des propriétaires de navires; mais les cours royales de France ont, en général, adopté le principe de la responsabilité limitée qu'appellent les réclamations unanimes du commerce et qui est celui du projet. Dix-neuf cours royales sur vingt-sept se sont prononcées dans ce sens; et si, ce qu'il faut regretter, la cour de cassation n'a pu se réunir pour délibérer ses observations, la commission formée dans son sein a donné sans restriction son assentiment à ce principe, comme l'atteste le rapport de notre honorable collègue M. Hébert, qui a été l'organe de cette commission. Le vœu des chambres de commerce et du conseil supérieur de l'agriculture, du commerce et de l'industrie, qui ont, comme on sait, si vivement sollicité la présentation du projet, s'est trouvé ainsi fortifié par le suffrage imposant des grands corps de la magistrature française.

Le projet n'en a pas moins rencontré une vive et savante opposition dans une autre enceinte; et quoiqu'il ait triomphé de cette résistance, votre commission a cru de son devoir d'étudier avec le plus grand soin tous les éléments d'une controverse qui n'a pu manquer de répandre d'abondantes lumières sur un sujet dont elle a compris toute la difficulté. Elle a consacré plusieurs séances à cet examen dont elle m'a chargé de vous faire connaitre le résultat.

6. La loi qui vous est proposée a pour objet de modifier les art. 216, 234 et 398 c. com., et de limiter au montant du navire et du fret la responsabilité aujourd'hui indéfinie des propriétaires de navires, à raison des engagements licites contractés par le capitaine, soit que le navire se perde, soit qu'arrivé au port sa valeur ne suffise pas pour faire face à ces engagements. Nous disons les engagements licites du capitaine; car aucun doute ne s'est élevé relativement à ses engagements illicites, dont jamais l'armateur n'a été tenu que jusqu'à concurrence des navires et du fret. La difficulté n'existe qu'à l'égard des obligations contractées dans les termes de l'art. 234 c. com., c'est-à-dire relativement aux emprunts faits par le capitaine, et à la vente ou mise en gage des marchandises pour les besoins du navire.

7. Cette difficulté est fort ancienne.-Les Romains, dont le commerce maritime n'a jamais eu un très-grand essor, n'avaient pas senti le besoin de soumettre à des règles spéciales les rapports de l'armateur et du capiLaine de navire. Leur législation commerciale, d'ailleurs, très-inférieure à leur législation civile, à laquelle elle est demeurée trop asservie, n'avait fait aucune distinction entre le mandat de l'armateur au capitaine du navire et celui donné par le commerçant au commis qu'il charge de la gestion d'un magasin ou d'un comptoir, ni entre ces deux mandats et le mandat civil ordinaire. Elle admettait donc le principe de la responsabilité indéfinie (a).

Mais ce principe n'a jamais été accepté par les peuples navigateurs des bords de la Méditerranée, qui pourtant semblaient devoir être plus naturellement soumis à l'influence des lois romaines. Le Consulat de la mer, ce recueil célèbre des plus anciennes ordonnances nautiques des rois de France et d'Espagne, des empereurs d'Allemagne et des républiques d'Italie, qui, dès le onzième et le douzième siècle, fut adopté comme loi dans toute l'Europe méridionale, nous apprend que le propriétaire du navire n'était jamais tenu des engagements du capitaine que jusqu'à concurrence du navire et du fret, soit que le navire vint à périr, soit qu'arrivé au port sa valeur füt insuffisante pour remplir les obligations du capitaine. La règle du droit romain était aussi repoussée par plusieurs puissances maritimes du Nord, particulièrement par la Hollande et la Suède, et Grotius la condamnait comme une entrave au développement du commerce maritime (b).

8. L'ordonnance de 1681 eut à choisir entre les deux systèmes. Quel choix fit-elle? Son art. du tit. 8, chap. 2, est ainsi conçu: « Les pro

(a) Lot 1. De exercitorid actione.

(6) Consulat de la mer, chap. 194 et 259; Statuts de Hambourg, extraits du code de 1497, art. 10; Lois de Suède, chap. 3; Grotius, liv. 2, chap. 11, § 13.

et l'adoption eut lieu le lendemain. Reporté enfin à la chambre des pairs le 1er juin, il fut adopté le 9, converti en loi par la sanction royale, et publié le 15 dudit mois. Le texte du code de priétaires de navires seront responsables des faits du maître, mais ils en demeureront déchargés en abandonnant le navire et le fret. »-La géné ralité de ces termes, et surtout cette considération que l'ordonnance, dont malheureusement les travaux préparatoires n'ont pas été retrouvés, a été le résultat d'informations prises dans les divers ports de l'Europe, porteraient à penser que l'ordonnance a entendu consacrer la règle suivie dans la Méditerranée et dans la Baltique. C'est aussi l'opinion d'un écrivain moderne qui a publié un volume plein de recherches et de vues instructives sur les diverses parties de notre droit commercial (c). Mais il ne faut pas oublier que cette interprétation ne fut pas généralement admise, et que même elle divisa les plus célèbres commentateurs de l'ordonnance. Valin, qui écrivait à la Rochelle, interprétant l'article de l'ordon. de 1681 par le principe de la loi romaine, enseignait que l'abandon du navire et du fret ne libérait le propriétaire du navire que des obligations illicites du capitaine et non de ses engagements licites (d). Émérigon ancien conseiller de l'amirauté de Marseille, jurisconsulte plus pratique et non moins érudit que Valin, se fondait, au contraire, sur les anciens usages du commerce, pour repousser toute distinction entre les obligations licites et illicites du capitaine, et pour reconnaître, dans tous les cas, au propriétaire le droit de s'en affranchir par l'abandon du navire et du fret (e).

9. Cette controverse n'avait pas entièrement cessé, lorsqu'on s'occupa de la rédaction du code de commerce qui semblait naturellement devoir y mettre un terme. Mais, et cela prouve combien est lent et difficile le perfectionnement des lois, les rédacteurs de ce code, au lieu d'adopter une disposition claire et précise qui fit cesser toute incertitude, se bornèrent à remplacer l'arle de l'ord. par l'art. 216 qui porte : « Tout propriétaire de navire est civilement responsable des faits du capitaine, pour ce qui est relatif au navire et à l'expédition. La responsabilité cesse par l'abandon du navire et du fret. »

Le commerce français, qui avait constamment pratiqué l'opinion d'Emérigon de préférence à celle de Valin, avait vu dans cet article la consécration de la doctrine qui lui paraissait seule conforme à ses intérêts. Aussi son émotion fut vive et générale lorsque, par trois arrêts successifs, en date des 16 juill. 1827, 14 mai et 1er juill. 1834, la cour de cassation, sanctionnant au contraire la doctrine de Valin, vint à décider que lo droit d'abandon, autorisé par l'art. 216, n'avait trait qu'aux obligations illicites du capitaine, et que l'armateur était personnellement tenu, sur toute sa fortune de terre, des engagements licites que le capitaine peut contracter pour les besoins du navire.

Cette jurisprudence de la cour régulatrice peut paraître sévère; mais, aux yeux de votre commission actuelle comme dans l'opinion de votre commission ancienne, elle s'explique tout à la fois et par l'addition du mot civilement responsable dans l'art. 216, qui implique l'idée d'une responsabilité restreinte à des faits illicites, et par le rapprochement de l'art. 234 avec la discussion dont l'art. 298 c. com., relatif au cas de perte du navire, a été précédé au sein du conseil d'État. C'est donc de la loi seule, telle qu'elle existe aujourd'hui, que le commerce peut se plaindre, non d'une jurisprudence qui semble n'en avoir été que l'application nécessaire. 10. Maintenant les doléances si unanimes et si persistantes du commerce français, qui ont déterminé le gouvernement à vous proposer le projet de loi, sont-elles fondées? L'état actuel de notre législation, tel qu'il est fixé par la jurisprudence de la cour de cassation, est-il réellement contraire à l'essence du mandat donné par l'armateur au capitaine du navire et aux vrais intérêts de notre commerce maritime? En un mot, y a-t-il tout à la fois justice et utilité commerciale dans les modifications qui vous sont proposées? Tels sont les deux points principaux à l'examen desquels votre commission a cru pouvoir subordonner son opinion sur le mérite du projet.

Il lui a paru que si le changement de législation proposé était en même temps fondé sur la justice et sur l'utilité, elle ne pouvait pas être arrêtée par la crainte, d'ailleurs fort respectable, de porter la main sur l'un de nos codes (f). Il n'en est pas des lois commerciales comme des lois civiles qui règlent les rapports de la famille, la dévolution des biens et les conditions des contrats. Celles-ci ont un caractère en quelque sorte immuable, parce qu'elles ont pour objet des rapports qui ne changent pas. Mais les lois commerciales empruntent nécessairement quelque chose de la mobilité des intérêts qu'elles doivent régir faites pour protéger les droits et favoriser les besoins de l'industrie et du commerce, elles man

[ocr errors]

(c) M. Frémery, Études du droit commercial, p. 189. (d) Valin, sur le livre 2, tit. 1, art. 19, et le tit. 8, art. 2, de l'ordonnance de 1681.

(e) Emérigon, Traité du contrat à la grosse, chap. 4, sect. 11. Suivant Emérigon, la jurisprudence conforme à sa doctrine était généralement admise, même dans le Nord. Il cite à l'appui de cette assertion un grand nombre d'auteurs, notamment Stypmann, Kuricke, Locconius et autres.

(f) Discours de M. le comte Portalis et de M. Laplagne- Barris à la chambre den pairs.

commerce maritime que nous avons donné ci-dessus, contient les modifications qui y ont été apportées par cette dernière loi. 17. Droit comparé. Les navires sont généralement con

queraient à leur mission si elles n'en suivaient pas fidèlement les progrès. Le pouvoir législatif a successivement, et à des époques récentes, modifié les dispositions du code de commerce, relativement aux lettres de change, aux faillites, à l'organisation et à la compétence des tribunaux de commerce. Personne n'a blâmé ces modifications qui ont apporté des améliorations réelles à notre législation commerciale,

11. L'utilité, la nécessité même de celles qui vous sont aujourd'hui demandées, ont paru démontrées à votre commission par l'unanimité et la persévérance des réclamations des chambres de commerce et du conseil général du commerce et de l'industrie, dont elle a fait l'examen le plus attentif. Ce ne sont pas seulement les chambres de commerce établies dans les ports de mer qui sollicitent, depuis sept ans, la réforme du principe de responsabilité indéfinie des propriétaires de navires, ce sont toutes les chambres de commerce du royaume, celles de l'intérieur comme celles des villes maritimes. Il ne s'agit donc pas d'un veu influencé par l'intérêt spécial des armateurs, mais d'un vœu émis dans l'intérêt général du commerce français, dans l'intérêt des chargeurs, comme dans celui des propriétaires de navires.

Cependant on a constaté l'intérêt des uns et des autres : celui des chargeurs, en montrant qu'il y aurait pour eux risque de ne point obtenir le recouvrement intégral du prix de leurs marchandises vendues en cours de voyage par le capitaine, et l'intérêt des armateurs eux-mêmes, en disant que leurs capitaines ne trouveraient plus ni la même facilité pour emprunter, ni la même faveur pour le chargement, et que les navires français seraient ainsi placés dans une infériorité réelle à l'égard des navires anglais, américains, prussiens, napolitains et espagnols, soumis à des législations qui consacrent le principe de la responsabilité illimitée de l'ar

mateur.

12. Quoique bien persuadée que le commerce est le meilleur juge de ses vrais intérêts, votre commission ne s'est pas moins très-soigneusement appliquée à rechercher ce qu'il pouvait y avoir de fondé dans ces objections, habilement développées par les adversaires du projet. A l'égard des chargeurs, il n'est pas douteux que le principe de la loi nouvelle leur fera courir le risque de ne recouvrer le prix de leurs marchandises vendues que jusqu'à concurrence de la valeur du navire et du fret. Mais ce risque, dont on verra dans un moment qu'ils pourront s'affranchir par une assurance, moyennant un léger surcroft de prime, ne saurait être mis en balance, soit avec la diminution notable du fret qui doit résulter d'un plus grand essor imprimé à nos armements, soit avec l'avantage de trouver facilement des navires français pour leurs transports lointains que l'insuffisance actuelle de notre marine les oblige de confier à des bâtiments étrangers. Voilà pourquoi l'intérêt des chargeurs s'identifie complétement içi avec celui des propriétaires de navires. Quant à ces derniers, comment peut-on mettre en doute leur intérêt? Leurs capitaines, dit-on, ne trouveront pas facilement à emprunter; mais c'est précisément contre une trop grande facilité d'emprunt qu'il convient de donner une garantie au propriétaire, qui saura bien munir d'un pouvoir spécial le capitaine de navire, toutes les fois qu'il y aura intérêt et qu'il croira pouvoir le faire sans péril.

13. On ajoute que nos navires seront moins recherchés par les chargeurs que ceux de certaines puissances maritimes qui admettent le principe de la responsabilité indéfinie de l'armateur, et l'on cite l'Angleterre, les Etats-Unis, la Prusse, l'Espagne et le royaume de Naples. Les nouveaux codes de commerce d'Espagne et du royaume de Naples ont été en grande partie modelés sur notre code de commerce; leur rédaction, postérieure à la jurisprudence de la cour de cassation, en a naturellement adopté la doctrine, d'ailleurs conforme au code de commerce lui-même. Il faut donc peu se préoccuper de ces législations, faites à l'image de la nôtre, que nous sentons le besoin de modifier; elles régissent d'ailleurs deux nations dont le commerce maritime n'a pas aujourd'hui une grande importance. Cette dernière considération écarte aussi l'autorité du code prussien en cette matière.

Reste la législation de l'Angleterre et des États-Unis, c'est-à-dire de deux des grands peuples navigateurs de nos temps modernes. A cet égard nous dirons que si le principe de la responsabilité indéfinie n'a pas été an obstacle au prodigieux développement du commerce maritime de l'Angleterre et des Etats-Unis, on en trouve la cause dans une grande concentration de capitaux, et surtout dans l'esprit ardent et aventureux du commerce de ces deux peuples, qui a pour ainsi dire plus besoin d'être retenu qu'excité par la sagesse des lois. La responsabilité indéfinie des propriétaires de navires est étroitement liée au principe de solidarité qui, en Angleterre et aux Etats-Unis, enchaîne tous les associés ou intéressés dans une entreprise, sans distinction entre le simple actionnaire et le gérant; car on ne connaît pas, dans ces pays, la société en commandite; on n'a pas eu besoin de ce véhicule puissant qui a pris naissance en Italie, et a tant contribué au développement du commerce et de l'industrie. Chez nous, au contraire, les capitaux sont épars et timides; ils sont naturellement disposés à s'éloigner des entreprises lointaines et hasardeuses:

[blocks in formation]

l'œuvre du législateur est donc iei d'encourager, d'exciter, autant qu'ailleurs, elle doit être de contenir.

14. Rien ne prouve mieux cette vérité que l'état stationnaire de nos armements, malgré les progrès rapides de notre industrie et de notre commerce extérieur. En 1839, sur deux millions six cent quatre-vingt-siv mille tonneaux employés par nos chargeurs français, en exportations et importations, notre marine française n'a transporté que un million deux cent mille tonneaux, et la marine étrangère un million quatre cent quatrevingt-six mille. Ainsi, bien loin que nos navires puissent concourir au transport des marchandises étrangères, ils ne suffisent pas même à transporter la moitié de celles qui appartiennent au commerce français! Il importe donc d'appeler les capitaux vers une industrie trop négligée, à raison des risques indéfinis qu'elle entraîne dans l'état actuel de la législation. C'est là le but vers lequel il faut tendre, sans se laisser distraire par la crainte de rendre notre marine inférieure à celle des peuples qu'on a cités. L'abaissement du fret, qui doit nécessairement résulter d'une restriction de responsabilité, l'emportera toujours, même aux yeux des chargeurs étrangers, sur un risque dont il leur est aisé de se redimer par une légère augmentation de prime, et l'extrême facilité que la simplicité de nas lois et de nos formes offre d'obtenir justice en France, fera naturellement préférer nos navires aux navires anglais et américains. Ajoutons que c'est sous l'empire du principe de la responsabilité limitée du propriétaire de navire qu'on a vu grandir le commerce maritime de tous les anciens peuples de la Méditerranée et de la Baltique, et que ce principe est encore aujourd'hui celui de la Suède, du Danemarck et de la Hollande, dont les navires sont recherchés par les chargeurs de tous les points du globe.

15. Ces considérations n'ont laissé aucun doute dans l'esprit de votre commission sur le véritable intérêt du commerce, et par conséquent sur l'utilité du principe qu'il appelle de ses vœux. Mais à côté de la question d'utilité commerciale se place la question de savoir si ce principe que le gouvernement vous propose de consacrer est conforme à la justice. Pour résoudre cette dernière question, il faut se fixer sur le caractère et sur l'étendue du mandat qui résulte virtuellement du choix que l'armateur fait du capitaine auquel il confie la conduite de son navire. Remarquons d'abord qu'il ne s'agit pas ici d'un mandat conventionnel, mais d'un mandat légal, c'est-à-dire d'un mandat dont l'étendue est déterminée par la loi. Rien n'empêche assurément l'armateur de donner à son capitaine un mandat conventionnel et spécial contenant des pouvoirs plus amples que ceux que le capitaine tient du seul fait de sa préposition à la conduite du navire, et c'est ce que l'armateur ne manque jamais de faire toutes les fois que le capitaine lui inspire confiance et qu'il croit cela convenable à ses intérêts; mais en l'absence de ce mandat conventionnel qui est facultatif pour l'armateur, il y a le mandat légal qui est obligé et dont la loi seule peut régler les conditions.

Quelle doit être la portée de ce mandat légal ? Dans le système actuel du code de commerce, il a la même étendue que le mandat conventionnel le plus illimité; l'armateur est obligé personnellement par les engagements du capitaine, quel qu'en soit le chiffre, aussi indéfiniment que s'il avait lui-même contracté; et la cour de cassation est allée jusqu'à décider que les formalités imposées au capitaine pour emprunter sur le navire ou pour vendre les marchandises ne sont pas obligatoires pour les tiers (a), ce qui aggrave encore la responsabilité du propriétaire, en le privant de toute espèce de garantie contre l'imprudence ou l'infidélité du capitaine. Il suit de là qu'une responsabilité sans limites peut compromettre non-seulement la propriété du navire et du fret, mais encore la fortune entière de l'armateur.

16. Cet e responsabilité, si énorme qu'elle soit, on pourrait cependant la comprendre jusqu'à certain point si le mandat était volontaire et facultatif et le choix du mandataire parfaitement libre; mais, comme on vient de le dire, le mandat est légal et forcé. Il n'est pas au pouvoir du propriétaire d'un navire de le conduire, s'il n'est lui-même capitaine muni d'un brevet; il faut qu'il en confie la conduite à un capitaine. Et ce capitaine pourra-t-il du moins être librement choisi par l'armateur parmi tous les gens de mer? Le propriétaire sera-t-il maître de confier la conduite de son navire à tel ou tel marin dont il a pu apprécier l'expérience, la prudence et la moralité ? Nullement; l'armateur ne peut choisir qu'un capitaine en titre, et il peut se faire que parmi ceux qui se trouvent dans le port, il n'y en ait pas un seul qui lui soit connu et lui inspire pleine confiance. Bien plus, le capitaine n'est pas toujours choisi par l'armateur; car il peut être remplacé dans le cours de son voyage, en cas de décès ou d'empêchement absolu de continuer ses fonctions. Dans tous les cas, le propriétaire, séparé du capitaine par toute l'étendue des mers, est dans toute l'impuissance absolue de correspondre avec lui et de lui faire parvenir en temps utile les instructions qui peuvent être nécessaires; le capitaine est entièrement abandonné à lui-même.

(a) Arrêt de cassation du 28 nov. 1821,

et le code sarde (art. 210), que par acte public. La loi française

Dans de telles circonstances, peut-on, avec raison et équité, appliquer au mandat nécessaire qui lié l'armateur au capitaine du navire, les regles du mandat volontaire, et rendre l'armateur indéfiniment responsables de tous les engagements d'un capitaine qu'il ne choisit jamais avec toute liberté, qui parfois lui est imposé par une volonté étrangère, et dont, dans aucun cas, il n'a la possibilité de diriger et de surveiller la conduite? Votre commission ne l'a pas pensé. Il lui a paru que l'armateur, en mettant son navire à la mer, n'entendait exposer que son bâtiment même et le fret qui en est l'accessoire ou le fruit civil; que c'était là le terme de sa spécculation, dont les chances ne pouvaient jamais atteindre sa fortune de terre; que, dès lors, le mandat du capitaine devait être circonscrit dans ces bornes, et ne pouvait engager l'armateur au delà de la valeur du navire et du fret, c'est-à-dire de l'objet entier de l'expédition mari time. La commission a pensé qu'étendre au delà les risques de l'armateur qui deviendraient alors sans limites, ce serait éloigner les capitaux d'un genre de spéculation qu'on devait, au contraire, encourager, non-seulement dans l'intérêt du commerce, mais dans l'intérêt plus élevé de notre puissance navale, étroitement uni au développement et à la prospérité de Dos armements maritimes.

17. Cependant votre commission n'est pas arrivée à cette conclusion sans se rendre un compte exact de l'influence qu'elle pouvait avoir sur la position des prêteurs, et surtout sur celle des chargeurs, dont les marchandises peuvent avoir été vendues ou mises en gage par le capitaine pour les besoins du navire, aux termes de l'art. 234 c. com. Elle a compris, en effet, que limiter la responsabilité du propriétaire, c'était reporter sur les prêteurs et sur les chargeurs la perte résultant des engagements du capitaine pour tout ce qui excède la valeur du navire et du fret, jusqu'à concurrence du montant des sommes prêtées et du prix des marchandises vendues; elle s'est donc vivement préoccupée de ces deux deux intérêts. Votre commission a pensé que ce partage éventuel de la perte occasionnée par des obligations du capitaine pour les besoins dú navire, c'est-à-dire dans l'intérêt commun du navire et de la cargaison, n'avait rien que de conforme à l'équité, rien qui ne fût avoué par la raison et par les principes généraux du droit maritime.

18. Les tiers qui peuvent avoir accordé un crédit au capitaine sont dé trois classes: les créanciers pour travaux et fournitures faits au navire, ceux qui ont prêté sur lettres de change ou simples billets, en supposant ce genre d'engagement obligatoire pour l'armateur, ce qui est un point contesté que la commission n'a pas à examiner ici, et enfin, ceux qui ont prêté à la grosse sur le navire.

On sait que les deux premiers modes d'engagement sont assez rares. Les ouvriers et fournisseurs auxquels un capitaine est obligé de recourir dans des parages lointains ne donnent guère leur travail et leurs marchandises ou denrées qu'au comptant; et, comme les retours des colonies se font, en général, en marchandises qui promettent un profit considérable, on trouve peu de capitalistes disposés à prêter sur simples billets ou sur des traites qui, outre l'incertitude du recouvrement, sont loin d'offrir les mêmes avantages. Quoi qu'il en soit, on peut dire que les tiers qui engagent ainsi leur travail, leurs fournitures et leur argent à un capitaine qui n'est porteur d'aucun mandat spécial, ne prêtent qu'eu égard à la valeur du navire sur lequel ils acquièrent un privilége, et hon en considération de la fortune de l'armateur, qui leur est le plus souvent Laconnu. Si plus tard, et par suite de la dépréciation du navire, les créanciers deviennent victimes d'un crédit trop facilement accordé à un gage insuffisant, ils ne peuvent reprocher qu'à eux-mêmes le résultat de leur imprudence.

19. S'agit-il du prêteur à la grosse? Il est de l'essence même de ce contrat d'associer le prêteur à tous les risques de la navigation; c'est une espèce de société formée entre le prêteur et le propriétaire du navire. Le propriétaire est, il est vrai, personnellement obligé, si le navire arrive à sa destination; mais le prêt n'en est pas moins fait au navire plutôt qu'à la personne, car, s'il périt, sa créance périt avec lui, et s'il souffre une détérioration, le prêteur est obligé de contribuer au payement des avaries, puisqu'il est intéressé à la conservation du navire autant que l'armateur lui-même (art. 330 c. com. ). Pourquoi donc ce prêteur qui a volontairement associé ses capitaux à la destinée du navire, en stipulant un profit maritime considérable, ne partagerait-il pas avec le propriétaire et dans une certaine mesure le risque des engagements excessifs contractés par le capitaine pour la conservation de la chose commune? Pour quoi la somme qui excédera la valeur du navire et du fret, et qui sera ordinairement fort inférieure à cette même valeur, ne serait-elle pas à la charge du prêteur à la grosse, au lieu de venir s'ajouter à la perte beau coup plus considérable que souffre déjà le propriétaire du navire?

20. La situation des chargeurs dont les marchandises peuvent être vendues ou mises en gage par le capitaine pendant le cours du voyage pour les besoins du navire, a paru à votre commission plus favorable que celle du préteur à la grosse. Cependant il faut reconnaître d'abord qu'entre les chargeurs et le propriétaire du navire, il existe aussi une communauté de but et d'intérêt qui justifie le partage des risques qui ont leur principe dans les dépenses faites pour les besoins de la navigation.

se borne à exiger qu'elle ait lieu par un acte écrit (art. 198). It

C'est évidemment sur cette idée que reposent les dispositions du code de commerce, qui soumettent les chargeurs à la contribution en cas de jet (a), et celles d'une application plus fréquente qui les font concourir au payement des avaries communes, c'est-à-dire au payement des frais qui ont ete faits dans le double intérêt du navire et de la cargaison (b). — Votre commission n'a pas besoin de s'étendre longuement sur cet aperçu, dont elle ne croit pas qu'on puisse contester la justesse. Elle n'insistera pas non plus sur ce motif de sécurité qui résulte pour les chargeurs de l'économie du projet qui accorde à l'affréteur unique ou aux chargeurs divers qui seront tous d'accord, le droit de s'opposer à la vente ou à la.. mise en gage de leurs marchandises, en ne payant qu'une partie du fret proportionnée à l'étendue de la navigation, et, en cas de dissidence, chaque chargeur isolé la faculté d'opérer le retrait des siennes en payant la totalité du fret.

21. Ce qui la rassure complétement sur les conséquences du projet à l'égard des chargeurs et même des prêteurs, en général, c'est la facilité que les uns et les autres auront, au moyen d'un faible surcroft de prime, de s'assurer contre le risque nouveau que le droit d'abandon du navire et du fret par le propriétaire pourra leur faire courir. Quelques membres de votre commission avaient d'abord doute qu'il y eût là un risque ma ritime dont l'assurance fût autorisée par la loi; mais, après un examen approfondi, il a été reconnu qu'il était impossible de méconnaitre les caractères d'un risque maritime dans la chance qui existe pour les prêteurs et pour les chargeurs dont les marchandises ont été vendues pour les besoins du navire, de perdre une partie de leurs créances, par suite de l'insuffisance du navire et du fret qui pourront leur être abandonnés par le propriétaire. Or, aux termes de l'art. 334 c. com., l'assurance peut avoir pour objet « les marchandises du chargement et toutes autres choses ou valeurs estimables à prix d'argent, sujettes aux risqués de la navigation,» sous les seules exceptions contenues dans l'art. 347, exceptions qui n'ont aucun rapport au risque maritime dont il s'agit ici.

Dira-t-on que ce surcroît de prime est une charge imposée aux prêteurs à la grosse et aux propriétaires des marchandises? On ne le niera pas; mais cette charge est une conséquence naturelle du mandat qu'ils sont im plicitement présumés avoir donné au capitaine pour la conservation du navite et de la cargaison. Gette charge, ils doivent la supporter au même titre qu'ils contribuent au payement de grosses avaries dont elle offre, à beaucoup d'égards, le caractère. D'ailleurs, si l'on veut comparer un moment leur situation avec celle du propriétaire du navire, on voit qu'au moyen d'un sacrifice, qui sera nécessairement fort minime, les preleurs et les chargeurs pourront faire assurer la totalité de leurs risques; tandis que l'armateur ne peut jamais faire assurer une valeur supérieure à celle du navire, puisque la loi lui interdit même l'assurance des loyers des gens de l'équipage et du fret. Or serait-il juste d'ajouter à cette disparké déjà si onéreuse de situation une obligation personnelle indefinie, dont l'armateur ne pourrait jamais se dégager, et contre les dangers de laquelle aucune assurance ne saurait le prémunir ? C'est ce que votre commission n'a pu penser.

22. Quelques cours royales, au nombre de trois, ont demandé qu'indépendamment du navire et du fret, l'armateur fat tenu d'abandonner le montant de l'assurance qu'il aurait contractée, et cette demande à été reproduite avec force, dans le sein de votre commission, par l'un de ses membres qui a présente l'abandon du montant de l'assurance comme un moyen de préserver les prêteurs et les chargeurs des conséquences d'un concert entre le capitaine et l'armateur désintéressé par l'assurance, pour emprunter et vendre des marchandises à l'effet de réparer un bâtiment Bans valeur réelle. L'honorable membre a toutefois subordonné cet abandon du montant de l'assurance à la restitution de la prime payée par le propriétaire du navire.

Votre commission a très-attentivement examiné cette proposition, mais elle n'a pu l'admestre, même avec le correctif dont on vient de parler. Il lui a semble que les rapports établis par la loi entre le propriétaire de navire et le prêteur ou chargeur, devaient demeurer tout à fait indépendants des contrats d'assurance que chacun d'eux pouvait passer. Lorsque l'armateur n'a pas cru convenable de faire assurer son navire, il suffit qu'il l'abandonne avec le fret pour s'affranchir de toute responsabilité des engagements du capitaine; on ne lui demande rien de plus. Pourquoi done, si l'armateur a jugé prudent de se faire assurer moyennant une prime plus ou moins élevée qu'il a payée, pourquoi les prêteurs et les chargeurs viendraient-ils lui ravir le fruit d'une sage prévoyance, et recueillir l'avantage d'un contrat auquel ils sont demeurés étrangers? Une telle obligation ne tendrait rien moins qu'à interdire l'assurance du navire à l'armateur déjà privé du droit de faire assurer le fret; car ce serait bien lui interdire réellement cette assurance que de luf en retirer le bénéfice. Sous ce rapport on disait avec raison, dans une autre enceinte, où déjà cette ideo s'est produite sans succès, qu'avec un tel système la loi nouvelle deviendrait entièrement stérile pour les propriétaires de navires.

(a) Art. 417 c. com. to) Art. 401 c. com.

en est de même des lois anglaise, hollandaise et portugaise

le

Quant à la crainte d'un concert coupable entre le capitaine et l'armateur, elle a paru peu fondée à votre commission. D'une part, en effet, propriétaire du navire qui ne peut faire assurer le fret ni les gages des gens de mer, n'est pas complétement désintéressé par l'assurance; le fûtil en faisant assurer le fret à l'étranger, il ne faut pas oublier que le concert frauduleux qu'on redoute ici entraînerait pour l'armateur une responsabilité personnelle dont il ne lui serait pas permis de s'affranchir par l'abandon du navire; car la fraude, comme on sait, fait exception à toutes les règles. Ajoutons qu'une semblable fraude constituerait une véritable baratterie, et qu'il n'est pas permis de supposer qu'un armateur voulût encourir les peines terribles que nos lois ont infligées à ce crime.

Votre commission a donc pensé qu'il n'y avait aucun motif d'enlever à l'armateur déjà privé du droit de faire assurer le fret et les loyers de l'équipage, celui de profiter de l'assurance du navire, et de se mettre, au moins pour partie, à l'abri des risques que les prêteurs et les chargeurs peuvent eux-même totalement conjurer en recourant à ce contrat d'assurance dont la protection bienfaisante doit s'étendre à tous les intérêts maritimes, au lieu d'étre le partage exclusif de quelques intérêts privilégiés. 23. Après s'être ainsi fixé sur l'utilité commerciale et la justice da principe même du projet, votre commission s'est occupée de l'examen des dispositions de détail.

Le nouveau projet, plus étendu dans sa rédaction, a pour but aonseulement de développer l'idée fondamentale de l'ancien projet, mais encore de modérer les conséquences que le principe pouvait avoir à l'égard des chargeurs. A cet effet, le gouvernement vous propose trois dispositions, nouvelles qui forment autant de paragraphes distincts dont l'un est ajouté à l'art. 216, l'autre à l'art. 234, et le troisième à l'art. 298

c. com.

24. Le paragraphe ajouté à l'art. 216, dont les deux premiers numéros ont paru à votre commission rédigés avec une netteté qui ne laisse rien à désirer, a pour objet de refuser le droit d'abandon au propriétaire, qui est en même temps capitaine du navire, en réduisant toutefois son obligation personnelle à la proportion de son intérêt, dans le cas assez fréquent où le capitaine n'a qu'une part dans la propriété du navire.

Un membre de votre commission s'est élevé avec énergie contre cette disposition qu'il a signalée comme contraire au principe même de la loi. Quel est, a-t-il dit, le principe du projet? C'est que le propriétaire du navire n'est pas personnellement engagé, puisqu'il peut se libérer par l'abandon du navire et du fret. Les tiers qui traitent avec le capitaine ne contractent qu'avec le navire; c'est le navire seul qui est obligé. Pourquoi en serait-il autrement dans le cas où le capitaine se trouve en même temps propriétaire ou copropriétaire du navire? Pourquoi l'engagement, qui n'affecte que la chose dans le premier cas, affecterait-il tout la fois la chose et la personne dans le second? Dès que l'intérêt du commerce maritime exige que les obligations contractées par le capitaine, pour les besoins du navire, ne lient le propriétaire que jusqu'à concurrence du navire et du fret, cet intérêt est le même, soit que le capitaine ait un intérêt dans la propriété du navire, soit qu'il n'en possède aucune partie. Dans l'un comme dans l'autre cas, son obligation doit être limitée à la valeur du navire et du fret. Décider autrement, c'est donner à la loi deux principes différents, ou, pour mieux dire, c'est ne lui en laisser aucun, car c'est renverser celui sur lequel elle repose.

(art. 1290). Mais, en Angleterre, le certificat d'inscription ou

dissemblables, et comment peut-on dire qu'elle abdique son principe, parce qu'à côté de la règle qu'elle pose pour un cas, elle établit une sage et indispensable exception pour un cas tout différent?

La disposition critiquée dérive si naturellement des principes que, dans le silence même de la loi nouvelle, le droit commun n'aurait pas permis d'admettre une autre doctrine, et c'est pour ce motif que le gouvernement, dans son projet primitif, et votre ancienne commission, n'avaient pas jugé nécessaire de formuler sur ce point un texte dont la dissidence même qu'on vient de rapporter montre l'utilité. Votre commission approuve donc le troisième paragraphe que le projet propose d'ajouter à l'art. 216; elle admet aussi la restriction de l'obligation personnelle du capitaine copropriétaire à la proportion de son intérêt dans la propriété : pour le surplus de la propriété du navire, il n'est que le mandataire de ses cointéressés, il ne traite que comme capitaine, et il ne peut être tenu indéfiniment qu'autant qu'il se serait personnellement engagé pour le tout.

25. Le nouveau paragraphe que le gouvernement propose d'ajouter à l'art. 234, accorde aux chargeurs le droit de s'opposer à la vente ou à la mise en gage de leurs marchandises, moyennant un fret proportionné au voyage avancé si l'affréteur est unique ou si tous les chargeurs sont d'accord pour rompre le voyage, et en payant le fret entier s'il y a dissentiment entre eux. Cette disposition a paru assez grave à votre commission. C'est un tempérament apporté en faveur des chargeurs au principe même de la loi, et, sous ce rapport, on est disposé à y applaudir; d'un autre côté, il faut craindre d'aggraver la position de l'armateur que la loi a précisément pour but d'encourager. Votre commission a trouvé une conciliation satisfaisante de ces deux intérêts dans la sage restriction inspirée par la chambre des pairs, qui ne permet pas que quelques chargeurs puissent retirer leurs marchandises, en ne payant qu'une partie du fret, alors que le capitaine serait dans la nécessité de continuer à grands frais le voyage pour le transport de celles peut-être en fort petite quantité dont le déchargement n'aurait pas été demandé. Le retrait ne peut avoir lieu, dans ce cas, que conformément à la règle générale posée dans le code de commerce, c'est-à-dire en payant la totalité du fret (a).

26. Enfin, le paragraphe additionnel proposé par le gouvernement à l'art. 298 c. com. a pour objet la répartition entre les chargeurs de la perte qui résultera de l'exercice du droit d'abandon du navire pour ceux dont les marchandises auront été vendues ou mises en gage.

Aucun doute ne peut sérieusement s'élever sur le principe même de cette répartition dont l'équité est manifeste, qui a obtenu le suffrage de toutes les cours royales favorables au projet, moins une seule, et celui même de quelques-unes de celles qui se sont prononcées contre le projet. Votre ancienne commission, d'accord en cela avec le gouvernement et avec la commission de la chambre des pairs, l'avait regardée comme une application si naturelle des dispositions du code de commerce sur les avaries communes, qu'elle avait cru pouvoir s'abstenir de rédiger un article pour consacrer un droit, à son avis, déjà écrit dans la loi. Vetre commission actuelle reconnaît cependant que certains précédents de jurisprudence peuvent faire naître des doutes qu'il est utile de dissiper par une disposition expresse.

27. Mais quelle doit être cette disposition, et comment la répartition se fera-t-elle ? Le projet présenté par le gouvernement, à la chambre des pairs, était ainsi conçu: « Lorque, de l'exercice de ce droit, résultera une perte pour ceux dout les marchandises auront été vendues ou mises en gage, elle sera supportée par tous les chargeurs, au marc le franc de la valeur de leurs marchandises. » — La commission de la chambre des pairs craignant, d'une part, que cette rédaction ne fit exclusiment supporter la perte aux marchandises qui arriveraient à la destination la plus éloignée du navire; et, d'autre part, que les marchandises sauvées du naufrage ne fussent pas soumises à cette contribution, a sub

sultera une perte pour ceux dont les marchandises auront été vendues ou mises en gage, elle sera répartie au marc le franc sur toutes les marchandises arrivées à leur destination ou sauvées du naufrages, postérieure. ment aux événements de la mer qui ont nécessité la vente ou la mise en gage. »

Votre commission n'a pu se rendre à cette opinion qui déjà avait été proposée dans les observations d'une cour royale, et il semble que bien peu de mots sont nécessaires pour montrer qu'elle n'a pas de fondement réel. Pourquoi le projet propose-t-il d'accorder au propriétaire du navire le droit de s'affranchir des obligations contractées par son capitaine, en abandonnant le navire et le fret? Ce n'est pas parce que les tiers qui ont traité avec le capitaine n'ont contracté qu'avec le navire; car, en traitant avec le capitaine, ils ont traité avec le propriétaire, qui est personnelle-stitué la rédaction suivante: « Lorsque, de l'exercice de ce droit, il rément tenu jusqu'au moment où il use du droit d'abandon; c'est parce qu'il serait tout à la fois contraire à la raison, à l'équité et aux vrais intérêts du commerce maritime, de laisser le propriétaire indéfiniment obligé sur toute sa fortune des engagements contractés par un mandataire que la loi lai impose pour la conduite de son navire, par un mandataire pour le choix duquel il n'a pas toute sa liberté, et dont il est dans l'impuissance de contrôler la conduite. Voilà pourquoi la loi vient au secours de l'armateur, et limite à la valeur du navire et du fret, c'est-à-dire de l'objet même confié au capitaine, les effets des engagements contractés par ce capitaine envers des tiers qui n'ont pu raisonnablement compter que sur ce gage. Mais, on le demande, quel motif peut-il exister de restreindre l'obligation à la valeur du navire et du fret, lorsque c'est l'armateur luimême qui est capitaine du navire, et qui a personnellement contracté en parfaite connaissance de cause? Il ne s'agit plus alors de mettre l'armateur à l'abri de l'imprudence ou de l'infidélité d'un mandataire; il s'agit d'un engagement personnel qui affecte indistinctement la fortune de terre comme la fortune de mer de l'obligé, et auquel la loi ne saurait apporter la plus légère restriction sans oublier les notions les plus élémentaires du droit et de la raison. Comment la loi pourrait-elle placer sur la même ligne et soumettre à la même décision deux situations aussi profondément

Cette rédaction, adoptée par la chambre des pairs, et qu'on lit aujourd'hui dans le projet qui vous est soumis, a paru à votre commission avoir évidemment trahi la pensée qui l'avait inspirée. Elle a eu pour but d'étendre la répartition à toutes les marchandises qui se trouvaient à bord au moment où quelques-unes de ces marchandises ont été vendues on mises en gage pour les besoins du navire; et cependant l'article exclut nettement de cette contribution les marchandises mêmes qui ont été vendues ou mises en gage, puisque la répartition ne se fait que sur les marchandises arrivées à leur destination ou sauvées du naufrage. Il suivrait de là que, par un étrange privilége, le chargeur dont les marchandises auraient été vendues ou mises en gage se trouverait le seul affranchi de toute contribution à la perte commune.-Telle n'a certainement pas été la pensée de l'amendement, et on en trouve la preuve dans un passage du rapport de (4) Art. 293 c. com.

d'enregistrement du navire (certificate of registry) doit être endossé à l'acheteur, en présence de deux témoins, et une copie de cet endossement doit ensuite être remise, dans un délai déterminé, à l'employé chargé d'en opérer la transcription sur des registres publics (statuts 3 et 4, Guillaume IV, ch. 55; statut 26, Georges III, ch. 60, § 17; statut 34, Georges III, ch. 68, § 41, et statut 42, ch. 61, § 17). Le code hollandais, art. 309, veut que les ventes de bâtiments soient transcrites sur un registre public à ce spécialement destiné. Et, d'après la loi portugaise, art. 1320, l'enregistrement du navire à l'intendance du port auquel il appartient doit être renouvelé toutes les fois que la valeur entière ou partielle de ce navire est transférée à un nouveau propriétaire.

18. En Espagne, un étranger non naturalisé ne peut acheter un navire. S'il en acquiert un par succession ou à tout autre titre gratuit, il doit le vendre dans le délai de trente jours, à peine de confiscation. Mais il est loisible aux Espagnols d'acquérir des bâ-| timents de construction étrangère. Le commerce de cabotage est exclusivement fait par des navires espagnols, sauf les exceptions résultant des traités de commerce avec les puissances étrangères. Les navires étrangers mouillés dans les ports espagnols ne peuvent être saisis pour des dettes qui n'auraient pas été contractées sur le territoire espagnol et pour l'utilité de ces mêmes navires (c. espagn., art. 584, 590, 591, 605).

19. En Russie, chacun a le droit d'acheter et de vendre des bâtiments russes; mais les marchands des première et deuxième guildes ont seuls le droit d'acheter des navires étrangers. Les Russes ne peuvent vendre leurs navires dans les ports étrangers sans l'intermédiaire des consuls de leur nation, ou, s'il n'y a pas de consuls, sans en donner avis au consul le plus voisin. La navigation du cabotage d'un port de l'empire à un autre n'est autorisée qu'en faveur des sujets russes, sur des bâtiments russes (c. russe, art. 547, 550, 572).

20. D'après la loi espagnole, si l'un des copropriétaires d'un navire veut vendre sa part, il doit, à prix égal, la céder de préférence aux autres copropriétaires, si ceux-ci exercent dans un bref délai ce droit de préemption, et consignent le prix d'achat (art. 612). Des dispositions analogues se trouvent dans les codes prussien (art. 1437 et 1438), danois (c. de 1883, liv. 4, ch. 2, art. 14), suédois (ord. de 1667, liv. 3, ch. 3) et russe (art. 560).

[ocr errors]

21. On a vu plus haut que la question de savoir si les propriétaires de navire sont indéfiniment responsables des obligations contractées par leurs capitaines en cette qualité, ou s'ils peuvent, au contraire, s'en affranchir en abandonnant aux créanciers le navire et le fret, a été résolue, chez nous, dans ce dernier sens, par la loi du 17 juin 1841. La même règle est suivie en Portugal (art. 1344), en Hollande (art. 321), à Hambourg (statuts de 1603), en Danemark (arg. des art. 5 et 15 du ch. 2 du code de 1683), en Suède et en Norwége (ord. 1667, tit. 2, ch. 16), en Russie (art. 649), dans les Deux-Siciles (art. 203),

l'honorable M. Camille Périer, où on lit « que la répartition de ces pertes au marc le franc sur toutes les marchandises, afin de désintéresser, sauf sa part contributive, le propriétaire des marchandises vendues, ne serait que l'application d'une règle de droit commun, comme d'un principe d'équité (b). »

Únanimement convaincue que cette rédaction ne répondait point à la pensée de ses auteurs, votre commission a été divisée sur le point de savoir si elle vous proposerait un amendement pour la rectifier, ou si, au contraire, elle se bornerait à une explication dans le rapport. La minorité a pensé qu'une explication dans le rapport suffisait pour prévenir toute erreur dans l'application de la loi, dès que l'intention de la chambre des pairs elle-même, attestée par le rapport de sa commission, ne pouvait être l'objet d'un doute. Mais la majorité de votre commission a répondu que les termes de l'article étaient trop clairs pour se prêter à une interprétation extensive; qu'isolé des rapports qui l'auraient précédé, un semblablo texte ne pourrait manquer d'induire en erreur le citoyen, le juge ou l'arbitre; qu'il serait d'ailleurs, d'un fâcheux exemple, de laisser se glisser dans nos codes une disposition en opposition manifeste avec la pensée du législateur. La majorité a donc été d'avis qu'un amendement était néCessaire.

Elie vous propose de combiner la rédaction primitive du projet avec

(6) Rapport de la chambre des pairs.

TONE XVIII.

à Malte, où sont suivies les dispositions de l'ord. de 1681, dans le royaume Lombardo-Vénitien, dont le code commercial est la reproduction du nôtre, dans la Sardaigne (art. 231), et dans les pays régis par l'ordonnance de Bilbao, c'est-à-dire au Mexique et dans les Républiques de l'Amérique du Sud. Mais le système de la responsabilité illimitée des propriétaires de navire a prévalu en Espagne (art. 621), en Prusse (art. 1525 à 1529), en Angleterre (stat. 42, Georges III, ch. 61), et aux États-Unis (V l'ouvrage de M. Antoine de Saint-Joseph, intitulé Concordance entre les codes de commerce étrangers et le code de commerce français, pr. 212).

22. En Espagne, nul ne peut être capitaine de navire, s'il n'est Espagnol ou naturalisé Espagnol. L'étranger naturalisé doit fournir une caution à l'armateur de la moitié au moins de la valeur du navire. Quiconque veut exercer les fonctions de capitaine doit avoir subi les examens prescrits par les règlements (art. 634 à 638). Des dispositions analogues sont établies par le code portugais (art. 1362). En Prusse, nul ne peut être nommé patron sans un examen préalable (art. 1446). Et la loi russe exige que le capitaine ne soit choisi par l'armateur que sur l'exhibition d'un certificat attestant sa capacité et sa moralité (art. 611).

23. A la différence de la loi française (art. 234), la loi espagnole interdit au capitaine d'emprunter à la grosse sur le chargement, à peine, en cas d'infraction à cette défense, de nullité du contrat en ce qui concerne ce changement (art. 671).

24. D'après le code hollandais, si le capitaine est copropriétaire du navire, sa part et le profit qui en provient sont affectés, par privilége, à sa dette envers ses coïntéressés (art. 392).

25. Nul, aux termes du code espagnol, ne peut être pilote, contre-maître ni officier de navire marchand, sans avoir ob tenu le brevet et l'autorisation prescrits par les ordonnances, à peine de nullité de l'engagement contracté en contravention à cette prohibition (art. 687).

96. Les officiers et les gens de l'équipage sont autorisés par la loi hollandaise à se refuser au service: si, avant le commencement du voyage, le capitaine veut changer de destination; s'il existe avec le royaume une guerre maritime; s'il en survient une pendant une relâche; s'il éclate une épidémie; si le navire change de propriétaire, de directeur ou de capitaine; si, s'étant engagés à voyager sous escorte, l'escorte n'est pas accordée (art. 440). D'après la même loi, les officiers ou gens de l'équipage ne peuvent intenter un procès quelconque contre le capitaine ou le navire avant le voyage fini, sous peine de perdre leurs gages. Seulement ils ont le droit, quand le navire est dans un port, s'ils ont été maltraités ou mal nourris, de demander la résolution de leur engagement (art. 444).

27. Les matelots, suivant la loi prussienne, sont avec le patron dans les mêmes rapports que les domestiques avec leurs mattres (art. 1534). Le code russe distingue les matelots des

celle de la commission de la chambre des pairs, de manière à exprimer, en termes formels, cette idée que les marchandises vendues ou mises en gage devront concourir comme toutes les autres, au payement de la perte qu'éprouvera le propriétaire de ces marchandises, par suite de l'exercice du droit d'abandon du navire et du fret. Le dernier paragraphe de l'art. 298 serait ainsi formulé : « Lorsque, de l'exercice de ce droit, résultera une perte pour ceux dont les marchandises auront été vendues ou mises en gage, elle sera répartie au marc le franc sur la valeur de ces marchandises et de toutes celles qui sont arrivées à leur destination, ou qui ont été sauvées du naufrage postérieurement aux événements de mer qui ont nécessité la vente ou la mise en gage. »

28. Sauf ce changement de rédaction dont elle se serait abstenue si elle ne l'avait jugé indispensable, votre commission donne son entier assentiment au projet de loi. Ce projet est l'expression d'un besoin profondément senti par le commerce; son but est de raviver l'industrie des armements maritimes, de la faire sortir d'un état stationnaire, s'il n'est rétrograde, pour la mettre en harmonie avec les progrès toujours croissants de notre commerce extérieur. Le principe de la loi, parfaitement conforme à la raison et à l'équité, répond tout à la fois à un intérêt économique et à un intérêt politique; depuis que vous l'avez voté dans votre précédente session, il a obtenu le suffrage des grands corps de notre magistrature et la sanction de l'autre chambre. Vous ne sauriez donc le répudier aujour d'hui, et votre commission est unanime pour vous en proposer l'adoption.

40

« PreviousContinue »