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Il résulte également d'un arrêt de la cour de Bordeaux, que l'échouement avec bris ne peut donner lieu à l'abandon que lorsque le sinistre a été très-grave; et que le sinistre n'a point ce caractère quand le navire n'a point été brisé ou disjoint dans ses parties essentielles, et n'a subi que des avaries qui ont été facilement réparées (Bordeaux, 1er avr. 1844) (1).

Cette doctrine est exacte. L'échouement avec bris ne doit pas être confondu avec l'innavigabilité, puisque ces deux espèces de sinistres sont signalés par l'art. 369 comme étant deux causes distinctes de délaissement. On ne saurait donc prétendre, sans ajouter arbitrairement à la loi, que le délaissement pour cause d'échouement avec bris, doive être soumis aux mêmes conditions que l'abandon à titre d'innavigabilité; en d'autres termes, on n'est pas fondé à dire que, comme l'innavigabilité n'est, ainsi qu'on le verra plus bas, une cause de délaissement que quand le navire échoué n'a pu être réparé et mis en état de continuer sa route, de même l'abandon pour cause d'échouement avec bris est subordonné à la condition que le bâtiment échoué avec bris n'ait pu être relevé et mis à même de se rendre à sa destination. L'échouement est, on le répète, une cause de délaissement tout à fait différente de l'innavigabilité. Chacun de ces sinistres est régi par des règles qui lui sont propres; il n'est pas permis d'appliquer à l'un d'eux les dispositions que la loi a particulièrement établies pour l'autre. Il suit de là qu'à la différence de l'innavigabilité, l'échouement avec bris constitue par lui-même un cas d'abandon, bien que le navire ait pu être relevé et conduit à sa destination. Mais, d'un autre côté, ce serait manifestement

que la gravité de l'accident résulte encore des autres circonstances décrites dans les rapports du capitaine, où l'on voit notamment que les pièces de vin assurées ont été emportées par la mer; que quelques-unes même n'ont pas été retrouvées; que, si le navire a pu reprendre sa route, ce n'a été qu'après avoir été amené dans un port encore très-éloigné de sa destination, après y avoir débarqué toutes les marchandises, y avoir séjourné, et à la faveur de réparations d'une assez grande importance, eu égard à la valeur et à la classe à laquelle il appartient; Attendu qu'à la vérité l'art. 12 des polices imprimées, en usage sur la place de Paris, exigeait que l'échouement avec bris eût rendu le navire innavigable; mais que cette condition a été supprimée dans les conventions particulières, et qu'elle prouve seulement que dans la pensée même de la compagnie, il peut y avoir échouement avec bris donnant lieu au délaissement sans qu'il y ait bris absolu, ni même que le navire soit devenu innavigable; Attendu, enfin, que, d'après les mêmes conventions particulières, et par dérogation tant à cet art. 12 qu'à l'art. 369 et tous autres du code de commerce, il a été stipulé que le délaissement pourrait avoir lieu quand même les marchandises n'auraient éprouvé aucune détérioration, condition qui a dû être prise en considération dans le règlement de la prime. >> Appel par les assureurs. On oppose que les assurés ne se trouvent dans aucun des cas légaux ou conventionnels de délaissement. Il n'existe pas de naufrage, dit-on, puisque le navire n'a pas péri; pas d'innavigabilité, puisque, après des réparations, il a continué son voyage; pas d'échouement avec bris, puisque l'échouement que le navire à subi n'a pas occasionné un dommage qui l'ait mis hors d'état de naviguer. Si une autre doctrine était admise, le moindre bris avec échouement donnerait lieu à l'abandon. Le sens des mots échouement avec bris est fixé par l'art. 389 c. com., aux termes duquel le délaissement ne peut être fait si lo navire échoué peut être relevé, réparé et mis en état de continuer sa Arrêt.

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route. LA COUR,

Adoptant les motifs des premiers juges, confirme, etc. Du 27 août 1842.-C. de Paris, 1′′ ch.-M. Séguier, 1′′ pr.

(1) Espèce:- - ( Paniagua C. assureurs.)- En 1843, Paniagua a fait assurer 10,850 fr. sur des liquides chargés dans le navire TweeGibroeders, allant de Bordeaux à Bruxelles. Ce navire ayant touché sur des bancs de rochers près des côtes d'Angleterre, y demeura échoué. Bientôt après néanmoins les avaries assez considérables qu'il avait éprouvées ayant été réparées, il se rendit à sa destination. Là, il fut constaté que les marchandises de Paniagua avaient subi des avaries par suite de l'échouement. Paniagua fit alors le délaissement aux assureurs; mais ceux-ci refusèrent de l'accepter.

10 nov. 1843, jugement du tribunal de commerce de Bordeaux, en ces termes: «Attendu qu'il résulte du rapport du capitaine Urie que, dans la nuit du 4 au 5 mai, le navire Twee-Gibroeders talonna sur les roches sur lesquelles il demeura échoué jusqu'à trois heures de l'après midi; qu'à ce moment, soit par l'effet de diverses manœuvres et du jet à la mer d'une partie de la cargaison, soit à la faveur de la pleine mer, on parvint à le remettre à flot; qu'immédiatement on s'occupa de réinstaller le gouvernail démonté par le talonnement du navire, et qu'on le dirigea de suite vers le port de Cowes, dans lequel il ne put cependant entrer que

abuser de la lettre de la loi que de voir un cas d'abandon dans un échouement accompagné d'un bris peu important. La loi n'exige pas, sans doute, pour donner ouverture au droit de délaisser, que l'échouement ait eu lieu avec bris absolu, car alors il y aurait naufrage, cause de délaissement distincte de l'échouement; mais il faut que le bris partiel dont ce sinistre a été accompagné ait atteint l'une des parties essentielles du bâtiment, donné accès aux eaux de la mer et occasionné, en un mot, de graves dommages, sans qu'il soit besoin pourtant que ces dommages s'élèvent à plus des trois quarts de la valeur du navire, puisque cette circonstance suffirait à elle seule pour constituer une cause particulière et distincte de délaissement (V. en ce sens MM. Devilleneuve, Recueil gén. des lois et arrêts, t. 44, 2. 550; Pardessus, t. 3, p. 372; Alauzet, no 345, et Lemonnier, no 266).—Il n'a été question, dans ce qui vient d'être dit, que des conditions de l'abandon du navire pour cause d'échouement; quant au délaissement des marchandises, pour la même cause, il en sera parié ci-après, n° 2000 et suiv.

1999. Il est sans difficulté que, dans le cas d'échouement avec bris et perte ou détérioration du navire jusqu'à concu rence des trois quarts de sa valeur, le délaissement peut être fan, bien que le navire échoué puisse être relevé, réparé, et mis en état de continuer sa route, surtout si la police d'assurance porte expressément que le délaissement pourra avoir lieu en cas de perte excédant les trois quarts de la valeur de l'objet assuré (Rouen, 22 juin 1819) (2). — En effet, si les auteurs sont divisés sur le point de savoir s'il faut, pour autoriser le délaisse

le lendemain à huit heures du soir, à cause du mauvais temps et de la force du vent qui n'avait pas cessé de régner; Que le navire faisait beaucoup d'eau, mais qu'il n'apparaît nullement des termes de ce rapport qu'il eût été crevé ou disjoint dans aucune de ses parties essentielles; qu'il n'est pas même dit que la navigation, longue dans la circonstance qui a été nécessaire pour atteindre Cowes, ait augmenté la fatigue du navire; Attendu que s'il résulte du rapport des experts qu'ils ont trouvé les deux côtés de la carène considérablement rognés, brisés et endommagés en plusieurs endroits, et plusieurs bordages presque coupés de part en part, il est constant néanmoins que les réparations qu'ils ont jugé utile d'indiquer se bornent au remplacement de morceaux de bordages et à recalfater la carène; d'où l'on doit nécessairement induire qu'aucune portion de la membrure n'a été rompue, ni même déplacée; Attendu que de ces mols: échouement avec bris, il ne résulte pas né cessairement qu'un bris quelconque occasionné par l'échouement suffit pour légitimer la demande en validité d'abandon: une semblable interprétation de l'art. 369 se trouve détruite par la combinaison de cet article avec les art. 381 et 389; - Qu'en effet, ce ne serait que par un abus de mots que l'on arriverait à étendre indéfiniment le sens de l'art. 369 jusqu'au cas où la rupture de la pièce la moins importante d'un navire viendrait à s'effectuer par suite d'échouement; - Que la doctrine et la jurisprudence repoussent unanimement cette extension indéfinie; qu'il est généralement admis que si le législateur n'a pas déterminé l'espèce de bris qui, joint à l'échouement, serait une cause légitime d'abandon, celle disposition de l'art. 379 ne peut s'entendre que d'un bris assez considérable pour former avec l'échouement un accident majeur; que ces principes sont écrits notamment dans un arrêt de la cour de Bordeaux, du 23 juin 1827; Attendu que vainement on dirait que ces principes spécialement applicables au corps du navire, doivent fléchir à l'égard de la marchandise; qu'en effet, par suite non-seulement de la détérioration qu'elle a cue à subir par suite de l'événement, mais encore des longs retards qui en sont la conséquence, l'opération commerciale peut se trouver ruinée; Attendu que la loi ne distingue pas; qu'un échouement, même sans bris, peut occasionner de fortes avaries et de très-longs retards; que cependant, dans un cas pareil, on ne pourrait soulever la prétention de faire abandon en se fondant uniquement sur l'événement; - Attendu que l'événement survenu au navire Twee-Gibroeders doit être rangé dans la classe de l'échouement simple; — Déclare Paniagua mal fondé dans sa demande en validité d'abandon. » — Appel. - Arrêt. LA COUR;-Attendu que, d'après l'art. 369 c. com., le délaissement des objets assurés peut être fait s'il y a échouement avec bris, indépendamment du cas de perte ou de détérioration de plus des trois quarts des objets assurés ;— Attendu néanmoins que l'échouement avec bris ne peut donner lieu à l'abandon que lorsque le sinistre a été très-grave; Attendu que, dans le fait, il n'est point justifié que le navire Twee-Gibroeders ait été brisé ou disjoint dans ses parties essentielles; que si la quille a été rognée et quelques bordages cassés, il n'en est résulté que des avaries qui ont pu être facilement réparées; Met l'appel au néant, etc.

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Du 1er avril 1844.-C. de Bordeaux, 1 ch.-M. Roullet, pr.

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ment, qu'à l'un des sinistres déterminés par l'art. 369 c. com., vienne se joindre la circonstance de la perte ou détérioration des trois quarts au moins des objets assurés, jamais on n'a douté que cette circonstance, suffisante à elle seule pour donner lieu au délaissement, ne doive, à plus forte raison, produire cet effet, quand elle se trouve jointe à l'un des sinistres majeurs spécifiés par la loi.

2000. Il a été jugé que, sous l'ordonnance de 1681 et la déclaration du 17 août 1779, la seule circonstance de l'échouement simple du navire non assuré, ne suffisait pas pour donner lieu au délaissement des marchandises assurées, et qu'il était encore nécessaire de prouver soit la perte de ces marchandises, soit l'innavigabilité du navire.-Dans ce dernier cas, les assurés étaient obligés de signifier aux assureurs les pièces constatant l'innavigabilité, et de se réunir à eux pour chercher un autre navire sur lequel on pût transporter les marchandises; s'il ne s'en trouvait pas, alors seulement les assurés étaient admis à faire le délaissement, en se conformant aux dispositions des art. 49 et 50, tit. des Assur. de l'ord. de 1681 (Req., 3 niv. an 13) (1). On devrait décider de même, aujourd'hui, que l'échouement simple n'étaut pas suffisant pour autoriser les assurés, même sur

dès qu'il est constant, en fait, que, par suite de l'échouement avec bris, la détérioration des objets assurés s'est élevée à plus des trois quarts de leur valeur, estimée par la police d'assurance, les arbitres ont fait une juste application de l'art. 10 de ladite police, ainsi que de l'art. 369 c. com.;- A mis et met l'appellation au néant. Du 22 juin 1819.-C. de Rouen.-M. Aroux, pr. (1) Espèce : (Olivier et Lacorne C. Baudry et Boulogne.) En vend. an 11, cent pièces d'eau-de-vie sont chargées à Cette, pour le compte de Cinot et Charlemagne, sur le navire l'Adélaïde, capitaine Blondel, en destination pour Rouen: ces eaux-de-vie sont assurées au Havre, le 29 brumaire, par Baudry et Boulogne. La police porte : « Les assureurs prennent à leurs risques et périls les pertes et dommages qui pourraient arriver sur les effets qui sont énoncés, tant par tempête, naufrage, échouement, etc., promettant, s'il arrive perte ou avarie aux effets, navire ou marchandises, de payer aux assurés les sommes qui se trouveront être dues, trois mois après la perte, ou l'avarie réglée; et pour tout ce que dessus les uns et les autres promettant de suivre et exécuter l'ordonnance de la marine de 1681. » Le 20 niv. an 11, le navire est contraint d'échouer dans la baie de Gibraltar. Le capitaine fait son rapport, mais sans faire mention que les marchandises aient péri par suite de l'échouement. Il paraît que les marchandises n'éprouvèrent qu'un très-petit dommage, et que même le vaisseau, mis bientôt en état de continuer sa route, s'était rendu à Algésiras, où il avait été déserté par le capitaine Blondel. Les assurés, ayant reçu la nouvelle de l'échouement, signifient aux assureurs le délaissement des marchandises, avec sommation de payer la somme assurée. Refus des assureurs. Cités devant le tribunal de commerce du Havre, par Olivier et Lacorne, au nom des assurés, ils soutiennent qu'il n'y a pas lieu au delaissement: 1° parce que les assurés ne justifient pas de la perte des marchandises; 2° parce que de deux lettres, l'une, du capitaine Blondel, l'autre, d'un correspondant à Gibraltar, il résulte que les marchandises n'ont éprouvé aucun dommage.

Le 27 flor. an 11, jugement ainsi conçu : « Considérant que la police ou contrat d assurance sur les eaux-de-vie dont il s'agit, fixe les droits et obligations réciproques des assurés et des assureurs; qu'ainsi, c'est dans cet acte qui est la loi commune des parties, comme dans l'ordon. de 1681 et la déclaration du 17 août 1779, qu'on doit puiser les motifs de décision dans la cause, les assureurs prenant dans ladite police à leurs périls et risques... (comme ci-dessus). Telles sont les obligations des assureurs ; d'où il suit qu'ils ne doivent rien, tant que la perte des effets énoncés dans la police n'est pas constatée, ou l'avarie réglée; il faut donc qu'elle le soit avant de recourir sur eux : les obligations des assurés sont de justifier légalement la perte des marchandises assurées, ou de produire le règlement de leurs avaries; sans ces preuves, ils ne peuvent exercer l'action en garantie contre leurs assureurs, ni leur demander payement; mais ils peuvent et doivent leur signifier les événements sinistres, sans préjudice de leur délaissement, s'il y a lieu; — Considérant que les sieurs Olivier et Lacorne ne font point la preuve que les eaux-de-vie assurées soient perdues, ni même qu'elles aient souffert aucun dommage; qu'ils produisent une déclaration du capitaine Blondel, laquelle n'est relative qu'au navire l'Adélaïde, et non aux marchandises de son chargement, laquelle ne constate autre chose que les accidents soufferts par ledit navire, jusqu'à son échouement dans la baie de Gibraltar; qu'ainsi elle ne peut être opposée aux assureurs sur les marchandises qui ont pu n'éprouver ni perte ni dommage par l'échouement ;— Considérant que l'ordon. de 1681, tit. 6 des assurances, en indiquant, par l'art.46, les six cas dans lesquels les assurés peuvent faire le délais

TOME XVIII.

le navire, à délaisser, ne saurait, à plus forte raison, donner lieu au délaissement des marchandises; seulement, si celles-ci ont souffert par suite de cette espèce de sinistre, il y a ouverture à l'action d'avarie.

Quant à l'échouement du navire avec bris, il donne lieu, au contraire, au délaissement des marchandises assurées, si le bris est considérable; en d'autres termes, il suffit que l'échouement soit de nature à autoriser l'abandon du navire, pour qu'il autorise également l'abandon des marchandises assurées séparément du navire, alors même qu'il n'a occasionné à celles-ci que peu ou point de dommage. Cette règle peut paraître injuste au premier coup d'œil; mais, d'une part, il est bien rare que les marchandises ne soient pas fortement endommagées par un échouement ayant le caractère de sinistre majeur; et, d'un autre côté, il a paru utile, pour prévenir toutes contestations, de régler le sor des marchandises d'après celui du navire. De là la règle dont il s'agit, règle qui était déjà suivie sous l'ordon. de 1681. « Le naufrage et le bris, dit Émerigon, t. 2, p. 212, donnent indéfiniment lieu à l'action d'abandon, même pour les facultés, qui ne peuvent être sauvées sans avoir ordinairement souffert une perte ou un dommage plus ou moins considérable..... On ne considère sement, na contient aucune disposition qui les dispense de l'obligation de justifier de la perte des marchandises assurées; qu'au contraire, l'ordonnance exige formellement cette justification par les art. 56 et 57, avant que les assureurs sur marchandises puissent être contraints au payement des sommes assurées; ce qui démontre jusqu'à l'évidence que là où il n'y a point de pertes éprouvées, il n'y a point lieu à délaissement. Les sieurs Olivier et Lacorne ont senti, sans doute, qu'ils devaient faire cette justification, puisqu'ils ont produit la déclaration du capitaine Blondel, citée ci-dessus; mais cette déclaration, étant étrangère aux marchandises, ne peut suppléer la preuve voulue par la loi pour les marchandises;

» Considérant que les assurés et les assureurs ont promis d'exécuter la police, suivant la disposition de l'ordon. de 1681, tit. 6, mais qu'ils n'ont pas dérogé expressément, ni renoncé au bénéfice des autres titres de l'ordonnance, ni aux autres lois relatives, telles que la déclaration du 17 août 1779, concernant les assurances; qu'ainsi les uns et les autres peuvent les invoquer; qu'il résulte de cette déclaration, art. 5 et 7, que, dans le cas d'échouement d'un navire, qui a été relevé par les forces de son équipage, ou par des secours empruntés, ou même lorsque ce navire a été condamné comme innavigable, les assurés sur marchandises ne peuvent en faire le délaissement: ce qui établit de plus en plus la conséquence qui sort des art. 56 et 57, titre des assurances de l'ordonnance. On aperçoit que le législateur a, par cette ordonnance et par cette déclaration, prévu l'importance de ne pas admettre le délaissement sans preuve légale du sinistre arrivé aux marchandises, parce que les asrés pourraient abuser du délaissement pour leur propre intérêt. En effet, de deux lettres produites au procès par les assureurs, une du capitaine Blondel, commandant l'Adélaïde, l'autre du sieur Paschal Teste, son correspondant à Gibraltar, il paraft résulter que le navire, après cet échouemont, s'est réparé pour poursuivre son voyage, et que les marchandises de son chargement n'ont éprouvé aucun dommage; - Le tribunal déclare les assurés non recevables dans leur délaissement. >>

Sur l'appel, arrêt de la cour de Rouen, du 12 niv. an 12, qui, adoptant les motifs des premiers juges, confirme. - Arrêt. LA COUR; Attendu qu'il ne résulte pas des termes dans lesquels est conçu l'art. 46 de l'ordon. de la marine, au titre des assurances, que l'action en délaissement soit acquise aux assurés dans tous les cas qui y sont prévus, mais seulement qu'elle ne pourra avoir lieu dans aucun autre; d'où il suit que la cour d'appel n'a point violé sa disposition, s'il existe quelque loi postérieure qui ait statué sur le cas particulier de l'échouement; or, il résulte de la combinaison des art. 5, 7, 8 et 9 de la déclaration du 17 août 1779 : 1° que l'echouement d'un navire ne donne lieu au délaissement que dans le cas où il n'aurait pu continuer sa route jusqu'au lieu de sa destination; 2° que, même dans ce cas, les assurés sont tenus de faire signifier aux assureurs les pièces qui constalent son innavigabilité, et de se réunir à eux pour trouver un autre bâtiment sur lequel les marchandises puissent continuer leur route; 3° que, s'il ne s'en trouve point, les assurés peuvent alors en faire le délaissement, mais en se conformant à la disposition des art. 49 et 50 du titre des assurances de l'ordonnance de la marine, c'est-à-dire d'après les significations et dans les délais y énoncés; - Et attendu que la cour d'appel de Rouen a reconnu, en fait, que les demandeurs n'ont justifié, par aucune pièce produite au procès, ni de la perte des marchandises assurées sur le navire l'Adélaïde, ni de son innavigabilité, ni d'aucunes diligences relatives à cet objet et prescrites par les lois ci-dessus citées; d'où il suit qu'elle a dû déclarer les demandeurs non recevables dans leur demande en délaissement, et qu'en le décidant ainsi, elle n'a fait qu'une juste application deg lois de la matière ; - Rejette. Du 5 niv. an 13.-C. Č., sect. req.-MM. Delacoste, pr.-Pajon, rap.

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pas alors, ajoute plus loin le même auteur, si la marchandise a souffert une perte effective ou si elle n'en a point souffert, car on a besoin en cette matière d'une règle simple, et cette règle a été établie par l'ordon. et par la déclar. de 1779, » aujourd'hui par l'art. 369 c. com., qui décide d'une manière générale que l'échouement avec bris est une cause d'abandon, et dont la disposition, conçue ainsi en termes absolus, est conséquemment exclusive de toute restriction.

2001. Il a été jugé, en ce sens, qu'en cas de perte du navire, résultant d'un échouement avec bris, il y a lieu au délaissement de la marchandise sauvée, qu'elle ait été ou non avariée par suite de ce sinistre, et sans que le délaissement soit subordonné, comme il le serait, s'il était fait pour cause d'innavigabilité ne provenant pas d'échouement avec bris, à la condition qu'on n'ait pu trouver un autre navire pour recharger la marchandise. Les motifs de cette désision sont : « Que dans l'art. 369 l'échouement avec bris est une cause absolue de délaissement, bien distincte des cas d'innavigabilité par fortune de mer, auxquels seuls les art. 389 et 391 apportent des modifications; que cette disposition, conçue en termes généraux, s'applique à | la cargaison comme au navire; qu'elle est fondée sur la présomption légale de la perte de la chose assurée, présomption que la loi a établie pour prévenir les contestations qui pourraient naftre de l'événement, et pour mettre les assureurs dans la position de pourvoir eux-mêmes, dans leur propre intérêt, à l'approfitement de ce qui se trouverait sauvé » (Rouen, 14 août 1818.-Conf. Req., 29 déc. 1840, aff. Langlois, n° 1994, V. dans le même sens Boulay-Paty, t. 4, p. 230; MM. Pardessus, no 840, Devilleneuve, loc. cit., Lemonnier, no 276, et Alauzet, no 348).

Et vice versa, si le navire échoué avec bris n'est pas susceptible d'être délaissé, à raison du peu d'importance du bris, les marchandises assurées séparément du navire ne peuvent pas non plus être abandonnées à l'assureur, quand même l'échouement leur aurait occasionné un préjudice assez grave (mais n'absorbant pas toutefois plus des trois quarts de leur valeur). C'est ce qui résulte implicitement de l'arrêt de la cour de Bordeaux, du 1er avr. 1844, rapporté sous le no 1998.

2002. Au surplus, pour prévenir les contestations de la nature de celles sur lesquelles sont intervenus les arrêts qui viennent d'être cités, plusieurs compagnies d'assurances ont soin de stipuler, par dérogation aux dispositions de la loi, que, d'une part, il n'y aura lieu au délaissement du navire que pour cause d'innavigabilité absolue produite par fortune de mer, de sorte que le naufrage et l'échouement cessent d'être des causes d'abandon dès qu'ils n'occasionnent pas l'innavigabilité; et, d'un autre côté. qu'en ce qui concerne les marchandises, action en délaissement ne sera ouverte à l'assuré que dans le cas de perte ou détérioration matérielle s'élevant aux trois quarts de leur valeur. C'est ce que portent notamment les polices de Paris et de Bordeaux. V. Lemonnier, nos 267 et suiv.

2003. Alors même qu'on ne verrait point une cause de délaissement dans l'échouement avec bris partiel, néanmoins et quoique l'accident survenu ne fût pas irréparable par sa nature, il est évident que s'il n'existait sur les lieux du sinistre ni matériaux pour le radoub ni ouvriers capables de l'effectuer, le navire devrait être considéré comme innavigable, et pourrait être délaissé à l'assureur. C'est ce qu'a décidé, avec raison, un jugement du tribunal de commerce de Marseille, du 4 déc. 1820.— Cette innavigabilité, qui a pour cause l'échouement avec bris,

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(1) Espèce: (Le Lloyd français C. Delmestre.) - Sentence arbitrale ainsi conçue: « Attendu, en droit, que l'art. 369 c. com. range parmi les cas de délaissement l'innavigabilité par fortune de mer, et la perte ou détérioration des effets assurés, si la détérioration ou la perte va au moins aux trois quarts; et que, dans l'espèce, les parties n'ont pas dérogé, par leurs conventions, à ces principes de la matière; En Ce qui touche l'innavigabilité : Attendu, en fait, que les experts nommés par le tribunal de commerce et la cour de Bordeaux ont été d'avis, par les motifs exprimés dans leur rapport, savoir: 1° les experts constructeurs, à la majorité de deux contre un, que, bien qu'il soit toujours rigoureusement possible de faire une réparation, le bateau n'est pas dans de telles circonstances que les réparations puissent être complètes et efficaces; 2° les experts mécaniciens, à l'unanimité, que, si les machines à vapeur de la Ville de Bordeau sont susceptibles d'être réparées,

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et le défaut des matériaux et d'ouvriers pour réparer le navire, peuvent, aux termes du même jugement, être constatés autrement que par sentence du juge, et, par exemple, par un consulat du capitaine et un rapport d'experts. Il faudrait, du reste, assimiler au cas où il n'existerait ni matériaux ni ouvriers pour opérer le radoub du navire échoué avec bris, le cas où n'ayant pas de cargaison qu'il pût vendre jusqu'à concurrence des dépenses, le capitaine ne trouverait pas à emprunter les fonds nécessaires. C'est l'opinion de Valin et de Dageville, t. 3, p. 363. Mais, ajoute ce dernier auteur, le capitaine ne doit, en pareil cas, négliger aucun moyen de justifier de l'impossibilité où il s'est trouvé d'emprunter.

2004. Le tribunal de commerce est seul compétent pour décider s'il y a lieu ou non au délaissement d'un navire échoué, el il peut décider qu'il n'y avait point innavigabilité dans un cas où le commissaire de la marine aurait ordonné la vente du navire comme brisé et innavigable (Req., 3 août 1821, aff. Damiens, V. n° 2077).

2005. Délaissement en cas d'innavigabilité. On définit l'innavigabilité une dégradation absolue ou le défaut irrémédiable de quelqu'une des parties essentielles du vaisseau, sans lesquelles il ne saurait subsister comme navire et remplir l'objet de sa destination (Émerigon, ch. 12, sect. 38).-L'ordonnance de 1681 ne l'avait pas mise au nombre des cas de délaissement; sans doute parce que l'innavigabilité est assimilée au naufrage par les anciens auteurs. Ce silence fit naître des difficultés. La déclaration du 17 août 1779 décida que le délaissement pourrait être fait si le vaisseau était hors d'état, par fortune de mer, de continuer sa navigation, et s'il avait été en conséquence condamné comme tel. Le code de commerce a adopté les mêmes principes. D'après l'art. 369, l'innavigabilité qui donne lieu au délaissement est celle qui a été occasionnée par fortune de mer, et non celle qui résulterait du vice propre de la chose. Quant à la nécessité de la condamnation du navire, elle a été maintenue par l'art. 390.

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2006. Le délaissement à titre d'innavigabilité ne peut être fait si le navire échoué peut être relevé, réparé et mis en état de continuer sa route pour le lieu de sa destination. Dans ce cas, l'assuré conserve son recours sur les assureurs, pour les frais et avaries occasionnés par l'échouement (c. com. 389).

2007. Dans le projet de loi, l'art. 389 se bornait à dire : « Le délaissement ne peut être fait si le navire échoué a été relevé et s'il a continué sa route, etc. » Cette rédaction semblait autoriser l'assuré à faire, sans nécessité, le délaissement, lorsque, après le relèvement de son navire, il trouverait plus d'avantage à cesser le voyage qu'à le continuer. La rédaction nouvelle prévient cet abus, ainsi que celui résultant du mauvais vouloir de l'assuré, qui s'abstiendrait de faire relever et réparer son navire, puisqu'elle refuse le droit de délaisser, non-seulement quand le navire a pu continuer sa route, mais encore quand il a pu être relevé, réparé et mis en état de naviguer.-V. Locré, t. 4, p. 294.

2008. Il a éte jugé qu'un bâtiment à vapeur doit être réputé innavigable, et par suite sujet à délaissement de la part de l'assuré, lorsqu'il est établi que la machine, d'une part, le corps du navire, d'autre part, bien que capables séparément d'une réparation imparfaite, ne pourraient désormais être convenablement adaptés l'un à l'autre et fournir un service remplissant les conditions de durée et de sécurité que le navire naufragé présentait auparavant (Paris, 31 déc. 1840) (1). — Mais cette solution ne

on ne saurait les réparer complétement et de manière à les remettre dans l'état où elles étaient avant le sinistre; 3° enfin, les experts constructeurs et mécaniciens, réunis à la majorité de cinq contre un, que, bien qu'il soit possible, dans l'acception seule du mot, de réparer le bateau et la machine, d'adapter l'un à l'autre et de faire naviguer le tout comme bateau à vapeur, cette réparation ne doit pas se faire; que l'un ne saurait être convenablement adapté à l'autre, et que le tout ne naviguerait pas comme par le passé, c'est-à-dire réunissant les conditions de durée et de sécurité que réunissait la Ville de Bordeaux avant son naufrage; — Attendu que, dans la pensée des experts comme dans le sens de la loi et de la convention, ce résultat équivaut évidemment à la déclaration d'innavigabilité; - D'où il suit, en résumé, que l'expertise, sauf l'examen des moyens de défense invoqués par les assureurs, justifie les deux cas de delaissement ci-dessus énoncés ; En ce qui touche les objections particu·

nous semble devoir être suivie qu'avec réserve. Sans doute aucune objection ne pourrait être faite à l'arrêt de la cour de Paris, s'il a seulement voulu dire que les réparations dont, dans l'espèce, le bâtiment était susceptible, auraient été insuffisantes pour que le voyage assuré pût être continué avec sécurité. Mais s'il avait entendu poser en principe, comme quelques-unes de ses expressions paraissent l'indiquer, que le délaissement à titre d'innavigabilité peut être fait, contre le gré de l'assureur, bien que le navire puisse être réparé, si les réparations ne sont pas capables de le remettre en aussi bon état qu'il était avant le sinistre, de lui rendre ses anciennes conditions de solidité et de durée, il nous semblerait alors avoir établi en cela une doctrine exagérée; car tout ce que l'art. 389 c. com. exige pour soustraire l'assureur à l'action en délaissement, c'est que le navire échoué puisse être réparé et mis en état de continuer sa route pour le lieu de sa destination, et non pas que les réparations qui y sont faites effacent totalement, absolument, la trace des accidents qu'il a éprouvés. Dès que le bâtiment est mis à même de parvenir au lieu de destination, l'action en délaissement cesse, et celle d'avaries subsiste seule.

2009. L'innavigabilité absolue ne donne pas seule ouverture au délaissement; le même effet est attaché à l'innavigabilité

lières à la question d'innavigabilité: - Attendu que l'opinion isolée de l'un des experts constructeurs peut d'autant moins l'emporter sur l'opinion commune des deux autres, que de leur côté les trois experts mécaniciens ont été unanimement d'avis que les réparations seraient impuissantes pour rendre à la machine ses qualités primitives et essentielles, qu'elle a perdues par l'effet du sinistre; et que, par suite, ces cinq experts ont estimé que le navire, considéré dans son ensemble, n'était réellement pas réparable avec les conditions de durée et de sécurité qu'il réunissait avant le naufrage. » - Appel par les assureurs. Arrêt.

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LA COUR;
Adoptant les motifs des premiers juges, confirme.
Du 31 déc. 1840.-C. de Paris, 3 ch.-M. Lechanteur, pr.

(1) 1 Espèce: - - (Reilly, etc. C. Pinguet.)—Le 17 fév. 1831, arrêt de la cour de Rouen, en ces termes : « Considérant qu'au mois d'août 1826, une police d'assurance avait été arrêtée et convenue entre des assureurs du Havre et les sieurs Bonnaric et Pinguet frères, pour 80,000 fr. de risques sur corps, quille, agrès et apparaux du navire le Harponneur, commandé par le capitaine Lamy pour le voyage du Havre à Bourbon et son retour dans un port de France; que, suivant la faculté consentie par cette police, le capitaine a été dans l'Inde et s'est trouvé sur la rade de l'ile Bourbon, à l'époque du mois de février 1829, où s'est manifesté un ouragan terrible, et qui a été très-funeste au commerce; que le capitaine, pour éviter, autant qu'il était en lui, les suites fâcheuses de cet affreux événement, prit le large; mais que cette sage précaution ne put le garantir entièrement, et que son navire souffrit considérablement; que, revenu sur la rade de Saint-Denis (ile Bourbon), le capitaine Lamy s'adressa au juge royal pour faire constater le dommage que le sinistre lui avait occasionné; Que le 20 février, le juge rendit son ordonnance par laquelle il nomma des experts qui, sous la foi du serment qu'ils prêtèrent, rédigèrent, le 25 du même mois, leur procès-verbal, lequel donnait le détail des avaries majeures que le Harponneur avait éprouvées, et constatait en même temps que ces avaries ne pouvaient être réparées sur une rade foraine et que le navire devait, à cet effet, être conduit dans le port le plus voisin, qui était l'île Maurice;

>> Considérant que le capitaine Lamy, arrivé à l'ile Maurice, a requis un nouveau procès-verbal de l'état de son navire; que, suivant l'usage établi dans cette ile, ce qui n'a pas été méconnu par les assureurs, le capitaine avait la faculté de s'adresser au juge du lieu pour faire nommer des experts qu'il lui aurait indiqués ou de requérir directement des experts de l'amirauté, qui sont assermentés; que c'est à ceux-ci que le capitaine Lamy s'est adressé; que le 2 avril 1829, ils ont rédigé un procès-verbal constatant de nouveau les avaries et dont le détail est plus considérable que celui énoncé au procès-verbal du 25 février précédent;

>> Considérant qu'il était important de connaître à quelle somme pourrait s'élever la dépense du radoub, qui était déclaré indispensable pour effectuer le retour du navire le Harponnenr en Europe, et qu'en conséquence, le capitaine Lamy s'adressa à l'établissement Picton, bien connu pour les constructions à l'ile Maurice, et le 3 avril, un devis estimatif fut rédigé, lequel portait les réparations à la coque seule du navire à 11,550 piastres, à quoi il aurait fallu encore ajouter 500 piastres pour voiles et cordages, total 12,050 piastres, ce qui donnerait déjà une détérioration matérielle de plus des trois quarts, le navire étant évalué par la police d'assurance à 16,000 piastres (80,000 fr.); mais que, suivant un autre acte du 6 dudit mois d'avril, rédigé et signé par le consignataire du navire et le capitaine Lamy, toutes les sommes à débourser pour les réparations auraient dù être portées, suivant eux, à 18,675 piastres;

» Considérant que le même jour, 6 avril, le consignataire et le capitaine

relative, c'est-à-dire à celle résultant de ce que, pour réparer le navire endommagé, il faudrait autant de temps et de dépenses que pour en construire un nouveau. Il n'y a, en effet, nulle différence pour l'assuré entre l'un et l'autre sinistre, et leur assimilation ne cause aucun préjudice à l'assureur, qui n'aura toujours qu'à payer la même somme qu'on aurait pu exiger de lui par l'action d'avarie, et qui aura de plus l'avantage de profiter de la valeur telle quelle du navire en l'état où l'ont mis les événements de mer. Cette doctrine est enseignée par tous les autres, notamment par Émerigon, ch. 12, sect. 38, Boulay-Paty, t. 4, p. 277, et M. Pardessus, no 842. « Le magistral, dit ce dernier auteur, doit, dans ce cas, se diriger non-seulement par le fait matériel, mais encore par les circonstances. Ainsi, ce serait un cas d'innavigabilité si, pour réparer le navire, il fallait presque employer autant de temps et faire des dépenses aussi considérables que pour en construire un nouveau; ou si le capitaine ne trouvait dans le lieu ni emprunts, ni d'autres moyens de crédit pour réparer un navire, quoique réparable en lui-même : cette position serait une force majeure qui l'ayant réduit sans ressource, produirait une véritable innavigabilité. » Le même système se trouve confirmé par la jurisprudence (Req., 14 juin 1832; Bordeaux, 15 nov. 1842 (1); Req., 31 juill. 1839, aff. Pelletereau,

du navire le Harponneur ont présenté au notaire de l'ile Maurice les diverses pièces mentionnées ci-dessus et dont ce fonctionnaire public leur accorde acte; Considérant que c'est dans cet état de choses que le capitaine Lamy s'est rendu à l'ile Bourbon, et a présenté, le 17 dudit mois d'avril, au juge royal, acte de délaissement du Harponneur, et que, le 12 mai suivant, sur une nouvelle requête de ce capitaine, est intervenue une ordonnance du juge royal de Bourbon qui a autorisé la vente du navire pour le compte de qui il appartiendra;

>> Considérant que les assureurs critiquent et contestent l'acte de délaissement tant en la forme qu'au fond: en la forme, toutes les exigences de la loi n'ayant pas été remplies; au fond, parce qu'il n'y aurait point de détérioration matérielle des trois quarts, et que l'innavigabilité n'aurait pas été légalement constatée;

» Considérant qu'il existe dans la cause un préalable bien important en faveur du capitaine Lamy: c'est qu'aucun fait de fraude ou de préméditation avant le sinistre ne lui est imputé; que les désastres qui ont été la suite de l'ouragan extraordinaire qui a commencé le 9 fév. 1829 à l'ile Bourbon, et dont le Harponneur à souffert considérablement, n'ont pu être contestés;

>> Considérant que le législateur a désigné les cas où le délaissement pouvait être fait, et a enjoint à l'assuré du navire dont l'innavigabilité aurait été déclarée, d'en faire la notification dans un délai déterminé; que les art. 369 et 390 c. com., ni autres de ce code, n'ont prescrit aucune forme spéciale pour établir les faits qui donnent lieu au délaissement, ni les termes sacramentels dont on doit se servir pour déclarer l'innavigabilité; que c'est donc aux circonstances et faits de la cause, doctrine professée par divers auteurs qui ont écrit sur la matière, aux actes qui ont précédé le délaissement, qu'on doit se reporter pour acquérir la preuve, et surtout la conviction que le capitaine Lamy n'a fait qu'user du droit qui était écrit dans la loi; qu'avant de manifester son intention, il a légalement fait constater et le sinistre que son navire avait éprouvé et l'état d'innavigabilité dans lequel il se trouvait, et que cet état d'innavigabilité a été déclaré par le juge royal de l'île Bourbon;

» Considérant, quant au premier fait de délaissement, que pour justifier que la détérioration matérielle du navire était au moins des trois quarts, il ne faut pas s'attacher au prix qu'il a été vendu; qu'il faut au contraire porter les regards sur le chiffre auquel la dépense pour le mettre en état s'est élevée; qu'il résulte des devis estimatifs que les frais étaient exorbitants; qu'ils auraient été au moins de la valeur des trois quarts, et que même ils auraient surpassé la valeur du navire au moment du départ; que, dans ce cas, l'assureur n'a aucun intérêt à exiger que l'assuré fasse des dépenses au delà du prix porté en la police d'assurance; et qu'au contraire, il est de l'intérêt de l'assuré de faire l'abandon de son navire, lequel abandon ne porte aucun préjudice à l'assureur, qui n'est tenu qu'à payer le prix pour lequel il a consenti l'assurance, que, dans l'espèce de la cause, les assureurs obtiendront encore un boni sur la valeur portée en l'assurance, puisqu'il a été déclaré par les assurés, dans les plaidoiries, que, sur les 25,000 fr. provenant de la vente du navire, les assureurs recouvreraient 10 à 11,000 fr.; que cependant, le chiffre auquel les dépenses des avaries et suites d'icelles auraient pu s'élever, est contesté par les assureurs, mais qu'il est peu important de s'y arrêter, si l'état d'innavigabilité demeure constaté;

» Considérant qu'il s'agit d'une innavigabilité relative; -- Considerant que le sinistre que le Harponneur a essuyé, au mois de février 1829, n'a pas été révoqué en doute; qu'il n'a pas été imputé au capitaine que ce fût par sa faute, sa négligence ou son inexpérience, que les avaries avaien'

n° 2089; Paris, 27 nov. 1841, aff. Gavard, no 2011; Douai, 7 avril 1842, aff. Delrue, no 2013).

2010. Il suffit que la somme nécessaire pour réparer la détérioration du navire assuré ait été jugée, par experts, s'élever au delà des trois quarts de la valeur du navire, pour que le délaissement qui en a été fait pour cause d'innavigabilité soit valable, encore bien que le navire ait été vendu plus du quart de sa valeur, et qu'ainsi la somme à la charge des assureurs soit moindre que les trois quarts de la somme assurée, ou de la valeur du navire (Req., 14 juin 1832, aff. Reilly, V. n° 2009).

2011. Le délaissement, en cas d'innavigabilité relative, est

eu lieu; qu'au contraire, il a été reconnu qu'elles avaient été occasionnées par fortune de mer; Considérant qu'elles ont été constatées légalement par le procès-verbal régulier du 25 fév. 1829, lequel, vu la nature et l'étendue du dommage, à attesté que les réparations ne pouvaient s'opérer que dans un autre lieu; que le procès-verbal du 2 avril suivant, dressé à l'ile Maurice, n'a pas été critiqué quant à son contenu, mais seulement parce que les experts n'ont pas prêté serment avant leurs opérations, et que le juge n'y a pas assisté; qu'en admettant qu'il y eût quelque irrégularité dans la forme, elle ne peut être assez puissante pour faire rejeter ce procèsverbal, parce que ces experts étaient assermentés devant l'amirauté, qu'ils avaient un caractère public, et que, suivant l'usage du lieu, capitaine avait l'option de s'adresser à eux, ou d'indiquer des experts qui e seraient trouvés à l'Ile Maurice; que le capitaine Lamy, en préférant requérir des experts qui étaient reconnus avoir prêté serment en justice, a donné une nouvelle preuve de sa loyauté et de sa bonne foi;

le

>> Que ces procès-verbaux et les autres pièces rédigées à l'ile Maurice, lesquels ont acquis un caractère d'authenticité par le dépôt qui en a été fait chez le notaire de cet endroit, ont prouvé que le Harponneur était dans un état d'innavigabilité par fortune de mer; que cet état d'innavigabilité a été déclaré implicitement par le juge royal de l'ile Bourbon, qui, après avoir accordé acte du délaissement, a rendu une autre ordonnance sur le vu des procès-verbaux des 25 fév. et 2 avril 1829, et sur le vu de l'acte de dépôt dressé par le notaire de l'ile Maurice, lequel relatait toutes les pièces rédigées le 6 dudit mois d'avril; et, par cette ordonnance, ce magistrat a autorisé la vente du navire le Harponneur, ayant la conviction, comme tout le démontre au procès, que ce navire était innavigable; qu'enfin, cette déclaration d'innavigabilité, les dépenses à faire excédant la valeur du navire, ne portent aucun préjudice aux assureurs, qui, comme il est précédemment observé, ne débourseront pas la totalité du prix de l'assurance. »>

Pourvoi des assureurs pour violation des art. 237, 389, 390 c. com. Ils soutiennent: 1° que l'abandon pour cause d'inavigabilité doit être précédé d'une déclaration expresse et de la constatation de l'état d'innavigabilité par le jugo du lieu; que, dans l'espèce, cette déclaration et celte constatation n'existent pas; qu'elle doit être formelle, et qu'on ne peut, ainsi que l'a fait la cour d'appel, les induire implicitement des circonstances; qu'autrement ce serait ajouter à la loi et créer des causes de délaissement qu'elle n'aurait point autorisées; qu'au reste, la cour d'appel n'a pu puiser la déclarition même implicite d'innavigabilité dans la décision du juge royal, laquelle avait un tout autre objet, l'autorisation seule de la vente du navire; qu'aussi l'innavigabilité n'existait-elle pas, puisqu'on voit le capitaine aller à l'ile Maurice, en revenir, et enfin repartir pour les Indes avec le même navire après la vente, et sans qu'il ait été reparé. Les demandeurs soutiennent, en second lieu, que, pour qu'il y ait lieu à délaissement, il faut que l'innavigabilité suit absolue; qu'une innavigabilité relative ne suffit pas; que c'est pour prévenir les abus qui pourraient être faits de cette cause spéciale d'abandon, qu'il a été déclaré que l'échouement donnant lieu à innavigabilité temporaire seulement, ne pourrait autoriser le délaissement, mais une simple action en réparation d'avaries; que c'est là ce qui résulte de l'art. 389 c. com. Enfin les demandeurs prétendent que le délaissement n'aurait pu avoir lieu qu'autant qu'il y aurait dépréciation des trois quarts dans la valeur du navire; dans l'espèce, cette dépréciation n'avait pas eu lieu, puisque le navire assuré pour 80,000 fr. avait, après trois ans de navigation qui ont dû diminuer sa valeur, été vendu encore 25,000 fr.; qu'en effet, ce n'est qu'après la vente que la dépréciation a pu être estimée, et le prix qui en est résulté démontre mieux que les pièces que la diminution des trois quarts dans la valeur du navire n'a pas eu lieu. Arrêt.

LA COUR; Considérant que l'arrêt attaqué déclare qu'à la suite d'un ouragan violent, le Harponneur a été réduit à un état d'innavigabilité sinon absolue, au moins relative, résultant de ce qu'il aurait fallu plus de temps et de dépenses pour le réparer que pour en construire un neuf,

Considérant que ce genre d'innavigabilité a de tout temps été assimilé à l'innavigabilite absolue et donné lieu comme celle-ci au délaissement; que ce principe est reconnu par tous les jurisconsultes qui ont écrit sur la matière, et qu'il n'existe dans le code de commerce aucune disposition. contraire; Considérant que l'innavigabili é du brick le Harponneur est légalement constatée, ainsi que l'arret le déclare, par les proces verbaux qu'il relate, et notamment par la satrace du jage royal Polile

valable, quoique le capitaine, dont les assureurs ont pris à leurs risques la baraterie, sauf les cas de fraude, ait refusé de bonne foi, sur l'offre à lui faite d'un prêt à la grosse, d'ailleurs insuffisant, d'en accepter les conditions onéreuses, dans l'espérance, non réalisée, de trouver à emprunter à des conditions moins exorbitantes (Paris, 27 nov.1841) (1).—Le délaissement, dans le cas dont il s'agit, ne peut être refusé sous le prétexte que l'armateur a négligé de pourvoir le capitaine, au départ, de ressources suffisantes pour parer aux éventualités d'une navigation longue et naturellement périlleuse (même arrêt).

2012. Il a élé jugé que la vente d'un navire en cours de

Bourbon qui a ordonné la vente de ce navire; - Par ces motifs, rejelle, etc.

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Du 14 juin 1832.-C. C., ch. req.-MM. Zangiacomi, pr.-Ménerville, rap. 2 Espèce (Assureurs C. Cabrol.)- LA COUR ;- Attendu qu'il est constant que, dans son trajet de Bordeaux à Bourbon, l'Indépendant avait éprouvé des sinistres maritimes, et fait des avaries qui tombaient à la charge des assureurs ; Attendu qu'il est également certain que ces avaries ne pouvaient pas être réparées à l'ile Bourbon; que, pour y pourvoir, il devint nécessaire de conduire ce navire à l'Ile Maurice; - Attendu que, suivant le droit maritime, l'innavigabilité est absolue ou relative; que, dans l'un ou dans l'autre cas, l'assuré peut être fondé à faire abandon; -Attendu qu'il y a innavigabilité relative, soit lorsque l'assuré avaries, soit lorsqu'ils ne peuvent pas se procurer les fonds indispensables ou son représentant manquent des objets nécessaires pour réparer les pour payer ces réparations; Attendu que le capitaine justifie qu'il a usé de tous les moyens qui étaient en son pouvoir pour faire un emprunt à la grosse, et qu'il n'a pu y réussir; que n'ayant pu se procurer les fonds nécessaires, il a pu se dispenser de se faire autoriser à faire un emprunt Met l'appel au néant, etc. qui était impossible; Du 15 nov. 1842.-C. de Bordeaux, 1re ch.-M. Roullet, 1er pr. (1) (Gavard C. assureurs.)-LA COUR; Considerant qu'aux termes des art. 369 et 389 c. com., comme d'après les conventions sainement entendues des parties, il y a innavigabilité, et, par suite, lieu au délaissement, non-seulement lorsque le navire éprouve par fortune de mer, dans le cours de son voyage, des avaries qui ne sont pas susceptibles d'être réparées, mais encore lorsque ces avaries ne peuvent être réparées parce que le capitaine ne trouve pas dans le lieu où il aborde soit les matériaux, soit les ouvriers, soit l'argent, nécessaires pour mettre le navire en état de reprendre la mer el de continuer son voyage; Considérant que le navire la Clio, assuré et expédié pour la pêche de la baleine dans les mers du Sud, est parti de Dunkerque le 26 sep. 1835; qu'après une navigation pénible et infructueuse d'environ huit mois et demi, le capitaine n'ayant pu doubler le cap Horn, fut forcé de revenir à Montevideo pour réparer des avaries graves que le navire avait éprouvées par fortune de mer;-Qu'arrivé dans la rade de Montevideo, le capitaine fit son rapport au consul, et demanda la nomination d'experts pour reconnaître, constater et estimer les avaries; qu'une première visite incomplète fit découvrir des avaries, qui furent estimées 2,124 piastres; que sur ces rapports, après délibération de l'équipage, le capitaine demanda et obtint l'autorisation d'emprunter à la grosse une somme de 3,500 piastres; qu'une seule offre fut faite par la maison Paul Duplessis, à la prime de 70 p. 100; que le capitaine déclara sous sa responsabilité ne pouvoir accepter cette offre, parce que la prime lui paraissait exorbitante, et demanda immédiatement l'autorisation, qui lui fut accordée, de provoquer de nouvelles soumissions pour le même emprunt, mais qu'aucune offre ne fut faite; que, le capitaine ayant reconnu l'insuffisance de la première expertise, le consul en ordonna une deuxième, d après laquelle les dépenses nécessaires pour réparer les avaries, pout payer la nourriture et les gages de l'équipage, enfin pour ravitailler le navire et le mettre en état de continuer le cours de son voyage à la pêche de la baleine, furent portées à 9,964 piastres; que, sur ces rapports, le consul autorisa un emprunt à la grosse de 10,000 piastres; qu'aucune soumission ne fut présentée; qu'alors le capitaine déclara faire le délaissement du navire, et demanda qu'il fût vendu; que le consul, après avoir ordonné la vente, crut devoir la suspendre et ordonner, dans l'intérêt des assureurs, qu'il serait ouvert un emprunt de 6,000 piastres seulement pour mettre le navire en état de revenir en France; que, cette dernière tentative ayant encore échoué, la vente fut définitivement ordonnée et opérée ;

Considérant que ces faits constituent l'innavigabililé relative et justifient le délaissement; Qu'on objecte vainement que c'est par le fait du capitaine que l'emprunt de 3,500 piastres n'a pas été réalisé ; que cet emprunt aurait été suffisant pour réparer les avaries survenues au navire par fortune de mer, portées dans la première expertise à 2,124 piastres, et dans la deuxième à 2,596 piastres, le surplus des dépenses portées dans la deuxième expertise ne concernant que la nourriture et les gages des matelots et le réarmement du navire, qui n'étaient pas, suivant l'intimé, à la charge des assureurs; que, dès lors, les conséquences du refus du capitaine devaient retomber sur l'armateur, et non sur les assureurs, qui étaient.

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