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Cette raison ne suppose pas une grande capacité politique. Où en serait-on, s'il fallait éloigner les troupes chaque fois qu'elles déplairaient aux factieux? Louis XVI avait le droit, je dirai le devoir, d'augmenter la garnison de Paris et de Versailles, et de placer des troupes autour de l'assemblée, dont plusieurs membres avaient été insultés parce qu'ils n'avaient pas voté selon les désirs du prétendu peuple souverain. Paris était dans une grande effervescence, et menacé de devenir, d'un moment à l'autre, le théâtre de terribles événements. Louis XVI voulait se tenir prêt pour toute éventualité, maintenir la tranquillité publique, protéger le commerce et l'industrie. Son intention n'était pas de troubler l'Assemblée nationale, ni d'empêcher la liberté des délibérations. D'ailleurs, que pouvait-on craindre d'un roi qui avait dit : « Je ne veux pas qu'il périsse un << seul homme pour ma querelle? » Mais ces troupes gênaient les factieux et tenaient l'Assemblée nationale en respect. Mirabeau, qui voulait s'affranchir de toute crainte et de tout ombrage pour en devenir le seul dominateur, s'en plaignit dans la séance du 8 juillet. Son discours est un des plus adroits qu'il ait faits. L'orateur visait au but et cherchait à l'atteindre. S'il parle du roi, c'est pour louer sa bonté, ses expressions affectueuses et paternelles dans la lettre écrite à l'archevêque de Paris. Il représente ces troupes comme inutiles, comme dangereuses à la tranquillité publique, puisque leur présence excite des craintes et porte le peuple à des mouvements inconsidérés. « La présence des troupes, dit-il, frappant l'imagination de la multitude, lui présentant l'idée du danger, se liant à des craintes, à des alarmes, excite une effervescence uni

verselle les citoyers paisibles sont, dans leurs foyers, en proie à des terreurs de toute espèce. Le peuple ému, agité, attroupé, se livre à des mouvements impétueux, se précipite aveuglément dans le péril, et la crainte ne calcule ni ne raisonne. » S'il demande leur renvoi, c'est pour la sécurité du trône, c'est pour ne pas contrister le cœur du bon roi, qui serait désolé de voir couler le sang de son peuple. Il veut donc qu'on demande au roi, par une très-humble adresse, l'éloignement des troupes, et qu'on lève des gardes bourgeoises pour veiller à la tranquillité intérieure. C'est la première idée d'une garde nationale.

Mirabeau avait déployé toute l'adresse et la beauté de son talent. Son triomphe fut complet; son discours, applaudi par les plus vives acclamations, fut suivi en tout point. Il fut chargé de la rédaction de l'adresse qu'il avait proposé de faire au roi. Il l'apporta le lendemain, et la lut à l'assemblée. Elle fut admirée, applaudie et adoptée. Et, en effet, elle est un chef-d'œuvre d'habileté, de style, et un modèle qu'il sera toujours difficile de surpasser. Après avoir exposé le danger de la présence de ces troupes, danger pressant, universel, et au delà de tout calcul de la prudence humaine, pour le peuple des provinces, pour la capitale, pour le commerce et l'industrie, pour le trône, pour les troupes elles-mêmes, il termina ainsi :

<«< Sire, nous vous en conjurons au nom de la patrie, au nom de votre bonheur et de votre gloire : renvoyez vos soldats aux postes d'où vos conseillers les ont tirés; renvoyez cette artillerie destinée à couvrir nos frontières; renvoyez surtout les troupes étrangères, ces alliés de la nation (les Suisses), que nous payons

pour défendre et non pour troubler nos foyers: Votre Majesté n'en a pas besoin. Eh! pourquoi un monarque adoré par vingt-cinq millions de Français ferait-il accourir à grands frais autour du trône quelques milliers d'étrangers (1)? »

Une députation de vingt-quatre membres fut nommée pour porter cette adresse. Le roi répondit, avec une convenable fermeté, qu'il regardait comme un des principaux devoirs de veiller à la sûreté publique, et que ce sont les seuls motifs qui l'ont engagé à faire un rassemblement de troupes autour de Paris. Il pria les députés d'assurer l'Assemblée qu'elles ne sont destinées qu'à réprimer ou plutôt à prévenir de nouveaux désordres, à maintenir le bon ordre et l'exercice des lois, à assurer et protéger même la liberté qui doit régner dans leurs délibérations; d'où toute espèce de contrainte doit être bannie, de même que toute appréhension de tumulte et de violence. Il ajouta qu'il n'y avait que des malveillants qui pussent égarer les peuples sur les vrais motifs des mesures de précaution qu'il a prises. Si, malgré ces assurances, les troupes portaient encore de l'ombrage, il consentirait à transférer à Noyon ou à Soissons le lieu de leurs séances et il se rendrait à Compiègne, pour maintenir les communications entre lui et la représentation nationale (2).

Cette réponse si sincère et si rassurante excita des murmures dans l'Assemblée. La translation à Noyon ou à Soissons fut rejetée avec dédain et avec colère.

(1) Moniteur, séance du 9 juillet 1789.

(2) Ibid., séance du 11 juillet.

L'Assemblée ne voulait pas s'éloigner de Paris, où elle trouvait son appui, sa force, et au besoin son armée. Le duc de Crillon eut beau dire qu'on pouvait se fier à la parole d'un roi honnéte homme, la majorité, docile à l'ascendant de Mirabeau, persista à demander l'éloignement des troupes.

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Le mécontentement de l'Assemblée se communiqua aux agitateurs de Paris, qui n'attendaient qu'une occasion pour éclater. Dans l'exaltation excitée par le discours de Mirabeau, on profita du refus du roi pour lui supposer les plus mauvaises intentions; on citait le jour et l'heure où elles devaient s'accomplir. Ainsi, on disait que le roi avait fait venir des troupes parce qu'il voulait faire cesser les états généraux, en enlever les membres et les faire conduire chez eux sous la garde d'un officier, publier ensuite une nouvelle déclaration (1). On colporta dans Paris et l'on jeta sous les portes un écrit ayant pour titre : Lettre de M... à son ami, le 9 juillet. Dans cette lettre, on assurait que le roi tiendrait une séance royale le 13; que là il prononcerait qu'il n'a jamais entendu rétracter la déclaration du 23, et qu'il la veut faire exécuter. J'espère, y étaitil dit, j'espère que sous peu de jours nous chasserons ce coquin de Necker, et que nous nous débarrasserons de ces polissons. Cet écrit, qui conseillait encore à certains députés de la noblesse qui voulaient partir pour faire renouveler leurs mandats, de n'en rien faire, parce qu'il allait se passer tel événement qui les dispenserait du voyage, voyage, fit de grandes impressions (2). Le

(1) Moniteur, séance du 17 juillet.

(2) Hist. parlem., t. I, p. 368.

peuple se rassemblait dans les guinguettes établies aux barrières, et se livrait aux plus vives discussions. Sa colère ne pouvait plus se contenir. Dans la soirée, les barrières de la Chaussée-d'Antin furent livrées aux flammes. C'était le samedi 11 juillet.

Le lendemain, vers midi, on apprit le renvoi de Necker. En effet, ce ministre, qui n'avait point été consulté sur la réunion des troupes, avait offert sa démission; le roi l'avait acceptée d'autant plus volontiers qu'il était dans l'intention de suivre un système politique différent du sien. Il avait prié seulement Necker de se retirer sans éclat. Celui-ci le fit; et, prenant le chemin le plus court pour sortir du royaume, il se dirigea sur Bruxelles, dans l'intention de se rendre à sa terre de Coppet, près de Genève.

La retraite de Necker mit le feu aux poudres. On l'attribuait à son refus de consentement aux mesures de la cour. Il n'en fallait pas davantage pour enflammer les passions populaires, et pour faire une révolution qui se termina le troisième jour, comme plusieurs autres que nous avons vues depuis. Je m'arrêterai peu sur les événements. Le premier jour fut employé à mettre le peuple en mouvement; le second, à grossir ses rangs et à lui procurer des armes; le troisième, à le faire marcher à la victoire par la prise de la Bastille.

Des masses de peuple s'étaient portées au PalaisRoyal. Un jeune homme impétueux, Camille Desmoulins, qui va jouer un grand rôle dans la révolution, monta sur une table placée dans le jardin, annonça que le renvoi de Necker était le signal d'une SaintBarthélemy des patriotes; que des bataillons suisses et

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