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tisfaire sa vengeance : Il avait voué à Necker une haine éternelle: jaloux de son triomphe à l'hôtel de ville, il entreprit de le descendre de son piédestal et de le dépouiller de toute la popularité qu'il apportait à la couronne. Ce fut pour lui l'affaire d'un moment. Necker avait obtenu et fait proclamer une amnistie générale, et Besenval allait être délivré : ce fut le 30 juillet. Mirabeau fit convoquer pendant la nuit suivante les districts les plus factieux, et leur souffla la haine, la calomnié et la rébellion. Le lendemain (31), le peuple, soulevé sur le faux bruit que Necker s'était entendu avec Besenval, et qu'il faisait cause commune avec les eunemis du peuple, se porta en foule devant l'hôtelde ville, demandant avec menaces de mort la révocation de l'amnistie et le jugement de Besenval. La causé fut portée à l'Assemblée nationale, où elle suscita de vifs débats; mais Mirabeau l'emporta; l'amnistie fut révoquée, les placards qui la proclamaient arrachés par le peuple. Besenval fut livré au tribunal du Châtelet, qui heureusement le déclara innocent (1). Necker était donc dépopularisé le lendemain de ce jour qu'il avait proclamé le plus beau de sa vie. Au reste, Mirabeau va le poursuivre sans lui laisser de repos; il attaquera, comme nous le verrons, toutes ses opérations, discréditera tous ses projets, tantôt par des raisonnements sérieux, tantôt par d'amers sarcasmes, et il les rendra ridicules, lors même qu'il paraîtra les défendre (2). La révocation de l'amnistie fut le dernier acte de l'assemblée des électeurs, qui cédèrent leur

(1) Biogr. univers., art. Necker. Gabourd, Hist. de la Révol., t. I, p. 213.

(2) Biogr. univers., art. Mirabeau.

place et leurs fonctions à cent vingt députés élus dans les districts, selon les vœux de Bailly, et qui prirent le nom de représentants de la commune (1). Ainsi, voilà le nouveau gouvernement constitué aux dépens de l'autorité royale. Si Mirabeau n'était pas parvenu à en être le roi, il pouvait être content; car, tout en échouant dans ses intrigues, il avait contribué à établir un État dans l'État, une contre-puissance plus forte que celle du roi. D'un autre côté, il avait détruit la popularité du premier ministre, qui ne pourra plus rendre aucun service important à la couronne. Sa vengeance devait être satisfaite.

Pendant que Mirabeau faisait jouer tous les ressorts de son infernale politique, soit pour s'élever, soit pour se venger de la cour, l'Assemblée nationale recevait presque chaque jour de nouvelles plaintes sur les meurtres commis en province. Les paysans, qu'on avait armés sous prétexte de s'opposer aux brigands de Paris dont on les avait menacés, étaient devenus brigands eux-mêmes, et se livraient à d'horribles dévastations. On s'adressait donc, non au roi qui n'avait plus de pouvoir, mais à l'Assemblée, pour la supplier de faire cesser les violences. L'Assemblée n'aimait pas les excès populaires, qui, d'un moment à l'autre, pouvaient se tourner contre elle-même; mais comment les arrêter? par quels moyens? Elle n'en avait aucun dans la position qu'elle s'était faite. D'après une proposition de Volney, sectateur ardent des idées nouvelles, ennemi de tous les cultes, mais également en

(1) Gabourd, Hist. de la Révolut., t. I, p. 214. - Poujoulat,

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nemi du désordre (je ne m'arrête pas sur la simplicité de Volney, qui croyait pouvoir asseoir la paix publique sur la destruction de tous les cultes); d'après une proposition de Volney, dis-je, on établit un comité des rapports, chargé de recevoir les demandes et les plaintes (1). Duport, qui, comme on l'a su depuis, était le provocateur de l'armement de la province (2), proposa un autre comité, celui des recherches, destiné à recevoir les dénonciations contre les agents civils, militaires, et les conseillers du roi, qui étaient entrés dans la conspiration du 14 juillet, ou qui pourraient, dans la suite, former des entreprises contre la liberté du peuple. L'ambition était pour beaucoup dans cette institution. Duport la créa dans l'espérance de la diriger, et de se rendre maître, par ce moyen, des délibérations de l'Assemblée, dont le comité deviendrait le régulateur (3). Ces deux comités firent passer la puissance exécutive presque entière dans les mains de l'Assemblée, et augmentèrent les désordres au lieu de les apaiser. Celui des rapports devint peu à peu le centre des affaires de l'intérieur; il cassa les municipalités, et les remplaça par d'autres plus révolutionnaires: ce qu'on n'osait pas exiger par de simples ordres, on le faisait exécuter par le peuple, c'est-à-dire par le pillage, l'incendie et le meurtre. En vain s'adressait-on à l'Assemblée, les plaintes étaient renvoyées au comité, qui y répondait, soit par le silence, soit par de nouvelles vexations. Le comité des recherches ne jeta pas moins d'épouvante; il exerçait la haute surveillance

(1) Moniteur, séance du 28 juillet.

(2) Biogr. univers., art. Duport.

(3) Biogr. univers. Moniteur, séance du 28 juillet.

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sur les agents du pouvoir; un indice, un simple soupçon suffisait pour les perdre. Par ces changements, l'autorité, au lieu d'être répressive du désordre, devenait complice; il n'y avait plus de sécurité nulle part, plus d'autorité protectrice, plus de justice; les députés eux-mêmes, sans excepter ceux de l'opposition monarchique, étaient obligés de subir la loi générale. Insultés à Paris ou à Versailles, ils avaient la douleur d'apprendre qu'en province leurs biens étaient dévastés, leurs familles outragées et maltraitées. Plusieurs prirent le parti de s'éloigner de Versailles pour aller mourir au sein de leurs familles; car au milieu de cet affreux bri gandage, auquel l'Assemblée ne voulait opposer aucun remède, on n'avait à attendre que le désespoir et la

mort.

LIVRE QUATRIÈME.

Comme on devait s'y attendre, les mesures prises par l'Assemblée nationale ne produisirent aucun effet: les désordres, au lieu de diminuer, ne firent que s'accroître; on voyait partout des châteaux pillés et incendiés, des couvents forcés et détruits, des fermes abandonnées, des bureaux d'octroi en cendres, des receveurs assassinés ou en fuite. Les magistrats, chargés de maintenir l'ordre public, n'osaient rien faire lors même qu'ils en avaient le pouvoir et la volonté, ayant continuellement devant les yeux le massacre impuni de Flesselles, de Foulon, de Berthier et de tant d'autres. Les agitateurs avaient un moyen sûr de mettre la multitude en mouvement. Les vivres étaient trèschers; cela tenait, non à la récolte précédente qui aurait suffi rigoureusement pour alimenter la France, mais au défaut de circulation, et à l'inquiétude générale que semait l'anarchie. Les convois de blé étaient partout arrêtés et pillés; les habitants des villes et de la campagne n'en laissaient pas sortir de leur province; la moitié des familles, craignant d'être affamées, en faisaient des provisions pour plusieurs mois. Ces accaparements partiels, mais nombreux et universels, rendaient les grains dix fois plus chers, et c'était la vraie cause de la rareté des grains; mais le peuple

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