ÉPOQUE SCYTHO-DACE Plusieurs peuples connus dans l'antiquité sous la dénomination générique de Scythes ont habité ces parages. Peuples fiers et héroïques qui, lorsque Darius vint s'annoncer comme un conquérant, comme un futur maître, ne daignent lui répondre que ces mots : «Il faut pleurer!» (1), paroles éloquentes jusque dans leur simplicité et qui suffisent pour dépeindre un peuple, pour donner une idée de sa noble fierté et de sa sauvage énergie. Les Scythes menaient une vie nomade, et s'il fallait prendre la tradition. à la lettre, ils pratiquaient le communisme. «... Hormis l'épée et le vase qui leur sert à boire, tout est en commun, jusqu'aux femmes et aux enfants, qu'ils regardent comme appartenant à tous, suivant le système de Platon. Ajoutez qu'Eschyle justifie Homère, lorsqu'en parlant de ces peuples il dit : « Les Scythes qui se nourrissent d'hipace (2). (fromage de lait de jument) et qui sont gouvernés par des lois sages.» (Strabon, p. 40). Quant à nous, nous croyons que l'auteur a voulu simplement par là constater l'état patriarcal de cette société. On sait d'ailleurs que le communisme n'indique, en général, que l'enfance ou la décrépitude d'un peuple. La tradition les représente, comme renommés pour ieur amour de la justice. «En effet, continue Strabon, il existe des Scythes nomades qui se distinguent de tous les autres par l'amour de la justice. Ce sont ceux dont les poètes font mention, comme par exemple Homère, lorsqu'il dit que Jupiter regardait le pays des Abii et Galactophages les plus justes des hommes.» Strabon p. 43.) 1 Hérodote liv. IV, §—, Chap. XXVII. 2 Aujourd'hui encore les Roumains appellent le fromage cascaval, c'est-àdire erême de jument. L'un de ces peuples, de race gothique, car le nom de Dace pour les Romains et les Grecs est synonyme de Gète, a longtemps habité ces contrées (1). Quant à l'origine gothique de ces derniers, elle nous est attestée par plus d'un auteur. Qu'il nous suffise de mentionner Orose, Olaus et Joanus Magnus. Et parmi les savants des temps modernes qui ont embrassé cette opinion, nous pouvons citer l'Ecossais Pinkerton pour lequel les Goths, les Gètes et les Scythes ne sont qu'une seule et même race. C'est là aussi l'opinion du critique Grimm. Strabon assure, de son côté, que ces deux peuples, à savoir les Gètes et les Daces, parlaient la mème langue, et que la distinction en Daces et en Gètes se rapporte uniquement au territoire, et qu'elle servait à déterminer la position géographique respective de chacune de ces grandes divisions d'un seul et même peuple que, lui, il nomme «Thracique» (2). Nous avons 1. A partir de Fi en général ce sont toutes nations seythiques; cependant le littoral a été occupé par des races diverses, tantôt par les Gètes appelés Daces par les Romains... Pline, liv. IV. «Les Romains eurent en ce temps-là une grande guerre contre les Daces commandés par Décébal. C'était un prince très propre au conseil et à réxécution. Au reste, j'appelle Daces les peuples que les Romains appellent ainsi, et qui s'appellent ainsi eux-mêmes, bien que je sache que quelques Grees les appellent Gètes.» (Histoire Romaine écrits par Xiphilin, règne de Dominitien, p. 88, de la traduction Cousin.) »Au voisinage des Germains orientaux, dans les contrées désignées aujourd'hui sous le nom de Transylvanie, de Moldavie et Valachie, habitaient, au rapport des écrivains grecs et romains du premier siècle de notre ère, les Daces et les Goths, tribus issues d'une souche commune et appartenant à une seule et même national té, désignée de préférence par les Grecs sous la première de ces dénominations, et par les Romains sous la seconde». - Voir le mot Goths dans le Dictionnaire de la Conversation. Ajoutons que quelques auteurs considèrent les Daces comme une nation d'origine germaine. Les Daces dont le nom, le même que Deutsch indique une origine allemande, étaient farouches, braves, etc.!» Voir le mot Dtes dans le Dictionnaire Universel d'Histoire de Bouillet. C'est aussi l'opinion de Cantu. Nous avons prouvé plus haut que les Gêtes étaient Goths, d'après le témoignage de Paul Orose. Jornandes, Histoire des Goths, Ch. IX, 3. Grimm a démontré jusqu'à l'identité de forme des noms gèles et goths. 2) «Les Daces parlent la même langue que les Gètes. Ces derniers sont plus connus chez les Grecs que les autres, à cause de leurs fréquentes transmigrations sur les deux rives de Fister, et de leur mélange avec les Thraces et les Mysi Strabon, p. 49). Une autre ancienne division de ce peuple, laquelle existe encore aujourd'hui, c'est celle en Daces et en Gètes. On donne ce dernier nom à tous ceux qui sont à l'Orient et vers le Pont-Euxin Mer Noire); et l'on nomme Dices ceux qui occupent la partie opposée, vers la Germanie et les sources de l'Ister (Danube). -- Il paraît moins probable de tirer ce dernier nom du peuple scythe connu sous celui de dace.» (Strabon, p. 47-48.) « Les Grecs considé raient les Gétes comme une branche des Thraces.» (Strabon, p. 295. insisté sur l'origine commune des Goths, des Gètes et des Daces, sur la synonymie de tous ces noms, car elles serviront à justifier quelques-uns de nos rapprochements, à combler certaines lacunes historiques. L'histoire nous a transmis bien peu de notions sur les Daces et sur les Gètes. Elle les représente cependant comme un peuple jus!e (1) et sobre, comme éminemment religieux et guerrier, comme un peuple renommé pour l'amour de la liberté et le mépris de la vie. Voici comment Ovide, l'immortel et l'inconsolable exilé de Tomes, dépeint ce peuple: Quoique le peuple de ce pays soit un mélange de Grecs et de Gètes. cependant la race indomptée de ces derniers domine. Ce sont le plus souvent des cavaliers gètes ou sarmates que l'on voit aller et venir sur les chemins. Il n'est aucun d'eux qui ne porte son carquois, son arc et ses flèches trempées dans le venin de la vipère. Ils ont la voix sauvage, les traits farouches, et sont l'image frappante du dieu Mars. Ils ne coupent ni leur chevelure, ni leur barbe, et leur main est toujours prompte à enfoncer le couteau meurtrier que tout barbare porte allaché à sa ceinture.» Le poète ajoute : Ils n'ont pas de lois qu'ils craignent; chez eux la justice cède à la force, et le droit plie et s'efface sous, l'épée meurtrière. Il n'y a donc ici, observe-t-il ailleurs, que peu de gens qui osent cultiver la campagne, et ces malheureux tiennent d'une main la charrue et de l'autre un glaire; c'est le casque en tête que le berger fail résonner ses pipeaux. Le glaive, répète-t-il, est ici l'instrument d'une justice inique et sourent les parties en viennent aux mains en plein barreau». V. Les Tristes. Elégie VII et X.) Allusion sans doute au duel ou jugement de Dieu. Il suffit de se rappeler que ce sont là les complaintes d'un exilé qui regrette Rome et qui cherche à apitoyer César sur son sort, pour en rabattre beaucoup sur la sévérité de ses jugements. Ce peuple qui considérait le dieu Mars, comme l'auteur commun, et qui défiait de ses flèches jusqu'au ciel en courroux, croyait à la migration des àmes, à l'immortalité. Adepte du système rigide des stoïciens, système qui apprend à soumettre le corps à l'esprit et à la volonté, à considérer la vertu comme le bien suprême, et le vice comme l'unique mal, le peuple dace semblait coulé en bronze. Zamolxis, le plus célèbre de ses sages et de ses législateurs, leur avait enseigné à considérer la mort comme le terme d'une vie ingrate et transitoire, comme l'aurore d'u ne existence éternelle. C'est là ce qui les faisait verser Avant de gagner lister, il Darius) subjugua d'abord les Gêtes qui se croient immortels... Les Gets l'attaquèrent et furent aussitôt réduits en servitude, quoique les plus vaillants et Is plus just 's des Thraces. (Hérodote, Liv. IV. § X. CHIL des larmes sur un berceau et danser autour d'un cercueil. Une pareille croyance, et le mépris de la vie qui en résulte naturellement, devait faire de chaque Dace un héros, et c'est ainsi d'ailleurs que nous les représente l'histoire. Nous avons dit que leur législateur le plus célèbre avait été Zamolxis. Voici ce que nous savons de sa vie et de ses doctrines : « J'ai appris, dit Hérodote, des Grecs qui demeurent sur l'Hellespont et le Pont-Euxin, que ce Zamolxis étant homme, fut esclave à Samos, chez Pythagore, fils de Mnésarque. Selon eux, il redevint libre, acquit de grandes richesses et retourna dans son pays. Comme alors les Thraces vivaient misérablement à la manière des brutes, Zamolxis, formé aux mœurs de l'Ionie et à des coutumes plus polies que celles qui règnent chez les Thraces, instruit par son commerce avec les Grecs et avec Pythagore, qui n'était pas le moindre des sages de la Grèce, il construisit un appartement d'hommes, où il reçut les premiers de ses concitoyens et les festoya, leur enseignant que ni lui-même, ni ses convives, ni ceux qui, à perpétuité, naîtraient d'eux ne devaient mourir, mais qu'ils se rendaient en un lieu où ils vivraient toujours, en possession de tous les biens. Pendant qu'il leur tenait ce langage, il se båtit une demeure souterraine; quand elle fut achevée, il disparut au milieu des Thraces et s'y cacha trois ans. Le peuple cependant le regrettait et le pleurait comme mort; mais, la quatrième année, il se montra à tous les regards et rendit ainsi croyable la doctrine qu'il avait enseignée. » (Hérodote, liv. IV, § XCV.) ་་ Ecoutons maintenant Strabon : Zamolxis, étant au service de Pythagore, puisa chez ce philosophe des connaissances astronomiques, ainsi qu'en Egypte, où il avait aussi voyagé. De retour dans son pays, il jouit d'une grande considération de la part du peuple et de ceux qui le gouvernaient, à cause des prédictions qu'il savait tirer de l'état du ciel, et enfin il sut persuader au roi de se l'associer à l'empire, comme organe de la volonté des dieux. » Il commença par se faire prêtre du dieu le plus honoré parmi les Gètes; ensuite il fut nommé dieu lui-même ; retiré dans une caverne inaccessible, il y vivait, n'ayant guère de commerce au dehors si ce n'est avec le roi et avec ses ministres. Le roi lui-même l'aidait à jouer ce ròle, voyant que ses sujets lui obéissaient plus volontiers que par le passé, comme à un homme qui ne leur ordonne rien que par le conseil des dieux. » (Strabon, p. 32.) Cet usage, ajoute Strabon, s'est conservé jusqu'à présent, car il se trouve toujours quelque personnage de ce caractère, qui assistait le roi, en qualité de conseil, et auquel le peuple donnait le nom de dieu. La montagne même (où Zamolxis s'était retiré) passe pour sacrée et on l'appelle Cogoconom (1), (1) D'Anville écrit Cokajon et veut que la montagne et le fleuve dont parle Strabon soient le mont Kaszon et la petite rivière du mênic nom, sur les confins de la Transylvanie et de la Moldavie. du même nom que le fleuve qui coule près de cette montagne... Du temps que Byrebistas, contre lequel César préparait une expédition, régnait sur les Gètes, celui qui était en possession de l'honneur d'être conseil du roi se nommait Decaenus.» (Strabon, p. 32.) « Dans les contrées qu'elle (la nation gothe) habita en second lieu, c'està-dire dans la Dacie, la Thrace, la Moésie, elle fut gouvernée par Zamolxis, philosophe dont la plupart des historiens attestent la science prodigieuse. Déja avant Zamolxis, elle avait eu des hommes d'un grand savoir, tels que Dicineus, et avant celui-ci Zeutas. Ainsi les Goths ne manquèrent pas de maîtres pour apprendre la philosophie. Voilà pourquoi ils furent toujours plus éclairés que la plupart des barbares, et qu'ils égalèrent presque les Grecs, au rapport de Dion, qui a écrit leur histoire en langue grecque. » Cet écrivain dit que les nobles parmi eux portèrent d'abord le nom de Zarabi Terei, et ensuite celui de Pileati. C'était de cette classe qu'on trait les rois et les prêtres. Enfin les Gètes furent en si grande estime, qu'anciennement ont fit naître chez eux Mars, le dieu de la guerre, suivant les fictions des poètes. Aussi Virgile a-t-il dit : L'infatigable Mars, adoré par les Gètes. » Leur zèle pour son culte venait de ce qu'en invoquant son nom ils croyaient invoquer celui de leur père commun. » (Jornandès, Histoire des Goths, Ch. V.) ་ Mais revenons à Hérodote : << Voici, dit cet historien, comment ils se croient immortels : ils imaginent que celui qu'ils perdent ne meurt pas, mais va retrouver le dieu Zamolxis, que quelques-uns estiment être le même que Gébéleizis. Tous les cinq ans, ils envoient l'un d'eux, qui est désigné en agitant les sorts, auprès de Zamolxis pour lui exposer leurs besoins. Ils le dépêchent de cette manière : les uns se rangent tenant trois javelots, les autres saisissent les mains et les pieds du messager, puis ils le lancent en l'air de manière qu'il retombe sur les dards; s'il expire transpercé, c'est, selon eux, qu'il est agréable à Zamolxis, s'il ne meurt pas, ils s'en prennent à lui-même, ils disent que c'est un méchant homme, et pour remplacer celui qu'ils accusent ainsi, ils en expédient un autre à qui ils donnent leurs instructions pendant qu'il est encore en vie. Ces mêmes Thraces tirent vers le ciel des flèches au tonnerre et aux éclairs, el menacent ainsi le dieu, car ils ne pensent pas qu'il existe un autre dieu que le leur.» (Hérodote, liv. IV.) Quelques-uns (des peuples de la Thrace), observe Pomponius Méla, tels que les Gètes, sont intrépides et affrontent le sort. Ce mepris de la vie tient à des opinions différentes, les uns pensent que les âmes des morts reprendront une nouvelle existence; les autres que si elles ne reviennent pas ce n'est pas, qu'elles soient anéanties, mais c'est qu'elles passent à une condition plus heureuse; d'autres enfin, qu'elles meurent en effet, mais que la mort est préférable à la vie. De là vient que dans certains endroits, on pleure sur les accouchements, et sur le sort des noureaux nés, tandis qu'au contraire |