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La journée de Patay gagnée par la Pucelle et les François

« Et sur la fin de may et de juin en suivant, après ce que a Pucelle eut pris Jargeau et Boisgency par son conseil seul, les Françoys (où étaient le duc d'Alençon, le connétable de France, le comte de Vendôme et autres) allèrent courir sus aux Angloys qui étaient en un gros village appelé Patay, en cœur de Beauce : lesquels Angloys furent défaits iacoit ce qu'ils fussent de cinq à six mille accompagnés de plusieurs vaillants capitaines: et y furent pris prisonniers les seigneurs de Talbot et Descolles, messire Gaultier de Hongrefort et douze cents autres, et mis à mort de trois à quatre mille, sans perdre qu'environ troys cents Françoys.

« Les vertus et mœurs de la Pucelle.

« Après cette victoire la Pucelle entreprit de mener couronner à Reims le roy Charles septième. Ce que les princes de France trouvèrent impossible, quoi que ce soit fort difficile. parce que la plupart des places d'entre Chinon et Reims étaient occupées par les Angloys. Toutefois gagna les princes qui voyaient que c'était une chose divine. que d'elle, et que trois fois la semaine jeûnait, se confessait et recevait le précieux corps de Jésus-Christ chacun dimanche; jamais ne jurait, ne disait parole scandaleuse, et faisait tout au nom de Jésus, et quand arrivait en une hostellerie, faisait toujours coucher l'hotesse ou une de ses filles ou chambrière avec elle, et jamais n'entrait homme en sa chambre jusqu'à ce qu'elle fût de tous points vêtue et habillée.

« Le Couronnement du Roi Charles VII à Reims. - Villes et places prises par les François.

« Or donc par l'opinion de la bonne Pucelle, le Roy partit de Chinon, accompagné des dues d'Alençon, de Bour

bon, des seigneurs de Vendôme, d'Albret, de Laval, de Lohéac, en bonne grosse armée, et s'en allèrent à Reims où le roi Charles septième fut couronné au mois de juillet dudit an mil quatre cent vingt-neuf, par messire Regnault de Chartres, archevêque de Reims et chancelier de France; et se rendirent audit sacre les ducs de Bar et de Lorraine, le seigneur de Commercy, pour lui faire service. Et en y allant les François sous ladite Pucelle gagnèrent les villes de Troies, Chaslons, et Saint-Florentin. Et après ledit couronnement les villes et places de Laon, Soissons, Châteautierry, Provins, Coulemiers, Crécy, Compiègne, Senlis, Saint-Denis, et plusieurs autres places.

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Mariage de la fille du Vicomte de Thouars au neveu du duc de Bretagne.

Messire Arthur de Bretagne, connétable de France, ne fut à ce couronnement pour quelque cause dont se taise l'histoire, et se retira en la ville de Parthenay; où cependant traita et fit le mariage de monsieur Pierre de Bretagne, fils de Guingamp, second fils du duc, avec damoiselle Françoise d'Amboise, scule fille et présomptueuse héritière du vicomte de Thouars.

«L'an mil CCCCXXX.- Escarmouches faites
par la Pucelle. La Pucelle trahie et vendue.

Après ce couronnement et que le petit Henry eut été couronné en Angleterre, repassa la mer et vint en Normandie en l'an mil quatre cent trente. Et au regard de la Pucelle, fit plusieurs escarmouches contre les Angloys autour de Paris où elle défit quatre ou cinq cents Angloys: puis s'en alla tenir garnison dedans Compiègne dont Guillaume de Flavy était capitaine. Et au commencement du mois de juin mil quatre cent trente, messire Jehan de Luxembourg,

les comtes de Hautonne et de Harondel, en une grande compagnie de Bourguignons allèrent assiéger ladite ville de Compiègne, et par l'intelligence que ledit capitaine de Flavy avait avec eux esquels il avait vendu la Pucelle, trouva moyen de l'envoyer vers le Roy quérir gens à diligence pour lever ledit siège, et la fit passer par une des portes où le siège n'était. Avant de partir elle fit dire messe bien matin en l'église Saint-Jacques, où elle se confessa et reçut le saint sacrement de l'autel. Et, en sortant de l'église où plusieurs gens s'étaient assemblés pour la voir, leur dit : Mes seigneurs et amis, je vous signifie qu'on m'a vendue et trahie et que de bref on me fera mourir ; priez Dieu pour moi. Et comme elle fut sortie, accompagnée de vingt-cinq ou trente archers à un quart de lieue de ladite vile, aperçut ledit de Luxembourg et autres ennemis du Roy en grand nombre se cuyda sauver en ladite ville, mais le traître de Flavy incontinent après son partement avait fait fermer les barres et les portes de ladite ville

<< Par quoi fut prise et depuis vendue et livrée aux Angloys; mais on ne peut prouver la trahison dudit de Flavy, lequel en fut de Dieu puny après. Car, depuis, sa femme nommée Blanche Dauvrebruch, qui était belle damoiselle, le suffoqua et étrangla par l'aide de son barbier lorsqu'il était couché au lit en son chatel de Neelle-en-Tardenois, dont depuis elle eut grâce et rémission dudit roy Charles septième, parqu'elle prouva que ledit de Flavy avait entrepris de la faire noyer.

« L'an mil CCCCXXXI. - La condamnation injuste de la Pucelle.

« Les Angloys (marchans comme Judas) menèrent la bonne Pucelle en la ville de Rouen où ils la tinrent prisonnière en grand'misère jusques au mois de may l'an mil CCCCXXXI, et par un Angloys, évêque de Beauvais, la

firent déclarer hérétique et par leur juge la condamner à être brûlée, iacoit que jamais ne trouvassent en elle vice quelconque. Bien l'accusaient qu'elle était sorcière et divineresse, dont jamais ne surent faire preuve; aussi sa vie était toute bonne et sainte, comme dit est : et firent leur jugement sur ce qu'en abusant de son sexe contre les saints canons, avait pris le vêtement d'homme, dont elle s'était bien excusée, et dit que c'était par permission de Dieu et pour fréquenter avec les hommes, afin de subvenir au vrai roy de France, aussi qu'elle portait vêtement de femme en sa chambre, et autres actes qu'elle faisait hors la guerre, en quoi cessait la raison desdites lois canoniques. Et pour cette seule cause, fut ladite Pucelle brûlée à la fin dudit mois de mai, au marché de Rouen, où est de présent l'église de Monsieur Saint-Michel, et les cendres de son corps jetées au vent hors ladite ville. Et oneques depuis les Angloys ne prospérèrent en France.

<< Maître Jean Gerson, docteur en théologie et chancelier de l'Université de Paris, qui fut homme de grandes. lettres et droite et approuvée vie, a fait un traité contre ceux qui ont détracté de cette pucelle, ensemble un autre docteur nommé maitre Henry de Cerchqueim, commençant Tulit Dominus. »

Nous regrettons de ne pouvoir mettre sous les yeux des lecteurs de la Revue de l'Anjou le traité de maître Jean Gerson, non plus que cet autre commençant par les mots, « Tulit Dominus ». Nous nous bornons à formuler le souhait qu'ils prennent intérêt à la lecture de l'extrait dest annales du bon chroniqueur Bouchet de Poitiers, remontant à 1557.

A. B.

Un point d'Histoire littéraire

Courteline et J. du Bellay

C'est surtout en littérature que tous les chemins mènent à Rome et les voies qui sillonnent une carrière d'écrivain sont, comme celles de la Providence, impénétrables.

N'est-il pas étrange, en effet, pour citer un exemple entre mille, que le bon maître Courteline, qui devait être un jour le prince de l'ironie en même temps qu'un des psychologues les plus avertis, le père de « Boubouroche » et l'historiographe de « Jean de la Butte », ait consacré, à l'aurore même de sa vie littéraire, les prémices de son talent à notre cher Joachim du Bellay et pris, comme premier héros, le poète sentimental du « Petit Liré »?

Le fossé qui sépare l'œuvre tout entière de Courteline de ce début exceptionnel est si profond que je me demanderais comment il a pu être comblé, en un tour de plume, pour ainsi dire, et comment « Lidoire » et « la Biscotte >> purent être enfantés, à quelques années d'intervalle, par la même imagination qui s'attacha tout d'abord à l'évocation d'une figure aussi douce que celle du chantre des « Regrets », si Courteline n'avait pris soin de m'en donner luimême l'explication, fort simple d'ailleurs, le jour où je

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