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Un aspect mystique de la guerre1

La Paix du Septième Jour

Par ÉMILE BAUMANN'

I

Ceux qui chercheraient dans ce livre né de la guerre des considérations anticipées sur l'issue des événements actuels, l'ébauche des conventions probables qui serviront d'assise à cette société des nations dont l'avènement semble encore

1 Ceite étude, qui fut écrite en avril 1918, à l'une des heures sombres de la guerre, paraît plus de deux années après. Quelques passages pourront sembler, à l'heure actuelle, singulièrement anachroniques; cependant, l'auteur n'a pas cru devoir changer une syllabe à ces pages qui reflétaient alors un optimisme que les faits ont cor firmé. Le recul du temps n'a rien fait perdre au livre d'Émile Baumann de son actualité ni de son opportunité. A qui le relira apparaîtra, au contraire, avec une singulière vigueur, à la clarté des événements actuels, la valeur quasi-divinatrice, nous ne disons pas seulement de ses déductions, mais de ses intuitions. Coïncidences, si l'on y tient, mais coïncidences troublantes, que toutes les sciences humaines avec leur logique infatuée tenteront en vain d'expliquer et qui ne revêtiront jamais leur vrai sens qu'aux yeux de ceux «pour qui », selon le mot d'Émile Baumann, «le mystère existe».

2 Un volume, Perrin et Cie, éditeurs, 35, quai des Grands-Augustins, Paris.

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si lointain, ceux-là se tromperaient doublement la paix du septième jour n'est pas de ce temps, elle n'est pas de ce monde.

Et pourtant, c'est au milieu de la rumeur des armes que la conception de ce livre s'est imposée à l'esprit de l'écrivain, alors que le tocsin hoquetait aux clochers campagnards et que, derrière les grilles des casernes où s'entassaient déjà des hommes farouches, des femmes anxieuses attendant les départs se pressaient avec des enfants aux regards de flamme. Quel fut alors, avant que tout événement ait pu confirmer ses espoirs ou ses craintes, celui de nous qu'une angoisse secrète, un doute vite réprimé, n'a pas mordu au cœur ne fût-ce qu'un instant? Qu'allait devenir la France aux prises avec cette nation de proie qui depuis quarante ans épaississait sa cuirasse et aiguisait ses griffes dans l'attente des futurs carnages? Et, pendant que dans les lourdes nuits d'août, à travers les campagnes en torpeur, des trains lumineux roulaient sourdement vers l'Est, l'âme recrue d'émotions sentait sourdre et se préciser en elle, avec le souvenir des illusions dont on nous avait trop longtemps bercés et l'évidence soudaine des imprévoyances aux incalculables répercussions, des visions de douleur et d'épouvante.

Ceux qui, bornant alors leurs déductions pusillanimes à la mesures des possibilités humaines, supputaient d'un œil hagard l'équilibre matériel des forces en présence, s'enfonçaient dans un pessimisme amer et sans issue. Mais à d'autres âmes plus averties, la soudaineté, l'énormité même du cataclysme, apparurent comme une manifestation évidente de la logique qui dépasse et déjoue les calculs humains, comme les prodromes certains de l'enfantement douloureux et espéré d'une ère nouvelle, mais non comme le fait inaugural de la dernière crise; et ceux-là, se rappelant de quelles promesses la France avait été l'objet et pour quel rôle la réservaient encore les desseins providentiels, ne doutèrent plus que la disproportion apparente des masses guerrières ne fût com

pensée pour nous par l'appoint des forces mystiques émanées des âmes de nos martyrs d'autrefois et de nos morts d'aujourd'hui, et que, cette fois encore, la France ne fût sauvée.

J'eus un sursaut d'horreur, écrit Baumann, à la pensée de voir la France pantelante, foulée par des maîtres immondes dont la seule politique serait d'abrutir et d'exterminer les vaincus. Mais justement, cette perspective intolérable refréna soudain mes craintes. Non, protestait ma foi, la défaite n'est pas possible. Si la France tombe, il ne reste plus aux autres peuples qu'à se prosterner tous dans l'ordure sous le talon du triomphateur germain. Ce serait l'avènement des suprêmes ténèbres, l'apothéose de « l'Homme inique » condamnant à périr quiconque refusera de l'adorer. Or nous n'en sommes pas là, d'autres faits doivent s'accomplir auparavant. L'Allemagne n'est qu'une caricature anticipée; une préfiguration médiocre de la Bête. Son empire est déjà passé; donc c'est nous qui vaincrons. Ce revirement s'opéra dans ma certitude avec une étonnante brusquerie, des milliers de Français en ces mêmes heures l'éprouvèrent..., déjà, dans d'invisibles hauteurs vibraient des clairons de victoire et nous sentions que c'était pour nous. »

Et, de fait, après tant d'années d'une torpide passivité, un brusque réveil de leur dignité et de leur conscience semblait secouer les peuples; en présence du danger, l'univers, qu'hier encore la sempiternelle et verbeuse menace de la « poudre sèche » trouvait soumis et courbant l'échine, se redressait enfin. A la crainte fugitive d'improbables catastrophes succédait l'immense et immédiat espoir, la certitude absolue d'une revanche dans la sainte allégresse des expiations et des sacrifices consentis. Sans doute, cette guerre était une épreuve, un avertissement de la fin; elle n'était pas la fin.

Si les hommes, pense Baumann, interprétaient le sens réel des calamités où nous entrons, les uns seraient transis de terreur, les autres tressailliraient d'un indicible espoir. Elles ouvrent apparemment l'époque des grandes et dernières tribulations qui doivent précéder la seconde venue du Fils de Dieu. Lui-même n'a-t-il pas révélé qu'il y aurait au « commencement des douleurs » une guerre universelle semblable à celle d'aujourd'hui? « Ils se lèveront race contre race,

royaume contre royaume. » Saint Jean, avant le son de la trompette et « la consommation du mystère », vit une invasion de cavaliers dont les chevaux soufflaient « du feu, de la fumée, et du soufre », symbole des foudroyantes artilleries modernes. La guerre, à elle seule, ne dévoilerait sur la fin de notre monde rien d'explicite. Mais elle concorde avec l'ensemble des indices prophétisés : la diffusion de l'Évangile dans toutes les terres, l'apostasie croissante des nations, le retour des Juifs en Palestine... Fait immense par ce qu'il présage; c'est peutêtre pour l'accomplir que vingt-cinq millions d'hommes s'entr'égorgent.

Et c'est pourquoi, sollicitée un instant par la réalité humaine des événements terribles qui nous entourent, la pensée de l'écrivain, dès qu'elle en a embrassé la signification mystique dans l'enchaînement des faits prophétisés, s'évade « hors du présent vers la plénitude des choses qui en sortiront, et au delà, jusqu'au triomphe et à la chute de l'Antéchrist, jusqu'au soir du Jugement et à cette minute. espérée des siècles où le signe du Crucifié fendra comme un éclair les nuées ténébreuses >>.

Cette ère de la paix, cette « vie du siècle futur » qu'annonceront les bouleversements effroyables et qu'à travers les temps les fidèles ont attendu - exspecto resurrectionem mortuorum et vitam venturi sæculi l'affirmation de sa réalité prochaine existe déjà dans la croyance des premiers siècles chrétiens au règne visible de Jésus-Christ pour la descendance purifiée d'Adam sur le Paradis retrouvé; elle se fait jour à travers le rêve pacifiste du millénarisme; elle se précise et rayonne dans le dogme du Jugement. A l'heure où, selon la parole sainte, « toutes les créatures gémissent », n'était-ce pas opportun qu'au milieu de tant de livres qui pullulent du charnier actuel sans jamais s'élever au-dessus de l'horreur du présent ou de la platitude utilitaire de l'avenir, une œuvre vraiment forte et profonde vint nous porter, avec le rappel de nos fins dernières, une parole d'espoir et de réconfort? « Sainte Hildegarde écrivait que l'histoire de l'humanité reproduisait en six époques les six jours de la création et qu'après cette semaine de dou

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