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pour aller en France négocier le traité convenu et contracter un emprunt pour le payement du premier terme de l'indem

nité.

En apprenant par le journal officiel l'acceptation de l'ordonnance de Charles X les esprit furent surexcités, surtout dans le Nord, où l'on considérait cet acte comme une trahison du président Boyer. Devant ces manifestations de l'opinion publique, celui-ci devint plus pressant et plus ferme pour exiger de la France qu'elle réalisât les conditions posées par lui quand il avait accepté le décret royal de 1825. Cependant le payement du premier terme de l'indemnité, s'élevant à trente millions, avait jeté la République dans une gêne extrême et le Trésor français luimême, qui s'en rendit compte, avait dû faire l'avance d'une somme de 4.800.000 francs pour permettre à la République de faire face à deux échéances de l'emprunt qu'elle avait contracté dans ce but. Dupetit-Thouars fut envoyé en Haïti pour apprécier sur place les ressources du pays et son rapport fut tel que le gouvernement français jugea bon de réduire à 60 millions le montant de l'indemnité primitivement fixée (1836).

Il fallut encore deux ans pour mettre fin à cette longue discussion. Le ministère français, présidé par Molé, prit la résolution de régler et de terminer toutes les difficultés pendantes entre la France et Haïti. Il choisit à cet effet, comme plénipotentiaires de S. M. Louis-Philippe, le baron de Las Cases et le capitaine de vaisseau Baudin qui arrivèrent à Port-au-Prince le 28 janvier 1838. Ils s'empressèrent de faire connaitre au président d'Haïti l'objet de leur mission. Boyer désigna pour conférer avec eux Inginac, Frémont, Labbée, B. Ardouin et Villevaleix. Deux traités furent conclus et signés : l'un reconnaissait formellement l'indépendance d'Haïti, l'autre réduisait l'indemnité à soixante millions et accordait pour le payement un délai de trente années (février 1839).

Boyer, en acceptant l'ordonnance de Charles X, avait assumé sur lui une grande responsabilité, qui devait lui susciter bien des entraves et qui aboutit à un mouvement insurrectionnel auquel il succomba: obligé de quitter le pays, il se retira à la Jamaïque (mars 1843).

Ajoutons, pour terminer, que sur les dix-huit successeurs de Boyer jusqu'en 1913, il n'y eut que Guerrier (un octogénaire) qui mourut paisiblement, entouré de l'affection du peuple, et Nissage-Saget, qui parvint au bout de son mandat sans rencontrer de difficultés; tous les autres, ou bien périrent de mort violente, ou furent obligés de prendre le chemin de l'exil. On voit, pendant cette période de l'histoire d'Haïti, une foule de généraux lever chacun pour son compte l'étendard de la révolte; l'émeute, à peine apaisée d'un côté, recommence de l'autre sous les mêmes noms ou sous des noms différents, sans que derrière tous ces personnages qui s'agitent, qui s'accusent ou se proscrivent, on puisse distinguer nettement au nom de quelles doctrines ils agissent ni quelles conceptions politiques ils entendent faire prévaloir.

A. PETITEAU.

Réjane était-elle angevine ?

Dans l'article qu'il consacrait à Réjane au lendemain de sa mort, M. Henry Bataille demandait qu'on « ne mit « plus, en tête du sombre panégyrique, le cliché de bien << Parisienne dont on l'accabla souvent avec trop d'empres

<< sement. >>

En défendant l'illustre défunte contre ce qualificatif de Parisienne que tant de gens ont galvaudé, M. Bataille consacrait, sans le vouloir, un détail historique d'autant plus curieux à fixer que l'intéressée mettait elle-même à le contester une persistance excessive.

C'est qu'en effet, née à Paris, Réjane était de souche provinciale. Mais elle avait, je le sais mieux que personne, entre autres coquetteries, celle d'une origine qu'elle prétendait, contre toute évidence, parisienne, alors que par son ascendance elle était incontestablement rattachée à notre chère province d'Anjou.

Sa famille habitait au commencement du siècle dernier, et depuis plusieurs générations, la coquette petite ville de Montreuil-Bellay, au fond du Saumurois. A l'exemple de ses deux grands-oncles deux types curieux comme on va le voir - sa mère s'était déracinée pour venir, une fois.

mariée, s'installer à Paris, mais Gabrielle avait conservé, durant son enfance, l'habitude de revenir à certaines dates au pays qui avait été le berceau de ses grands-parents.

Au cours de ces visites, une brave angevine, qui tenait encore il y a quelques années une boutique d'épicerie à Saumur, dans la rue d'Orléans, Mme Ag.... Br...., lui servit souvent de femme de chambre. Elle se rappelait fort bien avoir conduit le dimanche à la messe de Notre-Dame-desArdilliers Gabrielle Réju, la petite-fille de Mme Arnault, vêtue d'une robe blanche à ceinture bleue qui faisait, disaitelle, l'admiration de « ces Messieurs les Officiers de l'École ».

Réjane affectait d'avoir perdu le souvenir de ce détail. Un jour même, l'acteur Duquesne, qui créa avec elle Madame Sans Gêne et qui était, lui aussi, un angevin, né à Angers, ayant eu connaissance de la filiation angevine de sa partenaire, voulut la lui remettre en mémoire. La grande artiste eut l'air de ne pas comprendre : elle répondit sèchement à son camarade qu'il devait se tromper et qu'elle était « parisienne de Paris ».

Le malentendu venait simplement de ce qu'elle confondait bien à tort le lieu de naissance, qui n'est le plus souvent que le résultat du hasard, avec l'ascendance familiale qui, seule, établit le caractère ethnique d'un individu.

Et pourtant, malgré l'indifférence dont elle se targuait vis-à-vis de son pays d'origine, Réjane n'avait pas rompu toutes relations avec ceux qui, là-bas, en Anjou, avaient été témoins de son enfance. C'est ainsi que, le jour où elle vint à Saumur donner une représentation de Madame Sans-Gêne, son premier geste fut d'envoyer à la brave épicière de la rue d'Orléans deux fauteuils en témoignage de son affection persistante, plus forte au fond que sa coquetterie un peu puérile et passagère de « parisienne ».

Sur la famille de Réjane on a écrit, bien des choses. inexactes. Les historiographes au jour le jour se sont montrés surtout très incomplètement informés. Que de détails

intéressants pourtant dans la vie de ses parents, de deux de ses parents surtout, ses deux grands-oncles, les frères Arnault, nés comme sa grand-mère, au siècle dernier, sous le ciel d'Anjou! Ils se destinaient tous les deux au commerce, mais un même élan irrésistible, une même vocation ardente les détourna de leur carrière pour les pousser vers le théâtre.

L'un, l'aîné, François-Alphonse Arnault, était entré à 23 ans au Conservatoire. A 25, il en sortait avec le prix de tragédie et débutait à l'Odéon. Successivement il passait à la Gaîté, à la Porte-Saint-Martin et enfin au ThéâtreFrançais. Là, à 27 ans, en 1846, il épousait une de ses camarades, pensionnaire de la Maison, Gabrielle-Geneviève Planat, qui avait pris au théâtre le nom de Naptal. Il prit alors lui-même le nom de Naptal Arnault. En 1850, il était nommé directeur du Théâtre français de Saint-Pétersbourg, où il mourut en 1860.

L'autre, le cadet, Lucien est moins connu. Attiré de bonne heure vers les jeux du cirque, il avait fondé, vers 1840, à la barrière de l'Étoile le premier hyppodrome de de Paris, établissement alors unique en son genre et qui, dix ans plus tard, fut transféré avenue de la Dauphine, aujourd'hui avenue Bugeaud.

Il semble donc vraiment qu'une sorte de prédestination ait dominé toute la famille de Gabrielle Réju et l'ait orientée irrésistiblement vers le théâtre. Quoi d'étonnant à ce que Gabrielle elle-même, l'oreille toute pleine des histoires de coulisse racontées par son entourage, ait pris le plaisir spécial que l'on sait à vivre toute sa jeunesse à l'ombre des portants et qu'elle se soit abandonnée à la vocation instinctive qu'un atavisme incontestable avait mise en elle?

Cet atavisme constitue précisément le lien qui rattache Réjane à l'Anjou et les compatriotes de l'illustre comé

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