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de la consommation des temps, la réalité lointaine d'une époque où la semence purifiée d'Adam, dépouillée de la vêture du péché, jouira de la paix indéfinie dans un ineffable mystère. Ces visions fugitives, ils ne se les précisent point, faute d'un enseignement qui les leur précise, et, s'ils ne pensent pas à ces questions, c'est « uniquement parce qu'on néglige de les y faire penser ». Mais pour eux déjà un fait n'est plus seulement l'expression immédiate du réel, il devient, dans l'harmonie universelle, le signe sensible d'une vérité mystique. C'est à eux, c'est aux chrétiens « pour qui le mystère existe », que s'adresse le livre de Baumann.

J'ai parlé tout à l'heure de l'opportunité de ce livre; elle émane de sa logique même. Ceux qui voudraient ne voir dans la Paix du septième jour qu'un avertissement terrible, que la peinture effroyable des tribulations des derniers chrétiens dans un monde en proie au Mal et qui puiseraient dans ce livre de consolation et d'espoir un prétexte de révolte et de désespérance commettraient une regrettable erreur. Il est impossible à un homme de foi sincère, je dirais plus, à un homme de simple bonne foi, d'extraire de l'enchaînement des idées et des faits autre chose qu'une douce résignation, si c'est un timide, et d'allègre courage, s'il ne l'est pas. Sans doute, le présent nous meurtrit dans toutes nos fibres ne disons pas que nous souffrons, mais que nous expions. La guerre est bien longue, dites-vous : oui, mais la Paix qu'elle annonce sera éternelle. Et après viendront pour ceux qui naîtront de nous, pour ceux dont nos fils feront souche, un temps d'épreuves et de souffrances sans nom mais l'épreuve est transitoire et les béatitudes qui la suivront n'auront point de fin. Mais ce terme, il est encore si lointain : il approche, réjouissons-nous; ce brouillard sanglant qui monte dans l'espace, ce n'est pas la nuée sinistre d'un soir d'orage, c'est la buée matinale que caresse déjà le premier rayon d'une aurore de Vérité et de Paix.

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Je bornerai ici la critique de ce livre. Je n'ai jamais relu telles pages sans en retirer, pour le présent un confiant optimisme, pour le futur un ineffable réconfort. Le bien qu'il a pu faire à quelques âmes atteintes de ce « mal de l'avenir» dont parle Quinet est sans doute la plus douce et la plus avérée récompense d'un écrivain qui n'en attendait point d'autre, c'est aussi le plus sûr criterium de la valeur de son livre. « Quand une lecture vous élève l'esprit, a écrit Labruyère, et qu'elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger l'ouvrage : il est bon et fait de main d'ouvrier ». Mais quel ouvrier, si ce n'est un chrétien, consentirait à s'abstraire de son œuvre au point d'écrire à sa dernière page : « Qu'importe que nos livres soient oubliés, consumés par les dernières catastrophes, s'ils ont atteint les âmes qui les attendaient ! >>

Ces âmes, où sont-elles? Dans quel chemin obscur cheminent-elles encore vers la clarté qu'elles pressentent sans la voir, vers l'appel qu'elles perçoivent sans savoir d'où il s'épand sur elle. La Lumière va venir; bienheureux ceux qui l'annoncent, plus heureux encore ceux qui la contempleront dans sa gloire.

Voyageurs partis au soir d'une journée, nous parviendrons au terme de notre étape bien avant qu'à l'orient la moindre lucur ait paru; déjà, sans doute, la voix de notre guide aura cessé de se faire entendre, mais il aura été le messager de la bonne nouvelle et nous nous endormirons dans la certitude de l'aurore prochaine, dans l'attente de la Lumière qui viendra « pour éclairer ceux qui sont dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, afin de diriger nos pas dans la voie de la paix ».

R. N. RAIMBAULT.

Au Pays des Ruines

La Forêt pleure!...

A mes Amis: Madame et Monsieur FORTIER.

Voici la Forêt la Forêt de Villers-Cotterets!...

:

Ses chênes géants, broyés à leur base, s'appuient, maintenant, aux pauvres choses mortes, aux troncs de quelques rescapés. Ils entremêlent leurs longs corps, aujourd'hui squelettiques; leurs bras, jadis vigoureux, maintenant décharnés, fendus, décortiqués aux branches et aux troncs des hêtres voisins, chez qui un reste de vie et de verdeur subsiste encore.

Voici la Forêt, gémissante sous le vent, qui, en passant, se déchire à ses branches broyées et effi'ochées, à ses troncs renversés et tordus!...

Ces innombrables membres, vivants et morts, qui se heurtent, s'entrecroisent, ont un grincement tellement sinistre et lugubre que l'on croit entendre les froissements d'ossements gigantesques qui s'entre-choquent.

La Forêt pleure, pleure par toutes ses blessures, à peine cicatrisées.

Une sève, encore généreuse, coule le long de tous ses membres et s'échappe de toutes ses cimes étêtées, décapitées. Et, tristement, avec un balancement monotone et mélancolique, elle tend vers vous la multitude infinie de

tous ses moignons décharnés, où l'acier cruel reste planté dans ses chairs, comme s'il voulait perpétuer son exécrable souvenir aux générations futures.

Voici la Forêt martyre, qui revêt aujourd'hui un aspect poignant car, elle, moins heureuse que le blessé tombé au champ d'honneur, n'a pas subi, dans son corps, dans ses membres, les amputations nécessaires et indispensables à sa guérison et ses corps et ses membres meurtris, hachés, calcinés, demeurent mélangés, entrecroisés à ceux qui subsistent pleins de sève et de vie... Ce voisinage, ce mélange étrange de vie et de mort, parfois rencontré sur le même sujet, vous émeut, vous oppresse...

La Forêt se plaint, mais ses plaintes sont, hélas, sans échos!...

Aucun des milliers d'êtres qui jadis la peuplaient n'a survécu à la tourmente : l'insecte et l'oiseau ont fui ses sommets et ses branchages; ses sous-bois ne sont plus habités par la biche et le chevreuil.

La Forêt, devenue veuve, pleure aujourd'hui ses enfants, ses hôtes et ses défenseurs !...

Elle, hier, si pleine de senteurs, de parfums, de vies, de surprises insoupçonnées, n'est plus aujourd'hui visitée, fréquentée que par le vent qui la malmène et se fait d'autant plus dur que, blessée, meurtrie, elle offre moins de résistance à ses brutales caresses!...

Oui, la Forêt est veuve, car jamais sa solitude n'a été plus profonde et plus impressionnante!...

Mais soudain, à l'horizon, un nuage noir s'avance, s'étale, tourbillonne et s'essaime. Des croassements lugubres retentissent voici les corbeaux!... Ils rasent maintenant de leurs vols lourds ces cimes et ces faites décapités, cherchant à découvrir, de leurs yeux perçants, dans les profondeurs de ces halliers, quelque cadavre à dévorer et,

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