Page images
PDF
EPUB

et montrèrent dès lors, aidées par quelques femmes patriotes, le plus grand zèle et un véritable dévouement 1.

Le 5 germinal, l'agent national de la commune pouvait écrire à son collègue du département: « Je te fais passer la liste des personnes qui composent actuellement les maisons hospitalières de cette commune. Tu trouveras aussi les noms de toutes les ci-devant sœurs hospitalières qui avaient refusé de prêter le serment civique prescrit par la loi du 9 nivôse dernier et ont été incarcérées conformément à la loi.

La Municipalité n'a point encore organisé la maison de la Petite Pension, administrée par les filles Avril 3. Nous allons donner tous nos soins pour que dans le plus bref délai cette maison soit organisée et que de bonnes citoyennes remplissent leurs importantes fonctions.

QUERUAU-LAMERIE.

(A suivre)

1 L. Cosnier. Notamment Mmes Autin et Pitet de Sainte-Catherine, qui restèrent en fonctions jusqu'en 1806, époque à laquelle furent rappelées les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul.

2 Cette liste nous manque.

La maison de charité de la paroisse Saint-Maurille, où l'on préparait des jeunes filles pour tenir les écoles de campagne et soigner les malades et où se tenait l'école de filles de la paroisse Saint-Maurille. De là sans doute son surnom de Petite Pension. Il est probable qu'on y distribuait gratuitement des remèdes aux malheureux, ce qui explique ce nom de Petite Pension donné par le peuple, naguère encore, au Dispensaire du Bureau de Bienfaisance. Cette maison ne paraît pas avoir été fermée pendant la Révolution. Elle servit de refuge à plusieurs prêtres, notamment M. Meilloc.

Un Artiste Saumurois
E. Marquis

Toutes les difficultés auxquelles se heurtent, dans leurs recherches, l'histoire et la critique d'art témoignent de l'intérêt qu'il y a, surtout pour l'avenir, à recueillir, quand on le peut encore, quelques notes sur des artistes obseurs mais dignes d'attention par leur mérite propre.

Combien de Saumurois gardent encore le souvenir du « Père Marquis » comme on l'appelait familièrement? Physionomie originale pourtant que la sienne : elle vaut d'être fixée à grands traits.

Édouard Marquis naquit à Saumur, le 20 novembre 1812; son père n'était pas riche; son instruction fut done sommaire et il dut apprendre de bonne heure à se tirer d'affaire tout seul; il y réussit d'ailleurs, non sans aventures. Ayant le goût du dessin, il entra d'abord chez un ingénieur des Ponts et Chaussées en qualité de commis. La pratique du dessin topographique, du lavis, ce fut là toute sa formation. artistique, trait commun d'ailleurs avec plusieurs des plus fameux peintres du début de l'aquarelle anglaise.

Vers 1837, voyant que sa situation sans avenir ne pouvait lui apporter la fortune rêvée, il partit pour l'Amérique et, sitôt débarqué, se joignit à des pionniers qui pénétraient dans l'intérieur du pays. Quel était son but exactement,

1

Marquis ne l'indiqua jamais aux rares amis avec lesquels il consentait à s'entretenir du passé; cette réserve, étrange il est vrai, fit jaser: de méchantes langues, dépitées de ne pouvoir éclaircir le mystère, n'hésitèrent pas à prétendre, sans aucun fondement sérieux, qu'il aurait fait sans scrupules la traite des nègres. Quoi qu'il en soit, l'expédition dont notre homme faisait partie fut attaquée par des Peaux-Rouges, une trentaine de personnes massacrées; Marquis allait subir le même sort quand il fut épargné, uniquement parce qu'il savait l'anglais les indigènes, comprenant l'importance qu'aurait, surtout pour les plus jeunes d'entre eux, la connaissance de cette langue, préférèrent le garder pour qu'il la leur apprît. C'est ainsi qu'il vécut parmi eux pendant cinq ou six ans, partageant leur vie aventureuse, dont il se lassa bien vite; aussi, apprenant un jour que des Européens passaient dans son voisinage, il réussit à s'échapper et à les rejoindre, dans un état de santé déplorable d'ailleurs, exténué de privations et d'angoisses. Il gagna ainsi la Nouvelle-Orléans, où il eut la chance de rencontrer un compatriote, un Saumurois nommé Levoie, originaire du quartier de Fenet. Levoie possédait une maison de commerce assez importante, un de ces bazars qui sont la ressource de tous les pays neufs; il l'hébergea. Marquis, rétabli, devint son employé, son homme de confiance et il le méritait car c'était un parfait honnête homme

et il passa la plus grande partie de sa vie dans cette contrée. Il ne revint se fixer à Saumur, pour y finir ses jours, que vers 1880, possesseur d'une petite fortune. Il y vécut assez seul, étant d'un caractère renfermé et original; la plus grande partie de son temps se passait à dessiner; ses soirées se terminaient par une invariable promenade jusqu'au Jagueneau, qu'il remplaçait, quand le temps était trop mauvais, par un certain nombre de tours sous le péristyle du théâtre, exactement calculé pour représenter la même distance; simple exemple d'entre ses manies. Il mourut chez lui, rue du

1

Portail-Louis, no 24, le 5 mars 1894, après une agonie douloureuse. Comme le médecin lui demandait quels désirs il pouvait avoir : « Que ça finisse bien vite», répondit-il d'un ton impatient.

Le hasard m'a permis de recueillir, il y a quelques années, un certain nombre de dessins et d'aquarelles, pages d'album datées de 1865 à 1869, au cours de ses voyages dans la région du Mississipi inférieur et circa c'est à cela que je dois d'avoir pu l'étudier et l'apprécier tout à loisir.

Une première série de croquis nous permet de l'accompagner dans sa remontée du Misissipi jusqu'à Wickbourg, en novembre 1865, et dans son retour par la grande voie d'Aberdeen à Mobile.

Dans une autre série, datée de février, mars, avril et mai 1867, nous le suivons de Bristol (Virginia) à Grand function (Mississipi), à Cairo (Illinois), où il s'embarque à bord du Lady Gay sur le Mississipi dont il descend le cours, traversant une région de plantations et de sucreries; il en note quelques aspects, pittoresques. En février 1869, il est à La Havane; deux croquis sommaires nous l'indiquent, l'un pris en rade, à bord du Saxonia.

De ses dessins faits à son retour en France nous ne connaissons qu'assez peu de chose, quelques vues de Loudun, de la tour de Trèves, du petit dolmen de Saumur. Quelquesuns ont dû être dispersés, beaucoup détruits sans doute, au hasard des circonstances.

Toutes ces notes de voyage, auxquelles il faut joindre quelques pages sans indication de lieu ou de date, sont tracées d'une pointe fine, précise, dans un dessin impeccable, mais, hâtons-nous de l'ajouter, avec beaucoup plus de méthode que de minutie. Point de détails superflus; une vue très nette mais sans sécheresse, des masses à leurs différents plans, dans l'ombre ou la lumière; un sens très exact des valeurs rendues avec une rare perfection dans la gamme restreinte de la mine de plomb; il contribue à donner dans cer

tains croquis l'impression de l'extrême lointain de l'arrièreplan, dans d'autres, au contraire, celle d'une atmosphère confinée, lourde, pauvre de clarté: dans un intérieur d'église à Loudun, par exemple, et surtout dans une curieuse vue sur une cour de maison à étages, que je ne vois jamais sans penser aux pages de Zola dans Pot-Bouille.

Je mentionne quelques portraits intéressants, quelques silhouettes, et, laissant alors les dessins, j'arrive à une série restreinte, mais tout à fait remarquable d'aquarelles, feuilles d'album intercalées parmi les précédentes : ce sont des types de mulâtresses et de créoles, groupées par deux ou trois le plus souvent, avec l'intention évidente d'opposer la laideur des unes au charme indiscutable des autres. Notre artiste, dont nous avons apprécié jusqu'ici le dessin « topographique », va se révéler alors observateur très fin de ses sujets, avec une pointe marquée d'humour qui ne va jamais jusqu'à la caricature. Il s'amuse aux toilettes prétentieuses, aux crinolines et aux falbalas des dames du monde que parfois leurs servantes accompagnent à la promenade ou au marché, à des groupes de jeunes filles étonnées ou curieuses, à des domestiques qui circulent chargées de paquets, la tête serrée dans un madras, à des femmes qui passent, drapées dans des châles, coiffées de cabas; à d'autres qui s'abritent sous la pluie, hésitant où poser le pied parmi les flaques d'eau. Les physionomies très expressives, malicieuses, enjouées ou prétentieuses répondent exactement aux attitudes, aux gestes pris sur le vif qui marquent bien le souci d'élégance et de coquetterie de la femme, quels que soient sa race, son pays et son temps. Les tons de l'aquarelle, sobres ou criards, lavés avec un art consommé dans le modelé des visages comme dans le rendu des étoffes, indiennes à ramages, soieries ou mousselines, donnent enfin à ces petites pages, avec une valeur documentaire, un charme délicat aux yeux de l'artiste.

« PreviousContinue »