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notifient la construction à leurs frais d'une aumônerie élevée pour l'amour de Dieu et le salut de leurs âmes, en l'honneur de Dieu, de la Vierge et de saint Nicolas. Ils l'ont élevée à l'usage des pauvres en la ville de Doué et affectent au soutien des pauvres vivant en cette aumônerie le don d'une rente annuelle de 12 livres de monnaie angevine à percevoir sur le produit de leurs droits de péage, de vente et de minage à Doué. Ils abandonnent encore à leur profit le revenu qu'ils tiraient de la perception d'un droit sur la vente des porcs 2 en cette ville. Toutes ces ressources seront remises aux mains du directeur, procurator, de l'aumônerie. Ce directeur ou procureur doit être choisi par le seigneur de Doué, assisté de quatre chevaliers et de six loyaux bourgeois douessins avec le consentement du chapitre de SaintDenis et du chapelain de l'église paroissiale 3.

Si, en cas de mort ou de révocation motivée du procureur, la succession restait en souffrance par suite de la négligence ou de l'absence du seigneur, au bout de quarante jours d'attente le chapitre de Doué et le chapelain de l'église paroissiale pourront, avec le concours de quatre chevaliers de la châtellenie et de six loyaux bourgeois de la ville convoqués par eux, procéder à l'installation d'un nouveau titulaire.

Le procureur prêtera serment dès son entrée en charge et s'engagera à consacrer scrupuleusement au bien des pauvres toutes les ressources de l'aumônerie 4. Il sera tenu de rendre compte une fois par mois de toutes les affaires de

1 Appendice, no I: « ædificavimus quamdam eleemosynariam ad usus pauperum sitam in villa Doadii. »>

2 Ibid. « in lumbulis porcorum », les filets ou rognons de porc; ce pourrait être avec plus de vraisemblance le droit de langoiage ou languyage, examen de la langue des porcs pour vérifier s'ils étaient sains ou ladres.

3 Saint-Pierre de Doué.

▲ V. l'Appendice, pièce I: « Omnia bona nominatæ eleemosynariæ ad usus pauperum bona fide et fideliter reservare. »

la maison à quatre loyaux bourgeois, choisis tous les ans à cette intention par le seigneur, le chapitre de Saint-Denis et le chapelain de la paroisse de Doué. Ces quatre bourgeois n'auront, pendant la durée de leur mandat, à répondre de n'importe quel délit que devant le seigneur ou son délégué, à l'exclusion des baillis de Doué. Ils seront tenus en outre de rendre compte avec le procureur, le lendemain de l'octave de saint Denis, au seigneur ou à son mandataire, au chapitre et au chapelain ainsi qu'à quatre autres bourgeois de Doué, choisis et convoqués par les personnages précédents, de tous les biens et affaires de l'aumônerie. Ce jourlà, avant de procéder à toute opération, il sera donné lecture intégrale de la présente lettre de fondation.

L'acte fut dressé en double exemplaire l'un devait rester entre les mains du seigneur de Doué, l'autre devait être remis à la garde du procureur de l'aumônerie. Il avait été corroboré par l'archevêque de Tours, Juhel, qui avait consacré l'autel de la nouvelle institution, par l'évêque d'Angers, Guillaume de Beaumont, et par le chapitre de Doué, dont les sceaux y furent apposés.

Tels sont les termes de l'acte constitutif de l'aumônerie de Doué, œuvre pieuse d'Eustachie et de son fils André. C'est à proprement parler la notification de l'achèvement de la construction 1, l'énoncé des revenus attribués par les donateurs à son entretien et surtout l'exposé du règlement administratif. En effet le choix du directeur ou procureur, les devoirs de sa charge, la composition du conseil qui l'assiste, de la commission de contrôle, l'initiative laissée, en l'absence du seigneur fondateur, au chapelain de l'église de Doué et au chapitre de Saint-Denis s'y trouvent consignés avec précision. Retenons encore pour l'éclaircissement de cette étude le rôle déjà consacré des bourgeois et du clergé et surtout la stipulation finale exigeant que chaque

1 Appendice, pièce I: « Edificavimus... et dedimus. »

année, le jour de la reddition des comptes, il sera donné tout d'abord lecture intégrale de la lettre de fondation. L'application de cette clause devait concourir à assurer le maintien des principes qui avaient présidé à cette fondation.

Ce texte capital laisse malheureusement dans l'ombre toute donnée relative à la vie intérieure de la maison et ne s'accompagne d'aucun de ces précieux statuts déterminant les conditions d'admission et le mode d'existence de sa clientèle.

Quelque temps après la rédaction du document de 1229, au mois de septembre 1265, un titre original fait mention. de l'aumônerie de Saint-Nicolas, désignée également sous le nom de Maison-Dieu. C'est une confirmation par l'évêque d'Angers, Nicolas Gellent, d'un accord conclu entre Bouchard, alors procureur ou administrateur 1 de la MaisonDieu ou aumônerie de Doué, et Guillaume, vicomte de Melun, seigneur de Montreuil-Bellay, auquel est fait abandon moyennant finance d'une rente de seigle appartenant à ladite maison. L'aumônerie reparaît encore en août 1273 dans un testament de Pétronille, veuve de Guérin Dançay, qui lègue à une série d'établissements charitables qualifiés de la même appellation de petites sommes d'argent: ce sont ceux d'Ambillou, de Saint-Jean d'Angers, de Saumur, de Montreuil-Bellay, de Doué et d'autres localités 2. Même désignation d'elemosinaria appliquée à tous et même destination apparente sans qu'aucun indice autorise toutefois à conclure à une entière similitude.

1 Archives départementales de Maine-et-Loire, Série H, hôpital de Doué: «< tunc temporis administrator Domus Dei seu eleemosynariæ de Doadio ».

2 Ibid. Fonds de l'Hôtel-Dieu d'Angers, B 82, fol. 12: « Necessitati pauperum elemosinarie de Ambilliaco XX solidos; necessitatibus pauperum elemosinarie S. Johannis Andegavensis XXX libras; elemosinarie de Salmuro C solidos ad necessitatem pauperum; necessitati pauperum elemosinarie de Monsteriolo XX solidos; necessitati pauperum elemosinarie de Doado XX solidos, etc. »

Qu'est-ce donc à proprement parler qu'une aumônerie ou maison-Dieu?

C'est une œuvre pie au même titre que toutes les donations faites aux représentants de Dieu sur la terre, c'est-àdire aux églises et aux monastères, par les fidèles pour le salut de leurs âmes; l'aumônerie a pour origine les libéralités d'un ou de plusieurs fondateurs. L'elemosyna, l'aumône ou don fait en pure aumône, constitue l'acte méritoire par excellence, celui qui porte en soi-même sa propre récompense, misericordia sua merces, dit Ducange dans son Glossarium mediæ et infimæ latinitatis. Comme les églises et les monastères les asiles hospitaliers sollicitent la générosité des chrétiens tourmentés par la terreur des peines éternelles, et leurs fondateurs ainsi que le personnel religieux et laïque attaché au service des malades entendent bien pratiquer une des sept œuvres de miséricorde conformes à la doctrine évangélique et au nombre desquelles figure le soulagement des malades, ægros curare. Ainsi le dévouement aux malades rentre dans la catégorie des œuvres susceptibles de sauver l'âme de ceux qui y consacrent une partie de leur bien ou leur bien tout entier.

Nous n'avons pas à rechercher les différentes acceptions du mot elemosina données par Ducange 1. Peu importe à notre sujet l'elemosina constituant des possessions ou tenures fieffées au profit des églises ou des couvents. Il est également superflu d'insister sur l'aumônerie ou maison annexée aux églises et monastères, dans laquelle des aumônes étaient distribuées aux pauvres. Il suffit de les citer en passant.

En ce qui concerne Doué le terme d'elemosynaria désigne sans conteste un hôpital des pauvres, ce que Ducange inter

Eleemosynaria id est domus monasterio vel ecclesiis adjuncta, in qua eleemosynæ pauperibus erogabantur ab eleemosynario. Ducange, Glossarium.

prète proprie hospitale pauperum. L'aumônerie de Doué ou Maison-Dieu, ainsi que la dénomme l'acte de 1265, est la création du seigneur du lieu représenté ici par Eustachie et par son fils André, qui organisent un asile en vue de soulager les pauvres, sans que nous sachions quelle importance il possédait à ses débuts, probablement modestes et en rapport avec la population de la petite ville.

A quelles conditions les pauvres y étaient-ils reçus? Quels étaient ceux qui s'en trouvaient exclus de par les règlements? En l'absence de statuts annexés à l'acte pour ainsi dire administratif signé d'Eustachie et de son fils, il est possible de recourir à des sources étrangères, mais appartenant à la même époque. A cet égard le riche chartrier de l'Hôtel-Dieu d'Angers, qui a traversé les siècles presque intact, offre dans la même région des points de comparaison du plus grand prix. Il est loin d'être le seul. Un éminent archiviste, M. Legrand, a consacré un article solide sur les Maisons-Dieu, leur régime intérieur au Moyen-Age, puis reprenant ce travail il a réuni les textes relatifs à ces établissements sous le titre de Statuts d'Hôtels-Dieu et de léproseries ̧ Or les conclusions auxquelles il s'arrête dans l'un et l'autre ouvrages touchent de trop près notre sujet pour ne pas les relever tout d'abord.

« La grande majorité des Maisons-Dieu, écrit-il, restèrent indépendantes les unes des autres et furent le siège de petites congrégations distinctes obéissant à des statuts particuliers. Le seul point de contact qui existât entre elles consistait en ce que chacune de ces règles spéciales était fondée sur les principes généraux de la règle de saint Augustin 1 qu'elle développait et complétait à sa guise 2. » Et encore : « Un grand nombre d'hôpitaux n'ont jamais eu de véritables statuts. Administrés par des convers et des

1

1 C'est ce que nous vérifierons pour Doué au XVIIe siècle.
2 Legrand, Statuts d'Hôtels-Dieu, 1901, introduction, p. vII.

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