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Les aborigènes d'Haïti reconnaissaient une foule de divinités dont les principales étaient les Chémis ou Zémès, leurs dieux familiers, qui représentaient les dieux Lares des anciens. Ils en faisaient des statuettes grossières en bois ou en terre cuite, qu'ils plaçaient en grand nombre dans leurs cabanes et leurs cavernes sacrées. Le cacique présidait les cérémonies religieuses; les prêtres, appelés butios, les accomplissaient sous ses ordres. Ces cérémonies consistaient principalement en consultations des Zémès, en chants et en danses qu'on exécutait au son du tambour que battait le cacique lui-même.

Christophe Colomb, avant de retourner en Espagne, construisit un fort avec les débris d'un de ses navires qui avait fait naufrage dans la baie de l'Acul, non loin de la ville actuelle du Cap-Haïtien. Il l'appela le fort de la Nativité et y plaça trente-neuf hommes sous la conduite de son neveu Diégo de Arana.

Colomb passa six mois en Espagne. Il employa ce temps. à faire les préparatifs d'un second voyage qui devait être plus important que le premier par son effectif. Avec le concours du bureau des Indes, qui avait été créé pour régler les questions concernant le Nouveau-Monde, Colomb put réunir dix-sept navires montés par 1.500 hommes de tous rangs et de toutes professions. Comme l'un des buts de l'expédition était la conversion des Indiens, on adjoignit au corps expéditionnaire douze prêtres ayant à leur tête le Père Boyle, religieux bénédictin qui reçut le titre de Vicaire apostolique. On embarqua aussi des chevaux, animaux jusqu'alors inconnus au Nouveau Monde, ainsi que des provisions, des graines, des matériaux de construction, des armes, des munitions et des objets d'échange.

La flotte arriva en vue de la Nativité le 27 novembre 1493 au soir. Colomb fut surpris de n'apercevoir aucune lumière. C'est que, pendant son absence, les Espagnols qu'il avait

laissés au fort de la Nativité, méprisant ses recommandadations et ses ordres, s'étaient mis à piller les indigènes et à leur extorquer tout l'or qu'ils possédaient; bientôt l'indiscipline et le désordre s'étaient introduits parmi eux; les Indiens en avaient profité pour s'emparer du fort par surprise et en massacrer la garnison.

Colomb quitta ce lieu, devenu tristement célèbre par le massacre des premiers Espagnols dans le Nouveau-Monde, pour aller à la recherche d'un endroit plus favorable au débarquement et à l'installation de sa colonie. En longeant la côte du nord, il s'arrêta à douze lieues environ à l'est de la ville actuelle de Monte-Christi, au point le plus septentrional de l'ile. C'était le point de la côte le plus rapproché du Cibao, région montagneuse que l'on disait très abondante en gisements aurifères.

On débarqua les troupes et les diverses personnes venues pour être employées dans la colonie. Un campement fut formé à l'entrée d'une plaine, au bord d'un ruisseau, en attendant que les maisons fussent construites. Le plan de la ville fut bientôt dressé on bâtit en pierres une église, la maison de Colomb, vice-roi des Indes, et une maison d'administration; les autres maisons furent construites en bois. Telle fut la première ville chrétienne du NouveauMonde, à laquelle Christophe Colomb donna le nom d'Isabelle, celui de sa royale protectrice.

Cependant les fatigues d'une longue traversée, celles qui furent occasionnées par les travaux d'installation, le séjour dans le campement, un soleil meurtrier et les exhalaisons émanant du sol fouillé pour les fondations déterminèrent parmi les Espagnols de cruelles maladies qui les décimèrent. De plus, la plupart de ces aventuriers, qui avaient compté faire une fortune rapide et facile dans le Nouveau-Monde, furent péniblement déçus en voyant que l'or n'affluait pas à Isabelle. Ils s'en prirent à Colomb et se montrèrent cruels à son égard, en l'accusant de les avoir attirés sous

ce climat meurtrier pour satisfaire sa cupidité et son ambition.

Cependant les vivres apportés d'Europe commençaient à s'épuiser et à se corrompre. Colomb dut pourvoir au ravitaillement de sa colonie menacée par la famine. Les Indiens, vivant de peu, cultivaient fort peu. Le vice-roi fut obligé de les contraindre à augmenter leurs cultures pour fournir des vivres suffisants aux habitants d'Isabelle. Ce fut là le premier acte de cette oppression qui, en moins d'un demisiècle, devait faire disparaître toute la race des Indiens.

Les Espagnols étaient venus dans l'ile par l'attraction de l'or, qui faisait l'unique objet de leurs pensées et de leur convoitise. Pour satisfaire cette cupidité incurable, Colomb se décida à envoyer, pour explorer le Cibao, une expédition à la tête de laquelle il plaça Alonzo de Ojeda, jeune homme d'une famille noble de Castille. Après avoir franchi une chaîne de montagnes, Ojeda traversa une ravissante plaine arrosée d'une multitude de rivières, puis pénétra dans les gorges arides du Cibao, où il trouva de l'or en abondance. A son retour à Isabelle, il fit un rapport qui ranima le courage des colons et fit taire les murmures des mécontents.

Colomb partit, à son tour, à la tête de quatre cents hommes. Pour monter la chaine de Monte-Christi, il fallut se frayer un chemin dans les bois à coups de sabre et de rapière. Parvenu au sommet, le vice-roi fut dans l'admiration en voyant s'étendre au loin une plaine riche et fertile contenant un nombre considérable de villages indiens; il l'appela la Vega-Réal, c'est-à-dire plaine royale. Au pied du Cibao, Colomb choisit, pour y construire un fort, un emplacement situé au centre de la région aurifère. Il donna à ce fort le nom de Saint-Thomas, par allusion à l'incrédulité de l'apôtre et à celle de ses propres compagnons, convaincus enfin de l'existence de l'or dans l'ile. Il plaça dans ce fort cinquante hommes sous la conduite de Pedro Margarit, puis il retourna à Isabelle. Quelques semaines après,

Colomb reçut un message de Pedro Margarit lui annonçant que les Indiens qui, au début, apportaient aux Espagnols des vivres et de l'or en échange, avaient cessé toute relation avec eux et déserté leurs villages; qu'en outre Caonabo, le cacique de la Maguana sur le territoire duquel était construit le fort Saint-Thomas, assemblait ses guerriers pour attaquer le fort. A cette nouvelle Colomb partit avec trois cents combattants dont deux cents fantassins, cinquante cavaliers, vingt-cinq artilleurs et autant d'arbalétriers; il traîna à sa suite quelques pierriers faciles à transporter à travers les montagnes; une vingtaine de chiens de combat dressés au carnage, servaient d'auxiliaires aux Espagnols. La rencontre des deux armées se fit dans la plaine de la Vega, au lieu où se trouve aujourd'hui la ville de Santiago. Les Espagnols, divisés en plusieurs colonnes, n'attendirent pas le choc des Indiens. Lorsque ceux-ci furent à portée, ils en abattirent un grand nombre par les décharges successives de leurs arquebuses et de leurs pierriers; en même temps, la cavalerie commandée par Ojeda les chargea vigoureusement. Les Indiens furent saisis de panique et, n'ayant le courage ni de fuir ni de se défendre, ils se laissèrent massacrer sur place, écraser sous les pieds des chevaux ou égorger par les chiens. L'armée innombrable des indigènes fut presque entièrement anéantie.

La victoire de la Vega assura la domination des Espagnols dans l'ile; Colomb parcourut une partie du pays en triomphateur, avec l'assurance de ne plus trouver aucune résistance sérieuse de la part des Indiens. Il soumit au tribut les provinces conquises; dans celles qui possédaient de l'or, chaque individu ayant quatorze ans au moins était tenu de fournir, tous les trois mois, une quantité d'or équivalant à quinze piastres; le cacique devait fournir périodiquement une calebasse 1 pleine d'or pour son tribut person

1 Fruit du calebassier, sorte de courge pouvant contenir de 1 litrə et demi à 2 litres.

nel. A chaque Indien qui avait fourni sa cotisation on donnait une médaille en cuivre qu'il devait porter au cou.

On raconte que Miguel Diaz, espagnol attaché à la suite de Barthélemy Colomb, frère de Christophe, s'enfuit avec quelques complices, à la suite d'une querelle où il blessa grièvement un de ses compagnons. Après avoir longtemps erré dans des solitudes boisées, ils arrivèrent sur les bords de l'Ozama dans une bourgade où régnait la veuve du cacique Cayacoa. Celle-ci accueillit avec bienveillance les aventuriers. Elle fut pleine de déférence pour Miguel Diaz, multiplia les fêtes et les parties de plaisir pour le charmer et le retenir auprès d'elle. Afin d'obtenir que l'Espagnol acceptât sa main, elle se fit chrétienne et prit le prénom d'Agnès. Miguel Diaz eut d'elle deux enfants qui furent élevés dans le christianisme. Connaissant la passion des Espagnols pour l'or, Agnès Cayacoa révéla à son mari l'existence de gisements aurifères importants situés sur les bords de la Hayna, près la baie de Samana. Miguel Diaz alla annoncer cette découverte au gouverneur espagnol et apprit que son malheureux adversaire avait survécu à ses blessures.

A partir de cette époque, on commença à extraire des entrailles du sol l'or que jusque-là on se contentait de ramasser à la surface de la terre ou dans le lit des rivières.

En repartant pour l'Espagne, au commencement de 1496, Christophe Colomb laissait dans la colonie son frère Barthélemy avec le titre d'adelantado et François Roldan avec celui d'alcaïde ou justicier. Ce dernier ne se contenta pas de sa part d'autorité il voulut supplanter les Colomb. L'absence prolongée du vice-roi favorisa les projets séditieux de Roldan et lui permit de se faire, à Isabelle, un parti assez puissant. Barthélemy Colomb, n'osant pas sévir ouvertement contre le rebelle, prit le parti de l'éloigner de la ville

1 Gouverneur.

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