Page images
PDF
EPUB

converses qui n'avaient pas fait profession religieuse et qui souvent même étaient engagés dans les liens du mariage, il ne pouvait être question de faire régner dans ces établissements une règle stricte. L'autorité épiscopale, chargée de la surveillance de ces maisons, ne pouvait exiger de ce personnel mi-religieux, mi-laïque, autre chose que la probité, le bon ordre et la pratique de la charité 1. »

Telles apparaissent aux yeux de ce savant la nature et la direction intérieure de ces établissements. Quant aux hôtes mêmes admis à recevoir des soins voici ce qu'en dit le même historien d'après la confrontation des textes : « En principe il n'y avait d'autre limite à l'admission des malades que la capacité de l'hôpital, puisque c'était à eux qu'appartenait la maison, quia domus eorum est, disent les statuts d'Angers (art. 13). Cependant certaines catégories de maux étaient légitimement écartés des Hôtels-Dieu ordinaires qui n'auraient pu leur donner asile sans se détourner du but de leur fondation. Parmi les personnes exclues ainsi figuraient les lépreux pour qui s'ouvraient les maladreries, les malheureux atteints du mal des ardents pour lesquels s'élevaient également des maisons spéciales, les boiteux, les manchots, les aveugles, etc. dont l'infirmité incurable ne constituait pas, suivant la remarque des statuts de Troyes 2, une maladie proprement dite. La réception de tels impotents, qu'on eût été obligé de garder indéfiniment, n'aurait pas tardé à absorber à leur seul profit les lits réservés aux malades; l'hôpital serait devenu un hospice. A plus forte raison excluait-on les mendiants valides, ainsi que le portent les statuts de Saint-Julien de Cambrai 3. »

Le Grand, tout en exposant les règles, ne prétend pas

1 Legrand. Statuts d'Hôtels-Dieu, p. xxiv.

2 Le Grand, Statuts... Hôtel-Dieu-le-Comte de Troyes, année 1263, art. 90.

Le Grand, Revue des Questions historiques, t. LXVIII, p. 133.

qu'elles ne souffrent aucune exception; il reconnaît que dans nombre de petites localités la Maison-Dieu avait un double caractère et « servait à la fois aux malades et à l'hébergement des voyageurs ». Coyecque, dans son histoire. de l'Hôtel-Dieu de Paris au Moyen-Age1, nous apprend que la coexistence des malades et des vieillards dans cet établissement est attestée par les documents. Ce fait n'est pas isolé. M. Lallemand 2 dans sa grande Histoire de la Charité écrit: «En ce qui concerne les incurables, les règlements varient. L'hôpital de Commines (Flandre), au XIIe siècle, est destiné aux malades et aux chartriers, c'est-à-dire aux infirmes qui ne peuvent quitter leur lit... Ailleurs, au contraire, comme à Valenciennes, défense d'amener les chartriers et les paralytiques qui occupent des places si nécessaires aux gens malades, couchants au lit agravez de maladies `curables et vraisemblablement sanables. »>

Il y a donc des infractions aux règles posées par Le Grand, qui ne les ignore pas; mais ces exceptions ne sont pas dissimulées sous des termes vagues. Les règlements les mettent en évidence ou, à leur défaut, des documents irréfutables : la réception des incurables y est spécifiée.

Regardons maintenant dans la région angevine. A Saumur l'hôpital, dont les statuts, s'ils ont jamais été rédigés, ne nous sont pas parvenus, portait comme ses congénères le nom d'aumônerie ou de Maison-Dieu. Un acte de mai 1269 émanant de Pierre, archidiacre d'Outre-Loire, rappelle que Gille, archevêque de Tyr, avait donné « pour le salut de son âme au proviseur et aux frères de l'aumônerie de Saumur pour l'usage et le réconfort des pauvres de cette maison son hébergement située devant elle 3. » Et un peu

1 Coyecque, Hôtel-Dieu de Paris au Moyen-Age, t. I, p. 59. 2 Lallemand, Histoire de la Charité, t. III, p. 126-128.

3 Archives départementales de Maine-et-Loire, Série H, Hôtel-Dieu de Saumur : « Provisori et fratribus elemosinarie Dei de Salmuro ad sustentationem et provisionem pauperum dicte domus ».

plus loin le même titre désigne l'aumônerie sous le nom de Maison-Dieu, domus Dei, terme qui réapparaît dans une donation de Guillaume Rezay, datée de juillet 1270 1,

A Angers nous trouvons une série de textes, qui depuis l'origine de l'Hôtel-Dieu jusqu'à la Révolution exposent sans solution de continuité l'existence de l'établissement avec toutes ses vicissitudes. L'acte de fondation même, qui devait remonter à 1270 environ, fait défaut; mais quantité d'autres documents y suppléent, évoquant les bienfaits du pieux donateur, Étienne de Marsay, sénéchal d'Anjou, et il suffit de quelques citations 2 pour mieux préciser le sens de ce vocable d'aumônerie à l'aide des synonymes alors en usage:

1o Une bulle du pape Alexandre III aux frères de l'aumônerie d'Angers, fratribus domus elemosinarie Andegavensis, en 1181, leur notifie qu'il prend sous sa protection l'hôpital auquel ils sont attachés 3. Ici le terme d'aumônerie est assimilé à celui d'hôpital.

2o Henri II Plantagenet confirme la même année les dons faits à l'aumônerie et donne l'emplacement aux pauvres. C'est en ce lieu, dit-il, qu'a été fondée la Maison-Dieu, domus Dei; et il ajoute avec une assurance beaucoup trop exclusive : « Je l'ai fondée avec mes propres aumônes pour y donner l'hospitalité aux pauvres et soulager leur détresse1. Ici l'appellation de Maison-Dieu est l'équivalent des mots d'hôpital et d'aumônerie.

3o Ce terme d'hôpital reparaît dans deux autres donations

1 Archives départementales de Maine-et-Loire, Série H, Hôtel-Dieu de Saumur.

2 Elles sont empruntées au fonds de l'Hôtel-Dieu d'Angers et au Cartulaire publié par C. Port à la suite de son inventaire.

3 Cartulaire, no 3: « prefatam hospitalem domum in qua hospitalitatis estis obsequio mancipati ».

4

• Quam domum ego in honore Dei ad hospitalitatem egenorum et ad eorum inopiam relevandam de propriis elemosinis meis fundavi. Cartulaire, no 4.

du même souverain en 1181-1183. « Sachez, dit-il, que j'ai fondé et construit un hôpital 1 pour le soulagement et la guérison des pauvres du Christ 2 »; et encore : « Je veux et ordonne expressément que ledit hôpital et que les pauvres du Christ qui y habitent, etc. 3 »

Puis ce sont tour à tour et indifféremment durant le XIIIe siècle les termes d'elemosinaria andegavensis, de domus elemosinaria, d'aumônerie Saint Joan, d'hospitalis domus, qui se succèdent. Le mot d'hôpital s'efface peu à peu devant celui d'aumônerie, qui persévère longtemps, puis de celui d'ostel, son dérivé ou plutôt son doublet français suivant les règles de la phonétique.

Ainsi dès la fin même du XIIe siècle il n'existe dans le langage courant aucune différence de nature entre les vocables d'aumônerie, Maison-Dieu, hôpital. De plus ces textes et surtout certains articles des statuts du début du XIIIe siècle indiquent formellement, chose rare dans la langue si souvent imprécise du Moyen-Age, la composition même de la clientèle hospitalière ou aumônière. Dans l'acte de 1183 cité plus haut Henri II notifie le don d'un bois fait à l'hôpital en spécifiant qu'il veut de la sorte soulager la détresse de ses habitants sains et malades, tam sanorum quam infirmorum; les personnes saines sont les frères et les gens de service; les autres sont les malades.

Les statuts de l'Hôtel-Dieu d'Angers ou Institution de

1 Ce serait une erreur d'affirmer que dans le latin du Moyen-Age le mot hospitale ne s'applique jamais à un établissement charitable. A Lille, en 1237, et dans le voisinage à Seclin, en 1248, les comtesses Jeanne et Marguerite de Flandre fondent un hôpital, hospitale quoddam. L'administration de celui de Seclin doit avoir surtout pour but d'hospitaliser le plus grand nombre possible de pauvres malades, quamplures infirmos pauperes lecto decumbentes. Note communiquée par M. L'Hermitte.

[ocr errors]

2 Sciatis me fundasse et construxisse... hospitale quoddam ad sustentationem et relevationem pauperum Christi. Cartulaire, no 5.

Volo et firmiter precipio quod predictum hospitale et pauperes Christi, etc. Ibid.

la maison des pauvres d'Angers 1 se montrent encore plus explicites. Parmi les treize articles consacrés à la réception des pauvres il en est qui désignent expressément la nature de ces pauvres et déterminent par là même le sens dans lequel se doit entendre ce mot. Le premier énonce l'obligation de dépêcher deux fois par semaine deux frères à travers la ville pour y chercher les malades, ad querendum infirmos. Le second 2 enjoint au frère portier de recevoir avec bienveillance le malade qui sollicite son entrée à la porte, s'il juge qu'il peut être reçu. Et, s'il est reçu, dit le troisième article, qu'il se confesse au prêtre et qu'il soit porté ensuite dans un lit 3. Les deux derniers prescrivent l'admission des femmes en couches jusqu'à leurs relevailles et l'exclusion absolue des lépreux, des ardents, des boiteux et manchots, des aveugles, des voleurs récemment mutilés et marqués et des enfants abandonnés 4.

Ainsi l'aumônerie de Saint-Jean l'Évangéliste excluait les infirmes et les incurables pour ne recevoir que les malades désignés tantôt sous le nom d'infirmi, tantôt sous celui de pauvres ou encore de pauvres malades, pauperes infirmi. Le pauvre était donc dans l'acception ordinaire du mot le malade, celui que l'on évacue lorsqu'il est revenu à la santé. Et ce sens reste invariable dans les siècles suivants. Voyez en quels termes est formulé un don de 3.600 livres fait en 1599 par Gilles Héard à l'Hôtel-Dieu : c'est « pour faire bâtir deux chaires de bois et cloisons de bois, qui sépareront les hommes d'avec les femmes malades » et pouvoir faire

1 Institutio domus pauperum Andegavensis. Cartulaire, no 183.

2

<< Si forte ante portam aliquis inveniatur infirmus, qui petat recipi, ipsum recipiat si viderit recipiendum.

4

« Ad lectum deportetur. >>

« Iste persone non recipiantur in domo : leprosi, ardentes, contracti, orbati, latrones de novo mutilati vel signati. » Les statuts de l'HôtelDieu-le-Comte de Troyes (1263) formulent la même exclusion Voir art. 90. Le Grand, Statuts d'Hôtels-Dieu, op. cit.

« PreviousContinue »