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l'hôpital « et y devant être unis à perpétuité ». Les deux veuves mortes, Clausier appela deux religieuses de son ordre, dont le mince apport joint aux quatre mille livres précédentes servit à acquérir la terre de l'Ardiller d'un revenu de deux cents livres. Or Mme de Vivonne prétend distraire ce revenu de l'Hôtel-Dieu et «<en jouir séparément comme ayant son couvent et mense séparée ». Cette prétention à un titre de bénéfice avait pour origine la mauvaise administration et la mauvaise conduite de Clausier, qui avait été interdite par sentence de l'officialité de Poitiers en 1673. Son dérèglement avait permis aux chevaliers, de Saint-Lazare d'être mis en possession de l'Hôtel-Dieu; par un accommodement secret les nouveaux venus avaient laissé la jouissance de la moitié des revenus, sans lui imposer aucune charge, à l'ex-supérieure qui vécut ainsi jusqu'à son décès en 1690. Ils agirent de même avec la dame de Vivonne, qui avait été pourvue de l'administration par la duchesse de la Meilleraye, alors dame de Montreuil-Bellay. Mais en mars 1693 les hôpitaux furent désunis de l'ordre de Saint-Lazare. Cette année comme la suivante sévit une terrible famine dans le royaume et en Anjou. En vertu d'un arrêt du Parlement de Paris du 20 octobre 1693 partie des revenus de l'Hôtel-Dieu fut distribuée aux pauvres. Or le procureur du Roi, à Loudun, prétendant être chargé du recouvrement des revenus des hôpitaux désunis de l'ordre de Saint-Lazare, attaqua ces distributions aux pauvres, « ce qui est contre toute règle de justice ». C'est dans ces conditions que Timoléon de Cossé devient seigneur de la baronnie. Or il entend maintenir ses droits et maintenir l'hôpital sous une bonne administration, faire casser le concordat de 1645, qui a eu pour effet d'appliquer les revenus des pauvres « à l'utilité particulière des religieuses »; d'où plusieurs procès intentés tant par les habitants de la ville que par le procureur de Saumur. Le 1er juillet 1693 une sentence contre la dame de Vivonne lui ordonne de rétablir les lits et meubles de l'hôpital.

Aussi le duc de Cossé requiert-il d'être réintégré et maintenu dans ses droits de fondation et de nomination d'un gouverneur et administrateur conformément aux aveux qu'il en rend au roi. Il sollicite l'autorisation de désigner un autre administrateur qui recouvrera les revenus trouvés aux mains des fermiers et débiteurs de l'Hôtel-Dieu pour les employer en achat de lits et de meubles. Il demande enfin qu'on impose silence à Tur

mereau et qu'on lui accorde mainlevée des saisies faites à la requête dudit procureur.

Pour preuves du bien fondé de sa requête le comte a produit un extrait d'un aveu rendu en l'assise de Saumur le 3 mai 1454 à René d'Anjou par Guillaume d'Harcourt, comte de Tancarville et de Montgommery, vicomte de Melun et seigneur de Montreuil-Bellay, aveu où figure le droit du seigneur de Montreuil de nommer un gouverneur et administrateur de l'HôtelDieu; un extrait d'un procès verbal du lieutenant général de Saumur pour le sénéchal de ladite ville du 22 mars 1545 sur l'exécution de l'édit du roi touchant la réformation des hôpitaux, aumôneries et autres lieux pitoyables du royaume, par lequel il apparaît que le lieutenant général suivi du procureur du roi s'était transporté à l'Hôtel-Dieu de Montreuil « duquel étoit administrateur et gouverneur Me Jean de Langellerie, doyen de l'église collégiale dud. Montreuil ». Langellerie avait déclaré qu'il tenait ladite « aumônerie » par donation du duc de Vendômois, « à cause de la dame, sa femme, douairière de Longueville, et dame usufruitière dudit Montreuil-Bellay », qu'il ne possédait aucun titre de fondation et supposait qu'il se trouvait au trésor de Châteaudun « pour la maison de Longueville ». A cette époque l'hôtel-Dieu était en bon état, renfermait onze <«< chalis garnis », avait un gardien pour recevoir les pauvres; le sieur de Langellerie « faisoit belles et grandes aumosnes à tous venans, recevoit les pauvres malades et y ensépulturoit ceux qui y mouroient ». Suivait la production de sept quittances d'Henri d'Ancy, commis au gouvernement et administration de l'Hôtel-Dieu «< ou Maison-Dieu de Saint Jean » par le comte de Tancarville, datées de 1459 à 1467; on y retrouvait mention des sommes données en aumônes par la comtesse et le comte pour contribuer à réédifier ledit hôtel, la chapelle et le dortoir des pauvres. Enfin une copie était produite des lettres de la duchesse Longueville, baronne de de Montreuil-Bellay, ayant la gardenoble d'Henri d'Orléans, son fils, en date du 29 mai 1616; elle y ordonnait, sur la plainte que lui avaient adressée «ses manans et habitans de ladite ville » qu'à l'avenir l'aumônerie serait régie par deux ou trois commissaires, gens de bien, qu'elle nommerait elle-même ou, en son absence, le gouverneur de sa ville de trois en trois ans, et qui rendraient leurs comptes également tous les trois ans par devant le gouverneur ou ses officiers, etc. Le Roi en son Conseil maintient et garde le comte de Cossé

<< en qualité de seigneur de Montreuil-Bellay1 en la possession des droits et facultés à lui attribués comme fondateur et patron de l'aumônerie ou maison-Dieu de Saint-Jean pour en jouir conformément à la déclaration du 24 août 1693 et ordonne qu'il sera fait emploi des biens et revenus de lad. aumônerie ainsi qu'il y sera pourvu par Sa Majesté suivant l'édit et la déclaration du mois de mars, avril et août 1693. Fait au Conseil d'Estat privé du Roy tenu à Paris, le 8e jour de juin 1697 ».

IV

Lettre du chanoine Bazile à la baronne 2 de Montreuil-Bellay (12 novembre 1740).

« MADAME,

«< Quoiqu'il ne sied pas de vanter ses bonnes actions, je croy qu'il m'est permis de vous apprendre ce que j'ay fait et ce que je désirerois faire pour le bien de notre hôpital, parce que peutêtre personne ne daignera vous en donner connoissance.

« Ennuyé d'entendre dire par Messrs les Administrateurs aux pauvres malades, qui demandoient à être reçus dans l'hôpital, que les six lits étoient remplis, j'en ay donné sept autres pour que nos frères ne meurent pas sur la paille comme des chiens. Croyant que la dame Hardouin faisoit difficulté dès l'an passé de se retirer dans une communauté faute d'un habit propre, j'offris de lui en acheter un qui lui auroit fait honneur et même de la faire conduire commodément dans le lieu de sa retraite. Elle parut bien aise de mes offres; mais elle me dit en gémissant qu'elle ne pouvoit quitter sa place sans votre permission qu'elle n'osoit vous demander.

Pour engager les administrateurs et vos officiers à demander votre agrément j'offris de payer la moitié de la pension de la

1 Un procès-verbal fait par le sénéchal de Montreuil du 9 janvier 1697 signalait la présence dans la chapelle et les divers bâtiments de l'hôpital des armes de la maison d'Harcourt et de la duchesse de la Meilleraie «cy devant dame de la baronnie ».

2 C'était Catherine-Marie Legendre, veuve de Claude Pecoil. V. Charier, Montreuil-Bellay à travers les âges, 1913, p. 109.

sœur Hardouin aussitôt qu'elle seroit placée dans un couvent et qu'on auroit reçu dans sa place quelques hospitalières sécullières. Moyennant cela j'offris encore de faire réparer l'intérieur de la maison qui menace ruine de tous côtés, dût-il en couter mil écus que je trouverois, sinon dans ma bourse, au moins dans celles des personnes que je connois bien intentionnées pour l'établissement des hospitalières séculières.

M. Bourlard m'ayant paru disposé à affermer la métairie de l'Ardiller et craignant qu'il n'en fût fait bail à trop bas prix faute d'en connoitre la valleur, je fis signifier au commencement de septembre à M. Maugis, tant pour luy que pour les autres administrateurs, que j'étois prest de prendre à ferme pour trois ou pour six années la métairie et les autres domaines de cette seigneurie, d'en donner quatre cens soixante-dix livres par an et de fournir bonne caution.

Tous les habitans, après avoir été charmés de mes offres, sont désolés de ce que les administrateurs n'y ont fait aucune réponse si ce n'est qu'ils vous demanderoient votre agreement, agreement qui n'est point encore venu.

Les pauvres de votre terre seroient-ils assés malheureux pour que leur Dame patrone et protectrice voulût les priver d'un bien qui n'appartient qu'à eux pour le réserver à quelques nouvelles religieuses qui seroient autant de nouvelles sangsues pour ces misérables? Tout ce qui s'est passé entr'autres depuis trois ans nous feroit appréhender ce malheur, sans que cette injustice seroit trop criante et trop opposée à votre équité, Madame, et à votre religion.

Vos officiers ont beau dire que vous regardés comme un chiffon l'arrêt sollicité par feu Monseigneur et qui règle les droits de notre hôpital. Ce sera une pièce incontestable jusqu'à ce qu'on fasse voir la fondation d'un prieuré de filles et des lettres patentes duement enregistrées pour l'établissement d'une communauté religieuse dans l'hôpital de Montreuil-Bellay. Ce qui n'arrivera jamais.

Il est vray que cet arrêt permet à la sœur Hardouin de finir ses jours dans l'hôpital, mais la charité lui commande d'en sortir, parce que sa présence cause un tort infini aux pauvres en empêchant l'entrée des hospitalières séculières, qui dans peu d'années par leurs soins et par leurs dots rendroient l'hôpital florissant.

C'est par rapport à cela que j'ay déclaré à cette soy disante religieuse qu'elle ne peut en sûreté de conscience refuser de sortir d'un lieu où elle cause tant de tort et où elle ne doit se regarder que comme une oblate nourie du pain des pauvres, qui n'ont aucunement profité de sa dot, qui consistoit seulement en six cents livres dont Madame de Vivonne a disposé. Les partisans de cette fille, qui sont autant d'ennemis des pauvres, lui ont mis dans l'esprit depuis peu qu'elle aura tous les droits prétendus par feüe Mme de Vivonne jusqu'à ce qu'on ait fait lever l'opposition par elle formée à l'exécution de l'arrêt. Mais, outre que cette opposition n'a jamais regardé que la Dame de Vivonne parce qu'elle n'a fait aucune mention de ses deux associées, il seroit bien triste pour toute la ville qu'on essayât de faire valider, en faveur d'une bouche inutile, une opposition qui n'a jamais eu de fondement, puisqu'il n'y a jamais eu ny prieuré, ny communauté de religieuses dans l'hôpital de SaintJean.

Je ne sçay, Madame, si vous daignerés faire quelque attention. à cette humble remontrance; mais je suis assuré par les principes de notre sainte religion que s'emparer du bien d'autrui est une injustice, et que ravir celui des pauvres est un sacrilège.

Le maigre plaisir de voir dans votre ville deux ou trois filles habillées en religieuses, assemblées dans votre hôpital pour en manger le revenu et continuer d'en faire un caquetoir perpétuel, seroit-il assés puissant pour vous rendre insensible au malheur de vos pauvres sujets, à l'honneur de votre baronnie, aux ardens. souhaits de tous les habitans de votre ville, à la crainte des jugemens de Dieu? C'est ce que nous ne pouvons appréhender d'une âme aussi chrétienne et aussi généreuse qu'est la vôtre.

Si Messieurs nos curés ne prennent pas comme moy la liberté de vous écrire en faveur des pauvres dont ils sont pourtant les pères, c'est, disent-ils, qu'ils craignent d'encourir votre disgrâce. Réponse qui ne sçauroit les disculper ny devant Dieu, ny devant les hommes! Réponse très offençante pour vous, Madame, parce qu'elle fait penser que vous êtes une dame toujours prête. à molester ceux qui osent écrire ou parler contre vos inclinations quelles qu'elles soient.

Pour moy, qui pense que vous aimés la justice et les pauvres et que vous seriés très fâchée d'intéresser votre conscience en empêchant le progrès de votre hôpital, je me feray toujours un

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