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Art. 6. Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent décret.

Fait au palais de l'Elysée, le 2 décembre 1851.

LOUIS-NAPOLÉON-BONAPARTE.

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Nous l'avons déjà dit, personne ne regrettait l'Assemblée; on s'occupait encore moins du Conseil d'État, devenu une succursale des intrigues parlementaires. Le pays tout entier était appelé à prononcer librement sur ses destinées; on sentait qu'on ne serait plus escamoté par des comités d'intrigants, et que la France allait se soustraire à la domination égoïste des partis.

On lut ensuite cet admirable proclamation à l'armée, devenue la garantie des lois et la sauvegarde de la société :

SOLDATS !

Soyez fiers de votre mission, vous sauverez la patrie, car je compte sur vous, non pour violer les lois, mais pour faire respecter la première loi du pays, la souveraineté nationale, dont je suis le légitime représentant.

Depuis longtemps vous souffriez comme moi des obstacles qui s'opposaient et au bien que je voulais vous faire, et aux démonstrations de votre sympathie en ma faveur. Ces obstacles sont brisés. L'Assemblée a essayé d'attenter à l'autorité que je 'tiens de la nation entière; elle a cessé d'exister.

Je fais un loyal appel au Peuple et à l'armée, et je leur dis: ou donnez-moi les moyens d'assurer votre prospérité, ou choisissez un autre à ma place.

En 1830 comme en 1848, on vous a traités en vaincus. Après avoir flétri votre désintéressement héroïque, on a dédaigné de consulter vos sympathies et vos vœux, et cependant vous êtes l'élite de la nation. Aujourd'hui, en ce moment solennel, je veux que l'armée fasse entendre sa voix.

Votez donc librement comme citoyens; mais comme soldats, n'oubliez pas que l'obéissance passive aux ordres du chef du gouvernement est le devoir rigoureux de l'armée, depuis le général

jusqu'au soldat. C'est à moi, responsable de mes actions devant le Peuple et devant la postérité, de prendre les mesures qui me semblent indispensables pour le bien public.

Quant à vous, restez inébranlables dans les règles de la discipline et de l'honneur. Aidez, par votre attitude imposante, le pays a manifester sa volonté dans le calme et la réflexion. Soyez prêts à réprimer toute tentative contre le libre exercice de la souveraineté du Peuple.

Soldats, je ne vous parle pas des souvenirs que mon nom rappelle. Ils sont gravés dans vos cœurs. Nous sommes unis par des lions indissolubles. Votre histoire est la mienne. Il y a entre nous dans le passé communauté de gloire et de malheur. Il y aura dans l'avenir communauté de sentiments et de résolutions pour le repos et la grandeur de la France.

Fait au palais de l'Elysée, le 2 décembre 1851.

Signé: LOUIS NAPOLÉON BONAPARTE.

Un si noble langage devait infailliblement être entendu de l'armée, car le Président de la République se bornait à lui demander de faire respecter la libre expression de la volonté universelle.

XXIII.

Enfin Louis-Napoléon s'adressait à la nation entière, et lui demandait, dans les termes suivants, de déclarer si elle voulait, oui ou non, être sauvée, par l'établissement d'un régime sérieux et pratique, de l'anarchie et du pillage.

FRANÇAIS!

La situation actuelle ne peut durer plus longtemps. Chaque jour qui s'écoule aggrave les dangers du pays. L'Assemblée, qui devait être le plus ferme appui de l'ordre, est devenue un foyer de complots Le patriotisme de trois cents de ses membres n'a pu arrêter ses fatales tendances. Au lieu de faire des lois dans l'intérêt général, elle forge des armes pour la guerre civile; elle attente au pouvoir que je tiens directement du Peuple; elle encourage toutes les mauvaises passions; elle compromet le repos de la France je l'ai dissoute, et je rends le Peuple entier juge entre elle et moi.

La Constitution, vous le savez, avait été faite dans le but d'af

faiblir d'avance le pouvoir que vous alliez me confier. Six millions de suffrages furent une éclatante protestation contre elle, et cependant je l'ai fidèlement observée. Les provocations, les calomnies, les outrages m'ont trouvé impassible. Mais aujourd'hui que le pacte fondamental n'est plus respecté de ceux-là même qui l'invoquent sans cesse, et que les hommes qui ont déjà perdu deux monarchies veulent me fier les mains, afin de renverser la République, mon devoir est de déjouer leurs perfides projets, de maintenir la République, et de sauver le pays, en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnaisse en France : le Peuple!

Je fais donc un appel loyal à la nation tout entière, et je vous dis: Si vous voulez continuer cet état de malaise qui nous dégrade et compromet notre avenir, choisissez un autre à ma place, car je ne veux plus d'un pouvoir qui est impuissant à faire le bien, me rend responsable d'actes que je ne puis empêcher, et m'enchaîne au gouvernail quand je vois le vaisseau courir vers l'abîme.

Si, au contraire, vous avez encore confiance en moi, donnezmoi les moyens d'accomplir la grande mission que je tiens de

vous.

Cette mission consiste à fermer l'ère des révolutions, en satisfaisant les besoins légitimes du Peuple et en le protégeant contre les passions subversives. Elle consiste surtout à créer des institutions qui survivent aux hommes, et qui soient enfin des fondations sur lesquelles on puisse asseoir quelque chose de durable.

Persuadé que l'instabilité du Pouvoir, que la prépondérance d'une seule Assemblée sont des eauses permanentes de trouble et de discorde, je soumets à vos suffrages les bases fondamentales suivantes d'une Constitution que les Assemblés développeront plus tard : 1° Un chef responsable nommé pour dix ans;

2o Des ministres dépendants du pouvoir exécutif seul;

3o Un conseil d'Etat formé des hommes les plus distingués, préparant les lois et en soutenant la discussion devant le corps légis

latif;

4 Un corps législatif discutant et votant les lois, nommé par le suffrage universel, sans scrutin de liste qui fausse l'élection;

5o Une seconde Assemblée, formée de toutes les illustrations du pays, pouvoir pondérateur, gardien du pacte fondamental et des libertés publiques.

Ce système, créé par le premier Consul au commencement du siècle, a déjà donné à la France le repos et la prospérité; il les lui garantirait encore.

Telle est ma conviction profonde. Si vous la partagez, déclarez

le par vos suffrages. Si, au contraire, vous préférez un gouvernement sans force, monarchique ou républicain, emprunté à je ne sais quel passé ou à quel avenir chimérique, répondez négative

ment.

Ainsi donc, pour la première fois depuis 1804, vous voterez en connaissance de cause, en sachant bien pour qui et pourquoi.

Si je n'obtiens pas la majorité de vos suffrages, alors je provoquerai la réunion d'une nouvelle Assemblée, et je lui remettrai le mandat que j'ai reçu de vous.

Mais si vous croyez que la cause dont mon nom est le symbole, c'est à-dire la France régénérée par la Révolution de 89 et orga nisée par l'Empereur, est toujours la vôtre, proclamez-le en consacrant les pouvoirs que je vous demande.

Alors, la France et l'Europe seront préservées, de l'anarchie, les obstacles s'aplaniront, les rivalités auront disparu, car tous respecteront dans l'arrêt du peuple, le décret de la Providence.

Fait au palais de l'Elysée, le 2 décembre 1851.

LOUIS-NAPOLÉON BONAPAKTE.

XXIV.

Cuoi de plus simple, de plus naturel, de plus universellement ésiré qu'un pouvoir un peu durable, afin qu'il ait le temps de asseoir la soicété, ébranlée par tant et de si profondes secousses?

Quoi de plus stérile, de plus irritant, de plus révolutionnaire en soi que ce régime parlementaire, sous lequel les assemblées délibé rantes entravaient toutes les affaires, agitaient sans cesse les pas sions des partis, entraient perpétuellement en lutte avec le gouvernement, le déconsidéraient et l'affaiblissaient dans l'opinion publique?

Qui n'applaudira au contraire à des assemblées calmes, laborieuses, controlant, éclairant, aidant le chef de l'Etat, au lieu de le miner et de le combattre ? Et qui ne sent que le suffrage universel, exercé à la commune, entre gens qui se connaissent et qui s'estiment, loin de l'influence des comités directeurs, arrachera la France des mains des vieux partis, et enverra aux assemblées des hommes dévoués aux intérêts publics, et non aux brigues, aux coteries, et aux conspirations?

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Les grandes mesures prises par le Président, la loyauté avec la

quelle il faisait, sous la protection de l'armée, un appel au bon sens, au patriotisme, à la volonté libre de tous les citoyens, devaient donc frapper et frappèrent en effet tout le monde d'étonnement et d'admiration.

Une seule de ces mesures fut mal comprise.

Se reportant à l'exemple donné par d'autres grandes époques de notre histoire politique, le Président avait d'abord voulu que tous les citoyens votassent à l'aide de registres déposés dans les mairies, en inscrivant leur nom à côté de leur suffrage, affirmatif ou négatif. C'était un hommage rendu à la liberté et au courage des Français.

Informé des racines profondes que le scrutin secret avait poussées dans nos mœurs politiques, et du vœu général qui était fait pour son maintien, le Président n'a pas hésité un seul instant à le maintenir, voulant, avant tout, que l'opinion de chacun fût complètement et absolument libre.

XXV.

Il eût été insensé d'espérer que les vieux partis politiques et le socialisme se laisseraient désarmer sans combattre.

Dès dix heures du matin, le gouvernement était informé, d'un côté, que les membres de la coalition parlementaire cherchaient à se réunir, de l'autre, que les chefs des sociétés secrètes se mettaient en permanence.

Le plus déplorable aveuglement donnait ainsi pour auxiliaires au terrorisme et au socialisme, qui ? des légitimistes, des orléanistes, des républicains modérés ; et le Président avait à défendre à la fois la société, contre les faubourgs, qu'on tentait d'insurger, et contre de grands propriétaires, d'anciens ministres, des hommes considérables, qui mettaient l'élu de six millions d'hommes hors la loi.

Heureusement, il y a des folies qui cessent d'être dangereuses par leur immensité même; et le gouvernement ne redoutait ni les socialistes, qu'il savait condamnés par tous les ouvriers intelligents et honnêtes; ni les parlementaires, qu'il savait désunis, impuissants, sans doctrine et sans but commun.

D'ailleurs les soldats étaient là, calmes, résolus, admirablement commandés, et les douze brigades réunies alors à Paris auraient en raison d'ennemis dix fois plus nombreux et plus redoutables.

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