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tendres prédilections les ordres religieux qui se consacrent à la prédication.

Mais quelle différence dans les résultats obtenus par l'erreur ou par la vérité! Une paroisse qui a été évangélisée par les Jésuites ou les Rédemptoristes est en quelque sorte régénérée; la paix rentre dans les familles, les maladies elles-mêmes diminuent en même temps que les désordres, et les cabarets se vident pendant que l'église se remplit; une influence de sainteté plane longtemps encore après le départ des Pères et entretient la persévérance; au contraire, la visite des prêcheurs ambulants du méthodisme fait naître le fanatisme, trouble les intelligences et déprave les mœurs qu'elle avait pour but de réformer. Wesley rougirait lui-même s'il lui était donné de voir ce que sont devenus dans notre siècle ces camps-meetings dont il attendait tant de consolants effets. On appelle ainsi des assemblées ou campements périodiques au milieu des forêts, où les méthodistes se réunissent de plusieurs lieues à la ronde pour entendre les exhortations de leurs ministres errants, et où les passions sont encore plus surexcitées que la piété. On ne révoquera pas en doute la description qu'en fait Mme Trollope dans son Voyage en Amérique. Protestante elle-même, elle sera plus impartiale dans son récit que ne le serait notre propre témoignage :

« Nous atteignîmes le camp une heure avant minuit, et son ap<< proche était réellement pittoresque. Le terrain choisi était la lisière « d'une forêt où les arbres avaient été coupés sur un espace d'en<< viron vingt acres pour donner place au meeting. Des tentes de dif

férentes grandeurs étaient dressées en cercle autour de la clai« rière; et en arrière étaient rangés en rond des chariots et voitures « de toute forme, les chevaux attachés par la bride à chaque véhi« cule. A travers cette triple ligne de défense, nous apercevions « de grands feux illuminant l'intérieur du cercle, et des lumières « encore plus nombreuses pendaient aux arbres laissés çà et là dans « le défrichement, la lune brillait dans toute sa splendeur et sa a plénitude au-dessus de nos têtes.

Nous pénétrâmes dans le cercle intérieur, où le premier coup d'œil me rappela Vauxhall, par l'effet des lumières au milieu de « la forêt et de la foule en mouvement tout autour; mais la seconde « inspection me montra une scène bien différente d'aucun autre « spectacle. Quatre hauts échafauds construits en forme d'autels « étaient placés aux quatre coins de l'enclos; ils étaient recouverts a d'une couche épaisse de terre et de gazon où brûlaient d'immenses a bûchers de pins. Sur un des côtés était dressée grossièrement une a plateforme pour les prêcheurs du meeting, qui y étaient au nomabre de quinze, prêchant tour à tour, jour et nuit, du mardi au samedi, sauf de très-courts intervalles pour les repas et la dévotion << privée.

A notre arrivée les prêcheurs étaient muets; mais nous enten

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« dions sortir de chaque tente des sons confus de prières, d'exhorta<tions, de chants et de lamentations. Les rideaux devant chaque << tente étaient abaissés, et la lumière voilée par la blanche drape« rie, ressortissant sur le fond noir de la forêt, produisait sur << l'imagination un effet mystérieux dont j'aurais réellement jouî si « les accents qui retentissaient autour de moi avaient été moins « discordants, moins rudes, moins inhumains; mais en écoutant à « l'angle d'une tente, dont des curieux entr'ouvrirent le rideau sans « cérémonie, je tombai aussitôt des hauteurs de la rêverie dans la a plus triste des réalités.

Le sol de la tente était couvert de paille, et à l'entour elle était « entassée par bottes pour servir de siéges; mais ils servaient en ce ◄ moment à supporter les têtes et les bras d'un groupe compact « d'hommes et de femmes agenouillés. Bientôt après ils tombèrent « en avant sur la paille, comme hors d'état d'éprouver dans une << autre altitude les effets de la brûlante éloquence d'un noir et éti« que personnage qui, debout au centre, glapissait avec une in«croyable véhémence un speech moitié sermon, moitié prière. Le « cercle agenouillé ne cessait d'appeler sur tous les tons le nom de a Jésus, accompagné de hoquets, de soupirs, de grognements, et a d'un râle indescriptible.

« A minuit, un son de trompe retentissant dans le camp fut le « signal de la clôture du culte privé et de l'ouverture du culte pu«blic, et nous vîmes la foule se précipitant de tous côtés pour ena tourer la plateforme des prêcheurs. Il y avait là près de deux « mille personnes rassemblées. Un des ministres commença d'un << ton bas et nasal, et comme tous ses confrères méthodistes, il nous << assura de l'énorme dépravation de l'homme tel qu'il sort des « mains de son Créateur, et de sa parfaite sanctification après avoir a assez lutté avec le Seigneur pour être vaincu par lui. L'admira«tion de l'assistance se témoignait par des cris presque continuels « de « Amen, amen, >>> « Jésus, Jésus, » « Gloire, gloire, » et le « reste. Mais cette tranquillité comparative ne fut pas de longue « durée. Le ministre s'écria que « cette nuit était le temps fixé pour « les pécheurs aspirant à lutter avec Dieu, » que lui et ses frères « étaient là pour les aider et que ceux qui voulaient son assistance << devaient s'avancer dans l'arène. C'est l'espace au-dessous de la « chaire, et à ce mot d'arène, la foule s'écarta pour la laisser vide. « Les prêcheurs descendirent de leur plateforme, se mirent au mia lieu de l'arène, chantant une hymne et exhortant les pénitents à a s'avancer. En chantant ils tournaient sur eux-mêmes, et par dea grés les voix de la multitude se joignirent en chœur. Bientôt une a centaine de personnes, presque toutes femmes, s'avancèrent en « poussant des hurlements si terribles que leur seul souvenir me a fait encore frissonner. Elles s'entraînaient l'une l'autre, et au mot « prions elles se précipitèrent à genoux; mais... » Ici mistriss Trol

lope entre dans des détails tels qu'il ne nous est pas possible de la suivre, même en adoucissant et en voilant les termes. « Comment a décrire, continue la touriste anglaise, les sons qui sortaient de « cette étrange masse humaine? Je ne connais pas de mots pour << en donner une idée. Sanglots, grincements de dents, plaintes « aiguës, c'était à se trouver mal d'horreur. Plusieurs de ces mal« heureuses créatures étaient de belles jeunes filles. Les prêcheurs a circulaient au milieu d'elles, tour à tour excitant et apaisant leurs « agonies. Je les entendais proférer ma sœur, ma chère sœur... »

Tel est en abrégé le récit de mistriss Trollope. Ce tableau horrible n'a rien d'exagéré, et chaque année un bon méthodiste doit assister à un de ces camps meetings pour y renouveler sa vie et y prendre de saintes résolutions. Et cependant le protestantisme, qui a enfanté de semblables désordres, se scandalise des chastes élans de sainte Thérèse! Il y a bien loin de ces superstitions fanatiques à la pieuse réforme que projetait Wesley quand il croyait seulement ranimer la foi dans l'anglicanisme. Mais ici comment ne pas remarquer le contraste entre ces prétendus réformatenrs de l'erreur et les réformateurs véritables que l'Eglise a connus en si grand nombre? Les premiers, dominés par l'orgueil, veulent, avant tout, se distinguer, régner, se séparer du corps de leurs frères, et Wesley luimême, qui veut demeurer ministre anglican, n'en ordonne pas moins des Evêques, organisant une secte en Amérique, qui le reconnaît pour chef et brise tout lien avec l'anglicanisme. - Les réformateurs catholiques, saint Benoît d'Aniane, saint Robert, sainte Thérèse, saint Jean-de-la-Croix, l'abbé de Rancé et tant d'autres, sont au contraire les plus fermes soutiens de l'unité, et leur modestie à peine égalée par leur sainteté, ne leur permet pas d'apercevoir qu'ils sont des instruments de salut, envoyés de Dieu sur la terre pour l'exemple et l'édification du monde.

Ce recours au fanatisme devait donner aux méthodistes un grand succès parmi le peuple, et leur secte ne compte pas moins de trois millions d'adhérents, dix Evêques, 5,000 prêcheurs nomades et 7,000 prêcheurs résidents. Mais la question de l'esclavage a amené, en 1846, une grande division entre les Etats du Nord et ceux du Sud. Déjà, en 1784, la conférence générale avait ordonné à tous les méthodistes d'émanciper leurs esclaves et leur avait donné cinq ans pour se conformer à cette loi. Mais elle ne put être mise en vigueur et beaucoup de ministres devinrent même propriétaires de noirs. En 1844, le révérend Harding épousa une jeune personne qui possédait des esclaves; mais la législation du Maryland empêchait leur émancipation. Le ministre fut suspendu par la conférence générale; le Sud protesta, et une conférence, tenue à Louisville en 1846, prononça la séparation irrévocable du Sud et du Nord. Depuis lors, les deux fractions de l'Eglise méthodiste épiscopale sont en procès pour la possession d'un certain fonds, le Book Concern, provenant des

bénéfices accumulés d'une librairie fondée par Wesley. Comme il s'agit d'une somme de 4 millions de francs, les méthodistes partisans de l'esclavage veulent avoir leur part du gâteau, tandis que les abolitionistes qui le tiennent prétendent en conserver la totalité. Depuis plusieurs années, cette grave affaire se traîne de juridiction en juridiction dans le labyrinthe judiciaire de l'Amérique, et la plupart des arrêts ont ordonné le partage. Mais le Nord ne se rend ja mais et trouve toujours une nouvelle cour pour en appeler.

Ce n'est pas la seule subdivision du méthodisme depuis le commencement du siècle, trois branches importantes se sont détachées du tronc principal et font bande à part, sous les noms de méthodistes protestants, méthodistes réformés et vrais wesleyiens. Leur nombre dépasse trois cent mille âmes, et la raison de leur dissidence est une hostilité contre l'épiscopat et contre le gouvernement de la secte, entièrement placé entre des mains ecclésiastiques. C'est une réaction de l'élément calviniste et presbytérien contre le germe catholique que contenait encore l'établissement méthodiste, c'est une tendance républicaine de plus, un asservissement des ministres aux laïques dans les affaires religieuses, travail de décomposition qui se manifeste dans toutes les sectes et qui les mène rapidement à l'indiffé

rence.

Parmi les quatre millions de nègres tant esclaves que libres qui habitent les Etats-Unis, le petit nombre de ceux professant une religion quelconque sont en général méthodistes, quoique en Louisiane, au Maryland, et à New-York même parmi les noirs réfugiés de SaintDomingue, on en compte de catholiques. Mais on se ferait illusion si l'on croyait que les blancs admettent en communion avec eux leurs frères de couleur. Cette égalité chrétienne n'existe que dans nos églises où tous les jours on peut voir côte à côte à la sainte Table la négresse en haillons près de la dame riche et élégante. Mais chez les protestants le préjugé est trop fort et la foi trop faible pour s'accommoder d'une pareille fraternité, et les esclaves ou les affranchis ne sont pas plus admis dans les temples que dans les théâtres ou les omnibus. Dès l'année 1787 de malheureux noirs chassés d'un temple à Philadelphie se décidèrent à se bâtir une église pour eux-mêmes, et se bornèrent à demander un ministre blanc à la secte méthodiste. On consentit à leur envoyer le rebut de la profession, et quel rebut! puisque de pauvres nègres trouvèrent dans leur pasteur matière à scandale au lieu de sujet d'édification. Sur leur insistance, on se décida à chercher un peu plus de vertu dans l'apôtre des noirs; mais ceux-ci ne pouvaient offrir que 500 fr. à leur ministre; la conférence méthodiste voulait qu'un salaire de 1,000 fr. fût assuré, et les nègres ayant plaidé la pauvreté, le révérend refusa de prêcher davantage. Cette honteuse controverse occupa les tribunaux pendant longues années, et remplit de nombreux chapitres dans les histoires du méthodisme : quel contraste avec le bienheureux Pierre Claver, ce

saint jésuite que l'Eglise vient de canoniser, et qui, dévouant sa vie héroïque au salut des misérables nègres de Carthagène, se glorifiait d'être appelé l'esclave des esclaves noirs! - La population de couleur de Philadelphie ne sortait de ce différend qu'en 1816 en s'élisant à elle-même des ministres noirs qui se donnaient un Evêque de même nuance, et depuis lors quelques têtes crépues se décorent du titre de Prélats qu'elles se sont administré si gratuitement. Les nègres de New-York avaient trouvé plus de charité parmi les méthodistes de cette ville, et à la fin du siècle dernier on leur permettait de se réunir dans un temple aux heures où les blancs n'y étaient pas. Des sentiments si chrétiens ne pouvaient durer, et cette tolérance ayant été bientôt refusée, les affranchis de New-York se bâtirent des églises et s'improvisèrent une organisation et une hiérarchie. Mais au lieu de faire cause commune avec leurs pareils de Phi→ ladelphie, les premiers ont conservé un établissement distinct. Le protestantisme a horreur de l'unité comme la nature avait horreur du vide, et cette loi de division à laquelle nos Frères séparés ne peuvent se soustraire, se rencontre aussi frappante dans les plus humbles sectes que dans les plus altières, preuve éclatante de leur impuissance et de leur erreur. HENRY DE COURCY.

Crise anglaise.

Une dépêche télégraphique, datée de Londres, lundi, à quatre heures du soir, composait définitivement le nouveau cabinet de la manière suivante :

Comte de Derby, premier lord de la chancellerie ;

Sir E. Sugden, lord chancelier;

Le duc de Northumberland, premier lord de l'amirauté;

M. Walpole, secrétaire d'Etat de l'intérieur;

Le comte de Malmesbury, des affaires étrangères;

Sir J. Pakington, des colonies;

M. Disraeli, chancelier de l'Echiquier;

Le comte de Hardwicke, directeur-général des postes ;

Lord John Manners, premier commissaire des bois et forêts;

M. Henley, président du département du commerce;

M. Herries, président du département du contrôle (affaire de l'Inde);

M. Beresford, secrétaire de la guerre;

Le comte de Lonsdale, président du conseil ;

Lord Naas, secrétaire pour l'Irlande.

Les nominations du lord du sceau privé et du chancelier du duché de Lancastre ne sont pas encore connues. On annonce plusieurs changements importants parmi les plus hauts fonctionnaires du royaume, et parmi les principaux membres de la maison de la reine.

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