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article qu'il a consacré, le 21 du courant, dans le Journal des Débats, à la gloire de M. Ernest Renan.

En lisant la profession de foi ultramontaine de M. Sylvestre de Sacy, nous nous étions dit : Voilà encore un de ces miracles éclatants dont l'Académie française est l'objet ; encore un peu de temps, et les quarante iront à Rome porter au Saint-Père et leurs cœurs et leurs couronnes. Mais, hélas! M. Sylvestre de Sacy vient de nous prouver, d'une manière trop évidente, que sa conversion si éclatante n'était peut-être pas solide.

M. Ernest Renan, comme chacun sait, n'est pas chrétien. Il prétendrait l'être, que tous ses ouvrages se lèveraient. contre lui pour le démentir. Aussi ne le prétend-il pas. La Bible n'est donc à ses yeux qu'une collection de vieux livres qui peuvent avoir plus ou moins de mérite philosophique ou littéraire, mais qui n'ont, certes, jamais été inspirés, comme le croient sottement les juifs et les chrétiens depuis quelques milliers d'années. M. E. Renan, en simple amateur de littérature hébraïque, s'est mis à traduire en français quelques livres de la Bible. Le livre de Job est publié depuis quelque temps; bientôt on verra apparaître le Cantique des Cantiques. M. Renan, qui fournit ses primeurs au Journal des Débats, lui a communiqué la préface qu'il a mise en tête de sa traduction du Cantique des Cantiques. Il y dit, en fort bons termes, que ce livre est le chant d'un amoureux grossier qui appelait les choses par leur nom; et que ceux qui n'ont vu, sous des mots crapuleux, que les symboles d'un amour mystique, montraient plus de bons sentiments et de bonne volonté que d'intelligence. Voilà bien des gens rangés parmi les imbéciles, de par M. E. Renan; le docte membre de l'Institut déclare implicitement, par toute sa préface, que l'Eglise catholique, qui croit à l'inspiration du Cantique des Cantiques, offre à ses membres comme venant de Dieu, un livre grossièrement immoral.

L'accusation est grave, comme on voit. Que le Journal des Débats, sensible à l'harmonie du style de M. E. Renan,

ait offert, au goût épuré de ses lecteurs, la préface en question; nous n'en sommes point étonné. Mais nous l'avouerons, nous n'eussions jamais pensé que M. Sylvestre de Sacy aurait fait précéder. cette communication d'un éloge gracieux et tout coquet à l'adresse de l'auteur et de son œuvre. Sans doute, M. E. Renan ne dit pas crûment dans sa préface ce que nous lui attribuons; il est trop poli pour cela; mais lorsqu'on lit cette œuvre sans se laisser enchanter par les accents de la sirène de l'Institut, on ne peut en tirer que les conclusions que nous avons indiquées. M. Sylvestre de Sacy a dû les apercevoir sans peine. Or, ultramontanisme oblige, et M. Sylvestre de Sacy connaît ces dogmes fondamentaux de l'ultramontanisme : 1° les livres de la Bible ne doivent pas être traduits en langue vulgaire; 2° toute traduction publiée, sans l'autorisation de la cour de Rome, est, par là même condamnée, et passible de peines portées par l'Index, c'est-à-dire qu'elle doit être brûlée; 3o les écrivains, dont les ouvrages sont mis à l'index et qui ne se sont pas soumis, sont des révoltés contre l'Eglise, des excommuniés.

On dit que M. Sylvestre de Sacy a mis en pratique, de la manière la plus édifiante, les règles qui résultent de ce troisième principe, mais seulement à l'égard d'un écrivain qui avait eu l'audace, de critiquer sa profession de foi ultramontaine. Si son zèle pour l'orthodoxie lui a imposé cette pénible obligation, comment se fait-il qu'il ait trouvé moyen de s'y soustraire à l'égard d'un écrivain, qui n'a pas attaqué, il est vrai, sa déclaration de principes, mais qui, en revanche, a fait du Christianisme la religion des imbéciles et des ignorants? Le zèle du pieux académicien serait-il myope? Se serait-il mépris sur la nature des choses? Aurait-il aperçu de l'orthodoxie où les autres ne trouveront qu'une forte dose d'impiété sous une gracieuse enveloppe ?

Mais du moins, M. Sylvestre de Sacy, ultramontain de conviction, comme tout le monde en est persuadé, ne peut pas ignorer les dogmes de son Eglise. Comment se fait-il

donc qu'il traite avec tant d'aménité celui que Rome lui ordonne de censurer? qu'il accueille si doucereusement une œuvre que M. Renan ne pourrait publier sans mépriser les prescriptions de Rome, quand bien même son livre serait orthodoxe; une œuvre qu'il ne peut publier telle qu'elle est, sans insulter au sentiment chrétien ?

M. Sylvestre de Sacy a-t-il fait sincèrement sa profession de foi ultramontaine; ou bien a-t-il voulu jouer la comédie? La charité veut que nous croyions à sa sincérité. Alors nous demandons :

S'il a agi sincèrement, a-t-il agi sciemment? Connaissaitil çet ultramontanisme qu'il admettait avec toutes ses conséquences?

La haute position intellectuelle qu'occupe M. Sylvestre de Sacy nous oblige à croire qu'il a agi sciemment. Alors nous demandons :

Si M. Sylvestre de Sacy a agi avec sincérité et avec connaissance de cause, comment se fait-il qu'il viole aujourd'hui tous les engagements contenues implicitement dans sa profession de foi ?

L'estime que nous devons à M. Sylvestre de Sacy exige que nous croyions qu'il aura rétracté en secret ses fantaisies ultramontaines; mais, dans ce cas, nous aurions encore une question à faire :

Le Christianisme s'est-il éclipsé dans l'âme de M. Sylvestre de Sacy avec l'éclair d'ultramontanisme qui l'avait séduite si inopinément ?

Nous sommes bien obligé de le croire, par respect pour la logique de M. Sylvestre de Sacy, puisqu'il accueille avec tant de courtoisie un livre anti-chrétien,

'Alors nous n'avons plus de ressource que dans cette opinion: M. Sylvestre de Sacy, chrétien au point de vue littéraire, ultramontain au point de vue académique, est rationaliste en réalité.

M. Sylvestre de Sacy aimerait-il mieux avoir des amis

partout que de suivre ce principe évangélique : «Nul ne peut servir deux maitres. >>

L'abbé GUETTÉE.

SENTIMENT DE L'ANCIENNE ÉGLISE DE FRANCE

sur les préroGATIVES DU PAPE, PROUVÉ PAR L'ÉCRITURE
ET LA TRADITION.

(Voir les numéros des 1er et 16 mars, 1er et 16 avril, 1er et 16 mai.)

Saint Optat enseigne que les Donatistes auraient la chaire première, s'ils étaient unis de communion avec les sept Églises d'Asie. Il convient donc que la chaire première est dans ces Eglises comme à Rome. Il ne veut donc pas dire qu'elle n'était qu'à Rome; ce n'est donc pas de la chaire de Rome comparée aux chaires particulières des autres Eglises catholiques, mais de la chaire de Rome comparée à la chaire schismatique des Donatistes, qu'il dit qu'elle est première, parce que celle des Donatistes ne venant point des apôtres ne peut être première. En un mot, saint Optat ne veut donc pas dire que la chaire de Rome est la première des chaires catholiques, puisqu'il n'y en a qu'une, mais uniquement que la chaire catholique de Rome est la vraie chaire des apôtres, qui est l'unique et la première, et que celle des Donatistes n'est pas cette vraie chaire apostolique. Cela posé, que peut-on tirer de son texte en faveur de l'ultramontanisme? Mais, ne confondons pas ce qu'il y a de vrai en ceci avec ce qu'il y a de faux. Il est vrai que tout catholique doit être uni à la chaire première, sous peine d'être schismatique; il est vrai aussi que tout catholique doit être uni à la chaire particulière de Rome, tant qu'elle restera première ou apostolique; mais il est faux que la chaire particulière de Rome soit plutôt chaire première que les autres chaires qui sont apostoliques, puis

qu'elles sont toutes, non-seulement des chaires premières, mais qu'elles forment ensemble la chaire première. Il est donc faux que l'Eglise particulière de Rome soit la maîtresse et la reine de toutes les autres de droit divin. Itaque tot et tantæ Ecclesiæ una est illa ab apostolis prima ex quâ omnes. (Tertull., Lib. de Præscript., cap. 20.) Nous conviendrons sans peine, me diront peut-être les ultramontains français, qu'il n'y a qu'une chaire première commune à tous les apôtres, et que le but principal de saint Optat est de prouver aux Donatistes qu'ils n'ont pas cette chaire première, puisqu'ils ne succèdent pas aux évêques, qui ont pour premier prédécesseur saint Pierre (ou plutôt saint Paul), qui l'y a placée; mais, outre ce but principal, le saint docteur nous en montre un autre; c'est d'apprendre à tous les Chrétiens que saint Pierre a placé cette chaire première et unique à Rome, afin qu'elle y fût le rempart et le centre de l'unité pour les fidèles de toutes les Eglises du monde.

Mais je réponds que c'est encore le préjugé et non le lambeau de la vérité qui inspire cette interprétation. Le saint docteur veut sans doute apprendre que la chaire première, en tant qu'elle est à Rome, est le rempart de l'unité pour tous les chrétiens qui vivent à Rome; et qu'ainsi les Donatistes qui ont érigé une chaire à côté de la chaire première, à Rome, sont hors de l'unité; mais cet avantage est commun à toutes les Églises. La chaire première, qui est à Éphèse, ou à Corinthe, ou à Paris, est le rempart de l'unité pour les Éphésiens, les Corinthiens et les Parisiens, et quiconque érigerait une chaire nouvelle à Paris, à côté de la chaire première de Paris, serait convaincu d'être un schismatique et un pécheur. C'est donc la chaire première, la chaire apostolique, la chaire de saint Pierre, qui est toujours le rempart de l'unité, quelque part qu'elle soit; qu'elle soit à Rome ou à Engubie, à Constantinople ou à Rhéges, à Alexandrie ou à Tanis, c'est elle qui nous réunit tous à Jésus-Christ, notre divin chef et le vrai centre qui réunit la terre au ciel, et l'homme à Dieu. Saint Optat veut que ce

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