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tres, il veut dire qu'il a été appelé le premier à l'apostolat, ou qu'il est l'ancien des apôtres, ou qu'il s'est plus distingué que les autres; en cela il s'accorde avec tous les Pères qui l'ont précédé.

La définition que saint Jérôme donne ailleurs de la primauté de saint Pierre prouve clairement ce que je viens d'avancer. «Il en est, dit-il,de la principauté de Pierre ou de Paul entre les apôtres, comme de celle de Platon et d'Aristote entre les philosophes. Quid Aristoleli in Paulo? Quid Platoni et Petro? ut ille enim princeps philosophorum, ita hic apostolorum fuit super quem Ecclesia Domini stabili mole fundata est. Faut-il remarquer soigneusement que le saint docteur ne considère pas seulement saint Pierre en tant qu'il a été appelé le premier à l'apostolat, ou qu'il a eu de grandes qualités personnelles, mais en tant qu'il a été spécialement choisi de Jésus-Christ pour être fondement de l'Eglise. C'est de Pierre, sur qui l'Eglise a été solidement affermie, que le saint docteur nous affirme que sa primauté entre les apôtres est pareille à celle de Platon entre les philosophes.

Après cela, peut-on citer sérieusement l'autorité de saint Jérôme pour prouver que saint Pierre avait juridiction sur les apôtres, et le pape sur les évêques et sur toutes les Eglises, de droit divin? Voilà donc la primauté de saint Pierre réduite par saint Jérôme à la primauté de Platon, comme nous verrons saint Augustin la réduire à la primauté de saint Etienne entre les diacres.

3o Après cela, faut-il s'étonner de voir le saint docteur faire marcher de pair tous les apôtres et tous les évêques leurs successeurs? Nous avons déjà vu qu'il dit nettement de tous les apôtres que l'Eglise est affermie sur eux par égalité; voici maintenant que, dans son commentaire sur l'Epîtrè aux Galates (lib. VIII, p. 253), il nous montre saint Paul égal en tout à saint Pierre. « Je ne suis inférieur en rien à Pierre,» fait-il dire au grand apôtre des Gentils, « parce que c'est le seul et même Dieu qui nous a ordonnés dans le

ministère (1). » Qui n'est inférieur en rien est égal en tout; mais tous les autres apôtres n'étaient aussi inférieurs en rien à saint Paul; ils étaient donc égaux en tout; leurs successeurs les évêques le sont donc aussi en tout. Cette conséquence est nécessaire; aussi c'est ce qu'établit le saint docteur avec la plus grande énergie.

4° « Il ne faut pas, dit-il dans sa lettre à Evagre, croire que l'Eglise de la ville de Rome (qui cependant, selon lui, compte saint Pierre pour son premier évêque) soit une Eglise différente de celle de tout l'univers; les Gaules, la Bretagne, l'Afrique, la Perse, l'Orient, l'Inde, et toutes les nations barbares adorent un seul Jésus-Christ et observent une seule règle de vérité. Si l'on cherche l'autorité, l'univers est plus grand qu'une ville (c'est-à-dire l'autorité de l'Eglise répandue dans tout l'univers, est plus grande que celle de l'Eglise d'une seule ville); partout où il y a un évêque, qu'il soit à Rome ou à Eugubie, à Constantinople ou à Rhéges, à Alexandrie ou à Tunis, il a la même autorité, le même mérite, ayant le même sacerdoce. La puissance que donnent les richesses, ou la bassesse à laquelle réduit la pauvreté, ne rendent un évêque ni plus ni moins grand. »

Quoi ! saint et illustre docteur, le même mérite et la même autorité à l'évêque du village d'Eugubie qu'à l'évêque de Rome! Oubliez-vous donc que vous avez écrit à la dévote Eustochie que Pierre était l'évêque des évêques, le pasteur des apôtres ? Et n'avez-vous pas écrit au pape Damase, qu'il était la chaire de Pierre et le successeur du pêcheur? L'évêque d'Eugubie est donc la brebis de l'évêque de Rome; mais la brebis peut-elle être en tout égale à son pasteur? Peut-elle ne lui être inférieure en rien? Ou il y a contradiction dans les termes, et alors que devient votre autorité ? que devient l'autorité de l'Eglise, qui ordonne à ses enfants de vous regarder comme leur père et leur docteur, dans les lumières et

(1) In nullo sum illo (Petro) inferior, quia ab uno Deo sumus in ministerio ordinati.

la doctrine duquel ils doivent mettre une entière confiance? ou bien vous n'avez pas cru que saint Pierre eut quelque autorité sur les autres apôtres, car s'il en a eu quelqu'une, elle est passée dans ses successeurs, et dès lors, il est nécessaire que l'évêque de Rome ait autorité sur l'évêque d'Eugubie, et par conséquent qu'il soit plus grand que lui. Ainsi, ou vous avez trompé sainte Eustochie en lui disant que Pierre était l'évêque des évêques, le pasteur des apôtres; ou vous nous trompez en enseignant très sérieusement que tous les apôtres étaient égaux en tout, que la principauté de Pierre n'était qu'une priorité de temps, qu'une primauté de qualités personnelles, qui ne se transmettent point, telle que la primauté d'Aristote ou de Platon entre les philosophes, et que l'évêque d'Eugubie a autant d'autorité et de mérite que l'évêque de Rome. Le oui et le non ont-ils été dans votre bouche? A. Dieu ne plaise que nons ayons et que nous donnions des soupçons si injurieux aux Pères de l'Eglise! Je suis indigné, qu'il me soit permis de le dire en passant, de voir des théologiens, d'un très grand mérite d'ailleurs, taxer témérairement de contradiction les Pères; mais surtout saint Jérôme, dès qu'il enseigne une doctrine contraire aux préjugés qu'ils ont pris dans les écoles (1) !

Je vais donc suivre celle qu'inspirent la raison et l'équité, en expliquant saint Jérôme par lui-même et en fixant le sens des expressions équivoques par celui des expressions claires qui présentent le corps de sa doctrine; mais avant de répondre au texte tiré de la lettre à Eustochie, j'observerai que du temps de saint Jérôme, et surtout sous le pontificat de Damase, l'autorité des papes s'accroissait de jour en jour, et que l'on s'occupait sans cesse à l'étendre de plus en plus; on ne tenait pas de conciles à Rome, et on en tenait souvent,

(1) Les Pères de l'Eglise, pris collectivement, ne peuvent se contredire sur une question de foi; mais un Père, en particulier, peut se contredire avec lui-même. On doit expliquer, du mieux possible, ses contradictions: mais il ne faut pas les nier, si elles sont réelles. (Note de la rédaction.)

sans parler des prérogatives de saint Pierre, qu'on poussait toujours le plus loin qu'on pouvait; on ne manquait pas d'établir que le pape était successeur de saint Pierre, et par conséquent héritier de tous ses droits. On conçoit aisément que les délibérations et les statuts de ces conciles faisaient la matière des instructions qu'on donnait au peuple, ou du moins qu'on ne les oubliait point. Le peuple de Rome était donc par principe de religion fort attaché à la primauté juridictionnelle de saint Pierre, et surtout à la qualité d'évêque des évêques et de pasteur des apôtres, qualité qui rejaillissait sur le pape (1).

Après cette observation, considérons saint Jérôme écrivant à la pieuse vierge Eustochie dans ces circonstances, et peut-être obligé de lui inspirer du respect et de la confiance pour son évêque et les autres ministres de l'Eglise; n'est-il pas naturel de penser qu'il cherche à les relever le plus qu'il peut dans son esprit, et pouvait-il mieux y réussir qu'en lui disant de saint Pierre, et par conséquent de son évêque, tout ce qu'elle en entendait débiter?

Mais, me dira-t-on, il faudrait supposer, dans ce cas, que saint Jérôme parle contre sa pensée. Non, il n'est pas nécessaire de faire cette supposition. Il suffit de dire qu'il craignait de diminuer dans l'esprit d'Eustochie le respect qu'elle devait à ses pasteurs; qu'il était persuadé, comme il l'était, en effet, que saint Pierre avait été premier évêque de Rome, et qu'il ne voyait pas les conséquences des principes qu'il débitait dans cette lettre, d'autant plus que jusque-là les papes n'en avaient point encore abusé, comme ils l'ont fait depuis.

Quant à ses deux lettres au pape Damase, elles supposent clairement un homme peu instruit, puisqu'il lui demande s'il faut admettre trois hypostases, c'est-à-dire trois personnes, ou s'il faut ne point les admettre et

(1) Nous avons vu que Tertullien et saint Cyprien donnaient ces titres aux papes par moquerie, et parce qu'ils se les appropriaient par orgueil. (Note de la rédaction.)

quel est celui des trois évêques d'Antioche auquel il faut s'attacher. Un théologien, tel que le fut saint Jérôme, un des plus célèbres interprètes de l'Ecriture qu'ait jamais eus l'Eglise, le fléau de tous les hérétiques de son temps, qui était consulté de toutes parts, aurait-il eu besoin de consulter un homme moins habile que lui pour se décider sur une question de théologie, et sur un fait qu'il était plus aisé d'éclaircir dans la Palestine où il s'était retiré, que non pas à Rome où demeurait le pape Damase? aurait-il promis de s'en rapporter à sa décision, quelle qu'elle fût? Cela n'est pas vraisemblable; je suis donc porté à croire par ces raisons, que saint Jérôme a écrit ses deux lettres au pape Damase au commencement de sa conversion, et par conséquent qu'on ne doit pas les mettre au rang des ouvrages qu'il a faits comme docteur de l'Eglise (1).

Dans ces lettres au pape Damase, il n'y a pas un mot qui prouve qu'il le regardait comme ayant plus d'autorité que les autres évêques. Il paraît seulement qu'il croyait que saint Pierre avait été évêque de Rome, et qu'ainsi la chaire de Pierre, ou la chaire apostolique, qui est une dans toute l'Eglise, était à Rome, et par conséquent qu'on ne peut être sauvé hors de cette chaire, non en tant qu'elle n'était qu'à Rome, ce qui serait une hérésie, mais en tant qu'elle est la chaire unique et véritable que saint Pierre a reçue et que tous les apôtres ont reçue avec lui et autant que lui. Il dit au pape Damase qu'il veut suivre aveuglément sa décision. Ce n'est point qu'il le regarde comme infaillible; il savait trop bien qu'il n'avait pas plus de privilége que le pape Libère, qui avait abandonné la cause de saint Athanase et condamné la consubstantialité du Verbe; mais parce que, sachant que l'arianisme n'a point infecté l'Eglise de Rome, il ne put rien faire de plus sage et de plus prudent au milieu des troubles de l'Orient, où il était

(1) Il est bien plus simple et plus exact de dire qu'il voulait être agréable et faire une politesse à Damase, son ami et son bienfaiteur. (Note de la rédaction.)

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