Page images
PDF
EPUB

CATHOLIQUE

REVUE

DES SCIENCES ECCLESIASTIQUES ET DES FAITS RELIGIEUX.

Omnia instaurare in Christo. Eph., I, 10.

DE LA PAPAUTÉ

D'APRÈS LE PAPE SAINT GRÉGOIRE LE GRAND.

Au commencement de son épiscopat, Grégoire adressa une lettre de communion aux patriarches Jean de Constantinople, Euloge d'Alexandrie, Grégoire d'Antioche, Jean de Jérusalem, à Anastase, ancien patriarche d'Antioche, son ami. S'il se fût considéré comme le chef et le souverain de l'Eglise, s'il eût cru qu'il l'était de droit divin, il se fût certainement adressé aux patriarches comme à des subordonnés; on trouverait, dans cette circulaire, quelques traces de sa supériorité. Il en est tout autrement. Il s'y étend longuement sur les devoirs de l'épiscopat, et il ne songe même pas à parler des droits que lui eût conférés sa dignité. Il y insiste particulièrement sur le devoir, pour l'évêque, de ne point se laisser préoccuper par le soin des choses extérieures, et il finit sa circulaire en faisant sa profession de foi, afin de prouver qu'il était en communion avec les autres patriarches, et, par eux, avec toute l'Eglise (1). Ce silence de

(1) S. Greg., pap., Epist. 25, lib. I.

saint Grégoire sur les prétendus droits de la papauté est déjà très significatif par lui-même, et les ultramontains auraient peine à l'expliquer. Que pourraient-ils donc opposer aux lettres que nous allons traduire, et dans lesquelles saint Grégoire condamne, de la manière la plus expresse, l'idée fondamentale que les ultramontains voudraient nous donner de la papauté, c'est-à-dire le caractère universel de son autorité?

L'occasion de ces lettres fut l'ambition du patriarche Jean de Constantinople, qui prétendit que sa ville épiscopale étant devenue la capitale de l'empire, il devait être reconnu universellement comme le premier évêque de l'Eglise. A cette fin, il inventa le titre de patriarche œcuménique ou universel, et se l'attribua. La première idée d'un pouvoir central et universel dans l'Eglise est donc venue de Constantinople; çe fut de Rome que s'éleva la première opposition contre cette prétention ambitieuse, et de la part d'un des plus grands papes qui se soient assis sur la chaire apostolique de Rome.

Saint Grégoire ayant appris que Jean de Constantinople s'attribuait le titre de patriarc acuménique ou universel, écrivit plusieurs lettres qui méritent d'être lues et méditées, surtout de nos jours, où l'on cherche à nous imposer, comme étant de droit divin, un despotisme papal aussi opposé à la parole de Dieu qu'à la discipline générale de l'Eglise. Voici celle que Grégoire écrivit à Jean lui-même. Nous la traduisons textuellement :

« Grégoire à Jean, évêque de Constantinople.

« Votre Fraternité se souvient de la paix et de la concorde dont jouissait l'Eglise lorsqu'elle fut élevée à la dignité sacerdotale. Je ne comprends donc pas comment elle a osé suivre l'inspiration de l'orgueil, et essayé de prendre un titre qui peut occasionner du scandale dans l'esprit de tous les frères. J'en suis d'autant plus étonné, que je me souviens que vous aviez pris la fuite pour éviter l'épiscopat. Pour

tant, vous voulez l'exercer aujourd'hui comme si vous aviez couru au-devant, sous l'empire de désirs ambitieux. Vous qui disiez bien haut que vous étiez indigne de l'épiscopat, vous y avez à peine été élevé que, méprisant vos frères, vous avez ambitionné d'avoir seul le titre d'évêque. Pélage, mon prédécesseur de sainte mémoire, avait adressé à Votre Sainteté des observations fort graves à ce sujet. Il a rejeté, à cause du titre orgueilleux et superbe que vous y avez pris,' les actes du synode que vous avez assemblé dans la cause de notre frère et coévêque Grégoire, et il défendit dé communiquer avec vous à l'archidiacre que, selon l'usage, il avait envoyé à la cour de l'empereur. Après la mort de Pélage, ayant été élevé, malgré mon indignité, au gouvernement de l'Eglise (1), j'ai eu soin d'engager Votre Fraternité, non par écrit mais de vive voix, d'abord par mes envoyés (2), et ensuite par l'entremise de notre commun fils le diacre Sabinien, de renoncer à une telle présomption. J'ai défendu à ce dernier de communiquer avec vous si vous refusiez d'obtempérer à ma demande, afin d'inspirer à Votre Sainteté de la honte de son ambition, avant de procéder par les voies canoniques, si la honte ne vous guérissait pas d'un orgueil aussi profane, aussi coupable. Comme avant de faire l'amputation il faut palper doucement la plaie, je vous prie, je vous supplie, je demande avec le plus de douceur qu'il m'est possible que Votre Fraternité s'oppose à tous les flatteurs qui lui donnent un titre erroné, et qu'elle ne consente pas à s'attribuer un titre aussi sot qu'orgueilleux. En vérité, je pleure, et, du fond du cœur, j'attribue à mes péchés de ce que mon frère n'a pas voulu revenir à l'humilité, lui qui n'a été établi dans la dignité épiscopale que pour ramener les âmes des autres à l'humilité; de ce que celui qui enseigne aux autres la vérité n'a voulu ni se l'enseigner à lui

(1) Selon saint Grégoire, tout évêque prend part au gouvernement de l'Église, l'autorité résidant dans l'épiscopat.

(2) L'évêque de Rome avait des Envoyés à la cour de Constantinople depuis que cette ville était la résidence des empereurs.

même, ni consentir, malgré mes prières, à ce que je prisse ce soin.

Réfléchissez donc, je vous en prie, que, par cette présomption téméraire, la paix de l'Eglise entière est troublée, et que vous êtes ennemi de la grace qui a été donnée à tous en commun. Plus vous croîtrez en cette grâce, plus vous seréz humble à vos yeux; vous serez d'autant plus grand que vous serez éloigné d'usurper ce titre extravagant et orgueilleux. Vous serez d'autant plus riche que vous chercherez moins à dépouiller vos frères à votre profit. Donc, très cher frère, aimez l'humilité de tout votre cœur; c'est elle qui maintient la concorde entre les frères, et qui conserve l'unité dans la sainte Eglise universelle.

» Lorsque l'apôtre Paul entendait certains fidèles dire: Moi, je suis disciple de Paul, moi d'Apollo, moi de Pierre, il ne pouvait voir sans horreur déchirer ainsi le corps du Seigneur et en rattacher les membres à plusieurs têtes, et il s'écriait: Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous? ou avezvous été baptisés au nom de Paul? S'il ne voulait pas que les membres du corps du Seigneur fussent rattachés par parties à d'autres têtes qu'à celle du Christ, quoique ces têtes fussent des apôtres, vous, que direz-vous au Christ, qui est la tête de l'Eglise universelle, que lui direz-vous au dernier jugement, vous qui, par votre titre d'universel, voulez vous soumettre tous ses membres? Qui, dites-le-moi, je vous prie, qui imitez-vous par ce titre pervers, si ce n'est celui qui, méprisant les légions des anges qui étaient ses compagnons, s'efforça de monter au faîte pour n'être soumis à personne et être seul au-dessus des autres? Qui dit: Je monterai dans le ciel; j'élèverai mon trône au-dessus des astres du ciel; je placerai mon siège sur la montagne de l'Alliance, dans les flancs de l'Aquilon. Je monterai au-dessus des nuées; je serai semblable au Très Haut?

» Que sont vos frères, tous les évêques de l'Église universelle, si ce n'est les astres du ciel? Leur vie et leur enseignement brillent, en effet, à travers les péchés et les erreurs

des hommes, comme les astres à travers les ténèbres de la nuit. Lorsque, par un titre ambitieux, vous voulez vous élever au-dessus d'eux, et rabaisser leur titre en le comparant avec le vôtre, que dites-vous, si ce n'est ces paroles : Je monterai dans le ciel; j'élèverai mon trône au-dessus des astres du ciel? Tous les évèques ne sont-ils pas les muées qui versent la pluie de l'enseignement, et qui sont sillonnées par les éclairs de leurs bonnes œuvres? Votre Fraternité, en les méprisant, en s'efforçant de les mettre à ses pieds, que dit-elle, si ce n'est cette parole de l'antique ennemi: Je monterai au-dessus des nules? Pour moi, quand je vois tout cela à travers mes larmes, je crains les jugements secrets de Dieu; mes larmes coulent avec plus d'abondance, mes gémissements débordent de mon cœur, de ce que le seigneur Jean, cet homme si saint, d'une si grande abstinence et humilité, séduit par les flatteries de ses familiers, a pu s'élever jusqu'à un tel degré d'orgueil, que, par le désir d'un titre pervers, il s'efforce d'être semblable à celui qui, en voulant être orgueilleusement semblable à Dieu, perdit la gràce de la ressemblance divine qui lui avait été accordée, et qui perdit la vraie béatitude, parce qu'il ambitionna une fausse gloire. Pierre, le premier des apôtres, n'est-il pas membre de l'Eglise sainte et universelle? Paul, André, Jean, ne sont-ils pas les chefs de certains peuples fidèles? et cependant ne sont-ils pas des membres sous un seul chef? Pour tout dire en un mot, les saints avant la loi, les saints sous la loi, les saints sous la grâce, ne formentils pas tous le corps du Seigneur? Ne sont-ils pas membres de l'Eglise? et il n'en est aucun parmi eux qui ait voulu être appelé universel. Que Votre Sainteté reconnaisse donc combien elle s'enfle en elle-même lorsqu'elle revendique un titre qu'aucun n'a eu la présomption de s'attribuer.

» Votre Fraternité le sait, le vénérable concile de Chalcédoine n'a-t-il pas donné honorifiquement le titre d'universels aux évêques de ce siége apostolique dont je suis, par la volonté de Dieu, le serviteur? Et cependant aucun n'a voulu

« PreviousContinue »