Page images
PDF
EPUB

je tomberais dans l'état où vous êtes lorsqu'on vous parle de la Salette ou da quelque autre fait de ce genre; je serais inquiet, troublé, scandalisé; il me semblerait que Dieu a retiré une vertu à la sainte Eglise, une de ces vertus qui sont inhérentes à son caractère surnaturel et divin. »

D'abord il ne s'agit pas des miracles en général; tou enfant de l'Eglise croit que Dieu en a fait et qu'il peut en faire, si cela est dans les vues de sa Providence. La vraie question est celle-ci : Doit-on regarder comme vrais des miracles qui ne sont pas prouvés, ou dont la fausseté est reconnue? Nous ne demandons pas qu'un miracle nous soit dix fois démontré pour y croire, mais ce que nous avons droit d'exiger, c'est qu'il le soit une bonne fois. Or, parmi les miracles prétendus de la Salette, les uns sont manifestement faux, et d'autres sont dénués de témoignages suffisants. Le mieux prouvé de tous n'a pas en sa faveur la centième partie des preuves de tel miracle de l'abbé Pâris. M. Dulac croit-il aux miracles de ce saint homme? Non, certainement. Pourquoi croit-il alors aux miracles de la Salette, qui sont moins bien prouvés? Qu'il ne cherche donc pas à passer du particulier au général en fait de miracles; c'est un paralogisme qui ne peut avoir de succès. Aucun chrétien, aucun homme raisonnable ne conteste la puissance de Dieu dans l'opération des miracles; aucun catholique ne nie que Dieu ne puisse manifester sa puissance, par des miracles, au sein de l'Eglise; mais, encore une fois, là n'est pas la question. Il s'agit seulement de savoir si les miracles de la Salette sont de vrais miracles. »

Autres considérations de M. Dulac :

« Vous croyez à la sainte Vierge, aux anges, aux saints, et vous les priez avec une entière confiance d'obtenir ce que vous sollicitez par leur intercession. Pourquoi ne voulezvous pas qu'ils puissent manifester aux hommes leur puis şance par des signes visibles? Les faveurs spirituelles que vous n'hésitez pas à leur demander ne sont-elles pas souyent, si on les considère en elles-mêmes, plus étonnantes

[merged small][ocr errors]
[ocr errors]

que les miracles proprement dits? On vous racontait l'autre' jour comment une famille chrétienne avait, par d'instantes prières, obtenu de la sainte Vierge la conversion d'un pauvre pécheur; cela ne parut pas vous choquer; bien au contraire, vous avouâtes que vous aviez, vous aussi, des actions' de grâces à rendre à la Mère de Dieu, que vous aviez plus d'une fois ressenti les effets de sa bonté et de sa puissance. Mais, réfléchissez-y, est-il plus difficile à la Reine du ciel d'apparaître à deux bergers que de transfigurer une âme ? » Tout cela est encore en dehors de la question. Nous ne nions pas que la sainte Vierge, les anges, les saints ne puissent être les instruments au moyen desquels Dieu manifeste aux hommes sa puissance; nous ne nions pas que Dieu ne puisse, à leur intercession, et grâce aux mérites du seut médiateur, Jésus-Christ, transformer les âmes, les justifier; nous ne nions pas que Dieu ne puisse aussi facilement accorder à la sainte Vierge, en vue des mérites de Jésus-Christ, la transfiguration, ou, pour parler plus exactement, la sanctification d'une âme, que la permission d'apparaître à deux bergers; mais ce que nous nions, c'est que les anges, lessaints et la sainte Vierge aient par eux-mêmes le pouvoir de sanctification que M. Dulac leur attribue contrairement à la doctrine catholiqué; ce que nous nions, c'est le fait de l'apparition de la Salette et non sa possibilité, quoique, d'après ce que rapportent les apologistes eux-mêmes du prétendu miracle, il serait facile de prouver qu'une apparition miraculeuse n'est pas possible en de telles circonstances.

[ocr errors]

La question la plus importante est celle du fait en luimême. M. Dulac l'oublie pour se perdre dans celle des miracles en général et dans celle de la possibilité. Là n'ést pas la question; mais il y arrive. Poursuivons la lecture de l'apologie :

« Je ne nie pas la possibilité du fait, dites-vous, mais je prétends que des faits de cette nature ne peuvent pas être admis sans preuve. L'Écriture nous recommande de ne pas croire légèrement. Or, parmi ceux qui croient à la Salette,

[ocr errors]

combien y en a-t-il qui aient examiné? Cette croyance s'est répandue comme une espèce de contagion, et la plupart de ceux qui la prêchent avec le plus d'ardeur n'ont fait aucune recherche sur le fait, sur les circonstances du fait. Ils croient sans preuve, sans raison; c'est un pur fanatisme. - Prenez garde, vous traitez d'insensés et de fanatiques un bien grand nombre de vos frères. Il me semble qu'une pareille accusation a quelque chose d'odieux qui devrait vous la rendre suspecte et vous porter tout au moins à réfléchir et à examiner avant de condamner si sévèrement une foule de bons chrétiens. En fait, les assertions sur lesquelles vous l'appuyez ne sont pas exactes. Généralement, ceux qui croient à la Salette ne sont pas des indifférents. On les voit très occupés de tout ce qui touche leur croyance, des écrits qu'on publie contre elle, aussi bien que de ceux qui sont faits en sa faveur. Ils les lisent les uns et les autres, les examinent, les discutent. La plupart ne se trouveraient nullement embarrassés s'ils vous rencontraient, et vous forceraient aisément à reconnaître qu'ils n'ignorent pas vos objections. Du reste, ils ne se contentent pas de lire et de discuter, ils vont à la Salette, et vous savez en quel nombre. Là, sur les lieux, ils se plaisent à entendre de la bouche des habitants et des missionnaires le récit de l'apparition et de toutes les circonstances qui l'ont précédée, accompagnée et suivie; beaucoup, et pour ma part j'en connais quelquesuns, y ont obtenu des grâces signalées, des grâces spirituelles et aussi des grâces corporelles, de vrais miracles, ne vous déplaise. Peut-on dire, après cela, qu'ils croient sans preuve, sans raison et sans examen ? »

Voilà de nombreuses affirmations, sont-elles exactes? Est-il vrai que les partisans du miracle de la Salette lisent avec un si grand soin les objections élevées contre cette apparition?

Est-il vrai que les circonstances rapportées par les habitants du pays et les missionnaires soient capables de porter la conviction dans l'esprit de ceux qui les entendent?

Est-il vrai qu'elles soient confirmées par de vrais miracles? Nous répondons négativement à chacune de ces trois assertions de M. Dulac.

!

Il n'est pas vrai que les partisans de la Salette étudient sérieusement les critiques qui en ont été publiées. La preuve en est évidente: c'est que ces critiques ne se sont pas vendues, tandis que les relations favorables ont été répandues à centaines de mille d'exemplaires parmi les enfants et les dévotes. Peut-on lire des livres que l'on ne possède pas ?

Il n'est pas vrai que les circonstances de l'apparition, rapportées par les habitants et les missionnaires, puissent convaincre ceux qui les entendent. La raison en est simple : c'est que tout cela repose, en définitive, sur le témoignage de deux enfants ignorants; que l'aîné de ces enfants, Maximin, s'est rétracté, et que la petite fille est sequestrée contre sa volonté, afin de lui ôter la possibilité d'en faire autant. ...Il n'est pas vrai que l'on ait vu de vrais miracles à la Salette. On en publie beaucoup, mais il n'y en a pas un seul qui soit prouvé. Tous les pèlerinages ont leurs miracles. Quand on va au fait, lorsqu'on les discute sérieusement, qu'on en examine toutes les circonstances, on est obligé de convenir que le miracle peut être contesté très raisonnablement, qu'il n'a pas les caractères d'un vrai miracle. Quant à ceux de la Salette, ils doivent être d'autant plus suspects, que la fausseté de plusieurs a été démontrée; que sur d'autres dont on a fait grand bruit, on a gardé depuis un prudent silence; enfin, que les témoignages sur lesquels ils sont appuyés n'ont pas assez de valeur pour persuader un homme sérieux qui les examine froidement et sans préjugés.

Écoutons de nouveau M. Dulac :

« Il en est d'autres, je suppose, qui ne se donnent pas tant de peine. Ceux-ci n'ont pas songé à faire le pèlerinage, ou bien les circonstances ne leur ont pas permis de suivre l'attrait de leur dévotion. Ils n'ont rien lu de ce qui a été écrit à ce sujet, et, loin de consentir à discuter les objec

tions, ils ne veulent pas même les entendre; ils sont tels, en un mot, que vous les supposez tous. Eh bien! de ceux-là aussi je dis que leur croyance est raisonnable.

-

Lorsqu'un fait se produit quelque part sur la terre, vous ne prétendez pas apparemment que pour avoir le droit d'en admettre la réalité je sois obligé de me rendre sur les lieux, de procéder à une enquête, d'interroger les témoins et de tout examiner par moi-même. Vous ne soutiendrez pas même, je pense, que je doive, sous peine de déraison et de fanatisme, me livrer à une discussion sérieuse et approfandie de tout ce qu'on a pu dire ou écrire pour établir le fait, et si j'y crois sur des témoignages dignes de foi, vous m'absoudrez. → Lorsqu'il s'agit d'un miracle, dites-vous, d'un fait prodigieux qui intéresse la religion et la piété des peuples, la chose est bien différente. Je vous l'accorde. J'avouerai cependant que je crois pleinement à la réalité de certains faits extraordinaires (que j'appellerais des miracles si l'Église me permettait de leur donner ce nom), uniquement parce qu'ils me sont attestés par des personnes qui, à mon avis, n'ont pu ni être dupes d'une illusion, ni vouloir me tromper. Croire sur leur témoignage ne me semble pas déraisonnable. Mais dans la question présente, il ne s'agit pas d'une croyance privée et individuelle. Celle dont nous parlons a un tout autre caractère; elle se traduit par des manifestations:solennelles, par des actes de culte public; je reconnais donc que pour l'autoriser, il faut l'intervention de l'autorité compétente. Cette intervention, ne l'avez-vous pas? L'autorité compétente n'a-t-elle pas examiné, jugé, prononcé? Que vous faut-il de plus? »

M. Dulac fait bien de supposer que parmi les partisans. de la Salette, il en est qui n'ont pas examiné le fait en luimême; il ferait encore mieux d'affirmer que c'est le cas de la presque totalité de ceux qui l'admettent? Mais n'ont-ils pas le témoignage de ceux qui ont vu et examiné? Ce témoi-' gnage n'est-il pas une preuve excellente? Mais il faudrait que ce témoignage eût toutes les qualités requises pour cela.

« PreviousContinue »