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« tance d'un contrat que l'art. 2045 entoure de formalités « presque solennelles, et de garanties jusque-là inconnues, que « l'art. 2052 ne permet d'attaquer ni pour cause d'erreur de « droit, ni pour cause de lésion, à qui le même article attri« bue l'autorité de la chose jugée en dernier ressort, dont << enfin Tronchet pouvait dire qu'il avait un caractère plus « sacré que le jugement. »>

« Attendu que, la transaction étant destinée à prévenir un procès ou à le terminer, il importait qu'il n'y eût dans l'a« venir aucune espèce d'incertitude sur ses bases, sa portée « et ses résultats ; qu'on ne pouvait atteindre ce but si désirable sans recourir à un acte écrit; qu'avec le système « contraire, bien loin de mettre un terme au procès, on a courrait le risque d'en préparer un second plus obscur, plus « compliqué, plus difficile à juger que le premier; et qu'au« cune de ces considérations n'a échappé à la prévoyante a sagesse du législateur.»

«Attendu qu'une différence de rédaction radicale ne per« met pas de voir dans l'art. 2044 la répétition intentionnelle « et abrégée de l'art. 1341, et surtout de décider que l'exception de l'art. 1347 s'applique à celui-là, parce qu'elle s'ap«plique à celui-ci ; que ce qui a paru vrai en jurisprudence et en doctrine pour l'art. 1715 du Code civil et pour «l'art. 39 du Code de commerce, doit le paraître aussi pour « l'art. 2044, à moins d'abandonner désormais l'interpréta«<tion des textes aux hasards du caprice et du bon « plaisir, etc. >>

La cour de Nancy s'attache à renverser la base même sur laquelle repose l'argumentation de la cour régulatrice, et à établir que la transaction se distingue des contrats ordinaires. Elle s'appuie à cet effet sur la différence admise par l'arrêt de 1864 à l'égard des transactions inférieures à 150 fr.; elle demande la raison de cette différence que l'on n'a pas donnée, et elle démontre que la prohibition ne s'étend que parce que les motifs changent. Elle constate ensuite que le texte de l'art. 2044 est en parfait accord avec les motifs indiqués par le législateur, et qu'à une différence radicale de principes correspond une différence radicale de rédaction. On a essayé de justifier par d'autres considérations l'arrêt du 28 novembre 1864.

T. XXXIII.

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Les art. 2044 et 1715, a-t-on dit, ont fait pour la transaction et le bail verbal ce que les art. 1582, 1834, et 1923 ont fait pour la vente, la société et le dépôt. Or aucun de ces derniers n'est exclusif de la preuve testimoniale quand il y a commencement de preuve par écrit. Pourquoi les art. 2044 et 1715 le seraient-ils ?

La différence des motifs explique cette apparente anomalie.

<< Dans les ventes, » disait Portalis, « l'écriture n'est exigée << que comme preuve. Ainsi une vente ne sera pas nulle par <«< cela seul qu'elle n'aura pas été rédigée par écrit; il sera << seulement vrai de dire, comme à l'égard des autres conventions, « que la preuve par témoins n'en doit point être admise, s'il • n'y a des commencements de preuve par écrit. » L'art. 1582 ne contient donc qu'un rappel sommaire du système général ⚫ organisé par les art. 1341 et suivants.

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Il en est de même des art. 1834 et 1923, qui reproduisent la limite de 150 fr., et qui indiquent suffisamment, par cette précaution seule, qu'ils ne se préoccupent de la preuve orale qu'au point de vue de la confiance qu'elle mérite, et qu'ils rentrent dans l'ordre d'idées des art. 1341 et suivants. Il faut remarquer d'ailleurs que, loin de faire au dépôt et à la société des conditions particulières, les travaux préparatoires du Code s'appliquent à les confondre, sous le rapport de la preuve, avec les contrats ordinaires.

On ne saurait en dire autant du bail verbal, de la transaction, et, comme nous le verrons bientôt, de l'antichrèse. Le législateur indique clairement, soit par le texte, soit par les motifs, qu'il veut leur créer une situation exceptionnelle, et que, sans égard pour la valeur des témoignages, et pour les dispositions des art. 1341 et suivants, il proscrit la preuve orale à cause des inconvénients particuliers qu'elle présenterait si on essayait de l'appliquer aux cas spéciaux de ces con

trats.

On a dit encore : l'art. 1347 est indépendant de l'art. 1341, comme le § 4 de l'art. 1348. Or on ne conteste pas que les art. 1715, 2044 et 2085 ne doivent subir l'exception contenue dans le 24 de l'art. 1348. Pourquoi ne subiraient-ils pas aussi celle de l'art. 1347?

L'ordonnance de Moulins répond à cette objection. Elle ne

fit jamais obstacle à l'admission de la preuve testimoniale en cas de perte du titre, et nous avons rappelé à cet égard le langage de Boiceau; tandis qu'il fallut une prescription formelle de l'ordonnance de 1667 pour donner une valeur juridique au commencement de preuve par écrit.

Le Droit romain, qui ne connut jamais notre commencement de preuve, avait proclamé la nécessité de faire exception à toutes les défenses quand le titre avait été perdu : sin vero facta quidem per scripturam securitas sit, disait Justinien dans une constitution de l'an 528, fortuito autem casu, vel incendii, vel naufragii, vel alterius infortunii perempta, tum liceat his qui hoc perpessi sunt, causam peremptionis probantibus, etiam per testes probare, damnumque ex amissione instrumenti effugere.

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Toullier va même plus loin : « Les cas d'impossibilité, « dit-il, ne sont point réellement des exceptions; ce sont des <«< cas qui n'ont jamais pu être compris dans la prohia bition de la preuve testimoniale. »>

Il n'est donc pas possible de confondre les exceptions de l'art. 1348 avec celle de l'art. 1347. Les premières sont nécessaires, et s'imposent même dans le silence de la loi : l'ordonnance de 1566 en fournit la preuve; la seconde est facultative pour le législateur, et ne peut être admise qu'à la faveur d'un texte formel.

Pourquoi s'étonner, dès lors, que l'art. 1347 ne puisse sortir de l'ordre d'idées dans lequel il a été conçu, et doive se borner à faire accorder confiance à la preuve orale, quand la loi la suspecte; tandis que l'art. 1348 lève toutes les prohibitions, quelle qu'en soit la cause, et ne s'arrête pas plus devant les complications de procédure que devant les soupçons qu'inspirent les témoins.

Que si l'on était tenté de révoquer en doute la portée restreinte que nous accordons à l'art. 1347, il suffirait de rappeler ces paroles de l'exposé des motifs de M. Bigot-Préameneu : « Alors un premier pas est fait vers la vérité; elle n'est plus • entièrement dépendante de simples témoignages. » Elles démontrent que l'art. 1347 n'est pas indépendant de l'art. 1341, et qu'ils concourent l'un et l'autre à déterminer dans quels cas les témoins méritent qu'on s'en rapporte à leurs affirmations.

Une troisième objection consiste à dire que l'opinion du

tribun Albisson sur la prétendue influence exercée par la nature particulière de la transaction est un paradoxe, que le Tribunat rejeta sans doute, puisque son orateur, le tribun Gillet, ne le reproduisit pas devant le Corps législatif.

Cette appréciation, qui a servi de base à l'opinion de Merlin, se trouve contredite par les faits.

Le 17 ventôse an XII, le projet de loi sur les transactions fut communiqué officieusement par le Conseil d'État au Tribunat. Ce dernier présenta quelques observations étrangères à la question qui nous occupe. Le 22 ventôse, le Conseil d'État adopta la rédaction définitive, et, le 24, M. Bigot-Préameneu en exposa les motifs au Corps législatif. Le projet, transmis le lendemain au Tribunat, fut approuvé le 28, à l'unanimité, sur le rapport de M. Albisson, et l'assemblée, appelée à charger trois commissaires de l'expression de ses vœux, désigna MM. Albisson, Gillet et Sédillez.

Le Tribunat ne rejeta donc pas comme paradoxales les paroles prononcées par son rapporteur, puisqu'il le chargea de transmettre sa pensée au Corps législatif.

Cette dernière assemblée, d'ailleurs, ne put se méprendre sur le sens et la portée du projet qui lui était soumis. L'exposé de M. Bigot-Préameneu était sous ses yeux, le rapport de M.Albisson était joint à la délibération du Tribunat, et le résumé très-sommaire présenté par le tribun Gillet mettait lui-même en lumière le principe fondamental qui fait de la transaction un contrat d'une nature exceptionnelle : « Ce qui donne à « cette sorte de traité un caractère distinctif et particulier, »> disait-il, « c'est qu'il a tout à la fois l'autorité d'une convention « et celle d'un jugement, et qu'il participe de la nature de <«< l'un et de l'autre. Examinons quels principes sont attachés « à chacun de ces éléments, et de leur combinaison nous ver<<rons naître par des conséquences évidentes et directes << toutes les dispositions de la loi. >>

L'une de ces conséquences devait être la nécessité de l'écriture, car il était déjà de règle dans notre ancien droit que la preuve des jugements et autres actes de justice ne pouvait être faite que par écrit. (Boiceau, liv. I, ch.x, n. 7.-Rodier, tit. XX, art. 2, quest. 1.)

On a aussi essayé de compromettre le principe en l'exagérant, et on a dit: si l'écriture est absolument nécessaire, une

transaction avouée sera sans valeur, et il ne sera pas permis de recourir au serment: conséquences également inadmissibles.

Mais on oublie que, dans la transaction, l'écrit est nécessaire comme moyen de preuve, et non comme solennité. S'il s'agissait d'un contrat de mariage, un acte notarié serait indispensable, et ni l'aveu ni le serment ne sauraient le rempla-cer. Dans les conventions dont nous nous occupons, au contraire, aucune formalité solennelle n'est requise, et le consentement des parties peut être prouvé par les moyens ordinaires aveu, serment, écrit, etc., sous cette seule réserve que les témoignages oraux sont écartés, à cause des inconvénients particuliers qu'entraînerait leur admission. Il ne s'agit ici que d'une nécessité relative dirigée seulement contre la preuve vocale, et laissant subsister l'aveu et le serment qui dispensent de toute justification.

Il ne faut pas, au reste, se laisser tromper par la forme que le législateur a donnée à sa prohibition. Au lieu de s'exprimer en ces termes : « La preuve testimoniale ne sera « pas admise en matière de transactions,» il a dit plus brièvement: «La transaction sera prouvée par écrit. » Ila peut-être eu tort d'employer cette formule qui devait être réservée aux cas où l'écrit constitue une solennité, et de se laisser guider trop facilement par une analogie plus apparente que réelle; mais ce défaut de précision ne saurait modifier la nature de la disposition. Les motifs indiquent d'ailleurs très-explicitement que c'est à la preuve orale seule que la prohibition s'adresse.

Cette observation suffirait, ce nous semble, pour détruire l'argument de texte que l'arrêt du 28 novembre 1864 a puisé dans le rapprochement des art. 1341 et 2044. Si l'on admet que chacun de ces articles contient, non une prescription, mais une défense, il ne faudra plus se contenter de dire qu'ils sont aussi formels et aussi absolus l'un que l'autre, car toutes les défenses sont formelles et absolues; il faudra convenir que les deux prohibitions sont plus étendues l'une que l'autre, qu'elles sont, en outre, inspirées par des motifs différents, et que les exceptions, ou les tolérances que l'art. 1347 a pu accorder dans le premier cas, ne s'étendent pas nécessairement au second, alors surtout qu'il y a contrariété de motifs.

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