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–Fatigues et privations des troupes. – L'armée prend ses cantonnemens. Le quartier-général revient à Varsovie.

Ces mesures prises, l'empereur se mit en route pour la Pologne. Il savait que l'armée russe continuait sa marche; il lui importait, pour le succès de ses opérations ultérieures, de ne pas lui laisser le temps de franchir la Vistule; autrement nous aurions été obligés de prendre nos quartiers d'hiver dans une mauvaise position, entre l'Oder et la Vistule, ou bien de repasser l'Oder pour hiverner en Prusse. Dans ce cas, nous aurions découvert la Silésie, où nous avions des opérations à suivre; nous aurions vu, en outre, l'armée prussienne se recruter de tous les Polonais, qui, au lieu de cela, se rangèrent sous nos drapeaux.

D'après ces considérations, l'empereur se détermina à mettre l'armée en campagne au mois de décembre; elle marcha à la fois sur Varsovie, Thorn et Dirschau; elle ne rencontra ni obstacle, ni troupes russes, si ce n'est quelques cen

taines de cosaques, à quinze ou vingt lieues en deçà de Varsovie, auxquels elle ne fit point attention. Elle arriva sur les bords du fleuve, dont on rétablit les ponts de bateaux avec les moyens

du pays.

Celui de Varsovie venait d'être brûlé; il était sur pilotis, on le reconstruisit en bateaux ; celui de Thorn, également sur pilotis, n'était que légèrement endommagé; celui de Dirschau, qui était en bateaux, fut rétabli de même.

Nous avions trouvé dans les arsenaux de Berlin tous les moyens de la monarchie prussienne; réunis à ceux que nous avions, ils nous mettaient à même d'aplanir en un instant des difficultés qui paraissaient insurmontables. Par exemple, ces trois ponts furent rétablis si vite, que les troupes ne furent pas retardées une heure: elles eurent à traverser des boues affreuses entre l'Oder et la Vistule.

L'empereur fit ce trajet en voiture; celle qui était devant la sienne versa, la nuit, dans un mauvais passage. Le maréchal Duroc, qui s'y trouvait, eut la clavicule droite cassée; on fut obligé de le laisser sur la place, et de l'envoyer chercher du premier village que l'on rencontra.

L'empereur arriva le lendemain à Varsovie; son entrée dans cette ville mit la Pologne en délire; il ne put y rester. L'armée russe s'appro

chait, il n'y avait pas un instant à perdre; il fit passer la majeure partie de l'armée par Varsovie pour la porter sur le Bug.

Le reste s'avança par Thorn, et vint par sa droite se mettre en communication avec ce qui avait passé à Varsovie; tout ce qui avait traversé la Vistule plus bas que Thorn marcha sur Marienbourg et Elbing.

Dantzick, dès ce moment, n'eut plus de communication avec sa métropole (Koenigsberg) que par la langue de sable qui sépare le Frisch-Haff de la mer.

La droite de l'armée, qui avait passé à Varsovie, eut bientôt rencontré les Russes; ils se retirèrent par des plaines de terre noire et légère qui étaient transformées en étangs de boue: il fallait quadrupler les attelages de l'artillerie pour la faire avancer; aussi en avaient-ils laissé une bonne partie en chemin.

L'empereur faisait manoeuvrer les corps qui avaient paru à Thorn, pour venir couper la route de Preuss-Eylau à Varsovie, de manière à faire abandonner ce chemin aux Russes; mais malheureusement ils trouvaient aussi de la boue, et ne marchaient qu'à très petites journées pour ne pas abandonner leur artillerie.

Le besoin de subsistances se fit bientôt sentir; on trouvait de quoi se chauffer et nourrir

les chevaux, mais aucun chariot de vivres n'était encore entré même à Varsovie, et d'ailleurs il n'aurait pu arriver où était l'armée; il n'y avait donc que la gaîté du caractère du soldat qui pouvait lui donner la force de supporter toutes ces privations et toutes ces fatigues. L'empereur se montrait beaucoup au milieu d'eux dans ces momens de souffrance; il était toujours à cheval, et ne s'épargnait ni à la boue, ni à la fatigue, ni aux dangers: aussi les soldats l'accueillaientils toujours avec plaisir. Il causait avec eux; souvent ils lui disaient les choses les plus singulières; un jour qu'il faisait un temps affreux, l'un d'eux lui dit : « Il faut que vous ayez un fameux coup <«< dans la tête, pour nous mener sans pain par <«< des chemins comme ça. » L'empereur répondit : « Encore quatre jours de patience, et je ne << vous demande plus rien; alors vous serez can<< tonnés. » Et les soldats de répondre: «< Allons, <«< quatre jours encore; eh bien! ce n'est pas trop, «<< mais souvenez-vous-en, parce que nous nous << cantonnerons tout seuls après. » Il aimait les soldats qui prenaient la liberté de lui parler, et riait toujours avec eux; il était persuadé que` ceux-là étaient les plus braves.

A force d'opiniâtreté et de patience, on parvint enfin à joindre l'armée russe à l'entrée de la forêt, au-delà de la petite ville de Pultusk,

où elle s'était formée pour couvrir la route qui mène par Macloff à Preuss-Eylau, ainsi que celle qui mène par Ostrolenka vers Grodno.

L'empereur la fit attaquer sur-le-champ. On avait de part et d'autre très peu de canons, de sorte que la mousqueterie fut vive; et comme à chaque heure il nous arrivait quelque nouveau corps qui parvenait à se tirer de la boue, nous eûmes, vers trois heures après midi, une supériorité numérique si forte, que l'on attaqua de front la ligne russe, qui fut rompue et dispersée dans les bois. On la poursuivit pendant plusieurs jours. La partie de cette armée qui avait pris la route de Preuss-Eylau tomba sur une suite d'échelons de corps de troupes qui lui firent éprouver des pertes considérables, et lui prirent environ cinquante ou soixante pièces de canon, avec sept ou huit mille hommes prison

niers.

L'empereur tint parole aux troupes: il trouva qu'il y aurait eu de l'inhumanité à leur en demander davantage; il fit prendre des cantonnemens à l'armée.

Elle fut placée à cheval sur la Vistule, l'infanterie le plus resserrée possible; la grosse cavalerie sur la rive gauche. La cavalerie légère eut un mauvais hiver à passer, parce qu'elle resta dans le pays qu'avaient abandonné les deux

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