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pouvait si facilement abuser; mais il n'eut plus aucune confiance en lui, et le considéra comme un homme qui avait un système personnel à lui, auquel système il rapportait les affaires d'État; mais dont tout le talent était de la subtilité, et qui n'avait que de l'intrigue sans aucune suite d'idée, et particulièrement point d'attachement pour lui. S'il s'était trouvé là un homme en état d'exercer son emploi, il en aurait été pourvu l'instant.

à

Cette audace du ministre de la police était seule capable de faire rompre une alliance de cette nature avec la Russie, s'il y avait eu toutefois des ouvertures de ce genre, parce qu'il donna tant de publicité à ce projet pour en paraître l'auteur, que l'empereur n'aurait eu l'air d'avoir contracté cette union que par la force d'une opinion formée par son ministre, et dèslors il n'en aurait retiré aucun fruit.

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M. FOUCHÉ parvint à se faire pardonner; il employa le grand-duc de Berg, qui avait plusieurs raisons de le ménager, comme on le verra par la suite de ces Mémoires; il s'appuya aussi de quelques membres de la famille de l'empereur, qui avaient la faiblesse de croire qu'ils étaient redevables à M. Fouché de tout le bien que l'empereur leur faisait; qu'il écartait de son esprit tout ce que de prétendus méchans ne cessaient de lui rapporter sur leur intérieur, tandis que jamais personne n'en parlait à l'empereur, que lui, Fouché. Il avait une habitude de lui dire on a débité telle mauvaise chose qui aurait pu nuire au prince un tel ou à madame une telle; on a tenu tel ou tel mauvais propos; mais j'ai empêché que cela n'allât plus loin. On ne lui avait rien dit; on ne disait ni ceci, ni cela; c'était lui qui avait inventé les mauvais propos, et qui les mettait sur le compte d'un autre; il

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en imposait à l'empereur en venant lui faire un faux rapport, auquel il avait soin de faire une préface piquante; il avait beau y mettre de l'esprit, son crédit était usé.

C'est dans ce temps-là qu'il a le plus abusé de la facilité qu'il avait de jeter, sur la gendarmerie d'élite, tout l'odieux de son administration et de ses actes particuliers. Il avait l'habitude, après avoir attiré sur un individu une mesure de rigueur qui était la suite d'un rapport qu'il avait fait précédemment, de dire aux personnes qui s'intéressaient à celle qu'il avait fait frapper: << Ce n'est pas ma faute; l'empereur ne << me consulte plus : aussi il fait des choses en dépit du bon sens; il a sa gendarmerie qui fait <«< sa police; moi je n'ai plus rien à faire qu'à « prendre garde à moi-même, car un jour cela pourrait bien être mon tour. »

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C'est par des discours aussi artificieux que ce ministre astucieux éloignait de lui tout l'odieux des mesures qu'il faisait prendre à l'empereur. Lorsque je serai à l'époque où je lui ai succédé, je rapporterai plus en détail ce qui le concerne.

C'est ici le moment de parler de cette gendarmerie d'élite, qui a été si utile au ministre de la police pour voiler ses opérations, et être accablée de l'odieuse opinion qu'il en avait donnée ou qu'il avait laissé établir sur elle.

C'est moi qui ai créé ce corps, et je l'ai commandé huit ans; j'atteste ici que jamais je n'ai reçu de l'empereur aucun ordre d'en employer les gendarmes à un service qui ne fût pas rigoureusement conforme à leur institution, et particulièrement aux dispositions des lois à l'égard de la gendarmerie. Jamais l'empereur ne les a chargés d'aucune police secrète, et j'atteste sur l'honneur, qu'avant d'être moi-même le chef de celle de l'État, je n'avais pas la première idée de ce que cela pouvait être; je me suis dit souvent qu'il aurait été heureux pour moi que la

gendarmerie d'élite m'eût offert quelques ressources en ce genre; mais personne de ce corps n'y entendait rien, pas plus que moi alors. Je vais plus loin; dans les huit ans que je l'ai commandée, je n'ai pas connu un seul individu, dans ses rangs, auquel on eût osé aller proposer une commission du genre de celles qu'on les accuse d'avoir remplies, et la plupart de leurs accusateurs ou détracteurs n'auraient pas osé leur dire en face la moindre partie de ce qu'on a imprimé contre eux depuis; je n'avais pas un gendarme qui n'eût été sous-officier dans les rangs de l'armée; tous m'étaient attachés parce que je ne craignais pas de paraître pour les défendre contre la calomnie, et leur faire obtenir justice. Leur attachement était la suite de leur estime, et

quelle que soit la persévérance de la basse récrimination qui les a fait dissoudre, ils n'en sont que plus recommandables à l'estime publique. Quant à moi, je regarderai toute ma vie comme des jours heureux ceux où je pourrai être utile à quelques uns d'eux.

Il y avait encore à Paris, au moment de mon retour de Russie, quelques unes des députations que les départemens avaient envoyées pour complimenter l'empereur; celle de mon département (les Ardennes) était de ce nombre; elle vint me faire une visite, et me donna en corps un dîner comme à un compatriote qu'elle estimait. Cette circonstance mit le comble à tout ce que j'éprouvais de satisfaction à cette époque–là.

Parmi la députation du département des Ardennes, il y avait le maire de la ville de Sedan, qui, avec quelques députés de cette ville, était en instance pour obtenir d'abord un bâtiment de l'État pour un établissement de bienfaisance publique, et qui, en second lieu, sollicitait la remise, à l'hôpital militaire de cette ville, de la dotation que le maréchal de Turenne lui avait donnée sur ses biens en la fondant (1).

(1) Le maréchal de Turenne est né à Sedan, et c'est lui qui a fondé l'hôpital militaire de cette ville."

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