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qui était à ma gauche, n'eussent pas joint leurs feux aux miens; néanmoins je fus bien maltraité: je couchai encore à deux cents toises en avant du terrain sur lequel j'avais combattu; mais j'éprouvai une perte considérable : j'eus à regretter la mort du général de brigade Roussel, et j'eus plusieurs caissons de munitions, entre autres un d'obus, qui sautèrent pendant le combat, et qui nous firent beaucoup de mal, étant formés dans un ordre serré.

Sans l'intrépidité du commandant de notre artillerie, le colonel Greiner, qui fit un feu des plus vifs et des plus meurtriers, j'aurais été enfoncé et par conséquent sabré et pris par toute la cavalerie russe qui m'entourait et qui venait déjà de maltraiter la nôtre; le danger était d'autant plus grand, que la division Saint-Hilaire était en retraite décidée.

J'eus une explication vive avec le grand-duc de Berg, qui m'envoya, dans le plus chaud de l'action, l'ordre de me porter en avant et d'attaquer; j'envoyai l'officier qui me l'apportait à tous les diables, en lui demandant s'il ne voyait pas ce que je faisais. Ce prince, qui voulait commander partout, aurait voulu que je cessasse mon feu, dans le moment le plus vif, pour me mettre en marche; il ne voulait pas voir que j'aurais été détruit avant d'arriver : il y avait un

quart d'heure que mon artillerie échangeait de la mitraille avec celle des Russes, et il n'y avait que la vivacité de la mienne qui me donnât de la supériorité.

La nuit arriva bien à propos: pendant que tout sommeillait, l'empereur m'envoya chercher pour venir lui parler. Il était content du coup d'essai de cette jeune troupe; mais il me gronda pour avoir manqué au grand-duc de Berg; et en me défendant, je me hasardai à lui dire que c'était un extravagant qui nous ferait perdre un jour quelque bonne bataille; et qu'enfin il vaudrait mieux pour nous qu'il fût moins brave, et eût un peu plus de sens commun. L'empereur me fit taire en me disant que j'étais passionné, mais il n'en pensa pas moins.

Le lendemain, c'était le 11 juin, les Russes restèrent toute la journée en avant d'Heelsberg; on releva de part et d'autre ses blessés, et nous en avions autant que si nous avions eu une grande bataille. L'empereur était de fort mauvaise humeur; le maréchal Davout venait d'arriver, il le fit manoeuvrer sur notre gauche, et son seul mouvement fit évacuer aux Russes leur position en avant d'Heelsberg; ils repassèrent l'Alle, et dans la nuit du 11 au 12 ils partirent pour Friedland.

L'empereur coucha le 12 à Heelsberg, et, se

lon son habitude, il alla visiter la position que les ennemis avaient occupée la veille; il devint furieux lorsqu'il vit que l'on avait été assez imprudent pour venir se faire mitrailler d'un bord de la rivière à l'autre, comme cela était arrivé.

C'est à Heelsberg qu'il apprit du bourguemeister, que l'empereur de Russie était l'avantveille en ville avec le roi de Prusse, et qu'ils en étaient partis avant l'armée. Le 13 nous partîmes de bon matin pour aller à Preuss-Eylau; l'empereur y coucha la nuit du 13 au 14. Notre cavalerie ne put fournir un rapport précis de la marche de l'armée ennemie, en sorte que ce fut encore l'empereur, qui, de son cabinet, ordonna de marcher sur trois directions où il était

impossible que l'armée russe n'eût pas été chercher à passer pour gagner les bords de la Pregel et couvrir Koenigsberg; il jugeait des opérations de l'ennemi d'après ce qu'il aurait fait à sa place.

Il fit marcher le maréchal Soult avec le grand-, duc de Berg sur Koenigsberg, où ce dernier affirmait que s'était retirée l'armée ennemie; il fit marcher le corps de Davout à la droite de celui du maréchal Soult, et l'empereur garda avec lui le reste de l'armée.

Il avait fait marcher dès la veille, après midi,

par le chemin de Friedland; c'était le général Oudinot, qui, avec les grenadiers réunis, était en tête de la colonne, sous les ordres du maréchal Lannes; la division des cuirassiers du général Nansouty était de cette colonne.

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CHAPITRE VI.

L'armée russe repasse sur la rive droite.

L'empereur ne peut croire à cette imprudence. Nos colonnes débouchent. Belle conduite du général Dupont. L'action devient générale. Bataille de Friedland. Les Russes sont culbutés.

LES grenadiers du général Oudinot étaient en face de Friedland le matin du 14, à la pointe du jour. L'armée russe était de l'autre côté de la rivière; elle apprend qu'il n'y a devant elle que cette division de grenadiers, et conçoit le projet d'aller à elle et de l'attaquer avec toute la supériorité qu'elle était en mesure de lui opposer, ne se doutant pas qu'elle serait soutenue aussi promptement. Effectivement elle passe le pont, et attaque avec furie le maréchal Lannes; il avait les divisions d'Oudinot et de Verdier. Nous étions dans la saison des grands jours, qui, sous cette latitude-là, n'ont presque pas de nuit.

L'empereur est presque aussitôt averti; il part de Preuss-Eylau, pressant la marche de la garde à pied et à cheval, ainsi que celle du maréchal Ney, du maréchal Mortier et du corps de Bernadotte, que commandait le général Victor.

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