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CHAPITRE XXIV.

Arrivée de Charles IV à Bayonne.

Il repousse Ferdinand. Ses plaintes à l'empereur. On intercepte les dépêches de Ferdinand. On y acquiert la preuve de

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- L'empereur

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ses sentimens hostiles envers la France. reçoit la nouvelle de l'insurrection de Madrid. Réflexion de Charles IV. Scène violente entre le père et le fils. Les irrésolutions de l'empereur sont fixées.

-

L'EMPEREUR le fit recevoir comme roi d'Espagne. Tout ce qu'il y avait de troupes à Bayonne prit les armes; l'artillerie tira cent et un coups de canon, et les officiers attachés à la maison de l'empereur allèrent augmenter son cortége, qui le conduisit au logement destiné auparavant pour l'empereur lui-même.

J'étais à la descente de voiture. Le prince de la Paix était venu quelques momens auparavant pour recevoir les ordres du roi. La cour de la maison était fort petite; il ne put y entrer que la voiture du roi. Ce respectable vieillard, en descendant de sa voiture, parla à tout le monde, même à ceux qu'il ne connaissait pas, et, voyant ses deux enfans au pied de l'escalier, où ils l'attendaient, il eut l'air de ne pas les apercevoir; il dit à l'infant don Carlos : « Bonjour, Carlos. »>

La reine l'embrassa. Il ne dit rien au prince des Asturies. Celui-ci s'avança pour l'embrasser; le roi s'arrêta, manifesta un mouvement d'indignation, et passa, sans s'arrêter, jusqu'à son appartement. La reine, qui le suivait, fut moins sévère, et l'embrassa.

Le roi et la reine témoignèrent tous deux beaucoup de joie de revoir le prince de la Paix, avec lequel ils se retirèrent. Les deux infans prirent le chemin de leur logement.

Cette arrivée du roi Charles IV changeait tout-à-fait la position du prince Ferdinand, et livrait son esprit à toutes les conjectures les moins rassurantes pour la suite de ses projets, et je crois que c'est de ce moment que sa conduite est devenue hostile. Ce n'est point, comme l'a dit M. de Cevallos, le jour où il avait dîné chez l'empereur, que je vins lui proposer Toscane; ce ne fut que lorsque l'empereur eut appris la protestation du père contre la violence qui avait été exercée envers lui. Le prince des Asturies, qui ignorait cette circonstance, refusa, et on ne lui parla plus de rien.

la

Le roi Charles IV vint dîner avec l'empereur le jour même de son arrivée; il avait de la peine à monter le perron pour arriver au salon, il disait à l'empereur, qui lui donnait le bras: «< C'est « parce que je n'en puis plus, qu'on a voulu

<< me chasser. » L'empereur lui répondit : «< Oh! <«< oh! nous verrons! appuyez-vous sur moi,

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j'aurai de la force pour nous deux. » A ce mot, le roi s'arrêta, et dit en regardant l'empereur « Pour cela, je le crois et l'espère. : Puis il reprit son bras, et continua de monter jusqu'à l'appartement. Je ne sais ce qui s'est dit ni fait dans la conversation qui précéda, ainsi que dans celle qui suivit le dîner; mais l'on ne peut douter que toutes deux n'aient été relatives aux affaires, parce que le prince de la Paix, qui dînait, ce jour-là, avec nous, à la table du grandmaréchal, fut appelé chez l'empereur avant même la fin du dîner.

Voilà ce qui se passait à Bayonne. A Madrid, il s'opérait une réaction, parce que le grand-duc de Berg avait, aussitôt après la déclaration du roi Charles IV, dissous la junte du gouvernement, présidée par l'infant don Antonio, que le prince Ferdinand avait investi du pouvoir au moment de son départ. Le grand-duc de Berg, sans doute d'après des insinuations de l'empereur, avait été nommé, par Charles IV, lieutenantgénéral du royaume, et il avait, en conséquence, saisi toute l'autorité. Il reçut et ouvrit, comme tel, les paquets adressés de Bayonne, par le prince des Asturies, à son oncle l'infant don Antonio, président de la junte du gouverne

ment. Il les envoya aussitôt à l'empereur; et ce fut le mauvais esprit des ordres que contenaient ces paquets, qui suggéra l'idée de les faire arrêter à leur départ de Bayonne, parce que l'on présumait qu'il s'en trouverait dedans pour Vittoria, Burgos, et autres lieux où nous avions des troupes.

Le prince Ferdinand, qui voyait son père, sa mère et le prince de la Paix en conférence journalière avec l'empereur, ne douta plus qu'il était perdu, et, en conséquence, il eut recours aux partis extrêmes. A quelques lieues de Bayonne, on arrêtait les courriers qu'il envoyait en Espagne, ainsi que ceux qui en venaient; on les mettait dans une maison où ils étaient gardés à vue, bien nourris et soignés, mais on leur prenait leurs dépêches, que l'on apportait à l'empereur. Les premières que l'on saisit donnèrent le regret de ne pas s'être avisé de ce moyen plus tôt, parce qu'elles établissaient d'une manière évidente que le prince des Asturies avait donné, en Espagne, des ordres dont on ne devait pas tarder à éprouver les funestes effets. J'ai vu la lettre dans laquelle il mandait à son oncle, en parlant de sa position, et d'un Espagnol qui était à Madrid : « Méfie-toi de ***, c'est «< un traître dévoué à ces coquins de Français, << et qui fera manquer tout. » Il ajoutait : « Bo

<< naparte est venu aujourd'hui en ville; il n'y <«< avait pas plus d'une vingtaine de polissons

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qui couraient devant son cheval, en criant : « Vive l'empereur! et encore étaient-ils payés << par la police. » Et cette lettre était d'un prince qui briguait son appui pour monter sur le trône, d'où il venait de faire descendre son père! Un homme raisonnable aurait-il osé, en voyant cela, conseiller à l'empereur de se fier à l'alliance d'un tel prince? On a eu mille fois tort de ne pas imprimer tous ces détails.

L'empereur causait de ces petites trahisons avec le prince de la Paix, qui n'en était ni fâché ni étonné, et c'était avec lui qu'il traitait la question qui l'occupait entre le père et le fils.

Ce que l'empereur apprenait par le prince de la Paix et par les autres Espagnols qu'il avait ordonné au grand-duc de Berg de lui envoyer, et ce qu'il voyait des sentimens du prince des Asturies et de ses alentours, ne tarda pas à lui faire prendre la résolution de tenter de remettre le père sur le trône. Ce parti n'était pas sans inconvéniens, parce que le roi Charles IV étant très âgé, le même embarras ne pouvait tarder long-temps à se reproduire, et l'on eût alors trouvé le fils dans une disposition d'esprit bien plus mauvaise encore. D'un autre côté, com

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