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1869 pourrait entrer en communication avec Monsieur le Ministre de Grèce, témoigne le désir que la manière de procéder soit réglée de façon à assurer le secret des délibérations et à ne pas en compromettre la marche.

Après une discussion à laquelle prennent part MM. les Plénipotentiaires d'Angleterre, d'Italie et de Russie, il demeure convenu que M. le Plénipotentiaire de France, agissant en sa qualité de Président. sera autorisé à recevoir les communications que Monsieur le Ministre de Grèce pourrait avoir à faire dans les limites tracées à la mission de la Conférence, et que les documents dont la Conférence, de son côté, jugerait utile de donner connaissance à Monsieur Rangabé pourront lui être transmis par Monsieur le Marquis de La Valette, sous les réserves qui seraient jugées convenables.

Monsieur le Chevalier Nigra demande quelques explications sur la porté que Monsieur le Comte de Stackelberg attache aux observations qu'il a présentées quant aux devoirs particuliers résultant pour lui de l'absence d'un représentant hellénique.

M. le Plénipotentiaire de Russie répond que son intention n'est nullement de se substituer à Monsieur le Ministre de Grèce, mais qu'il pourrait, dans une pensée d'équité, se trouver appelé à prendre la parole plus souvent qu'il ne l'aurait fait dans d'autres conditions.

M. le Plénipotentiaire d'Angleterre fait observer que, la Grèce n'ayant point d'organe au sein de la Conférence, tous les Plénipotentiaires se croiront tenus à plus de modération encore, s'il est possible, à l'égard du Gouvernement hellénique, et dans la discussion chacun se fera certainement un devoir de suppléer, autant qu'il sera nécessaire, à l'absence d'un représentant du Cabinet d'Athènes.

M. le Plénipotentiaire de France confirme cette assurance pour ce qui le concerne, et ajoute que les sentiments de justice dont tous les Membres de la Conférence se montrent animés constituent, sous ce rapport, une garantie de nature à inspirer à la Grèce la plus entière confiance dans l'impartialité de leurs appréciations.

Les Plénipotentiaires étant d'accord sur les questions préliminaires, la Conférence juge que le moment est venu d'entrer dans l'examen des réclamations de la Turquie sur lesquelles elle est appelée à manifester son opinion.

Monsieur le Marquis de La Valette établit que la Conférence est dans l'impossibilité de former une commission d'enquête pour rechercher les faits, et qu'une pareille manière de procéder serait d'ailleurs contraire à l'indépendance des deux parties, car elle impliquerait une véritable intervention dans leur administration intérieure. La Conférence est donc tenue de se renfermer dans l'étude des documents officiels échangés entre la Porte Ottomane et le Cabinet d'Athènes. M. le Plénipotentiaire de France croit que, par cette raison même, il est

du devoir de tous d'examiner avec la plus scrupuleuse attention les 1869 pièces produites par les deux Gouvernements, et il demande à les résumer préalablement, afin de bien déterminer le terrain du débat.

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La Conférence ayant donné son assentiment à cette proposition, M. le Plénipotentiaire de France s'exprime dans les termes suivants: Les actes qui ont constitué la Conférence ont en même temps précisé les limites dans lesquelles devront se renfermer ses délibérations. Ainsi que je l'ai déjà rappelé dans notre première séance, le but unique et précis assigné à nos travaux est d'examiner dans quelle mesure il y a lieu de faire droit aux réclamations formulées dans l'Ultimatum du Gouvernement ottoman. Notre premier soin doit être d'exposer les faits tels que les indiquent les communications échangées entre les deux Cours à la veille de la rupture.

Les griefs de la Turquie se résument dans les secours directs de toute nature que la Grèce aurait fournis à une province insurgée de l'Empire ottoman; dans l'assistance indirecte que le Gouvernement hellénique aurait prêtée lui-même à l'insurrection; dans l'opposition qu'aurait rencontrée en Grèce le repatriement des familles candiotes; dans les actes de violence dont les sujets ottomans auraient été victimes sur le territoire hellénique; enfin dans le refus du Cabinet d'Athènes de donner satisfaction, sur ces différents points, aux plaintes réitérées du Gouvernement ottoman.

„Les notes adressées par le Représentant de la Porte au Ministre des Affaires étrangères de Grèce rappelent les faits suivants à l'appui de ces réclamations.

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D'après les explications mêmes fournies aux Chambres helléniques par un ancien Ministre des Finances, une partie du dernier emprunt grec aurait été consacrée à l'achat du navire la Crète, destiné, comme l'Énosis et le Panhellénion, à porter à l'insurrection candiote des secours de toute espèce.

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Une nouvelle bande de volontaires, levée dans le but avoué de passer en Crète, se serait organisée sur le territoire hellénique sans rencontrer d'opposition de la part des autorités grecques. Le Chef de ce corps, Petropoulaki, aurait au contraire reçu des armes, des effets d'équipement et même des canons tirés de l'arsenal de Nauplie. Des officiers appartenant à l'armée hellénique auraient été désignés pour prendre des commandements dans les bandes de Pétropoulaki. Ces bandes elles-mêmes, au moment de leur départ, auraient fait à Athènes une démonstration publique.

La population grecque se serait opposé par la force à plusieurs reprises, et notamment le 11 septembre dernier, au départ des réfugiés candiotes qui avaient exprimé l'intention de retourner en Crète. Les autorités helléniques se seraient abstenues d'intervenir. Plus récemment encore, vingt délégués crétois, venus à Égine avec la

1869 mission d'opérer le repatriement d'un certain nombre de leurs compatriotes, auraient été victimes d'actes de violence que l'autorité grecque aurait laissés impunis.

,,La même impunité aurait été assurée, enfin, aux auteurs d'actes analogues commis sur des sujets ottomans, officiers ou soldats, assassinés ou maltraités sur le territoire du Royaume.

Le Gouvernement turc, par son Ultimatum du 11 décembre 1868, a mis dès lors le Cabinet hellénique en demeure:

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1o De disperser immédiatement les bandes de volontaires organisées dans les différentes parties du Royaume et d'empêcher la formation de nouvelles bandes;

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20 De désarmer les corsaires l'Énosis, la Crète et le Panhellénion, ou, en tout cas, de leur fermer l'accès des ports helléniques. 30 D'accorder aux émigrés crétois non-seulement l'autorisation de retourner dans leurs foyers, mais encore une aide et une protection efficaces;

„40 De punir conformément aux lois ceux qui se sont rendus coupables d'agressions contre les militaires et les sujets ottomans et d'accorder aux familles des victimes de ces attentats une juste indemnité;

,50 De suivre désormais une ligne de conduite conforme aux traités existants et au droit des gens.

Le Cabinet d'Athènes objecte, en ce qui concerne les trois bâtiments signalés par le Gouvernement ottoman comme servant à des actes contraires à la neutralité:

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Que deux de ces navires, le Panhellénion et l'Énosis, n'ont pas été armés dans des ports grecs;

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Que les institutions du Royaume ne lui permettent pas, et que les règles du droit des gens ne lui font point une obligation d'empêcher des navires appartenant à des particuliers ou à des compagnies commerciales d'aller porter des secours aux insurgés d'une province ottomane armés contre leur Gouvernement.

Il reconnaît d'ailleurs que l'Énosis, la Crète et le Panhellénion. qu'il représente comme appartenant à la Compagnie hellénique, ont porté des vivres aux insurgés candiotes, tout en se livrant en même temps à d'autres opérations de commerce.

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Le Cabinet d'Athènes ne conteste pas davantage la formation de bandes armées sur le territoire grec. Mais il ne pense pas que ce fait soit contraire au droit international, et ajoute qu'aucune disposition des lois du Royaume ne permet d'empêcher des sujets helléniques de porter les armes à l'étranger et d'y guerroyer à leurs risques et périls.

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Il croit inexact que des officiers appartenant à l'armée hellénique aient été désignés pour prendre le commandement de la bande.

de Pétropoulaki, et affirme que les autorités militaires ont été invitées 1869 par le Ministre de la Guerre à arrêter et à punir les soldats qui auraient déserté pour rejoindre cette même bande.

„Le Gouverneur de la forteresse de Nauplie n'avait pas reçu l'ordre de livrer des armes ou des effets d'équipement. Monsieur le Ministre des Affaires étrangères de Grèce fait observer, d'ailleurs, qu'il existe plusieurs fonderies de canons dans le Royaume; celle de Syra, notamment, a été établie par la Compagnie à laquelle appartiennent l'Enosis, la Crète et le Panhellénion.

Quant aux difficultés qu'aurait rencontrées le repatriement des familles candiotes réfugiées en Grèce, le Cabinet d'Athènes croit pouvoir affirmer que les autorités helléniques se sont prêtées à toutes les demandes adressées dans ce but. Quatre mille Candiotes sont déjà rentrés dans leur patrie. Le Ministre des Affaires étrangères de Grèce rappelle que, au moment même où la rupture était imminente, plus de deux cents émigrés crétois s'embarquaient au Pirée sans rencontrer la moindre opposition.

,,Les violences dont quelques Candiotes ont été victimes seraient le fait d'autres Candiotes indignés d'une résolution qu'ils considéraient comme impliquant l'abandon de la cause nationale. Ces actes ne sauraient engager la responsabilité du Gouvernement hellénique. Les coupables ont d'ailleurs été traduits devant les tribunaux grecs.

Le Ministre des Affaires étrangères de Grèce déclare avoir appris avec étonnement par l'Ultimatum de la Porte que des attentats dirigés contre des sujets ottomans seraient restés impunis. Il repousse énergiquement une accusation que rien, à sa connaissance, ne justifierait, si elle portait sur d'autres faits que l'incident survenu à Syra en 1867, et qui fut l'objet, à cette époque, d'explications que le Gouvernement turc considéra comme satisfaisantes.

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Tel est au fond le différend qui, hier encore, menaçait si gravement la tranquillité en Orient. Le sentiment de ce danger s'imposait aux préoccupations de toutes les Puissances, lorsqu'elles se sont entendues pour se réunir en Conférence, conformément au voeu pacifique inséré, sur l'initiative du Comte de Clarendon, au XXIIIe Protocole des actes du Congrès de Paris.

L'esprit même dans lequel a été conçue et accueillie, à cette époque, la proposition des Plénipotentiaires britanniques, ne laisse pas de doute sur le rôle assigné à la réunion qui en fait aujourd'hui la première application. La Conférence n'a pas à prendre de décisions de nature à porter atteinte à la liberté d'action des deux Puissances, auxquelles elle offre ses bons offices; elle ne peut légitimement qu'examiner les faits, dire ce qui lui paraît être le droit, et présenter les bases d'une réconciliation qu'elle appele de tous ses voeux. Réduite à ces proportions sa tâche est encore digne d'elle. Écartant toute

1869 arrière-pensée personnelle, dégagées de toute préoccupation étrangère à la recherche du droit, les Puissances qu'elle représente constituent, non pas un tribunal chargé de rendre un arrêt, mais un Conseil international dont les appréciations ne sauraient engager les parties que par la liberté même qu'elles leur laissent et l'absence complète de toute autre sanction que celle qu'implique nécessairement, dans l'ordre moral, une telle manifestation de l'opinion publique et en quelque sorte de la conscience européenne."

M. le Plénipotentiaire de Turquie n'élève aucune objection contre l'exposé que vient de présenter Monsieur le Président de la Conférence; il fait remarquer que, pour le Gouvernement ottoman, la question se résume dans les cinq points de l'Ultimatum remis au Cabinet d'Athè nes, et que la Porte demande à la Grèce des satisfactions pour le passé et des engagements pour l'avenir. On pourrait, ajoute M. le Plénipotentiaire de Turquie, relire l'Ultimatum et examiner successivement chacune des réclamations qui y sont énoncées.

M. le Plénipotentiaire de France propose de prendre d'abord les deux premiers points de l'Ultimatum et rappelle qu'ils allèguent des faits et affirment des principes. I prie M. le Plénipotentiaire de Turquie de vouloir bien faire savoir s'il est en mesure de fournir à la Conférence de nouveaux renseignements sur les points de fait dont elle vient d'entendre l'exposé.

M. le Plénipotentiaire de Turquie répond qu'il est en possession de documents qui mettent hors de doute toutes les allégations de son Gouvernement se rapportant à l'état des choses au moment de la remise de l'Ultimatum; que, pour ce qui existe au moment actuel, la Turquie n'ayant plus de Légation ni de Consuls en Grèce, n'est pas en position d'être complètement et exactement renseignée, mais qu'il est de notoriété que les manifestations hostiles se reproduisent chaque jour. M. le Plénipotentiaire de Turquie est donc autorisé à dire que la situation s'est aggravée sans pouvoir préciser si de nouvelles bandes se sont formées et si de nouveaux armements se font dans les ports helléniques.

M. l'Ambassadeur d'Angleterre objecte que ce sont là des préparatifs de guerre résultant de la situation créée par l'Ultimatum, mais non des faits venant corroborer ceux qui sont énoncés dans l'Ultimatum lui-même, et c'est précisement cette situation, beaucoup plus grave que les incidents antérieurs, qui a décidé les Puissances à offrir leurs bons offices pour sauvegarder la paix.

M. le Plénipotentiaire d'Italie fait observer qu'un examen détaillé des points de fait serait une tâche bien difficile pour la Conférence, et qu'une telle discussion ne présenterait pas beaucoup d'utilité pratique. La Conférence devrait, à son avis, se borner à examiner et à constater les principes qui doivent servir de règle

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