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même, parce que, dans ce sens abstrait, il n'est que le droit de représentation du défunt, tendant à obtenir le patrimoine qu'il a laissé. Néanmoins les choses auxquelles il s'applique peuvent être entièrement corporelles, comme il serait possible aussi qu'elles fussent elles-mêmes toutes incorporelles, ce qui arriverait si une succession n'était composée que de créances et d'actions 1.

Le droit d'usufruit est incorporel aussi, parce qu'il n'est en lui-même que le titre en vertu duquel l'usufruitier perçoit les émoluments de la chose. Cependant les fruits auxquels il s'applique sont des choses corporelles: en sorte qu'il devient corporel dans son exercice.

Les servitudes sont également des droits incorporels, parce qu'elles ne sont que des qualités, et non des portions matérielles des béritages.

Enfin les diverses actions ne sont point des êtres physiques et palpables par ellesmémes, quoiqu'elles tendent à faire mettre en notre pouvoir des choses réellement corporelles.

Ces deux espèces de biens sont trop différentes entre elles pour n'avoir pas, dans le droit, chacune des propriétés particulières régies par des principes différents.

319. 1o En thèse générale, il n'y a que les biens corporels qui puissent être l'objet d'une possession rigoureuse et proprement dite, parce qu'eux seuls peuvent être physiquement occupés par le maître d'où il résulte qu'à l'égard des choses incorporelles, qui sont toutes dans le droit, l'action possessoire ne peut être séparée de celle du pétitoire, si ce n'est en accordant la provision au titre, comme nous le dirons plus bas en traitant des servitudes.

Nous disons en thèse générale, attendu que cette règle n'est pas sans exception. Le droit d'usufruit, par exemple, quoique incorporel si on le considère dans un sens abstrait, se trouve néanmoins classé au rang des choses corporelles par la saisine qu'acquiert l'usufruitier en prenant la possession du fonds, et peut dès lors exercer les actions possessoires pour la conservation de son jus in re, qui est dès lors entièrement en dehors de la catégorie des simples créances.

320. 2o Une chose corporelle ne peut être solidairement ni dans le domaine, ni dans la possession de plusieurs. Duorum quidem in solidum dominium vel possessionem esse non posse 2; tandis que la même créance peut appartenir solidairement à plusieurs, comme

Instit., liv. 2, tit. 2, § 2.

L. 5, § 15, ff. commodati, lib. 13, tit. 6.

la même dette peut aussi solidairement peser sur plusieurs.

521. 3° Les choses corporelles peuvent seules être l'objet de la revendication proprement dite, qui dérive du domaine; parce qu'une action qui est dirigée sur la chose même afin de la replacer sous la puissance de son maître, suppose nécessairement un être physique dont on puisse s'emparer pour le faire repasser des mains du détenteur dans celles du véritable propriétaire; comme la même action suppose encore une assise ou situation déterminée dans la chose revendiquée, ce qui ne se trouve point dans un droit purement incorporel.

Ce n'est au contraire que par action personnelle qu'on peut exiger l'exécution de la plupart des droits incorporels, puisqu'ils n'ont ordinairement pour objet que les prestations que le débiteur doit fournir à son créancier.

Nous disons la plupart : car il y a des choses incorporelles, telles que les servitudes et les hypothèques, les droits d'usufruit et d'usage, qui constituent un droit réel, pour l'exécution duquel on a aussi une action réelle; mais cette action n'est toujours pas la revendication proprement dite, qui est immédiatement l'effet du domaine.

322. 4° L'aliénation des droits incorporels a aussi, sous plusieurs rapports, ses règles particulières, très-différentes de celles qui sont observées dans l'aliénation des choses corporelles.

Pour mieux indiquer la diversité de ces règles, nous observerons en préalable que l'aliénation des droits incorporels peut avoir lieu de deux manières ou directement par la voie du transport, comme lorsque je vends à Pierre la créance que j'ai sur Paul; ou indirectement, et par renonciation à l'exercice d'un droit ou d'une action, faite au profit de celui contre lequel on pouvait agir, comme si je déclare à Paul que je renonce à la créance que j'avais sur lui, et que je lui en fais remise.

323. Dans le premier cas, c'est-à-dire dans le transport d'une créance, d'un droit ou d'une action sur un tiers, la délivrance s'opère, entre, le cédant et le cessionnaire seulement, par la remise du titre (1689); mais le cessionnaire n'est saisi à l'égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur, à moins que la cession n'ait lieu par acte authentique et avec le concours du débiteur qui l'accepte (1690): jusque-là le débiteur est censé ignorer son nouveau créancier, qui ne s'est point encore fait connaître, et peut conséquemment se libérer en payant sa dette à l'ancien, même après la cession

(1691). Au contraire, l'aliénation des choses corporelles est parfaite à l'égard de tous, et sans l'intervention d'aucun tiers, par le consentement des parties, joint à la tradition s'il s'agit d'objets mobiliers (1141); et par le contrat seul, revêtu des formes propres à son espèce, avec remise des clefs ou des titres de propriété (1606), s'il s'agit d'immeubles, sans préjudice néanmoins des droits précédemment acquis à des tiers ayant suite par hypothèque ou autrement sur le fonds (1585).

324. Dans le second cas, c'est-à-dire lors que l'aliénation des droits incorporels a lieu non pas directement par le transport effectué au profit d'un tiers, mais indirectement par la renonciation à l'exercice du droit, ou par la remise de la dette faite au profit de celui-là même qui devait la prestation, ou qui était grevé de la charge, il suffit que le droit soit ouvert, que celui qui peut l'exercer soit maître de ses actions, et qu'il y ait renoncé volontairement (2048).

325. Dans cette espèce d'aliénation il n'est point nécessaire de recourir aux formes de la donation, lors même que la renonciation ou la remise sont purement gratuites et sans prix. C'est ainsi que, par un simple acte de renonciation de l'un des cohéritiers à une succession, elle demeure entièrement acquise à l'autre qui l'accepte (785, 788); que, par celle de la femme, le mari se trouve maître de tous les effets de la communauté (1492); que l'hypothèque s'éteint par la renonciation du créancier (2180); et que la remise de la dette opère la libération du débiteur (1285, 1287). On peut donc en général renoncer à toutes actions ou exceptions, et l'on aliène par là le droit qu'on avait de les proposer, puisqu'on en reste irrévocablement déchu du moment qu'il y a eu acceptation de la part de celui auquel la renonciation doit profiter.

326. Il n'en est pas ainsi des choses corporelles elles ne peuvent être aliénées que par des actes positifs de mutation. C'est en vain que je renoncerais à la propriété de ma vigne au profit de Paul, et que celui-ci accepterait ma renonciation s'il n'est intervenu entre lui et moi ni vente, ni échange, ou autre acte équipollent, ni donation revêtue des formes particulièrement prescrites pour cette espèce de contrat, l'immeuble restera toujours dans mon domaine.

:

527. C'est ainsi qu'on peut payer une dette pour un tiers et sans sa participation, et que la libération de cet heureux débiteur lui demeure acquise de plein droit (1256, 1274), même dans le cas où l'on aurait acquitté sa dette animo donandi; tandis qu'on ne pourrait acquérir un fonds pour lui sans sa participation.

528. La raison de cette différence dérive de la nature même des choses. La renonciation faite à une succession ou à la communauté conjugale est moins une aliénation véritable qu'une simple omission d'acquérir: celle qui est faite à l'exercice d'un droit d'usage, d'usufruit, d'une servitude, d'une hypothèque, ou d'une action, n'est qu'un retour à la liberté de la personne ou des choses qui étaient débitrices; elle ne déplace rien; elle n'a besoin d'être accompagnée d'autre cause que la volonté libre de celui qui renonce, parce qu'il est possible que son action ou son droit soient mal fondés, et qu'en se désistant, il est, au besoin, censé les reconnaître pour tels; tandis qu'au contraire, les conventions par lesquelles on aliène la propriété des choses corporelles, ne peuvent exister sans une cause réelle et distincte du consentement des parties (1131), si elles sont faites à titre onéreux ; et que, quand elles ont la libéralité pure pour cause, la loi exige des formes particulières et substantielles pour leur validité (931).

329. 4° Les choses corporelles et incorporelles sont encore très-différentes sous le rap. port des fonctions qui leur conviennent.

Lorsqu'il s'agit de choses corporelles qui ne consistent pas dans le nombre, le poids, ou la mesure, la compensation n'a pas lieu entre le débiteur et le créancier, encore que les choses respectivement dues de part et d'autre soient de même espèce. Par exemple, on ne peut pas plus opposer en compensation la dette d'un cheval contre celle d'un autre cheval, que contre celle d'une voiture ou d'une somme d'argent (1291), parce qu'on ne peut être recevable à offrir en payement une chose pour une autre (1243). Il en est de même des droits incorporels qui s'appliquent à des choses différentes dans leurs espèces par exemple, on ne peut opposer en compensa tion les droits d'une hérédité contre ceux d'une autre hérédité, un droit d'usufrui contre un autre droit d'usufruit, une servi tude contre une autre; mais lorsque les droit incorporels ne consistent que dans des quan tités abstraites, il y a compensation entr eux, parce qu'il y a homogénéité dans leur objets.

350. C'est par suite du même principe que dans les choses corporelles qui ne consisten pas dans le nombre, le poids, ou la mesure la subrogation n'a pas lieu de l'une à l'autr comme elle n'a pas lieu non plus dans le droits incorporels qui s'appliquent à des e pèces différentes.

Mais lorsque les droits ne consistent qu dans des quantités abstraites, la subrogatio peut avoir lieu de l'un à l'autre. C'est ain

que la caution qui a payé les dettes, est subrogée à tous les droits qu'avait le créancier contre le débiteur (2029).

551. Le principe qui n'admet pas, régulièrement parlant, la subrogation d'une chose corporelle à une autre, souffre néanmoins plusieurs exceptions.

Et d'abord, lorsque l'obligation porte sur une collection de choses considérées comme un tout possédé, non à titre singulier portant divisément sur chaque partie, mais à titre universel embrassant le tout à la fois, si l'une des parties est remplacée par une autre chose de même espèce, celle-ci tient lieu de la première, et lui demeure subrogée à la décharge du débiteur. Par exemple, dans l'usufruit d'un troupeau, il suffit aux obligations de l'usufruitier qu'il ait remplacé les têtes mortes (616) par autant d'autres bêtes provenant du croit; comme il suffit à l'usufruitier d'un verger emplanté d'arbres à fruits, de remplacer par d'autres, ceux qui meurent durant sa jouissance.

Il y a aussi exception au même principe

On entend par choses fongibles, dit Hennequin, p.66, celles qui peuvent fonctionner les unes pour les autres; fungibiles res dicuntur, apud jurisconsultos, quarum una fungi potest vice alterius (Glossaire de Ducange). Sont fongibles par leur nature même les choses qu'il est impossible d'employer dans l'ordre habituel, sans les consommer et sans les détruire; comme les grains, la poudre à tirer. Les choses qui tiennent de leur mode d'existence le pouvoir de résister à l'exercice du droit, comme les livres et les meubles meublants, ne sont pas fongibles par leur nature. Cette différence est d'un grand intérêt dans la pratique. Je vous prête une feuillette de vin sans m'expliquer davantage; il est sous-entendu entre nous que c'est pour votre consommation, et que Vous pourrez vous libérer envers moi en me rendant une feuillette de même date et de même origine. C'est un prêt de quantité et de qualité. Je vous prête des flambeaux de mon ameublement; ces objets qui, en recevant l'empreinte de mon appropriation, se sont placés, relativement à moi, dans une classe à part, doivent, après l'usage que vous en aurez fait et à l'époque convenue, se replacer dans mon mobilier. Vous ne pourriez m'en faire accepter d'autres au lieu de ceux-là, alors même qu'ils seraient d'un plus grand prix. -Le caractère de fongibilité, que les choses tenDent de leur nature même, peut s'effacer par la volonté expresse ou tacite des parties, comme dans le prêt ad pompam et ostentationem, comme dans celui ad fraudulentam exhibitionem; mais il

*La plupart des étymologistes font venir le nom des choses fongibles du mot latin FUNGOR. Ingenere suo functionem recipiunt, dit la loi 2, § 1, Dall., lib. 12, lit. i, de Rebus creditis. Le mot FUNGIBILIS (chose dont on peut jouir), qui n'est pas d'une excellente latinité, sifre cependant une origine dont la raison et l'oreille

se contenteraient mieux.

dans quelques autres cas spécialement déterminés par la loi. Par exemple, l'immeuble acquis pendant le mariage, à titre d'échange contre l'immeuble appartenant à l'un des époux, n'entre point en communauté, parce qu'il est subrogé au lieu et place de celui qui a été aliéné (1 407).

CHAPITRE IX.

DES CHOSES FONGIBLES 1.

532. Dire, comme quelques auteurs l'ont fait, que les choses fongibles sont celles qui se consomment par le premier usage, ou dont on ne peut se servir qu'en les consommant, comme le pain, l'huile, le vin, c'est en donner une fausse idée.

L'expression fongible, empruntée du latin, a été transportée dans le langage du droit français avec son étymologie originelle : elle est la version du mot fungibilis, qui s'applique aux choses d'une nature telle que l'une remplisse les fonctions de l'autre dans le

faudra, pour qu'il en soit ainsi, qu'il soit constant que les fruits n'ont été prêtés que pour figurer comme une décoration dans une fête; que les grains, que les munitions de guerre n'ont été empruntés que pour le moment d'une inspection. D'un autre côté, les choses non fongibles par leur nature peuvent le devenir, si telle a été l'intention des contractants, ce qui peut résulter quelquefois de la seule qualité des parties, comme par exemple lorsqu'un libraire prête un livre à l'un de ses confrères, sans l'obliger à la restitution du même exemplaire. A part la querelle des étymologies, la règle est que, dans le silence du contrat, et en l'absence de toute preuve contraire, chaque chose suit sa nature; qu'ainsi les choses fongibles par elles-mêmes donnent lieu au prêt de consommation ou de consomption, autrement dit mutuum; et les choses qui ne sont pas naturellement fongibles, au prêt à usage ou commodatum. La présomption légale, qui résulte de la nature même de la chose prêtée, ne peut céder que devant une volonté contraire clairement établie, volonté qu'il n'est sans doute pas nécessaire de montrer écrite dans un contrat, mais qui doit être certaine, puisqu'il s'agit de détourner les choses de leur cours naturel.— « Il y a prêt de consomption, dit Puffendorf, des Devoirs de l'homme et du citoyen, tom. 1, pag. 345, édit. in-8°; Londres, 1741), lorsque l'on donne à quelqu'un une chose susceptible de remplacement, à la charge de rendre, dans un certain temps autant que l'on a reçu, de la même espèce et de pareille qualité. »Il y a prêt à usage quand la chose ne peut être rendue qu'en même espèce. L'argent monnayé, pecunia numerata, n'étant, par sa destination, qu'un moyen d'échange, est éminemment fongible; mutua permutatione consumitur. Voy. Duranton, t. 4, nos 12 et suiv.

même genre, rebus quæ in suo genere functionem recipiunt, c'est-à-dire dont l'une représente l'autre, quarum una ejusdem generis, alterius vice fungitur.

Il n'y a rien de moins consomptible par le premier usage qu'une barre de fer, par exemple. Néanmoins, si, en la livrant, on ne s'attache qu'au poids pour obliger simplement l'emprunteur à rendre une pareille quantité du même métal, la barre de fer qu'il reçoit n'est plus qu'une chose fongible dans le prêt qui lui est fait, puisqu'il rendra une chose pour une autre, en restituant une pareille quantité de fer.

On doit donc, si l'on veut donner une définition exacte, dire que les choses fongibles sont celles qu'on fait consister dans le nombre, le poids, ou la mesure, parce que, dans les choses de cette nature, une quantité égale

du même genre, payée par le débiteur, satisfait à la dette de pareille quantité qu'il avait reçue, quoique le corps qu'il restitue ne soit pas physiquement le même que celui qui lui avait été livré. C'est ainsi que una quantitas vice alterius quantitatis fungitur.

535. Les choses fongibles constituent l'objet du prêt de consommation (1892), comme celles qui ne sont pas de nature fongible constituent celui du prêt à usage ou commodat (1875).

Les choses fongibles étant d'une nature telle que l'une remplisse les fonctions de l'autre dans le même genre, la conséquence immédiate qui résulte de cette propriété, c'est que la compensation doit être admise entre deux dettes ayant pour objet une certaine quantité de même genre de choses fongibles quelconques (1291).

TROISIÈME PARTIH.

TRANSITION.

DES DIVERSES MANIÈRES D'ACQUÉRIR LA PROPRIÉTÉ DES BIENS.

334. Dans les chapitres précédents, nous avons vu ce que c'est en général que le domaine et le droit de propriété; nous avons fait voir quelle est leur importance dans l'ordre civil et politique; nous en avons présenté ensuite l'énumération, et fait connaître les diverses classes ou espèces de biens dont la propriété peut être utile à l'homme.

Nous arrivons actuellement à la troisième partie de notre traité, dans laquelle nous allons nous occuper à expliquer ce qui touche aux divers modes d'acquérir la propriété des biens.

Les biens s'acquièrent en général de deux manières : ou d'après les règles du droit des gens, ou d'après celles du droit civil.

Et d'abord les biens s'acquièrent, suivant les règles du droit des gens,

Par le fait de l'occupation qui a lieu dans la pratique de la guerre; Par le fait de l'occupation qui a lieu, sans cause de guerre, l'égard des cho

ses qui n'appartenaient encore à personne. Ils s'acquièrent encore, suivant les mêmes règles,

Par la possession,

Et par le droit d'accession.

Les biens s'acquièrent aussi, et bien plus souvent encore, suivant les règles du droit civil,

Par le droit de succession,

Par les donations entre-vifs et testamentaires,

Par l'effet des contrats et obligations,
Et par la prescription.

Mais, comme il n'est pas ici question d'un traité général de toutes les parties du droit, on sent d'avance que nous n'avons pas à nous occuper, en cet endroit, de l'acquisition des biens suivant le détail des règles du droit civil: pourquoi nous en revenons aux divers modes d'acquérir suivant les règles du droit des gens, en commençant par ce qui touche a L'OCCUPATION qui a lieu par le fait de la guerre.

CHAPITRE X.

du droit d'occUPATION PAR LE FAIT DE LA

GUERRE.

553. L'occupation par le moyen de la guerre consiste dans l'acte ou le fait par lequel l'occupant qui agit ministerio belli, c'està-dire dans l'exercice de sa mission contre l'ennemi, comme le dit Grotius, se saisit, par force, de la chose d'autrui, et s'en empare dans la vue de s'en rendre maître pour luimême, ou dans l'intérêt du gouvernement au nom duquel il combat.

L'occupation par le droit de la guerre n'a donc pas lieu seulement à l'égard des choses qui auparavant étaient sans maître, puisque au contraire elle s'exerce principalement par la force employée de la part de l'un contre l'autre, pour arracher des mains de celui-ci les biens qu'il possédait comme lui étant légitimement acquis.

336. Mais comment concilier cette manière d'acquérir avec les principes de justice et d'équité naturelle?

Assurément cela n'est pas très- facile au premier aperçu: car souvent le vaincu qui succombe n'a d'autre tort que celui de se trouver le plus faible dans la lutte.

Cependant, pour concilier ce système avec les règles, qui se modifient sur la nature des choses dont il s'agit, il faut sortir des bornes plus étroites du droit civil, qui régit les intérêts des simples individus à l'égard les uns des autres; il faut aller plus loin, et s'élever jusqu'à la haute région du droit des gens ou du droit international, qui s'exerce entre les différents corps politiques qui sont établis sur le globe.

En s'arrêtant un moment à cette première pensée, qu'il ne s'agit point ici de querelles individuelles entre particuliers, mais bien de guerre entre les différents corps de nations, on sent déjà que les conséquences qui en résultent quant au droit et à sa légitimité, ne peuvent être exactement les mêmes, attendu que partout les règles, soit de morale, soit de politique, doivent se conformer à la nature des choses qu'elles gouvernent; et que ce qui s'observe dans le cas d'une pratique possible à exécuter, peut se trouver, en d'autres circonstances, en opposition avec la loi de la nécessité, sous l'empire de laquelle tout doit fléchir.

357. Si nous faisons un pas de plus, nous voyons que l'Auteur de toutes choses n'a pas créé deux espèces d'hommes, dont l'une soit destinée à commander à l'autre, et à statuer judiciairement sur les intérêts de tous; nous voyons qu'il n'a établi sur la terre aucun

tribunal suprême où les nations en corps puissent être citées pour y recevoir, sur leurs prétentions respectives, des décisions auxquelles elles soient forcément tenues de se conformer et d'obéir: leurs débats ne peuvent donc être soumis qu'au sort des armes; le gain des batailles met alors sous la main du vainqueur les biens que le vaincu avait engagés dans ce jeu terrible de la valeur et de l'adresse, et c'est dans la victoire que celui qui l'a remportée trouve l'exécutoire du jugement prononcé par la Providence.

Il faut bien qu'il y ait là une vraie légitimité, puisque à cet égard le genre humain se trouve placé sous la loi de la nécessité, et que la divine Providence, n'ayant pas établi de règles positives pour prévenir ou arrêter autrement ces sortes de débats, semble, comme nous le trouvons indiqué dans les saintes Écritures, avoir approuvé cette manière de trancher sur nos discordes politiques: Cuncta fecit bona in tempore suo, et mundum tradidit disputationi eorum 1.

Ce n'est pas là le seul texte de l'Écriture sainte qu'on puisse invoquer à l'appui de la thèse qui nous occupe en ce moment: il en est bien d'autres encore dans l'ancien et le nouveau Testament; et nous voyons d'ailleurs, soit dans les lois anciennes, soit dans la pratique traditionnelle et constante de toutes les nations, qu'il ne peut y avoir aucun doute à ce sujet.

358. Nous trouvons d'abord dans les livres sacrés que le patriarche Abraham, après avoir battu les quatre rois qui lui avaient enlevé Loth son neveu, offrit au grand-prètre Melchisédech, qui était venu à sa rencontre, la dîme de toutes les dépouilles de guerre qu'il avait faites sur les vaincus. Et ei dedit decimas ex omnibus 2. Il fallait donc bien que ce saint patriarche regardât comme lui appartenant légitimement le butin fait sur ses ennemis, puisqu'il en disposait en maître.

359. Nous trouvons la même chose pratiquée par le patriarche Jacob, qui, faisant un partage entre ses enfants, voulut avantager son fils Joseph par une double portion du butin qui était le fruit de la victoire qu'il avait remportée sur les Amorrhéens. Do tibi partem unam extra fratres, quam tuli de manu Amorrhei in gladio et arcu meo 3.

340. Dans le Deuteronome on voit également que les dépouilles de guerre enlevées sur l'ennemi doivent être regardées comme la propriété légitime du vainqueur pour servir à son usage et à sa consommation, comme

'Ecclesiastes, cap. 3, versic. 11. Genesis, cap. 14, versic. 20. 3 Genesis, cap. 48, versic. 22.

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