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ment reçu parmi les nations policées, que ce droit doit être placé au-dessus de celui de la liberté individuelle dans un grand nombre de cas, où il est permis aux créanciers d'exercer, jusqu'au payement, la contrainte par corps sur leurs débiteurs.

Il est donc bien constant, d'après le jugement de l'antiquité, et des diverses nations plus ou moins policées, que le droit de propriété fut toujours de la plus haute importance dans l'ordre civil et politique; que s'il fut la cause de l'odieuse tyrannie exercée par les créanciers sur leurs débiteurs sous la loi des douze tables, il n'en est par là que mieux démontré combien les législateurs de ces temps y altachaient d'intérêt pour le bienêtre du corps social.

Jusqu'ici, dans le présent chapitre et dans celui qui le précède, nous n'avons fait qu'indiquer l'origine naturelle du droit de propriété, et retracer l'histoire de la législation de ce droit, afin de faire voir tout le respect qui lui est dû d'après le suffrage de diverses nations; mais ce ne sont toujours là que des généralités, et il nous reste encore bien des choses à dire sur l'importance de ce droit en ce qui touche aux fonctions qu'il remplit dans notre état social, et à signaler la grande différence qui existe entre la propriété mobilière et la propriété foncière, en ce qui touche aux forces, au, bien-être et à la tranquil lité publique de l'État.

Occupons-nous d'abord de ce qui a rapport à l'importance de la propriété dans l'ordre moral et politique, en signalant aussi des aperçus de détail qui s'y rattachent également dans l'ordre civil.

50. Quelle que soit l'influence du droit de propriété sur les qualités morales de l'homme, ce serait sans doute calomnier l'humanité que d'avancer qu'on ne peut trouver de vertus sociales que là où il y a des richesses, et que les hommes n'ont de talent et n'acquièrent de science que dans la proportion de leur fortune trop d'exemples démentiraient une proposition aussi absurde; il est heureusement bien des hommes qui n'ont pas besoin d'être riches pour honorer, aimer leur patrie, et servir fidèlement leur prince; mais quelques nombreuses que soient ces honorables exceptions, elles ne peuvent servir de règle aux yeux de la politique.

Les talents éclatants sont rares, et sans la vertu ils ne sont que plus dangereux. Mais la vertu est un être invisible et impalpable: ce n'est que par une longue expérience, qu'on peut connaître si elle est le principe des actions de TELLE OU TELLE personne; et les investigations nécessaires pour parvenir à cette épreuve seraient impossibles, même à l'égard

seulement des individus destinés à remplir toutes les fonctions civiles dans un grand État, puisque leur nombre est immense : il faut donc, dans le système général de l'administration publique, se rattacher à un signe probable de moralité présumée, faute d'avoir une marque certaine de probité dans les hommes aux soins desquels doivent être confiées nos institutions sociales; or, ce signe visible n'est que dans la propriété.

La propriété, en épargnant à l'homme cette lutte de chaque jour contre la misère et la faim, l'élève dans sa propre estime, en même temps que dans celle d'autrui, et force son âme à s'ouvrir aux sentiments généreux. Cette vérité n'est pas d'hier. Avec deux aunes de drap fin, disait Pascal, je fais un honnête homme. Sans doute de mauvaises passions peuvent germer dans le cœur de l'homme riche; mais l'intérêt personnel vient bientôt les y refouler, et les empêcher de se traduire en actes préjudiciables à autrui. Le sublime principe de morale ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais qu'on te fit à toi-même, est le meilleur calcul de l'intérêt et de la prudence. Le sentiment de conservation inhérent à la possession de la propriété vient donner une bonne direction à l'égoïsme et le purifie; celui qui possède et qui serait disposé à attaquer la propriété d'autrui, est souvent arrêté par un retour sur lui-même et par l'appréhension d'une juste représaille. Ce sentiment ne se borne même pas à une simple négation. Il est essentiellement actif, et porte à l'esprit d'association pour la défense des intérêts communs : on redoute pour soi-même les atteintes portées à la propriété d'autrui: Mea res agitur, paries cùm proximus ardet.

La raison nous dit donc que le maintien du bon ordre doit être confié à celui qui a le plus d'intérêt à le faire régner : c'est le propriétaire.

31. Qui est-ce qui presse avec une entière bonne foi, et sans dessein de pillage, l'exécution des mesures nécessaires pour prévenir les incendies ou pour en arrêter les progrès ? Ce sont les propriétaires.

Quels sont, au contraire, ceux qui, accourus sur les lieux lors des plus grands accidents, ne s'y montrent, sous un zèle hypocrite, que dans la vue de cacher leurs vols par le concours tumultueux dont ils s'empressent d'augmenter les désordres pour mieux parvenir à leur fin? Est-il besoin de dire que ces hommes qu'on trouve toujours prêts à profiter de toutes les occasions de pillage, ne sont que des vagabonds, des mendiants et des prolétaires?

Et si nous voulons en venir aux événements les plus graves qui se sont passés sous

les yeux de toute la France, quels sont ceux qui, dans les plus affreux orages de notre révolution, ont affligé la patrie par tous les genres de désordres, et commis tant de cruautés? Ne sont-ce pas les prolétaires exaltés dans leurs clubs?

A toutes les époques où il y a eu en France, depuis 1792, les plus grandes insurrections et les plus formidables émeutes populaires, nous voyons qu'elles ont eu lieu dans les plus grandes villes, parce que c'est là que se trouvent en plus grand nombre, soit les pauvres qui vont y cacher leur désœuvrement, soit les ouvriers prolétaires que les malveillants égarent sous différents prétextes, pour les porter à la révolte, tandis que les propriétaires n'ont qu'à gémir de leurs excès.

32. Et, sans remonter plus haut que l'époque où nous nous trouvons aujourd'hui, voyez la liste nombreuse des accusés qui ont figuré dans tous les procès soulevés par des événements où, sous des prétextes politiques, les attaques les plus graves ont été dirigées contre l'ordre social: tous ne possédaient rien, sinon cette ambition immodérée qui résulte d'une instruction incomplète, et qui s'irrite par l'impuissance de se satisfaire.

55. Voyez à quelle catégorie appartiennent ces hommes qui, en 1854 et les années précédentes, abusant de l'aimable et libre hospitalité pratiquée en Suisse, sont venus troubler les relations de bon voisinage entre ce pays et les États d'Allemagne! Y trouverez vous beaucoup d'individus qui ne soient dans la classe des personnes qui n'ont rien à perdre?

Mais revenons à d'autres considérations, qui, sans se rattacher à des points aussi flagrants, n'en ont pas moins d'importance sur la marche des affaires sociales.

54. L'homme le plus habile à remplir les fonctions publiques doit, en thèse générale, se trouver dans la classe de ceux qui auront eu le plus de moyens d'instruction: ce sont les propriétaires.

55. Les fonctions publiques doivent naturellement être remplies avec plus d'assiduité et de zèle par ceux qui peuvent s'y dévouer entièrement et y consacrer tout leur temps: ce sont les propriétaires.

C'est pourquoi chez les Romains, qui furent presque en tout nos premiers maîtres, et qui, sur le point qui nous occupe, n'étaient déjà guidés que par une longue expérience, on ne devait appeler aux fonctions de la magistrature que les plus dignes parmi ceux qui avaient assez de fortune pour pouvoir

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librement vaquer à l'exercice de leurs fonctions. Et c'est pourquoi encore il était géné lement défendu de refuser sans cause reconnue légitime un grand nombre de fonctions municipales, ou de s'en démettre quand on en avait été revêtu 1.

Si de ces notions primitives, émanées du droit romain, nous arrivons à celles que l'expérience des siècles passés est venue inspirer en France par suite des réflexions faites sur les innombrables événements qui s'y sont succédé, nous sentons bien plus vivement encore toute l'importance que le droit de propriété s'est acquise dans le régime de notre état politique actuel.

En prenant d'abord ce régime par sa base et ses premiers éléments, qui consistent dans les municipalités, nous voyons que l'organisation civile des communes comporte dans chacune d'elles un établissement administratif composé du maire, de ses adjoints, et des conseillers municipaux; que la loi du 21 mars 1851 ne rattache généralement qu'au droit de propriété le choix de ceux des habitants qui doivent concourir, soit comme électeurs, soit comme éligibles, à la formation de cette administration primaire 2;

Qu'en conséquence tous les habitants d'une commune ne sont point indistinctement appelés à faire le choix de leurs officiers municipaux, mais seulement une partie prise dans le nombre des principaux propriétaires; que cette partie fractionnaire est déterminée par la loi, proportionnellement à la masse totale de la population, et doit être toujours prise dans le rang des plus gros propriétaires;

Que, pour arriver à l'exécution de ce système, il doit être annuellement formé, dans chaque commune, une liste de contribuables âgés de plus de 21 ans, en commençant par ceux des habitants qui sont les plus imposes sur les rôles de contributions directes de la commune, et suivant l'ordre décroissant jusqu'au bout;

Que c'est sur le total de cette liste générale des contribuables de la commune, que doit être fractionnairement pris le nombre des électeurs communaux fixé par la loi proportionnellement à la plus ou moins grande population des communes, ainsi qu'on l'a dit ci-dessus, en prenant toujours ce nombre fractionnaire sur la série générale des plus imposés pris dans l'ordre décroissant de la quotité de leurs contributions. Et c'est parmi les électeurs communaux qui se trouvent ainsi désignés, qu'on doit faire le choix des maire,

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adjoints et conseillers municipaux dans chaque commune 1.

Voilà pour ce qui concerne le premier élément de notre administration civile. Si de là nous montons par degré jusqu'au sommet de la hiérarchie administrative, nous voyons: Que, pour être membre d'un conseil d'arrondissement, il faut être porté aux rôles des contributions directes pour la somme de 150 francs 2;

Que, pour être éligible au conseil général du département, il faut être taxé à 200 francs de contributions 3;

Que la même somme de 200 francs de contributions est exigée pour être électeur dans les colléges réunis pour les nominations à la législature 4;

Et qu'enfin il faut 500 francs de contributions directes pour être éligible à la chambre des députés 5.

56. Mais passons à des questions d'un détail plus pratique encore touchant l'importance du droit de propriété sur l'exercice de la police de sûreté.

Dans l'intérieur, parcourez les villes, examinez quels sont les lieux où l'on compte le plus sur l'efficacité de la force publique pour la répression des excès et le maintien du bon ordre. et voyez si ce n'est pas toujours là où les officiers des gardes nationales ont été le plus exactement choisis parmi les propriétaires.

Sans doute les troubles qui affligent la société dans les temps de révolution ou de commotions politiques sont souvent formulés et soudoyés par des riches dont l'ambition a été déçue, et dont l'orgueil ne peut supporter aucun principe d'égalité entre les hommes; mais voyez quels sont les instruments dont ils se servent pour arriver au fait de la révolte; voyez si les émeutes sont composées de propriétaires!

57. Qui est-ce qui craint de porter du dommage à autrui? C'est le propriétaire, parce qu'il sent très-bien que la réparation du mal viendra s'appesantir sur son patrimoine. Mais pourvu que l'anarchiste prolétaire puisse sauver sa personne, c'est tout ce qu'il lui faut; et c'est ainsi que la pauvreté vient favoriser l'audace pour le crime.

C'est par le secours de la propriété que l'homme qui reçut d'heureuses dispositions de la nature, peut cultiver ses talents avec plus de succès, se dévouer mieux à l'étude

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des sciences, et devenir capable de rendre d'éminents services à sa patrie; c'est par le secours de la propriété, que le commerçant et l'artiste laborieux peuvent former des établissements de manufactures et des créations industrielles qui font la source des aisances nationales.

58. Le droit de propriété inspire à son maître un sentiment de sécurité sur son avenir, le rend plus tranquille et moins turbulent; il l'encourage au travail pour former ou acquérir quelques propriétés nouvelles, en lui donnant la certitude d'en jouir et d'en disposer à son gré; or les hommes laborieux sont toujours les meilleurs citoyens, comme les plus utiles à la société.

La propriété porte l'homme à la conservation de son bien par le désir de le transmettre à ses enfants, ou à ses proches, ou à ses amis; elle est pour ceux qui la reçoivent un sujet de reconnaissance et d'attachement envers leurs bienfaiteurs; elle donne aux pères les moyens de procurer une bonne éducation à leurs enfants, et de rendre ceux-ci capables de mieux servir leur patrie; elle devient ainsi l'un des ressorts les plus puissants de l'amour paternel et de la piété filiale; et, tout en satisfaisant les sentiments pieux des pères et des enfants, elle est la cause primitive de la prospérité publique.

59. C'est par le moyen de la propriété que l'homme de bien peut soulager les malheureux, et faire renaître des sentiments de vertu en des cœurs qui n'éprouvaient plus que celui du désespoir.

C'est dans les tributs levés sur la propriété que le gouvernement trouve le moyen de donner la vie au corps social, d'assurer le repos dans l'intérieur, et de pourvoir à sa défense au dehors.

C'est sous l'égide du droit de propriété que repose la tranquillité de tous les habitants du pays, parce que dans l'état de société, c'est par le droit de propriété que les hommes se trouvent placés en dehors de la conflagration qui serait l'infaillible résultat de la confusion des biens s'ils restaient en commun, et n'étaient pas légalement départis et partagés entre les membres du corps social.

60. Quel est l'homme qui serait capable de goûter jamais un véritable repos s'il pouvait croire que les personnes employées à son service fussent privées des sentiments du respect qu'on doit porter au droit de propriété? Et comment tout homme qui en a d'autres à ses gages, dans sa maison, ne trem

4 Voy. l'art. 1 de la loi du 19 avril 1851.

5 Art. 59 de la même loi. - Aucun cens n'est requis en Belgique.

blerait-il pas sur le défaut de sa sécurité personnelle, lorsque l'expérience nous démontre que souvent celui qui commence par se faire voleur, finit par se rendre assassin, pour étouffer la voix qui pourrait révéler ses vols et en porter plainte contre lui?

61. Les richesses donnent de la considération, parce qu'on a souvent besoin de ceux qui les possèdent; tous les moyens de considération personnelle tendent à rendre l'autorité plus respectable entre les mains de celui qui en est revêtu : il faut donc qu'il soit propriétaire.

Le fonctionnaire public le plus éloigné de la corruption n'est pas celui qui, malheureusement, se trouverait placé entre la voix du devoir et la tentation du besoin, mais bien celui qui a le plus de ressources personnelles: il faut donc le chercher dans la classe des propriétaires.

Quel est le magistrat qui, tenant d'une main ferme la balance de la justice, saura le mieux résister à l'ascendant du pouvoir pour garder l'équilibre entre le faible et le puissant? Ce n'est pas celui auquel les émoluments de sa place seront absolument nécessaires pour vivre trop de craintes le rendraient pusillanime vis-à-vis des grands. C'est au contraire celui qui n'a besoin d'autre protection que de celle que peut lui assurer l'indépendance de sa fortune on doit donc l'aller choisir parmi les propriétaires.

62. Le meilleur administrateur de la fortune publique n'est ni l'homme borné qui n'a jamais rien su acquérir pour lui-même, ni l'homme ruiné pour n'avoir pas su mettre de l'ordre dans ses propres affaires : car, comme l'esprit d'ordre se porte partout et vivifie tout, de même celui de dissipation se reproduit partout, et tend toujours à une fin ruineuse: il faut donc encore sous ce point de vue préférer le propriétaire soigneux dans son administration domestique.

Quels sont les hommes qui redoutent le plus une secousse politique dans l'État? Ce ne sont pas les pauvres, qui, n'ayant rien à perdre, ne peuvent voir dans tous les changements, que des chances favorables à leur cupidité ce sont donc les propriétaires qu'on doit considérer comme les plus attachés au gouvernement de l'État.

65. A la vue de tant et de si puissants motifs du respect qu'on doit à la propriété, peut-on trop mettre de circonspection à toucher aux lois qui subordonnent l'exercice des droits politiques au payement de l'impôt qui est l'indice de la propriété foncière et industrielle? En appelant, dans l'état actuel des choses, toutes les classes de la société à participer, même médiatement, au gouverne

ment de l'État, on risquerait d'enlever à la société la plus certaine de ses garanties, ainsi que le démontre une expérience de près d'un demi-siècle. Ce n'est que dans une éducation morale généralement répandue, que l'on pourrait trouver l'équivalent des gages d'ordre et de repos que la propriété scule a présentés jusqu'ici. Malheureusement, combien cette éducation, sans laquelle il ne peut y avoir d'hommes sincèrement attachés à leur pays et à leurs institutions, est rare aujourd'hui! Combien faudra-t-il de temps pour qu'elle pénètre dans les masses et qu'elle les régénère !

64. L'orgueil qu'inspire la fortune légitimement acquise; cette voix unanime qui, signalant le vol sous le nom de bassesse, le proscrit comme le plus déshonorant des crimes; cette opinion générale qui flétrit partout le voleur, et le place au-dessous des coupables d'autres classes: tous ces sentiments sur lesquels repose l'honneur parmi les hommes, ne sont point les enfants de l'erreur, parce que l'erreur ne saurait être universelle. La fortune ne doit s'acquérir que par le travail, comme elle ne se conserve que par l'économie et la frugalité; et c'est ainsi que la propriété est au moins l'indice probable de la vertu.

La propriété offre ses moyens à l'industrie, elle en devient l'aliment; avec elle tout se vivifie. La pauvreté est au contraire la source de tous les désordres. Tandis que le propriétaire laborieux s'occupe de la culture, ou du commerce, ou des arts, le pauvre se livre à la mendicité et au vagabondage.

Celui qui n'a rien à perdre ne peut craindre de compromettre sa fortune par ses méfaits l'homme riche est forcé d'être honnête et vertueux au moins par intérêt.

La division des propriétés est surtout trèsimportante, non-seulement pour le bien-être des particuliers, mais encore pour les intérêts généraux de l'État.

Supposez un pays où il n'existe que des pauvres autour de quelques grands propriétaires : la police y sera sans force, le vagabondage y trouvera partout de la complicité, et le malfaiteur poursuivi par la justice ne manquera jamais de recéleur.

Passons dans une autre contrée où la masse des habitants soit généralement composée de propriétaires le vagabond n'y sera qu'un être odieux, et le voleur n'y trouvera pas d'asile. Comme ennemis du travail et du droit de propriété, partout ils seront dénoncés et arrêtés, plutôt que protégés par les habitants propriétaires.

65. Ne pourrions-nous pas citer l'état actuel de la France en preuve de ces assertions?

Malgré tous les genres de désordre qui y ont régné pendant les longues années de notre révolution, la police y est aujourd'hui portée au plus haut degré d'activité: rien n'échappe à ses recherches; l'homme qu'elle a une fois signalé est bientôt arrêté, sur quelque point de l'empire qu'il se trouve. Sans doute tous ses succès dépendent pour beaucoup de la perfection actuelle de son organisation; mais, n'en doutons pas, ils proviennent aussi en grande partie de ce que le gouvernement de la France, en aliénant par petits lots les biens immenses que possédait autrefois le clergé, en vendant de même d'autres biens nationaux, et en supprimant les substitutions, pour établir l'égalité dans les partages, est parvenu à diviser les grandes fortunes, à rendre propriétaire la masse des habitants, et à les intéresser plus généralement au maintien du bon ordre, et à la répression des délits portant atteinte à la propriété.

Concluons donc qu'en général la probité, la moralité, l'industrie, les lumières, l'esprit d'ordre, l'amour de la tranquillité publique, l'amour du travail, se rattachent également à la propriété.

66. Mais c'est surtout la propriété foncière qui, dans l'ordre civil comme dans l'ordre politique, l'emporte éminemment sur les autres genres de richesses.

A l'exception de certains animaux, toutes les propriétés mobilières sont improductives de fruits : les meubles ordinaires n'ont qu'une existence fugitive, ils sont sujets à devenir la proie des voleurs et des incendies; ceux qui consistent en bestiaux, sont mortels et de courte durée; les autres s'altèrent et se détruisent par l'usage qu'on en fait; souvent encore les plus précieux subissent la chance du caprice des modes.

Quant aux capitaux, leur placement à intérêt et leur utilité sont inévitablement subordonnés aux chances d'insolvabilité et de faillite des débiteurs, dont la division des successions ne manque jamais d'altérer à la longue les ressources avec lesquelles ils auraient pu s'acquitter en sorte que les hypothèques les plus solides en apparence ne sont que trop souvent des causes d'illusion pour le créancier.

Au contraire, les propriétés immobilières ont une existence permanente et assurée; elles sont naturellement productives; elles restent toujours là pour le service et l'utilité de leur maître. Le propriétaire de fonds peut sans cesse en augmenter la valeur par des améliorations, ne fût-ce que par des clôtures qui, joignant l'utile à l'agréable, ne manquent pas d'en assurer mieux la possession, et d'en augmenter considérablement le produit.

C'est sur les propriétés foncières que les habitants de la terre se construisent les maisons qui servent à les abriter et à goûter les douceurs du repos.

De tout quoi il résulte que nos héritages fonciers comportent un prix d'affection qui ne se rattache pas à de simples meubles.

On doit donc regarder comme une vérité incontestable qu'à moins de circonstances extraordinaires, un fonds de terre est, entre les mains de son maître, une propriété plus précieuse que la valeur pécuniaire par laquelle il peut être représenté: Nam aliàs interest legatarii fundum potiùs habere quàm centum 1.

67. Pour établir en peu de mots la supériorité de la propriété foncière, il nous suffirait de dire qu'elle est généralement la mère nourricière du genre humain; mais il est encore d'autres attributs qui s'y rattachent, et qui concourent à démontrer cette supériorité de la manière la plus éclatante.

La propriété foncière n'est pas seulement la mère nourricière du genre humain : elle est encore le fondement de la tranquillité possible entre les hommes dans l'état social auquel ils sont appelés par la nature.

Pour se convaincre de cette vérité, il suffit d'observer ce qui se passe journellement entre les propriétaires de fonds voisins les uns des autres: il n'est pas rare de les voir occupés de querelles qu'ils se font sur les délimitations de leurs héritages; mais si ce point, assurément bien minime en lui-même, fait néanmoins naître un genre de désordre affligeant pour la paix publique, quoiqu'il ne s'agisse encore là que de querelles individuelles, à quel extrême de maux ne nous trouverions-nous pas livrés dans la supposition où toutes les terres seraient indistinctement le patrimoine commun des hommes? Comment un pareil état de conflagration universelle pourrait-il exister? L'homme, qui s'occupe de l'agriculture, et qui doit nécessairement s'en occuper pour se procurer sa subsistance, ne tomberait-il pas dans le désespoir en songeant que tout autre individu plus fort que lui pourrait impunément venir s'emparer du fonds qu'il aurait défriché et rendu productif par ses longs travaux? Et comment l'agriculture, qui est la mère nourricière des habitants de la terre, pourraitelle exister dans un pareil état de choses, où la propriété foncière n'aurait pas un règne ferme et puissant, et ne serait pas généralement respectée? Un tel état de choses ne serait-il pas d'autant plus contraire aux décrets de la Providence, qu'il entraînerait

L. 54, ff. de legatis 2o, lib. 31, tit. 1.

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