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fondée en titre, parce qu'alors il n'y aurait plus moyen d'opposer le précaire à celui qui en jouit, et dont la possession est qualifiée par le titre 1;

455. La seconde, qu'au contraire, quand c'est une servitude continue et apparente qui est l'objet du litige, celui qui est empêché d'en jouir, peut agir en complainte, encore qu'il n'ait pas de titre, puisque alors il y a une possession véritable au moyen de laquelle la prescription acquisitive doit avoir lieu au bout de trente ans (690).

$5.

SUR LA POSSESSION DE BONNE FOI.

454. La possession de bonne foi est celle dont les caractères sont signalés par l'art. 550 de notre Code civil, portant que « le << possesseur est de bonne foi quand il pos« sède comme propriétaire, en vertu d'un << titre translatif de propriété dont il ignore « les vices.

« Il cesse d'être de bonne foi du moment « où ces vices lui sont connus 2. »

On voit, par la teneur de cet article, et surtout par les expressions qui le terminent, que pour constituer un possesseur en mauvaise foi, il faut qu'il ait une connaissance positive et de fait que la chose ne lui appartient pas; et qu'ainsi nous devons encore suivre sur ce point la disposition de la loi romaine, qui déclare que l'erreur de droit dans laquelle se trouve le possesseur sur la validité de son titre, n'est point suffisante pour le constituer en mauvaise foi, lorsqu'il n'y a d'ailleurs aucun dol à lui reprocher: Scire ad se non pertinere utrùm is tantummodò videtur, qui factum scit, an et is qui in jure erravit? Putavit enim rectè factum testamen

par arrêt du 5 avril 1824 (Carré, Lois de la compét., t. 6, p. 64), a jugé dans le même sens; mais les mêmes cours ont jugé la question en sens contraire, la première par un arrêt du 4 juin 1853 (Bullet. de cassation, 1855, p. 256), et la seconde par un arrêt du 15 mars 1820. (Carré, ibid.) La jurisprudence française semble plus conforme à la rigueur des principes.

L'action en maintenue de la jouissance d'un sentier commun à plusieurs propriétaires, pour l'exploitation de leurs fonds, intentée dans l'année du trouble, est une action possessoire, de la compétence du juge de paix. (Liége, cass., 5 avril 1824, 6 et 27 juillet 1825, 4 mars 1829; Rec. de Liége, t. 12, p. 127.)

2 L'héritier institué fait les fruits siens comme possesseur de bonne foi, jusqu'à la demande en nullité du testament, à moins qu'on ne prouve qu'il connaissait auparavant les vices de son titre. (Br., 1er juin 1825, J. 19 s., 1825, 3, 102.)

tum cùm inutile erat; vel cùm eum alius præcederet agnatus, sibi potiùs deferri? Et non puto hunc esse prædonem, qui dolo caret, quamvis jure erret 3.

455. Celui-là est donc possesseur de bonne foi, qui possède la chose d'autrui en esprit de maître, en vertu d'un titre naturellement translatif de propriété, et qui, dans le fait, ignore les vices de ce titre 4.

Tel est le cas où nous acquérons une chose de celui que nous en croyons propriétaire, quoiqu'il ne le soit pas, ou de celui que nous croyons avoir le droit de la vendre: Bonæ fidei emplor esse videtur, qui ignoravit rem alienam esse, aut putavit eum qui vendidit, jus vendendi habere, putà procuratorem aut tutorem esse 5.

Il résulte de là qu'on doit surtout regarder comme possesseur de bonne foi celui qui a acquis la chose en justice, ou d'après un décret du juge: Qui autore judice comparavit, bonæ fidei possessor est 6. Le possesseur de bonne foi a, durant cet état de choses, tous les avantages d'un vrai propriétaire : c'est pourquoi, suivant l'article 549 de notre Code civil, il fait les fruits siens comme s'il était le maître de la chose; mais comme, aux termes de l'article qui suit, il cesse d'être de bonne foi du moment où les vices de son titre lui sont connus, on doit dire aussi que dès ce moment il est tenu de la restitution des fruits postérieurement perçus.

456. Cependant il faut concilier cette obligation en restitution de fruits depuis la mauvaise foi survenue, avec la disposition de l'article 2269 du Code, portant qu'il suffit que la bonne foi ait existé au moment de l'acquisition, pour prescrire par dix et vingt

ans.

Admettons que l'acquéreur, qui fut d'abord de bonne foi, ait appris, quelques

3 L. 25, § 6, ff. de petit. hæred., lib. 5, tit. 3. (Br., 8 mai 1824 et 20 juin 1828, J. de B., 1824, 2, 136; J. 19 s., 1828, 5, 143; Vazeille, no 471.)

4 Celui qui possède en vertu d'un titre nul, fait les fruits siens si l'on ne prouve point qu'il possédait de mauvaise foi, et que les vices de son titre lui étaient connus. (Br., 20 juin 1828, Jur. 19e s., 1828, 3, 152.)

Celui qui s'est mis en possession de biens qu'il croyait lui être attribués par une loi doit être considéré comme ayant possédé en vertu d'un titre, et il a fait les fruits siens.

La dépouille d'un bois que le possesseur de bonne foi a défriché et converti en terre labourable ne peut être mise au rang des fruits qu'il a faits siens. (Br., 22 nov. 1828, J. de B., 1829, 2, 162; J. 19° s., 1829, 2, 35.)

5 L. 109, ff. de verb. significat., lib. 50, tit. 16. 6 L.. 137, ff., lib. 50, tit. 17.

années après son acte d'acquisition, que son vendeur n'était pas propriétaire du fonds vendu; qu'ayant acquis la connaissance qu'il retient l'héritage d'autrui, il se trouve personnellement obligé à rendre compte des fruits qu'il en aura perçus sans en avoir le droit; mais que, durant cet état de choses, le temps nécessaire à la prescription du fonds s'écoule, et qu'il en soit judiciairement déclaré propriétaire pour l'avoir prescrit: pourra-t-on encore lui répéter la valeur des fruits par lui perçus dans le temps de la mauvaise foi qui était survenue en lui? Le pourra-t-on par la raison qu'en percevant des fruits qui ne lui étaient pas dus, il s'est personnellement et par son propre fait obligé à en faire la restitution, et que cette obligation personnelle, récemment contractée, ne saurait être prescrite?

Nous croyons qu'on doit adopter la négative sur cette question, par la raison que le droit résultant de la prescription du fonds se reporte au principe même de la possession, et qu'en conséquence il n'y a plus moyen de supposer que celui qui a prescrit l'héritage ait perçu des fruits sur le fonds d'autrui, puisque ce même fonds est aujourd'hui légalement réputé avoir déjà été le sien dans le temps de la perception des fruits dont il s'agit.

Il ne faut pas voir dans cette prescription une odieuse et injuste confiscation du fonds et des fruits qu'en a perçus le possesseur; il faut y voir, au contraire, et y voir sur le tout une aliénation légitime, tacitement consentie par le propriétaire primitif: Alienationis verbum etiam usucapionem continet. Vix est enim, ut non videatur alienare qui patitur usucapi 1. C'est ainsi qu'après la révolution du temps requis pour la prescription, la loi veut, et veut en souveraine maîtresse, qu'il y ait présomption juris et de jure sur la légitimité de l'acquisition faite par le possesseur pourquoi il n'y a plus moyen d'élever aucune répétition contraire.

457. En ce qui touche à la restitution des fruits répétés contre le possesseur, il ne faut pas confondre les principes de l'ancienne jurisprudence avec les dispositions de la loi nouvelle.

La règle générale, suivant le droit romain, était qu'il y avait lieu à la restitution des fruits des biens d'une hoirie, tant de la part

'L. 28, ff. de verbor. significat., lib. 50, tit. 16. La distinction admise en droit romain en matière de restitution de fruits, entre le possesseur à titre singulier et celui d'une hérédité, n'était plus suivie, sous l'ancienne jurisprudence. Le code la repousse également.

du possesseur de bonne foi que de celle du possesseur de mauvaise foi, attendu que, la pétition d'hérédité s'exerçant judicio universali, les fruits étaient regardés comme une augmentation de la masse héréditaire. Il y avait néanmoins cette différence entre les deux possesseurs, que celui de bonne foi n'était tenu ni des fruits qu'il n'avait pas percus, quoiqu'il eût pu les percevoir, ni de ceux qu'il avait perçus et consommés sans en être resté plus riche; tandis que le possesseur de mauvaise foi restait passible de la restitution de tous.

458. Mais aujourd'hui cette distinction entre les fruits d'une hérédité ou d'autres biens particuliers, comme encore entre les fruits existant et ceux qui seraient consommés, est abrogée par les articles 158 et 549 du Code civil.

Le premier de ces deux articles, statuant sur l'action en pétition d'hérédité formée par celui au préjudice duquel, et durant son absence, d'autres se seraient emparés d'une succession qui lui était dévolue, porte que « tant que l'absent ne se représentera pas, ou « que les actions ne seront point exercées de << son chef, ceux qui auront recueilli la suc«< cession gagneront les fruits par eux perçus « de bonne foi. »

Et le second de ces articles est conçu dans les termes suivants : « Le simple possesseur « ne fait les fruits siens que dans le cas où « il possède de bonne foi: dans le cas con<< traire, il est tenu de rendre les produits << avec la chose au propriétaire qui la reven«< dique.

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Ainsi le possesseur de bonne foi fait les fruits siens, soit qu'ils proviennent d'une hérédité 2, soit qu'il les ait perçus sur des fonds particuliers quelconques, puisque cette règle est ici tracée généralement et sans aucune distinction.

Ainsi encore, et par la même raison, l'on ne doit plus faire aucune distinction entre les fruits existant et ceux qui ont été déjà consommés par le possesseur de bonne foi, puisqu'il les a tous également faits siens, et par conséquent irrévocablement acquis par l'acte de perception exécuté sans fraude.

439. Le simple possesseur de bonne foi ne peut être recherché ni passible d'aucune action à raison des dégradations qu'il aurait laissées survenir, ni même de celles qu'il

D'après cela, celui qui a possédé de bonne foi une succession en vertu d'un acte de partage fait les fruits siens jusqu'à la demande judiciaire du véritable héritier. (Br., 20 juin 1828; J. 196 s., 1828, 3, 143.)

aurait positivement opérées dans la chose durant sa bonne foi, sans en tirer un profit particulier, parce qu'il entendait négliger sa propre chose, comme cela est permis à tout propriétaire: Tunc enim, quia quasi suam rem neglexit, nulli querelæ subjectus est ante petitam hæreditatem 1.

460. Nous disons le simple possesseur de bonne foi car s'il s'agissait d'un donataire obligé à rapport, ou d'un possesseur dont le droit de jouissance comporterait un mélange d'obligation conventionnelle, il serait, sur la dégradation du fonds, soumis aux obligations décrétées par la loi pour ces sortes de cas (865, 1182, etc., etc.)

Nous disons encore, sans en tirer un profit particulier : car, quoique le possesseur de bonne foi doive profiter des fruits du fonds sans en rien rendre, parce qu'ils sont les accessoires de sa possession, il doit néanmoins, le cas arrivant, rendre intégralement la chose elle-même sans en rien retenir (1632).

A l'égard des impenses d'amélioration qui peuvent avoir été faites dans la chose, et dont le possesseur évincé pourrait répéter le montant, nous nous en occuperons plus bas, lorsque nous traiterons du droit d'accession.

$4.

SUR LA POSSESSION DE MAUVAISE FOI.

461. La possession de mauvaise foi est celle qui est exercée par celui qui sait que la chose qu'il retient ne lui appartient pas, cùm scirent bona ad se non pertinere 2. Tant que le possesseur ignore les vices de son titre, il est réputé de bonne foi; mais du moment où, en fait, ces vices lui sont positivement connus, s'il veut continuer à retenir la chose, il devient possesseur de mauvaise foi (350) : Nam ubi scit, incipit esse malæ fidei possessor 3 : d'où il résulte que celui qui est condamné en justice à la restitution d'une chose, doit être considéré comme ayant été possesseur de mauvaise foi, au moins dès le jour de la demande : Quoniam post litem contestatem omnes incipiunt malæ fidei possessores esse 4.

462. Aux termes de l'article 549 du Code civil, le possesseur de mauvaise foi doit rendre les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique ce qui ne signifie pas qu'il ne doive rendre que les fruits par lui perçus, mais bien tous les produits que

'L. 31, §3, ff. de petitione hæred., lib. 5, tit. 3. L. 20, 11, ff. de hæred. petit., lib. 5, tit. 3. 3L. 20, 11, ff. de hæred, peti!., lib. 5, tit. 3. 4L. 25. 7, ff. eodem.

le propriétaire aurait pu naturellement percevoir de sa chose s'il en avait joui lui-même, et dont il a été empêché de profiter par la coupable détention du possesseur : Generaliter autem, cùm de fructibus æstimandis quæritur, constat animadverti debere, non an malæ fidei possessor fruiturus sit, sed an petitor frui potuerit, si ei possidere licuisset, quam sententiam Julianus quoque probat 5. On ne pourrait le soutenir autrement sans contrevenir à la disposition de l'article 1382 du Code, portant que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui du dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer il faut donc tenir pour constant que, soit d'après les principes de l'équité naturelle, soit suivant le prescrit de la loi positive, le possesseur de mauvaise foi doit restituer non-seulement les fruits qu'il a perçus, mais encore la valeur estimative de ceux qu'il aurait pu percevoir.

465. Le possesseur de mauvaise foi répond des fonds appartenant à autrui, et qu'il a voulu placer, parce qu'il devait plutôt restituer la chose à son maître; tandis que le possesseur de bonne foi n'est tenu que de céder ses actions contre celui auquel il a remis l'argent ou la denrée à titre de prêt: Item videndum, si possessor hæreditatis, venditione per argentarium faclâ, pecuniam apud eum perdiderit, an petitione hæreditatis teneatur; quia nihil habet nec consequi potest? Sed LABEO putat eum teneri, quia suo periculo malè argentario credidit; sed OCTAVENUS ait nihil eum præter actiones præstaturum : ob has igitur actiones petitione hæreditatis teneri. Mihi autem in eo qui malâ fide possedit, Labeonis sententia placet; in altero verò qui bonâ fide possessor est, Octaveni sententia sequenda videtur 6.

464. Le possesseur de mauvaise foi étant constitué en demeure par cela seul que c'est sciemment qu'il retient la chose d'autrui, et qu'il est obligé de la restituer à son maître, ne peut la conserver que comme restant à ses risques (1158): Quod te mihi dare oporteat, si id posteà perierit, quàm per te factum erit, quominus id mihi dares, tuum fore id detrimentum constat 7.

Néanmoins, suivant l'article 1302 de notre Code, l'obligation du possesseur qui a été mis en demeure de restituer la chose, et qui ne s'était pas conventionnellement chargé des cas ou accidents fortuits par lesquels elle pourrait périr, reste éteinte dans l'hy

5 L. 62. § 1, ff. de rei vindic., lib. 6, tit. 1. 6L. 18, in princip., ff. de hæreditatis petit., lib. 5, tit. 3.

7 L. 5, ff. de rebus creditis, lib. 12, tit. 1.

pothèse où la chose fut également périe chez le créancier ou le propriétaire si elle lui avait été livrée ou rendue.

465. Mais aux termes de la dernière partie du même article, de quelque manière que la chose volée ait péri ou ait été perdue, sa perte ne dispense pas celui qui l'a soustraite, de la restitution du prix.

466. Reste donc à savoir quelles sont les circonstances dans lesquelles on doit traiter le possesseur de mauvaise foi comme un voleur, et l'obliger en conséquence à payer le prix de la chose perdue ou détruite, sans qu'il soit recevable à alléguer le cas fortuit comme motif de libération pour lui, en soutenant que la chose a dû périr pour son

maître.

Nous croyons que la réponse à cette question se trouve dans l'article 1579 du Code, qui, statuant sur l'obligation de restituer les choses qu'on n'avait pas le droit de recevoir, déclare que, si la chose indùment reçue « est un immeuble ou un meuble corporel, << celui qui l'a reçue s'oblige à la restituer en «nature si elle existe, ou sa valeur si elle «<est périe ou détériorée par sa faute; il est « même garant de sa perte par cas fortuit, « s'il l'a reçue de mauvaise foi. » La loi romaine qualifiait déjà de voleur celui qui, sciemment, recevait un paiement qui ne lui était pas dù: Quoniam fur tum fit cùm quis indebitos nummos sciens acceperit 1. Or il est sensible que celui qui s'est mis par luimême en possession d'une chose, sachant dès le principe qu'elle était à autrui, et ne lui était pas due, ne doit pas être dans une condition plus favorable que s'il l'avait reçue d'un autre, sachant également qu'elle ne lui était pas due donc il doit être également non recevable à alléguer le cas fortuit pour obtenir sa libération sans payer le prix de la chose.

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467. On doit donc tenir ici pour règle générale, que celui qui a été possesseur de mauvaise foi dès son entrée en jouissance, s'est par-là même rendu coupable de vol, puisque c'est sciemment et par fraude qu'il a opéré sa main-mise sur la chose ou sur la possession de la chose d'autrui, dans la vue d'en faire son profit: Furtum est contrectatio rei fraudulosa, lucri faciendi gratiá, vel ipsius rei, vel etiam usûs ejus possessionisve, quod lege naturali prohibitum est admittere 2. En conséquence de quoi il doit être considéré comme garant des cas fortuits sur la perte de la chose.

Mais quand la chose n'est pas périe, celui

L. 18, ff. de condictione furtiva, lib. 13, tit. 1. L. 1, § 3, ff. de furtis, lib. 47, tit. 2.

auquel elle est restituée en nature, doit tenir compte, même au possesseur de mauvaise foi, de toutes les dépenses nécessaires ou utiles qui ont été faites pour la conserver (1581), ainsi qu'on l'expliquera plus au long dans la suite.

§ 5.

SUR LA POSSESSION CIVILE.

468. La possession civile est tout à la fois dans le fait et dans le droit : c'est celle qui est approuvée par la loi de manière à produire les avantages de la prescription.

Nous l'appelons possession civile pris égard aux effets civils qu'elle produit.

Les caractères propres de cette possession nous sont indiqués par l'article 2229 du Code civil, portant que,« pour pouvoir prescrire. «< il faut une possession continue et non in« terrompue, paisible, publique, non équi« voque, et à titre de propriétaire.

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Telles sont les six qualités que la possession doit comporter en elle-même pour être vraiment civile et enfanter la prescription.

1o Elle doit être continue, c'est-à-dire que le possesseur doit continuellement, et sans interruption marquante, insister sur la détention de la chose au lieu d'en déserter la jouissance.

La continuité nécessaire dans la possession se rattache ici à la nature des choses : car, suivant la maxime Alienare videtur qui patitur usucapi 3, la prescription se justifie par le silence du propriétaire primitif, qui, ayant souffert la possession du nouveau venu. sans réclamer, est censé avoir tacitement consenti à l'aliénation de son héritage, ou avoir tacitement reconnu que le fonds appartenait au possesseur : il faut donc que ce propriétaire primitif ait été frappé ou positivement averti des actes de possession exercés par un autre sur sa chose, pour qu'on puisse dire qu'il est censé lui en avoir fait abandon. Or une détention momentanée, qui n'aurait lieu que par intervalles, et peut-être durant quelque temps d'absence du propriétaire, ne peut comporter un avertissement suffisant pour qu'il soit permis de dire qu'il ait tacitement reconnu le possesseur comme propriétaire de l'héritage, ou qu'au besoin il soit censé lui avoir fait abandon des droits plus ou moins douteux qu'il aurait pu prétendre sur le fonds.

469. Mais, d'autre côté, il ne faut pas croire que tout délaissement de jouissance

3 L. 28, ff. de verbor. significat., lib. 50, tit. 16.

de la part du possesseur doive être considéré comme une interruption de la prescription, par discontinuité de la possession: car un possesseur qui jouit paisiblement et publiquement d'un fonds, et qui en jouit avec la conviction qu'il est le sien, doit se croire sous la protection de la maxime portant que la possession se conserve par la seule intention de la retenir, solo animo retinetur: en conséquence de quoi, et pour être juste à son égard, on doit accorder une certaine latitude à sa manière d'administrer et d'insister, avec plus ou moins d'assiduité, sur la jouissance d'une chose à l'égard de laquelle il exerce tous les droits du maître.

Il serait donc trop rigoureux de décider envers lui que tout intervalle aperçu entre les actes naturels de sa jouissance dut être regardé comme une discontinuité civile de possession, capable d'opérer l'interruption de la prescription qu'il est en voie d'acquérir.

Mais quel est le délai après lequel on doit dire qu'il y a eu discontinuité de possession, et par conséquent interruption dans la prescription?

Nous ne trouvons cette question résolue par aucun texte ni des lois anciennes, ni de notre nouvelle législation: d'où nous croyons qu'on doit conclure que dans tous les temps les législateurs ont pensé que la solution en devait être laissée à l'arbitrage du juge, d'après les circonstances de fait qui peuvent en faire diversement varier la décision.

On sent en effet que, par exemple, quand il s'agit d'une vigne dont la récolte, qui se fait chaque automne, exige les travaux et les soins d'une culture suivie et continuelle de tous les jours de belle saison, l'abandon de la possession durant une ou plusieurs années, doit être bien autrement remarquée que s'il s'agissait seulement de quelques terres vaines situées sur une montagne où l'on ne va que de loin en loin, et dont une seule culture peut épuiser le sol pour nombre d'années, durant lesquelles il serait inutile d'y retourner, parce qu'on n'y trouverait pas de fruits à recueillir.

C'est ainsi que le possesseur de la vigne devrait être considéré plutôt que celui de la montagne, comme ayant voulu déserter sa possession; et, comme ni son intérêt, ni les besoins de la chose, n'auraient été capables de le rappeler, pendant un temps notable, à la pratique de sa jouissance, on devrait présumer que dès lors il avait connaissance que le fonds ne lui appartenait pas, et qu'il a voulu l'abandonner.

470. 2o La possession civile doit être non

interrompue, ce qui ne signifie pas ici la même chose que continue: car la discontinuité de la possession ne provient que du possesseur lui-même quand il la déserte; tandis que l'interruption est l'œuvre d'un tiers qui vient par le fait se mettre lui-même en possession de l'héritage, auquel cas il y a ce qu'on appelle interruption naturelle; ou qui, sans se mettre lui-même en possession, assigne le possesseur en justice pour le faire condamner à déguerpir, cas auquel il y a interruption civile.

471. 3o La possession civile doit être paisible: car, d'une part, la loi ne peut approuver la violence dans celui qui vient s'emparer de la chose; et, d'autre côté, celui qui, malgré sa résistance, se voit repoussé par la force de l'usurpateur, ne peut justement subir l'application de la maxime Alienare videtur qui patitur usucapi.

472. 4° La possession civile doit être publique, attendu que, pour éviter toute surprise, il faut que le propriétaire soit mis à mème ou à portée d'être averti qu'un autre possède son héritage, et qu'en souffrant cette possession sans réclamer, il sera un jour dans le cas de souffrir l'application de la maxime Alienare videtur qui patitur usucapi.

C'est pourquoi l'on ne doit pas, en cette matière, tenir compte de quelques faits possessoires, intermittents et isolés, qui auraient été naturellement ignorés par le propriétaire: Quamvis saltus proposito possidendi fuerit alius ingressus, tandiù priorem possidere dictum est, quandiù possessionem ab alio occupatam ignoraret..... Ita non debet ignoranti tolli possessio, quæ solo animo tenetur 1.

475.5° La possession civile doit être non équivoque. Cette cinquième qualité de la possession est toujours requise pour l'appli cation du même principe qui veut que le propriétaire ait été suffisamment averti que son héritage était possédé par un autre. Prenons pour exemple d'équivoque dans la possession le cas où un fermier aurait vendu à un acquéreur de bonne foi un fonds faisant partie de sa ferme, en stipulant dans l'acte de vente qu'il continuera à jouir de l'héritage à titre de fermier de la part de l'acquéreur, et que ce fermier vendeur du fonds d'autrui continue à payer entièrement le même fermage au propriétaire général de tout le domaine: il y aura là deux possesseurs représentés l'un et l'autre par celui qui s'est successivement constitué fermier

L. 46, ff. de acquirend, vel amittend. possess., lib. 41, tit. 2.

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