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et 693 du Code, respecter l'état dans lequel les choses avaient été mises par leur maître; en sorte qu'il ne peut plus être question, de la part de l'un des propriétaires voisins, de faire arracher l'arbre planté à une distance quelconque sur le fonds de l'autre, ni de faire couper les branches de cet arbre, quelle que soit l'extension d'accroissement qu'elles aient prise sur son héritage.

On doit, et à plus forte raison, porter la même décision dans le cas où les fonds appartenant aujourd'hui à deux ou plusieurs naitres, leur sont échus dans le partage d'une même succession: soit que les fonds aient été déjà distingués l'un de l'autre entre les mains du défunt, soit que, ne formant qu'un seul héritage dans son patrimoine, ils n'aient été séparés l'un de l'autre que par le partage exécuté entre les héritiers, la destination du père de famille conserve toujours là son empire, pour régler de même les droits des parties intéressées à la chose.

584. Mais, abstraction faite des cas où il y a eu destination du père de famille, il faut s'en rapporter à la coutume ou aux usages locaux s'il en existe, et enfin aux dispositions du Code civil, s'il n'y a rien dans la coutume ni dans les anciens usages qui leur soit contraire.

Lorsqu'un arbre est planté vers les confins du fonds de son maître, et qu'il a des branches qui s'étendent sur l'héritage voisin, si ces branches portent des fruits qui, par une conséquence toute naturelle de ce rapprochement, tombent dans le clos voisin, il doit être permis au propriétaire de l'arbre d'en

Toullier, 3, no 517. Delvincourt, 3, 56. Mais ce dernier pense que le propriétaire des fruits n'a pas le droit d'entrer dans le fonds clos du voisin. Favard, vo Servitudes, sect. 2, § 5, no3. - V. aussi Dalloz, vo Servitudes, sect. 3, art. 2, § 6, no 15, et Duranton, t. 5, no 400.- Les fruits, dit Chavot, no527, sont, dans notre droit comme dans le droit romain, un accessoire de l'arbre; ils n'appartiennent pas à d'autres qu'au propriétaire de l'arbre; et ses branches pendraientelles sur le fonds voisin, le propriétaire de ce fonds n'aurait pas le droit de les cueillir, il n'a pas d'autre droit que celui d'exiger que ces branches soient coupées. Mais peut-il s'emparer des fruits qui se détachent de l'arbre et tombent sur son fonds? Il ne peut invoquer en sa faveur aucune des règles du droit d'accession, et l'on ne doit pas présumer légèrement que le propriétaire de l'arbre ait abandonné la propriété de ces fruits. Aussi la loi unique de Glande legendá accordait-elle à ce propriétaire la faculté de passer dans le fonds du voisin pour aller les ramasser; et ce n'était qu'au bout de trois jours que ces fruits non ramassés pouvaient être considérés comme choses abandonnées, et en cette qualité être acquis par le propriétaire du sol. Cependant nos usages ont dérogé aux règles de

trer dans ce fonds pour les aller recueillir, attendu que, ces fruits n'ayant pu cesser de lui appartenir par le seul fait de leur chute sur le fonds d'autrui, ce propriétaire est nécessairement sous la protection de la maxime suivant laquelle chacun est en droit de se saisir de son bien partout où il se trouve 1.

585. Il y a plus encore, et nous croyons que ce propriétaire d'arbres doit avoir la faculté d'entrer dans le clos voisin, et d'y placer des échelles pour faire à la main la cueillette de ses fruits, plutôt que de les abattre ou de les laisser tomber, parce que ce n'est toujours là qu'un mode de se saisir d'une chose qui est la sienne.

Mais lorsqu'il s'agit d'entrer dans le fonds d'autrui pour aller y ramasser des fruits tombés depuis les branches de l'arbre du voisin, comme lorsqu'il s'agit de pénétrer dans ce même fonds avec des échelles pour cueillir les fruits à la main, le propriétaire de l'arbre, à moins qu'il n'ait un titre pour cela, doit une indemnité quelconque à celui du sol qu'il vient fouler.

586. La loi romaine voulait qu'il fût permis au maitre de l'arbre d'entrer tous les trois jours, dans la saison des fruits, sur le fonds voisin pour y recueillir ceux qui pouvaient être tombés; et il était défendu au propriétaire de ce fonds de mettre obstacle à cette démarche : Ait prætor: Glandem quæ ex illius agro in tuum cadat, quominùs illi tertio quoque die legere, auferre liceat, vim fieri veto. Glandis nomine omnes fructus continentur 2; et il était défendu au maître du

cette loi, elle imposait une véritable servitude sur le fonds du voisin; aucun texte de nos lois ne concède au propriétaire de l'arbre une pareille servitude. Bien loin de là, ce n'est que par tolérance pure que le propriétaire du fonds a voulu ne pas forcer le propriétaire de l'arbre à couper les branches qui l'ombrageaient, et de cette tolérance il ne peut résulter un autre droit, celui de s'introduire dans le fonds du voisin. Il est bien plus juste que l'acquisition des fruits qui tombent sur le sol soit une récompense de cette tolérance, une indemnité du dommage que lui cause l'ombre et les racines de l'arbre; aussi est-ce par ces motifs et dans ce sens que, suivant nos usages, ces fruits sont regardés comme abandonnés et sont acquis immédiatement par le propriétaire du sol. Et si le propriétaire de l'arbre s'est permis de passer dans mon fonds pour ramasser ces fruits, on ne pourrait, il est vrai, l'accuser de vol, mais il serait passible d'une action de simple police, si mon fonds était préparé ou ensemencé, ou de dommages-intérêts pour violation de mon droit de propriété, si dans les autres circonstances il y est entré malgré ma défense.

L. unic., ff. de glande legendá, lib. 43, tit. 28.

fonds qui recevait cette chute, de faire ou laisser sciemment manger les fruits par ses propres bestiaux. POMPONIUS Scribit competere actionem ad exhibendum si dolo pecus immittit ut glandem comederet; nam si glans ertaret, nec patiaris me tollere, ad exhibendum teneberis 1.

587. Le détail de ces statuts de la loi romaine ne se trouve pas explicitement consigné dans notre Code civil; mais nous y trouvons une disposition générale qui, entraînant les mêmes conséquences, nous conduit au même but. C'est celle de l'article 682, portant que le propriétaire du fonds enclavé peut réclamer son passage sur les fonds voisins pour l'exploitation de son héritage, à la charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut causer. Certainement il y a enclave à l'égard des fruits d'arbre qui vont tomber sur le fonds du voisin. Certainement encore l'action de recueillir ces fruits est bien un acte ou un fait d'exploitation et de jouissance du fonds sur lequel l'arbre est implanté. Donc il y a, dans ce fait de récolte, lieu à l'application de l'article 682 de notre Code civil.

588. Quelle que soit la nature d'une clôture, elle est bien certainement l'accessoire du fonds pour la protection duquel elle fut établie, mais elle ne doit pas toujours être fondée de la même manière.

Lorsqu'elle consiste dans un mur, elle peut être établie au bord de l'héritage mis en clos, et il en est de même de celle qui serait construite au moyen d'une haie sèche ou de palissade; mais si c'est par une haie vive que le propriétaire d'un fonds veut le mettre en clôture, il doit, aux termes de l'article 671, se retirer sur lui-même à la distance d'un demi-mètre.

389. Quant à la clôture par le moyen d'un fossé, notre Code ne porte aucune disposition prescrivant expressément au constructeur de laisser aucune portion de son terrain de l'autre côté du fossé est-ce à dire qu'il peut en opérer le creusage à partir de la ligne séparative de son héritage d'avec le voisin ?

:

Nous ne le pensons pas, parce qu'il ne peut lui être permis de causer l'éboulement du fonds de l'autre dans son fossé : nous estimons donc qu'il doit en ce cas se conformer au prescrit de la loi romaine, qui veut que celui qui creuse ainsi un fossé, laisse en dehors une largeur de son terrain qui ait en surface une largeur égale à la profondeur du fossé. Si sepulcrum aut scrobem foderit, quantùm profunditatis habuerint, tantùm spatii

'L. 9, § 1, ff. ad exhibend., lib. 10, tit. 4.

relinquito 2. Cette décision de la loi romaine est tout à fait conforme à l'équité, attendu que l'éboulement qui doit se former dans le fossé du côté du voisin, ne s'arrêtera que quand il y aura produit un talus de quarante-cinq degrés de pente, et que, parvenu à ce point, sa base sera sur le fonds de même largeur que la profondeur du fossé.

Celui qui veut mettre son fonds en clôture de cette manière pourrait aussi porter son fossé jusqu'au bord de son héritage, mais à la charge de faire construire et d'entretenir un mur de soutènement contre le bord de l'héritage voisin.

590. La clôture, généralement considérée, peut encore donner lieu à des questions d'un autre genre, consistant à savoir sur qui doit peser l'obligation de l'entretenir et de la réparer.

Et, pour remonter au principe des choses, il faut chercher à vérifier d'abord si elle est mitoyenne entre les deux propriétaires voisins, ou si elle n'appartient qu'à un seul, attendu que dans le cas de mitoyenneté les frais d'entretien et de réparation doivent peser sur les deux propriétaires, tandis que dans l'autre ils ne peuvent être dus que par celui qui est seul et exclusivement propriétaire de la clôture.

La preuve de la mitoyenneté peut résulter de tous faits ou actes constatant que c'est d'un commun accord qu'ils ont voulu construire en commun le fossé ou le mur, ou autre barre servant à séparer leurs héritages; mais il est rare que ce genre de preuve puisse être bien administrė; et à défaut de ce moyen, on peut consulter la disposition des lieux. S'il s'agit d'un clos adjacent à un finage de champs labourables, ou de vignes, ou d'autres terres qu'il ne soit pas dans l'usage de mettre en clôture, il ne peut y avoir lieu de présumer la mitoyenneté du mur ou du fossé riverain, qui devront rester exclusivement à la charge seule du maître de l'enclos.

391. Mais un mur peut être séparatif de deux héritages en état de clôture l'un et l'autre, sans être néanmoins totalement mitoyen. Qu'on suppose, par exemple, qu'il s'agisse d'un terrain en pente; que l'un des propriétaires voisins possède la partie inférieure, tandis que l'autre retient la portion supérieure; que ce propriétaire du fonds inferieur ait voulu, pour en jouir plus utilement, y pratiquer un creusage et enlèvement de terre pour établir une planimétrie agréable, là où il n'y avait qu'un terrain en pente, et plus ou moins stérile ou incommode : il ne

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pourra se permettre ce creusage dans son clos qu'en construisant en même temps un mur de soutènement pour mettre obstacle à l'éboulement du clos supérieur, et il sera perpétuellement soumis à la charge de l'entretien et des réparations de ce mur, attendu qu'il aura donné lieu à la cause qui nécessite ce genre de dépens.

Si l'on se place dans l'hypothèse inverse, en admettant que ce soit le propriétaire du clos supérieur qui ait voulu y établir une planimétrie pour en faire un jardin comportant avec lui un aspect plus agréable sur le voisinage, il se trouvera de même obligé de faire un mur de soutènement, pour servir de fondement à sa terrasse; et ce propriétaire supérieur sera aussi tenu de toutes les dépenses d'entretien et de réparations de son mur de soutènement, quoique ce mur serve de clôture aux deux héritages voisins, at

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Les eaux déposent successivement sur leurs bords la vase et les parcelles de terrain dont elles sont toujours plus ou moins chargées; et c'est ainsi que les propriétés riveraines reçoivent, sous le titre d'alluvions, des accroissements qui, pour être insensibles, n'en sont pas moins très-réels. Il arrive aussi que, par un mouvement lent et imperceptible, l'eau courante s'éloigne quelquefois de l'une de ses rives pour se porter sur l'autre côté de la rivière. La partie du cours d'eau qui, par ce mouvement, se trouve à découvert, forme ce qu'on appelle un relai.

Comme on le voit, ce qui constitue le caractère essentiel de l'alluvion, ainsi que celui du relai, c'est que l'action de l'eau, lentement progressive, ne puisse pas être prise sur le fait. Per alluvionem, disent les Institutes, id videtur adjici, quod ita paulatim adjicitur ut intelligi non possit quamtum quoquo temporis momento adjiciatur (Lib. 11, tit. 1, § 20, de rerum divis.). Le Digeste s'exprime dans des termes analogues, en parlant du relai. Ainsi, l'alluvion et le relai n'existent que sous la condition de demeurer insaisissables au moment de leur formation; c'est par cette raison que le droit romain et la presque universalité des coutumes attribuaient aux riverains la propriété des terrains d'alluvion ainsi que celle des zones abandonnées. Et d'abord, quant aux alluvions, comment reconnaître ces accroissements quotidiens qui, par leur nature même, échappent à toute constatation? Comment surtout en assigner l'origine? Toute revendication n'est-elle pas ici repoussée par son impossibilité même, ainsi que le fait judicieusement observer Grotius (lib. 11, chap. 8, 11, de Jure belli et pacis.): Hoc est de adjectione particularum quæ a nullo vindicari possunt, quia unde veniant nescitur?

Il en est de même des relais.

Le relai, comme l'accroissement, doit offrir le caractère essentiel de l'alluvion, c'est-à-dire s'être formé insensiblement, paulatim.

tendu que, comme on vient de le dire à l'égard de l'autre, c'est lui seul qui aura donné lieu à la cause de la dépense.

Mais, dans l'une et l'autre de ces deux bypothèses, si l'on a voulu pousser le mur à une hauteur qui soit supérieure à la partie basse des murs de soutènement, nous croyons qu'alors on devrait appliquer à cette partie d'exhaussement supérieur les règles concernant la mitoyenneté des murs; et c'est ainsi qu'on satisferait équitablement aux intérêts de toutes les parties.

SECTION V.

de l'alluvion 1.

592. On entend par alluvion les atterrissements qui se forment successivement et imperceptiblement aux fonds riverains d'un

Si le relai s'est ainsi formé par un mouvement insensible, inaperçu, toute revendication est impraticable. Chaque riverain sera-t-il le maître d'intenter chaque jour une action en bornage? La loi qui donnerait cours à de semblables recherches ne serait-elle pas une atteinte à la sécurité des propriétés et à la paix des familles? Ce qui achève de démontrer l'impossibilité du droit de reprise en matière de relai, c'est le résultat où l'on se trouverait conduit. Le propriétaire dont le domaine s'est accru par la retraite du fleuve ne peut pas être dépouillé sans injustice de sa position riveraine. Le propriétaire dépossédé retrouverait souvent plus qu'il n'aurait perdu, s'il devenait maître des deux rives.

Ce sont là de ces circonstances où l'intérêt public demande que les propriétaires dépossédés subissent les conséquences du contrat aléatoire qui se forme entre les héritages riverains, et dont le fleuve est l'arbitre.

Aussi, le droit romain est-il précis sur la double question de l'alluvion et du relai: quod per alluvionem agro nostro flumen adjicit jure gentium nobis adquiritur (L. 7, § 1, D., lib. 41, tit. 1, de adquirendo rerum dominio.) La décision relative au relai n'est pas moins explicite: quod si paulatim ita auferat ut alteri parti applicet: id alluvionis jure ei quæritur, cujus fundo accrescit. (L. 1, C., lib. 7, tit. 41.) L'impossibilite de constater l'action incessante et destructive des eaux, la difficulté non moins insurmontable de signaler leur déplacement lent et progressif, le besoin surtout de maintenir la paix entre les riverains, expliquent cette décision bien mieux que certaines paroles de Cassius qui, consulté sur les nombreuses difficultés que les ravages du Po suscitaient entre les riverains, répondit par une de ces décisions qui tranchent les difficultés sans les résoudre : Quidquid lambendo abstulerit, id possessor amittat : quoniam scilicet ripam suam sine alterius damno tueri debet. Du reste, l'aliuvion, le relai ne profitaient qu'aux champs arcifiniens. Les accrues contigues aux champs limites

fleuve ou d'une rivière, soit par le dépôt des vases que les eaux y laissent (556), soit par les relais que forme l'eau courante, lors

n'appartenaient qu'à l'État. (Heineccii Recitationes, lib. 2, tit. 1, § 358.)

par

Une préoccupation dont il faut se défendre, c'est de se laisser dominer par l'étendue, l'importance qu'avec l'aide du temps les terrains d'alluvion obtiennent quelquefois; comme si, dans ces sortes de questions, ce n'était pas à la formation progressive bien plus qu'aux résultats obtenus après une période plus ou moins longue, qu'il faut toujours s'arrêter. Ainsi, dans le jugement cité par l'auteur du Traité de l'Alluvion (M. Chardon, Traité du droit d'Alluvion, p. 36), c'était après vingt-cinq années d'accroissements insensibles que les propriétaires de la riveenvahie venaient revendiquer le sol que les habitants de l'autre rive avaient mis en valeur, dès que la culture avait pu s'en emparer. Dans un pareil état de choses, il était de toute justice de laisser le relai à ceux qui avaient, par leurs plantations, saivi la rivière dans sa retraite.

On trouve dans le droit romain un exemple où le privilége de la contiguïté est porté aussi loin qu'il peut aller.

Attius possède un fonds de terre sur le bord d'un chemin public; au delà de ce chemin se trouve un champ possédé par un inconnu, anonymus, puis la rivière, puis enfin, sur l'autre rive, le domaine de Lucius Titius.

D'après le cours du fleuve, le champ de l'anonyme est sur la rive gauche; celui de Lucius Titius, sur la rive droite.

Les eaux se portant insensiblement d'une rive sur l'autre, envahissent peu à peu le champ de l'anonyme, s'emparent ensuite de la voie publique, et viennent baigner l'héritage d'Attius; là, cédant à une impulsion contraire, la rivière fait un mouvement rétrograde, se retire de la voie publique, abandonne le champ de l'anonyme, et rentre dans son ancien lit.

Le jurisconsulte Alphenus, consulté sur le résultat légal de ces mouvements qui se sont opérés paulatim et minutatim, répond que Titius avait d'abord légalement acquis tout le sol que la rivière, en s'avançant vers Attius, avait successivement occupé et abandonné; et qu'ensuite Attius, devenu riverain, avait aussi acquis, à titre d'alluvion, et le sol du chemin et celui de l'anonyme. (L. 38, D., lib. 41, tit. 1, de adquir. rerum dominio.)

Ce système, qui met pour ainsi dire en action la théorie des Romains, nous permet d'interroger sur le fait des alluvions et des relais la législation française.

C'est faute d'avoir distingué l'alluvion propre ment dite des autres espèces d'atterrissement, que quelques auteurs ont dit que, dans l'ancien droit français, les résultats de l'alluvion appartenaient au prince. Les auteurs les plus favorables au roi, tels que Lefèvre de Laplanche, dans son Traité du Domaine, liv. 1, chap. 13, décident expressément que notre legislation est conforme à celle des Romains, relativement aux accrues insensibles de sable que les rivières entraînent peu à peu, et qui, retenues par quel

TOME 2, ÉDIT. FRANÇ.

qu'elle se retire insensiblement d'une rive pour se porter à l'autre (357).

Sous l'un et l'autre rapport, l'alluvion est

que obstacle, établissent des terrains contigus à la rive; qu'ainsi ces terrains n'ont point d'autre maître que celui de l'héritage qu'ils ont enrichi. A la vérité, certains domanistes restreignaient l'application du principe aux rivières non navigables et non flottables, et c'est par suite de cette distinction que deux arrêts du conseil, en dates des 5 juillet 1781 et 31 octobre 1783, ordonnèrent l'aliénation, au profit du roi, de toutes les alluvions formées sur les bords des rivières de Gironde, Garonne, Dordogne et sur les côtes du Médoc jusqu'à Soulac. Cette menace portait la désolation au sein d'une population nombreuse. Le parlement de Bordeaux fit entendre des remontrances, et les lettres-patentes du 14 mai 1786, qui ordonnaient l'exécution des arrêts du conseil, ne furent enregistrées que de l'exprès commandement du roi. Louis XVI, affligé de cette résistance, voulut connaître ce qui contristait une grande province et suscitait un si grave dissentiment entre son conseil et l'un de ses parlements. D'après le désir exprimé par le monarque. tous les magistrats du parlement de Bordeaux se rendirent à Versailles une controverse s'établit entre eux et les ministres, le 29 juillet 1786, dans le cabinet du roi. La conférence dura sept heures.

Enfin, dit M. Henrion de Pansey, après avoir tenu d'une main toujours ferme la balance entre la nation et la couronne, le roi prononça luimême contre lui, et déclara tous les riverains propriétaires des alluvions. » Il fit même donner au texte de ses nouvelles lettres - patentes un caractère de généralité qui rendait son acte de justice commun à tout le royaume. Le roi veut que les lettres-patentes soient exécutées sans qu'on puisse en induire que les alluvions, at« terrissements et relais formés sur les bords « desdites rivières, ni d'aucune rivière navigable, « puissent appartenir à d'autres qu'aux proprié«taires des fonds adjacents à la rive desdites rivières, et à nous, lorsque la rive sera adja«cente à des fonds de terre faisant partie de « notre domaine. » (Dissertations féodales, t. 1, p. 648 et 5.)

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« Les sentiments de bonté, de droiture, que le roi ne cessa de faire éclater pendant cette longue séance, dit encore M. Henrion de Pansey, rendent ce jour à jamais mémorable. »

Il est done vrai qu'avant la révolution, et relativement au domaine royal, l'alluvion n'appartenait qu'aux riverains. En était-il de même relativement aux seigneurs hauts-justiciers?

Ce qui prouve qu'en thèse générale du moins, le droit feodal ne faisait point exception au principe des lois romaines, c'est que le champart était dû au seigneur sur les terres formées par alluvion, ce qui n'eût pas été, si le seigneur eût été propriétaire des accrues. (Code des Seigneurs, p. 211.) « Les terres d'alluvion (dit l'article 195 de la coutume de Normandie, qui résume sur ce point le droit commun de la France) accroissent aux héritages contigus à la charge de les bailler par aveu au seigneur du fief, et d'en payer les droits seigneuriaux comme des autres terres

14

CHAPITRE XVI.

un accroissement de propriété qui profite, comme un don de la fortune, à celui dont l'héritage est agrandi.

On voit, par cette définition, que l'alluvion ne peut jamais être que le résultat d'un accroissement successif de chaque jour et imperceptible d'où il résulte,

1o Que si un fleuve ou une rivière navigable ou non, enlève, par une force subite, une portion considérable et reconnaissable d'un

adjacentes, s'il n'y a titre, possession ou convenant au contraire. »>

Il est bien vrai que si un seigneur, haut-justicier ou non, avait concédé, soit à titre de fief, soit à titre de cens, un nombre limité d'arpents sur les bords d'une rivière, les terres qui se seraient formées près de celles concédées n'auraient point appartenu au vassal ou au censi taire, mais à l'auteur de la concession, par suite de cette maxime, in agris limitatis jus alluvionis locum non habere constat (1. 16, D., lib. 41, tit. 1, de adquirendo rerum dominio); maxime dont l'application au cas indiqué était même contestée; mais toujours est-il qu'à part cette hypothèse toute spéciale, l'accrue s'unissait et se consolidait pour ne former, sous le rapport du droit comme du fait, qu'un tout indivisible avec l'ancien continent *.

Trois coutumes modifiaient, nous le savons, le droit romain; ce sont les coutumes de Bar, article 212; de Vic et d'Hesdin, art. 47. On disait aussi en Franche-Comté : le Doubs ne tolle ni ne baille.

De si rares exceptions mettent la règle dans un plus grand jour; et, dans la vérité, il faut laisser l'atterrissement à ceux qui, par leurs plantations, l'ont mis à profit. S'il en était autrement, s'il était possible d'admettre d'autres principes, si des revendications rétroactives étaient à craindre, les terrains d'alluvion seraient frappés de stérilité.

Aussi les auteurs du Code civil n'ont point hésité; ils ont, suivant l'expression de Grenier, orateur du tribunat, rétabli la pureté des principes du droit romain. La double maxime de l'alluvion et du relai, adoptée au conseil d'État, sans discussion, se trouve exprimée par les articles 556 et 557. (Hennequin, p. 272 et suiv.)

Le droit romain a pris soin de distinguer l'avulsion de l'alluvion. Ainsi, la loi 7, au Digeste, de adquirendo rerum dominio, après avoir défini, dans le 1er, l'alluvion quod ita paulatim adjicitur, ut intelligere non possimus, quantum quoquo momento temporis adjiciatur, ajoute immédiatement, dans le § 2: Quod si vis fluminis partem aliquam ex tuo prædio detraxerit, et meo prædio attulerit, palam est eam tuam permanere; disposition encore traduite par le Code civil: « Si un fleuve, ou une rivière navigable ou non, « enlève par une force subite une partie consi«dérable et reconnaissable d'un champ riverain,

* Collection de décisions nouvelles, t. 1, p. 466. La maxime de Loisel, t. 1, p. 275, édit. 1758: « la rivière ôte et donne au haut-justicier, >> n'est évidemment applicable, comme au surplus l'explique Laurière, qu'à

champ riverain, et la porte vers un champ inférieur ou sur la rive opposée, il n'y a pas lieu au droit d'alluvion, et le propriétaire des terres enlevées peut les réclamer. Mais la loi ne lui accorde qu'un an de délai pour former sa demande : après ce temps il n'y est plus recevable, à moins que le propriétaire du champ auquel la partie enlevée a été unie, n'ait pas encore pris possession de cet accroissement (559) 1;

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« et la porte vers un champ inférieur ou sur la « rive opposée, le propriétaire de la partie enle«vée peut réclamer sa propriété. » (Art. 559.) Comme on le voit, l'article 559 exige d'abord qu'il y ait enlèvement. Ainsi, la formation du champ insulaire ne doit pas être confondue avec l'avulsion. La loi ajoute par force subite, c'està-dire par un mouvement instantané, ce qui range l'avulsion parmi les événements exceptionnels. Il faut en effet que le terrain déplacé soit assez fortement lié, dans toutes ses parties, par les racines qui le pénètrent et par la végé tation qui le couvre, ou par la nature même des terres qui le composent, pour qu'il puisse céder au courant sans se dissoudre. Il faut aussi que l'ile, un moment flottante, soit, relativement au champ délaissé, d'une importance sensible; quelques mottes de gazon, quelques touffes d'oseraie n'autoriseraient pas la réclamation du propriétaire dépossédé. Si les parties enlevées ne sont pas non-seulement reconnaissables, mais considérables, c'est-à-dire d'une importance de nature à être appréciée, la réclamation n'a pas d'intérêt; et, sans intérêt, pas d'action. Le riverain ne profite donc pas seulement des accroissements insensibles, mais encore de tous les atterrissements qui, n'offrant pas dans leur ensemble les caractères de l'avulsion définis par l'art. 559, ne peuvent être l'objet d'aucune revendication.

C'est plutôt à l'adjonction latérale qu'à la superposition des terres jetées par le fleuve sur l'une des rives, que s'appliquent les expressions employées dans l'article précité. La superposition se trouve cependant aussi comprise dans les termes de la loi.

La loi romaine indiquait d'une manière assez vague le temps après lequel la revendication n'était plus admissible. Planè si longiore tempore fundo meo hæserit, arboresque, quas secum trarerit, in meum fundum radices egerint: ex eo tempore videtur meo fundo adquisita esse (L. 7, § 2, D., lib. 41, tit. 1, de adquir, rer. domin.).

Le Code civil pose les principes avec plus de netteté :

«Le propriétaire de la partie enlevée est tenu « de former sa demande dans l'année : après ce « délai, il n'y sera plus recevable, à moins que « le propriétaire du champ auquel la partie en« levée a été unie, n'eût pas encore pris posses«sion de celle-ci. » (Art. 559.)

Il est regrettable que la loi n'ait pas dit à l'hypothèse où le riverain possède une terre dont la mesure est fixe et certaine, et dès lors n'infirme pas le droit commun.

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