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sentâmes tout dressés au nouveau prélat, M. de Châlons et moi, dans mon appartement à Versailles. M. l'archevêque de Paris a exposé dans sa réponse à M. l'archevêque de Cambray, la peine que lui fit cette lecture. Nous lui dîmes sans disputer avec une sincérité épiscopale, ce qu'il devoit faire des écrits qu'il nous avoit envoyés en si grand nombre: il ne dit mot; et malgré la peine qu'il avoit montrée, il s'offrit à signer les articles dans le moment par obéissance. Nous trouvâmes plus à propos de les remettre entre ses mains, afin qu'il pùt les considérer durant quelques jours. Quoiqu'ils entamassent le vif, ou plutôt quoiqu'ils renversassent tous les fondemens de la nouvelle oraison, comme les principes en étoient évidens, nous crùmes que M. l'abbé de Fénelon ne les contrediroit pas quand il les auroit entendus. Il nous apporta des restrictions à chaque article, qui en éludoient toute la force et dont l'ambiguïté les rendoit non-seulement inutiles, mais encore dangereux : nous ne crùmes pas nous y devoir arrêter. M. de Cambray céda, et les Articles furent signés à Issy, chez M. Tronson, le 10 de mars 1695.

13. Quand M. l'archevêque de Cambray dit maintenant dans sa Réponse à notre Déclaration, qu'il a dressé les Articles avec nous1, je suis fâché qu'il ait oublié les saintes dispositions où Dieu l'avoit mis. On a vu dans les lettres qu'il écrivoit pendant qu'on travailloit à ces articles, qu'il ne demandoit qu'une décision sans raisonner. Si nous entràmes dans ce sentiment, je prie ceux qui liront cet écrit de ne le pas attribuer à hauteur ou à dédain: à Dieu ne plaise en toute autre occasion nous eussions tenu à honneur de délibérer avec un homme de ses lumières et de son mérite, qui alloit même nous être agrégé dans le corps de l'épiscopat. Mais à cette fois Dieu lui montroit une autre voie : c'étoit celle d'obéir sans examiner: il faut conduire les hommes par les sentiers que Dieu leur ouvre, et par les dispositions que sa grace leur met dans le cœur. Aussi la première fois que M. l'archevêque de Cambray a parlé de nos XXXIV Articles (c'est dans l'avertissement du livre des Maximes des Saints), il ne parle que de deux prélats, de M. de Châlons et de moi, qui les avions dressés, 1 Edit. de Brux., p. 8.

et le moins qu'on en eût dû attendre eût été pour cet abbé une exclusion inévitable de toutes les dignités. Mais nous ne nous avisâmes seulement pas (au moins moi, je le reconnois) qu'il y eût rien à craindre d'un homme dont nous croyions le retour si sùr, l'esprit si docile et les intentions si droites: et soit par raison ou par prévention, ou si l'on veut, par erreur (car je me confesse ici au public plutôt que je ne cherche à me défendre), je crus l'instruction des princes de France en trop bonne main, pour ne pas faire en cette occasion tout ce qui servoit à y conserver un dépôt si important.

10. J'ai porté cette assurance jusqu'au point que la suite fera connoître. Dieu l'a permis, peut-être pour m'humilier: peut-être aussi que je péchois en me fiant trop aux lumières que je croyois dans un homme; ou qu'encore que de bonne foi je crusse mettre ma confiance dans la force de la vérité et dans la puissance de la grace, je parlois trop assurément d'une chose qui surpassoit mon pouvoir. Quoi qu'il en soit, nous agissions sur ce fondement; et autant que nous travaillions à ramener un ami, autant nous demeurions appliqués à ménager avec une espèce de religion sa réputation précieuse.

11. C'est ce qui nous inspira le dessein qu'on va entendre. Nous nous sentions obligés, pour donner des bornes à ses pensées, de l'astreindre par quelque signature: mais en même temps nous nous proposâmes, pour éviter de lui donner l'air d'un homme qui se rétracte, de le faire signer avec nous comme associé à notre délibération. Nous ne songions en toutes manières qu'à sauver un tel ami, et nous étions bien concertés pour son avantage.

12. Peu de temps après il fut nommé à l'archevêché de Cambray. Nous applaudimes à ce choix comme tout le monde, et il n'en demeura pas moins dans la voie de la soumission où Dieu le mettoit plus il alloit être élevé sur le chandelier, plus il me sembloit qu'il devoit venir à ce grand éclat et aux graces de l'état épiscopal par l'humble docilité que nous lui voyions. Ainsi nous continuâmes à former notre jugement; et lui-même nous le demandoit avec la même humilité. Les trente-quatre Articles furent dressés à Issy dans nos conférences particulières : nous les pré

sentâmes tout dressés au nouveau prélat, M. de Châlons et moi, dans mon appartement à Versailles. M. l'archevêque de Paris a exposé dans sa réponse à M. l'archevêque de Cambray, la peine que lui fit cette lecture. Nous lui dimes sans disputer avec une sincérité épiscopale, ce qu'il devoit faire des écrits qu'il nous avoit envoyés en si grand nombre: il ne dit mot; et malgré la peine qu'il avoit montrée, il s'offrit à signer les articles dans le moment par obéissance. Nous trouvâmes plus à propos de les remettre entre ses mains, afin qu'il pùt les considérer durant quelques jours. Quoiqu'ils entamassent le vif, ou plutôt quoiqu'ils renversassent tous les fondemens de la nouvelle oraison, comme les principes en étoient évidens, nous crùmes que M. l'abbé de Fénelon ne les contrediroit pas quand il les auroit entendus. Il nous apporta des restrictions à chaque article, qui en éludoient toute la force et dont l'ambiguïté les rendoit non-seulement inutiles, mais encore dangereux : nous ne crûmes pas nous y devoir arrêter. M. de Cambray céda, et les Articles furent signés à Issy, chez M. Tronson, le 10 de mars 1695.

13. Quand M. l'archevêque de Cambray dit maintenant dans sa Réponse à notre Déclaration, qu'il a dressé les Articles avec nous1, je suis fâché qu'il ait oublié les saintes dispositions où Dieu l'avoit mis. On a vu dans les lettres qu'il écrivoit pendant qu'on travailloit à ces articles, qu'il ne demandoit qu'une décision sans raisonner. Si nous entràmes dans ce sentiment, je prie ceux qui liront cet écrit de ne le pas attribuer à hauteur ou à dédain : à Dieu ne plaise en toute autre occasion nous eussions tenu à honneur de délibérer avec un homme de ses lumières et de son mérite, qui alloit même nous être agrégé dans le corps de l'épiscopat. Mais à cette fois Dieu lui montroit une autre voie c'étoit celle d'obéir sans examiner : il faut conduire les hommes par les sentiers que Dieu leur ouvre, et par les dispositions que sa grace leur met dans le cœur. Aussi la première fois que M. l'archevèque de Cambray a parlé de nos xxxIV Articles (c'est dans l'avertissement du livre des Maximes des Saints), il ne parle que deux prélats, de M. de Châlons et de moi, qui les avions dressés, 1 Edit. de Brux., p. 8.

sans songer alors à se nommer comme auteur. Il se souvenoit de l'esprit où nous étions tous quand on signa. Voilà le petit mystère que nous inspira son seul avantage. J'entends dire par ses amis que c'étoit là comme un secret de confession entre nous, qu'il ne vouloit pas découvrir et que nous l'avions révélé. Nous n'avons jamais pensé à rien de semblable, ni imaginé d'autre secret que celui de ménager son honneur, et de cacher sa rétractation sous un titre plus spécieux. S'il ne s'étoit pas trop déclaré par son livre, et qu'enfin il ne forçat pas notre long silence, ce secret seroit encore impénétrable. On a vu dans une de ses lettres qu'il s'étoit offert à me faire une confession générale: il sait bien que je n'ai jamais accepté cette offre. Tout ce qui pourroit regarder des secrets de cette nature sur ses dispositions intérieures est oublié, et il n'en sera jamais question. M. l'archevêque de Cambray insinue dans quelques-uns de ses écrits que je fus difficile sur quelques-unes de ses restrictions, et que M. de Paris, alors M. de Châlons, me redressa fortement. Nous l'avons donc bien oublié tous deux, puisqu'il ne nous en reste aucune idée; nous étions toujours tellement d'accord, que nous n'eûmes jamais besoin de nous persuader les uns les autres; et que tous ensemble guidés par le même esprit de la tradition, nous n'eûmes dans tous les temps qu'une même voix.

14. M. l'archevêque de Cambray demeura si bien dans l'esprit de soumission où Dieu l'avoit mis, que m'ayant prié de le sacrer, deux jours avant cette divine cérémonie, à genoux et baisant la main qui devoit le sacrer, il la prenoit à témoin qu'il n'auroit jamais d'autre doctrine que la mienne. J'étois dans le cœur, je l'oserois dire, plus à ses genoux que lui aux miens. Mais je reçus cette soumission comme j'avois fait toutes les autres de même nature que l'on voit encore dans ses lettres: mon âge, mon antiquité, la simplicité de mes sentimens, qui n'étoient que ceux de l'Eglise, et le personnage que je devois faire me donnoient cette confiance. M. de Châlons fut prié d'être l'un des assistans dans le sacre, et nous crùmes donner à l'Eglise un prélat toujours unanime avec ses consécrateurs.

15. Je ne crois pas que M. l'archevêque de Cambray veuille

oublier une circonstance digne de louange de sa soumission. Après la signature des Articles et aux environs du temps de son sacre, il me pria de garder du moins quelques-uns de ses écrits pour être en témoignage contre lui s'il s'écartoit de ses sentimens. J'étois bien éloigné de cet esprit de défiance. Non, Monsieur, je ne veux jamais d'autre précaution avec vous que votre foi je rendis tous les papiers comme on me les avoit donnés, sans en réserver un seul, ni autre chose que mes extraits pour me souvenir des erreurs que j'aurois à réfuter sans nommer l'auteur. Pour les lettres qui étoient à moi, j'en ai, comme on a vu, gardé quelques-unes, plus pour ma consolation que dans la croyance que je pusse jamais en avoir besoin, si ce n'est peutêtre pour rappeler en secret à M. l'archevêque de Cambray ses saintes soumissions, en cas qu'il fùt tenté de les oublier: si elles voient maintenant le jour, c'est au moins à l'extrémité, lorsqu'on me force à parler, et toujours plus tôt que je ne voudrois. La protestation qu'il me fit un peu avant son sacre seroit aussi demeurée dans le silence avec tout le reste, s'il n'étoit venu jusqu'aux oreilles du Roi que l'on en tiroit avantage, et que pour me faire confirmer la doctrine du livre des Maximes des Saints, on disoit que j'en avois consacré l'auteur.

16. Un peu devant la publication de ce livre il arriva une chose qui me causa une peine extrême. Dans mon Instruction pastorale du 16 d'avril 1695, j'en avois promis une plus ample pour expliquer nos Articles; et je priois M. l'archevêque de Cambray de joindre son approbation à celle de M. l'évêque de Châlons devenu archevêque de Paris, et à celle de M. de Chartres, pour le livre que je destinois à cette explication. Puisque nous avons eu à nommer ici M. l'évêque de Chartres, il faut dire que c'étoit lui qui le premier des évêques de ce voisinage avoit découvert dans son diocèse les mauvais effets des livres et de la conduite de madame Guyon. La suite de cette affaire nous avoit fait concourir ensemble à beaucoup de choses. Pour M. l'archevêque de Paris, j'étois d'autant plus obligé à m'appuyer de son autorité, que pour le bien de notre province il en étoit devenu le chef. Je crus aussi qu'il étoit de l'édification publique, que notre unanimité avec

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