Page images
PDF
EPUB

que quelques hypocrites en ont fait en vérité, lequel est le plus sage de ces deux partis? >>

21. Je n'ai qu'à remarquer en un mot ce profond silence jusqu'au bout, que M. de Cambray promet ici : on verra bientôt les maux qu'un silence si déterminé cause à l'Eglise. Après cette remarque nécessaire au fait, continuons la lecture de l'écrit du prélat.

22. « On ne cesse de dire tous les jours que les mystiques même les plus approuvés ont beaucoup exagéré; on soutient même que saint Clément et plusieurs des principaux Pères ont parlé en des termes qui demandent beaucoup de correctifs. Pourquoi veut-on qu'une femme soit la seule qui n'ait pas pu exagérer? pourquoi faut-il que tout ce qu'elle a dit tende à former un système qui fait frémir? Si elle a pu exagérer innocemment, si j'ai connu à fond l'innocence de ses exagérations, si je sais ce qu'elle a voulu dire mieux que ses livres ne l'ont expliqué, si j'en suis convaincu par des preuves aussi décisives que les termes qu'on reprend dans ses livres sont équivoques, puis-je la diffamer contre ma conscience et me diffamer avec elle? » Ce prélat se déclare donc de plus en plus les termes de madame Guyon ne sont qu'équivoques : les évêques et le Pape même n'ont condamné ses livres, que parce qu'ils ne les ont pas bien entendus : nous voilà ramenés en sa faveur aux malheureuses chicanes de la question de fait et de droit: M. de Cambray en est l'auteur, et il n'a plus que cette ressource pour défendre madame Guyon contre ses confrères et contre Rome même.

23. Voici en cet état comme il triomphe, en disant sans interruption: « Qu'on observe de près toute ma conduite. A-t-il été question du fond de la doctrine? J'ai d'abord dit à M. de Meaux que je signerois de mon sang les XXXIV Articles qu'il avoit dressés, pourvu qu'il y expliquât certaines choses. M. l'archevêque de Paris pressa très-fortement M. de Meaux sur ces choses qui lui parurent justes et nécessaires. M. de Meaux se rendit, et je n'hésitai pas un seul moment à signer. Maintenant qu'il s'agit de flépar contre-coup mon ministère avec ma personne, en flétrissant madame Guyon avec ses écrits, on trouve en moi une résis

trir

tance invincible. D'où vient cette différence de conduite? Est-ce que j'ai été foible et timide quand j'ai signé les xxxiv propositions? On en peut juger par ma fermeté présente. Est-ce que je refuse maintenant d'approuver le livre de M. de Meaux par entêtement et avec un esprit de cabale? On en peut juger par ma facilité à signer les XXXIV propositions. Si j'étois entêté, je le serois bien plus du fond de la doctrine de madame Guyon que de sa personne. Je ne pourrois même dans mon entètement le plus ridicule et le plus dangereux, me soucier de sa personne qu'autant que je la croirois nécessaire pour l'avancement de la doctrine. Tout ceci est assez évident par la conduite que j'ai tenue. On l'a condamnée, renfermée, chargée d'ignominie: je n'ai jamais dit un seul mot pour la justifier, pour l'excuser, pour adoucir son état. Pour le fond de la doctrine, je n'ai cessé d'écrire, et de citer les auteurs approuvés de l'Eglise. Ceux qui ont vu notre discussion doivent avouer que M. de Meaux, qui vouloit d'abord tout foudroyer, a été contraint d'admettre pied à pied des choses qu'il avoit cent fois rejetées comme très-mauvaises. Ce n'est donc pas de la personne de madame Guyon dont j'ai été en peine et de ses écrits, c'est du fond de la doctrine des Saints, trop inconnue à la plupart des docteurs scolastiques.

24. » Dès que la doctrine a été sauvée sans épargner les erreurs de ceux qui sont dans l'illusion, j'ai vu tranquillement madame Guyon captive et flétrie. Si je refuse maintenant d'approuver ce que M. de Meaux en dit, c'est que je ne veux ni achever de la déshonorer contre ma conscience, ni me déshonorer en lui imputant des blasphèmes qui retombent inévitablement sur moi. »

25. Voilà tout ce qui regarde les raisons de M. l'archevêque de Cambray pour ne point approuver mon livre qu'il avoit reçu pour cela. Il en résulte des faits de la dernière conséquence pour connoître parfaitement l'esprit où étoit d'abord ce prélat, et le changement arrivé dans sa conduite depuis qu'il a été archevêque. On entend ce que veulent dire ces airs foudroyants qu'il commence à me donner : cette ignorance profonde qu'il attribue à l'Ecole, dont il fait semblant maintenant de vouloir soutenir l'autorité; ces divisions qu'il fait sonner si haut, sans qu'elles aient

jamais eu le moindre fondement, entre M. de Châlons, qui fut obligé à me presser très-fortement, et moi qui lui résistois et ne cédois qu'à la force. Ces faits et les autres sont de la dernière conséquence que le sage lecteur s'en souvienne: mais afin de les mieux comprendre, achevons sans interruption la suite de l'écrit que nous lisons.

26. « Depuis que j'ai signé les xXXIV propositions, j'ai déclaré dans toutes les occasions qui s'en sont présentées naturellement, que je les avois signées, et que je ne croyois pas qu'il fût jamais permis d'aller au delà de cette borne.

27. » Ensuite j'ai montré à M. l'archevêque de Paris une explication très-ample et très-exacte de tout le système des voies intérieures, à la marge des XXXIV propositions. Ce prélat n'y a pas remarqué la moindre erreur ni le moindre excès. M. Tronson, à qui j'ai montré aussi cet ouvrage, n'y a rien repris. » Remarquez en passant dans le fait, qu'il n'y a ici nulle mention de m'avoir communiqué ces explications, dont en effet je n'ai jamais entendu parler.

28. « Il y a environ six mois qu'une carmélite du faubourg Saint-Jacques me demanda des éclaircissemens sur cette matière. Aussitôt je lui écrivis une grande lettre que je fis examiner par M. de Meaux. Il me proposa seulement d'éviter un mot indifférent en lui-même, mais que ce prélat remarquoit qu'on avoit quelquefois mal employé. Je l'ôtai aussitôt, et j'ajoutai encore des explications pleines de préservatifs, qu'il ne demandoit pas. Le faubourg Saint-Jacques, d'où est sortie la plus implacable critique des mystiques, n'a pas eu un seul mot à dire sur cette lettre. M. Pirot a dit hautement qu'elle pouvoit servir de règle assurée de la doctrine sur ces matières. En effet j'y ai condamné toutes les erreurs qui ont alarmé quelques gens de bien dans ces derniers temps. » En passant, il s'en faut beaucoup au reste il ne s'agit pas d'examiner une lettre particulière, dont le dernier état ne m'est connu que par un récit confus. Mais voici qui commence à devenir bien essentiel.

29. « Je ne trouve pourtant pas que ce soit assez pour dissiper tous les vains ombrages, et je crois qu'il est nécessaire que je me

TOM. XX.

9

déclare d'une manière encore plus authentique. J'ai fait un ouvrage où j'explique à fond tout le système des voies intérieures, où je marque d'une part tout ce qui est conforme à la foi et fondé sur la tradition des Saints, et de l'autre tout ce qui va plus loin et qui doit être censuré rigoureusement. Plus je suis dans la nécessité de refuser mon approbation au livre de M. de Meaux, plus il est capital que je me déclare en même temps d'une façon encore plus forte et plus précise. L'ouvrage est déjà tout prêt. On ne doit pas craindre que j'y contredise M. de Meaux. J'aimerois mieux mourir que de donner au public une scène si scandaleuse. Je ne parlerai de lui que pour le louer, et que pour me servir de ses paroles. Je sais parfaitement ses pensées, et je puis répondre qu'il sera content de mon ouvrage quand il le verra avec le public.

30. » D'ailleurs je ne prétends pas le faire imprimer sans consulter personne. Je vais le confier dans le dernier secret à M. l'archevêque de Paris et à M. Tronson. Dès qu'ils auront achevé de le lire, je le donnerai suivant leurs corrections. Ils seront les juges de ma doctrine; et on n'imprimera que ce qu'ils auront approuvé. Ainsi on n'en doit pas être en peine. J'aurois la même confiance pour M. de Meaux, si je n'étois dans la nécessité de lui laisser ignorer un ouvrage dont il voudroit apparemment empêcher l'impression par rapport au sien.

31. » J'exhorterai dans cet ouvrage tous les mystiques qui se sont trompés sur la doctrine, d'avouer leurs erreurs. J'ajouterai que ceux qui sans tomber dans aucune erreur se sont mal expliqués, sont obligés en conscience de condamner sans restriction leurs expressions, à ne s'en plus servir, à lever toute équivoque par une explication publique de leurs vrais sentimens. Peut-on aller plus loin pour réprimer l'erreur?

32. » Dieu seul sait à quel point je souffre, de faire souffrir en cette occasion la personne du monde pour qui j'ai le respect et l'attachement le plus constant et le plus sincère. »

33. C'est ainsi que finit le mémoire écrit de la main de M. l'archevêque de Cambray. On entend bien qui est la personne qu'il est si fâché de faire souffrir, et quel étoit le sujet de cette souffrance: tous les véritables amis de M. de Cambray souffroient en

effet de le voir si prodigieusement attaché à la défense de ce livre, qu'il aimoit mieux se séparer d'avec ses confrères qui le condamnoient, que de s'y unir par une commune approbation de mon livre, à laquelle il vient encore de déclarer dans ce mémoire qu'il ne trouvoit que le seul obstacle d'improuver les livres de madame Guyon : mais laissons ces réflexions, et venons aux faits essentiels qui sont contenus dans ce mémoire,

ve SECTION.

Faits contenus dans ce mémoire.

1. Commençons par les derniers, pendant qu'on en a la mémoire fraîche. Il y en a deux bien importants; dont l'un est que l'on me cachoit les explications qu'on mettoit à la marge des XXXIV propositions, pour les montrer seulement à M. l'archevêque de Paris et à M. Tronson. On commençoit donc dès lors à commenter sur les articles: on les tournoit, on les expliquoit à sa mode, on se cachoit de moi : pourquoi? n'étoit qu'on sentoit dans sa conscience qu'on sortoit de nos premiers sentimens? On dira que M. de Paris et M. Tronson l'auroient senti comme moi: qui en doute? aussi ont-ils fait; et M. de Paris l'a bien montré : mais enfin chacun a ses yeux et sa conscience: on s'aide les uns aux autres pourquoi me séparer d'avec ces messieurs, puisque nous avions eux et moi dressé ces articles avec la parfaite unanimité qu'on a vue? pourquoi ne se cacher qu'à celui à qui avant que d'être archevêque, et dans le temps de l'examen des articles, on se remettoit de tout «comme à Dieu, sans discussion, comme un enfant, comme un écolier ? » Ce n'est pas pour mon avantage que je relève ces mots; c'est pour montrer la louable disposition d'humilité et d'obéissance Dieu mettoit alors M. de Cambray. Qu'étoit-il arrivé depuis, qui changeât sa résolution? est-ce à cause que je l'avois sacré? est-ce à cause que non content de me choisir pour ce ministère, plein encore et plus que jamais des sentimens que Dieu lui avoit donnés pour moi quoiqu'indigne, il renouveloit la protestation de n'avoir jamais d'autres senti1 Ci-dessus, III sect., n. 4, 6.

« PreviousContinue »