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le plus nécessaire, et de ceux dont on avoit promis de la prendre. 2. Il ne sert de rien de répondre que M. de Cambray avoit bien. promis de ne rien dire que M. de Paris n'approuvât, mais non pas de prendre son approbation par écrit, car ce n'est pas la coutume de prouver une approbation par un fait en l'air : on doit la montrer écrite et signée, surtout quand celui de qui on la prend est intéressé dans la cause, comme M. l'archevêque de Paris l'étoit manifestement dans le nouveau livre, où encore un coup l'on promettoit dans la préface du livre qu'on expliqueroit sa doctrine.

3. Ainsi M. de Cambray hasardoit tout : « lui qui aimoit mieux mourir que de donner au public une scène aussi scandaleuse que celle de me contredire,» s'expose encore à donner celle de contredire M. l'archevêque de Paris, et de mettre toute l'Eglise en combustion. Il a mieux aimé s'y exposer et l'exécuter en effet, que de convenir avec ses amis, avec ses confrères, pour ne plus dire avec ceux qu'il avoit choisis pour arbitres de sa doctrine. Pendant que nous offrions de notre côté de tout concerter avec lui, que nous le faisions en effet, que nous mettions en ses mains nos compositions, il a rompu toute union: tant il étoit empressé de donner la loi dans l'Eglise, et de fournir des excuses à madame Guyon; et il ne veut pas qu'on lui dise qu'il est la seule cause de la division dans l'épiscopat, et du scandale de la chrétienté!

4. Il voudroit qu'on oubliât combien fut prompt et universel le soulèvement contre son livre: la ville, la Cour, la Sorbonne, les communautés, les savans, les ignorans, les hommes, les femmes, tous les ordres sans exception furent indignés, non pas du procédé, que peu savoient et que personne ne savoit à fond; mais de l'audace d'une décision si ambitieuse, du raffinement des expressions, de la nouveauté inouïe, de l'entière inutilité et de l'ambiguité de la doctrine. Ce fut alors que le cri public fit venir aux oreilles sacrées du Roi ce que nous avions si soigneusement ménagé : il apprit par cent bouches que madame Guyon avoit trouvé un défenseur dans sa Cour, dans sa maison, auprès des princes ses enfants: avec quel déplaisir, on le peut juger de la piété et

de la sagesse de ce grand prince. Nous parlâmes les derniers : chacun sait les justes reproches que nous essuyâmes de la bouche d'un si bon maître, pour ne lui avoir pas découvert ce que nous savions: de quoi ne chargeoit-il pas notre conscience? Cependant M. de Cambray dans un soulèvement si universel ne se plaignoit que de nous; et pendant que nous étions obligés à nous excuser de l'avoir trop utilement servi, et qu'il fallut enfin demander pardon de notre silence qui l'avoit sauvé; il faisoit et méditoit contre nous les accusations les plus étranges.

5. J'avois seul soulevé le monde : Quoi? ma cabale? mes émissaires? l'oserai-je dire? je le puis avec confiance et à la face du soleil; le plus simple de tous les hommes, je veux dire le plus incapable de toute finesse et de toute dissimulation, qui n'ai jamais trouvé de créance que parce que j'ai toujours marché dans la créance commune: tout à coup j'ai conçu le hardi dessein de perdre par mon seul crédit M. l'archevêque de Cambray, que jusques alors j'avois toujours voulu sauver à mes risques. Ce n'est rien: j'ai remué seul par d'imperceptibles ressorts, d'un coin de mon cabinet, parmi mes papiers et mes livres, toute la Cour, tout Paris, tout le royaume : car tout prenoit feu: toute l'Europe et Rome même, où l'étonnement universel, pour ne rien dire de plus, fut porté aussi vite que les nouvelles publiques: ce que les puissances les plus accréditées, les plus absolues ne sauroient accomplir, et n'oseroient entreprendre, qui est de faire concourir les hommes comme en un instant dans les mêmes pensées, seul je l'ai fait sans me remuer.

6. Cependant je n'écrivois rien mon livre, qu'on achevoit d'imprimer quand celui de M. de Cambray parut, demeura encore trois semaines sous la presse; et quand je le publiai, on y trouva bien à la vérité des principes contraires à ceux des Marimes des Saints (il ne se pouvoit autrement, puisque nous prenions des routes si différentes et que je ne 'songeois qu'à établir les articles que M. de Cambray vouloit éluder), mais pas un seul mot tourné contre ce prélat.

7. Je ne dirai de mon livre qu'un seul fait public et constant: il passa sans qu'il y parût de contradiction. Je n'en tire aucun

avantage; c'est que j'enseignois la théologie de toute l'Eglise : l'approbation de M. de Paris et celle de M. de Chartres y ajoutoient l'autorité que donne naturellement dans les matières de la foi, le saint concours des évêques. Le Pape même me fit l'honneur de m'écrire sur ce livre que j'avois mis à ses pieds sacrés, et daigna spécifier dans son bref, que ce volume avoit beaucoup augmenté la bonne volonté dont il m'honoroit: on peut voir ce bref dans ma seconde édition; on peut voir aussi dans le bref à M. de Cambray, s'il y a un mot de son livre: cette différence ne regarde pas ma personne : c'est un avantage de la doctrine que j'enseignois qui est connue par toute la terre, et que la chaire de saint Pierre autorise et favorise toujours.

8. Les affaires parurent ensuite se brouiller un peu. C'est la conduite ordinaire de Dieu contre les erreurs. Il arrive à leur naissance au premier abord une éclatante déclaration de la foi. C'est comme le premier coup de l'ancienne tradition qui repousse la nouveauté qu'on veut introduire : l'on voit suivre comme un second temps que j'appelle de tentation: les cabales, les factions se remuent; les passions, les intérêts partagent le monde: de grands corps, de grandes puissances s'émeuvent l'éloquence éblouit les simples: la dialectique leur tend des lacets: une métaphysique outrée jette les esprits en des pays inconnus: plusieurs ne savent plus ce qu'ils croient; et tenant tout dans l'indifférence, sans entendre, sans discerner, ils prennent parti par humeur. Voilà ces temps que j'appelle de tentation, si l'on veut d'obscurcissement: on doit attendre avec foi le dernier temps où la vérité triomphe et prend manifestement le dessus.

9. La première chose qui parut à l'ouverture du livre de M. l'archevêque de Cambray, fut une manifeste affectation d'excuser les mystiques nouvellement condamnés, en les retranchant jusqu'à trois fois de la liste des faux spirituels. On reconnoît ici celui qui avoit promis de pousser le silence jusqu'au bout sur le sujet de madame Guyon. On a montré ailleurs que le Moyen court de cette femme n'étoit autre chose qu'une explication plus expresse de la Guide de Molinos, principalement sur l'indifférence du sa1 Avert., p. 9, 11; Expl. des Max., p. 240; Decl. ult., p. 270.

lut 1; et qu'on avoit même affecté de transcrire dans ce livret les mêmes passages dont Molinos dans sa Guide faisoit son appui; entre autres une lettre du Père Falconi qui a été censurée à Rome. Ainsi pour sauver madame Guyon, il falloit sauver Molinos; et c'est pourquoi M. de Cambray l'avoit épargné dans les Maximes des Saints. Il est vrai qu'il n'osa se dispenser de condamner nommément cet hérésiarque dans sa lettre au Pape. Mais il n'y parla que des LXVII propositions de ce malheureux, et affecta de se taire sur la Guide, qui étoit l'original du nouveau quiétisme et du Moyen court. Pour ce dernier livre, bien éloigné de le condamner, il l'excusoit dans la même lettre, en comprenant son auteur parmi les mystiques, « qui, dit-il, portant le mystère de la foi dans une conscience pure, avoient favorisé l'erreur par un excès de piété affectueuse, par le défaut de précaution sur le choix des termes, et par une ignorance pardonnable des principes de la théologie 3. » Il ajoute que ce fut là le sujet du zèle de quelques évêques, et des xxxiv propositions, quoique ces propositions et ces censures n'aient jamais eu pour objet que madame Guyon et Molinos. Voilà les prétendues exagérations, les prétendues équivoques, en un mot le prétendu langage mystique qu'on a vu qu'il préparoit pour refuge à cette femme; et il présentoit cette excuse au Pape même, pour en tirer ses avantages, si on eût voulu la recevoir.

10. On voit pour le Moyen court et les autres livres de madame Guyon, le même esprit d'indulgence, lorsque parlant des censures de quelques évêques contre certains petits livrets", dont il n'osoit se taire tout à fait devant le Pape, il réduit ces mêmes censures « à quelques endroits, qui, pris dans le sens qui se présente naturellement, méritent d'être condamnés . » Il sembleroit par là 5. les condamner, si l'on ne se souvenoit du sens particulier qu'il a voulu trouver dans les mêmes livres, malgré leurs propres paroles, ne les jugeant condamnables que dans un sens rigoureux, qu'il assure que leur auteur n'a jamais eu dans l'esprit; par où

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Voy. Rép. à quatre Lett. de M. de Cambray, n. 2. 2 Voy. Inst. sur les Etats d'Or., liv. 1, n. 25. 3 Epist. ad Innocent XII, p. 51. Ibid., Decl.,

p. 256.

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Ci-dessus, Ive sect. n. 11.
TOM. XX.

10

l'on ne sent que trop qu'il se réservoit de les excuser par ce sens particulier qu'il veut trouver dans le livre malgré les paroles du livre même.

11. Cependant quelque peu qu'il en ait dit, il a tant de peur qu'on ne croie qu'il ait passé condamnation sur les livres de madame Guyon, en parlant dans sa lettre au Pape des évêques qui l'ont censurée, qu'il explique dans sa Réponse à la Déclaration, « qu'il ne s'appuie en rien sur leurs censures, auxquelles il n'a jamais pris aucune part ni directe ni indirecte: » paroles choisies pour montrer qu'il étoit bien éloigné de les approuver.

12. Ce qu'il répond sur l'omission affectée de Molinos et de madame Guyon n'est pas moins étrange : « Prétend-on, dit-il, sérieusement, que je veuille défendre ou excuser Molinos, pendant que je déteste dans tout mon livre toutes les erreurs des LXVIII propositions qui l'ont fait condamner 1?» Oui, sans doute, on le prétend sérieusement, puisque même ces paroles confirment l'affectation perpétuelle de supprimer la Guide de cet auteur, et de s'arrêter seulement aux LXVIII propositions, comme si elles faisoient le seul sujet de la condamnation du saint Siége sans que ce livre y soit compris.

13. « Pour la personne, ajoute-t-il, dont les prélats ont censuré les livres, j'ai déjà rendu compte au Pape mon supérieur, de ce que je pense là-dessus. » Qui ne voit que c'est là biaiser sur un point si essentiel? Est-ce en vain que saint Pierre a dit, qu'on doit être prêt à rendre raison de sa foi, non-seulement à son supérieur, mais encore à tous ceux qui la demandent : Omni poscenti? Qu'eùt coûté à M. de Cambray, de s'expliquer à toute l'Eglise sans l'affectation d'épargner et de soutenir madame Guyon? Mais voyons encore quel compte il a rendu au Pape de ses sentimens sur les livres de cette femme. « Je ne le répète point, dit-il, ma lettre étant devenue publique. » Il n'y a point de lettre publique que celle où il dit au Pape « qu'il y a de certains petits livrets censurés par les évêques, dont quelques endroits au sens qui se présente naturellement, étoient condamnables: » voilà tout le

1 Rép. à la Déclar., édit. sans nom, p. 189; de Brux., p. 119.

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I Petr.,

III, 15.

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